Chercheur et historien des Sciences, Guillaume Lachenal a commis un fort intéressant ouvrage qui nous replonge aux temps « pas toujours bénis » des colonies… Le médecin qui voulut être roi contient plusieurs livres, plusieurs aventures. Il parle d’un homme, le docteur Jean Joseph David, médecin des troupes coloniales. À travers son parcours militaire et médical, le lecteur croise les nombreux protagonistes d’une histoire qui commence au début des années 30 et s’achève dans les derniers feux de l’Indochine vacillante.
Mais l’histoire du Médecin qui voulut être roi débute en amont. La médecine coloniale qui accompagnait les troupes chargées de coloniser et de régenter voire de « régimenter » les nouvelles possessions des Empires coloniaux occidentaux britanniques, français, allemands voire belges, italiens et portugais étaient souvent avec l’éducation une des premières marques de la modernité et du progrès que prétendaient apporter et, donc, imposer le colonisateur à ces peuples considérés comme inférieurs, voire rétifs aux bienfaits de la civilisation. Ces médecins militaires, fort bien formés, en ce qui concerne les Français, à l’école du Pharo, près de Marseille, qui était l’Institut de Médecine tropicale du Service de Santé des Armées, œuvraient dans des conditions difficiles auprès des populations indigènes et des Européens implantés dans ces territoires ou sévissaient des maladies délétères comme le paludisme, la lèpre ou la maladie du sommeil.
Le modèle de ces médecins surtout pour ceux dont nous parlerons était Léon Jamot (1879-1937), grand pourfendeur de la maladie du sommeil ou trypanosomiase, parasitose transmise par la mouche Tsétsé, responsable d’une grande mortalité et d’un affaiblissement des populations. Outre le problème humanitaire qui ne disait pas encore son nom, ce qui était d‘abord en cause était la stagnation de la population du fait d’une mortalité sévère. Ce dont l’Empire avait besoin : c’était des bras. Des bras pour l’agriculture, pour les grands travaux et pour porter les armes comme en 14-18. Léon Jamot mettra en place, dans le Cameroun ex-colonie allemande raflée aux vaincus, un programme dirigiste dont il saura faire une ample publicité cinématographique, fondée sur un regroupement et une éviction des patients infectés, donc contagieux, associées à un traitement coercitif de masse. De telles mesures de concentration dans des camps ad hoc avaient déjà été prises par certains médecins allemands en Ouganda dont un certain Claus Schilling qui sera pendu à Nuremberg pour ses expérimentations mortifères visant à traiter le paludisme, sur des prêtres catholiques…
L’histoire qui nous concerne celle de Jean Joseph David, tout au moins au début du Médecin qui voulut être roi, est une utopie sanitaire et sociale qui se déroule peu avant le début de la Seconde Guerre mondiale dans la région du Haut-Nyong au Cameroun. Une région souffrant d’une forte incidence de la maladie du sommeil et dont la gestion quasi totale administrative et sanitaire sera confiée aux médecins coloniaux qui vont développer des « hypnoseries » pour les patients atteints de la maladie du sommeil. Mais aussi des maternités ou les futures mères « ramassées » dans les villages viendront passer les derniers mois de grossesses recevant une nourriture adaptée et des conseils éducatifs. Cette gestion débordera vite sur d’autres champs : des écoles sont mises en place, une éducation sportive, des routes et des villages modèles sont créés et la production agricole renforcée, car la guerre approche et la demande en caoutchouc progresse. On n’est pas très loin de certaines utopies : on pense à Campanella et sa Cité du Soleil et à certaines communes soviétiques. L’expérience sera prolongée toute la guerre y compris par les gaullistes ralliés très tôt et heureusement par l’Afrique-Équatoriale Française qui sera une caution territoriale riche en hommes et en matière première de la France Libre.
Cette politique sanitaire n’a rien d’une élucubration isolée et franchouillarde, cette question avait été développée à la SDN, ancêtre de l’ONU, par Ludwik Rajchman directeur de la section hygiène. La lutte contre les épidémies conforte les intérêts des puissances impériales européennes s’acquittant d’une « mission civilisatrice » justifiant leur politique. Ludwik Rajchman rendra de nombreux services, dont l’apurement de quelques dettes négligemment oubliées, à un certain docteur Louis Ferdinand Destouches alias Céline qui le lui rendra fort mal par son antisémitisme forcené. De Céline on retrouve Bardamu et le Cameroun, en pensant parfois au Kurz d’« au cœur des Ténèbres » de Conrad. Après le Cameroun, le docteur Jean Joseph David poursuivra sa carrière ensuite à Alger où siège le Gouvernement provisoire de la République : il suivra tout en montant en grade, la Première Armée française et Delattre de Tassigny, de la Provence au Rhin et du Rhin au Danube. Il sera chargé de la réhabilitation sanitaire des Français libérés de Dachau souvent très affaiblis ou mourants. Il créera un centre ad hoc sur une île du Lac de Constance près de la frontière suisse et de Sigmaringen qu’avait quitté quelques semaines auparavant un certain docteur Destouches alias Céline en partance pour le Danemark et pressentant l’arrivée prochaine des tirailleurs africains de Leclerc « assoiffés » de sang et qui laissera pour la littérature à défaut de l’honneur quelques chefs d’œuvres sur cette période que sont « D’un château l’autre » et « Nord ». Cette prise de charge sera un succès mérité et récompensé.
Poursuivant sa quête, Guillaume Lachenal retrouvera dans les archives, préalablement au Cameroun, une autre mission du médecin à Wallis et Futuna, seule île républicaine dotée d’un roi élu ce qui sera pour l’auteur et chercheur l’occasion d’un voyage riche en informations et impressions. Outre cet ouvrage, il a publié aussi Le médicament qui devait sauver l’Afrique (Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte) sur un scandale sanitaire lié à un médicament de la maladie du sommeil la lomidine synthétisée en 1937 et injectée à plus de 10 millions de sujets africains faisant des dizaines de morts et des centaines de mutilés. Le roman de Paule Constant, C’est fort la France ! (Gallimard, 2012) évoque ces souffrances. Citons aussi une autre publication de Guillaume Lachenal Quand la médecine coloniale laisse des traces (Les Tribunes de la santé 2011/4). Des enquêtes lancées au début des années 1990 dans les régions forestières d’Afrique centrale pour évaluer la prévalence du virus de l’hépatite C au sein des populations locales montrent que le virus est très présent dans ces zones isolées et enclavées surtout en ce qui concerne les personnes âgées, atteignant 60 % dans certains villages. L’énigme est résolue vingt ans plus tard : le VHC avait été transmis de façon massive aux populations par des injections non stériles lors de campagnes médicales menées à l’époque coloniale…
Le médecin qui voulut être roi Guillaume Lachenal, Editions du Seuil, L’univers Historique, 9 février 2017, 24€.
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