Quand vous étiez enfant, peut-être avez-vous fait des petits boulots pour gagner un peu d’argent, d’abord des choses simples, un coup de main par-ci par-là, puis d’autres tâches plus élaborées au fur et à mesure que vous gagniez en âge et en maturité. C’est en tout cas ce qu’a fait le héros de L’escalier de Jack, de Jean Cagnart, qui n’a cessé de travailler, passant d’un emploi à un autre et ne ménageant pas sa peine.
Il égrène ses souvenirs au fil de cours chapitres en s’adressant directement au lecteur. Ce qui invite à se mettre à sa place. Nous le suivons depuis son jeune âge jusqu’à ce qu’il devienne adulte. Et il faut dire qu’il en a fait des boulots différents, ce Jack ! Que ce soit vendre des objets en pâte à modeler pour le curé, récupérer de la ferraille, transporter des déchets dans la remorque attelée à son vélo, ou bien plus tard travailler à l’usine en face de chez lui, celle où son père a toujours œuvré, ramasser des salades ou des fraises, porter des cageots ou assembler des circuits électriques avec des copains. Tout y passe et le lecteur se délecte de le suivre sur un marché du travail saturé où les agences d’intérim et les patrons n’en font qu’à leur guise, mais où Jack, toujours, met tout son cœur dans son emploi du moment.
Car oui, il est courageux et ne rechigne pas à la tâche à accomplir. Parfois cependant, il prend sa guitare et la route, quitte sa Normandie natale et vit de l’air du temps (et d’un peu de fumée) s’arrêtant là où on lui propose un emploi, mais ne se fixant jamais, passant continuellement d’un job à un autre, finalement complètement instable et immature…
Une immaturité qui désespère ses parents qui voudraient le voir se fixer et avoir enfin « un vrai travail » ; ce qui crée bientôt entre eux un fossé qui ne cessera de grandir au fil des années. Il deviendra bien chef d’équipe, mais ne trouve pas vraiment intéressant de gagner plus et retournera aussi vite à des boulots de moindre envergure. Ce qui le nourrit ? Quelques livres dans lesquels il a d’abord grappillé sans conviction et qui finalement lui sont devenus indispensables : Des souris et des hommes, Le désert des Tartares, Le vieil homme et la mer, des romans qui parlent de liberté, de folie, d’opiniâtreté…
L’escalier de Jack, c’est cela : ces marches montées une à une sous le soleil, mais qu’on peut aussi dévaler en leur disant au revoir, à chacune d’entre elles. Ces boulots successifs qui ne se ressemblent pas, mais qui tous ont un point commun : le fait qu’il ne s’attache pas, qu’il ne s’investisse pas. Et puis ce dernier boulot, une fois qu’il aura rencontré une fille qui lui donnera un livre à lire : “Votre trente-sixième boulot sera poète.”
Voici donc un roman original, décalé, jubilatoire. Certes, on regrettera que les énumérations des boulots de Jack soient parfois un peu longues malgré un humour mordant de l’auteur dans chacune de ses descriptions. Il décrit la précarité et la fatigue du travailleur, la stupidité de certains boulots mais ne tente pas d’entrer dans des explications psychologiques qui ne s’avèrent pas nécessaires. On comprend bien en lisant le parcours de Jack ce que peut être la vie quotidienne de ceux qui font des petits boulots dont on se dit qu’ils sont vraiment peu gratifiants. Mais Jack s’en fiche, il veut vivre libre, lire ce qu’il a l’envie et parfois s’endormir contre un corps chaud et accueillant. Il veut juste vivre sans entrave.
L‘escalier de Jack, Jean Cagnard, Gaïa éditions, sept. 2012, 288 pages, 20 €