Ce fort volume cartonné dresse un panorama de l’art religieux non pas breton, mais en Bretagne. On aurait pu s’attendre à un ouvrage conventionnel, répétitif, où les auteurs nous auraient présenté des œuvres illustrant les trois axes retenus : la douleur, l’espérance et la gloire. Or, il n’en est rien. Nous sommes en présence d’un refus de l’illustration au profit du choc des images.
Celles-ci, et il faut ici souligner la maîtrise du photographe, se présentent dans leur nudité, sans référence, détail parfois grossi : le classicisme des descentes de croix soudain brisées par un pieu entrant dans une poitrine, par une chaussure laissée pour compte. Il ne s’agit pas de beauté, quoique certaines œuvres sont résolument belles, mais de dépassement des règles esthétiques au profit de la force du message. Il s’agit aussi d’une découverte, celle de la richesse du patrimoine religieux en Bretagne, du XIIe au XVIIIe siècle avec de rares incursions dans le XIXe.
Un seul défaut, pour certains secondaire : l’absence de références précises et de renvois systématiques. Quant à la partie écrite qui se cantonne à des introductions à chacune des parties, elles s’efforcent de découvrir au « regardant » non le regard de l’artiste, mais celui des auteurs, toujours original.
Thierry Le Prince, Arnaud le Brusq, photographies de Andrew Paul Sandford, Les larmes et l’extase. Figures de l’art sacré en Bretagne, Editions Ouest france, juillet 2012, 49€
«Les yeux sont insatiables comme l’enfer» proclame en substance le proverbe biblique. Or, deux millénaires, durant, c’est la religion qui a fourni le combustible des images à la flamme des regards. Tel est le paradoxe du christianisme, héritier de l’interdit de la représentation en tant que support toujours susceptible de susciter l’idolâtrie, et pourtant premier pourvoyeur d’images incessamment renouvelées afin d’appeler à lui les regards. Dans l’attente de la révélation, c’est-à-dire du voile enfin déchiré, ces regards se trouvent sans cesse reconduits d’un reflet à l’autre, au long d’une quête devant s’achever sur quoi ? Le face à face. Les combinaisons des figures de l’art chrétien formulent l’annonce et presque la promesse de cette ultime rencontre. Dans le cadre de l’église, elles donnent vie à l’histoire. Elles donnent lieu aux mille et un épisodes de la légende sacrée. Mais qu’est-ce au juste qu’une «figure» ? Non pas le symbole qui enferme le sens univoque dans son cercle. Pas davantage un contour qui imite les apparences. Prises dans la pâte du récit, les figures sont des formes qui manifestent littéralement les événements qu’elles portent. Elles les accomplissent presque. Comment ? Par l’art qui montre des corps en mouvement traversés par le verbe. Par les regards des fidèles qui se tournent vers ces corps dessinés, peints ou sculptés en récitant la légende.
Arnauld Le Brusq est docteur en histoire de l’art. Il est l’auteur d’articles dans la presse artistique (Beaux-arts Magazine, L’Oeil) et a contribué à plusieurs ouvrages pour les éditions Larousse, Encyclopaedia Universalis, Hazan, Somogy ou La Découverte.
Photographe, depuis plus de trente ans Andrew Paul Sandford focalise son regard sur le patrimoine artistique et culturel de la Bretagne. Il est l’auteur ou le co-auteur de nombreux ouvrages : Les Monts d’Arrée ; Brocéliande(s), sur les traces du roi Arthur, Coop Breizh ; Splendeurs et légendes de la Bretagne secrète Éditions Jos ; Lumières de Bretagne ; Les Enclos paroissiaux, Apogée ; Patrimoine sacré en Bretagne, Coop Breizh ; Esprit de Bretagne, Équinoxe.
Thierry Le Prince oeuvre dans le métier de l’édition depuis le début des années 1980. Parmi les éditeurs avec qui il a collaboré : Ouest-France, Le Chasse-Marée, Hoëbeke, Geo, Centre culturel Abbaye de Daoulas, Les Éditions Palantines et Coop Breizh. Il est le concepteur initial, porteur de projet et directeur artistique des Larmes et l’extase.