Mohamed Amra alias « La Mouche » : anatomie d’une cavale spectaculaire

Parcours d’un criminel devenu fantôme, c’est l’incroyable trajectoire de Mohamed Amra, trafiquant notoire de la région rouennaise, devenu l’homme le plus recherché de France après une évasion d’une brutalité rare. Pendant neuf mois, il défie les polices européennes avant d’être capturé en Roumanie. Voici l’histoire d’un homme au centre d’un thriller bien réel.

Un nom, une réputation : « La Mouche »

Mohamed Amra naît le 10 mars 1994 à Rouen. Très tôt, il est repéré dans les circuits du narcotrafic local. Ses surnoms – « La Mouche », « Yanis », ou encore « Schtroumpf » – circulent dans les rapports de police bien avant sa première incarcération. Mais c’est en 2021 que son profil prend une nouvelle envergure : il est impliqué dans un vaste réseau de trafic de stupéfiants avec ramifications en Espagne, aux Pays-Bas et dans les Balkans. Lorsqu’il est arrêté en 2023, il est déjà soupçonné de tentatives d’homicide et de blanchiment à grande échelle. Il est incarcéré au centre pénitentiaire d’Alençon – Condé-sur-Sarthe, l’un des plus sécurisés de France.

14 mai 2024 : L’évasion qui choque la France

Ce matin-là, Mohamed Amra est transféré sous escorte vers le tribunal d’Évreux. À 11h, sur l’aire de péage d’Incarville (Eure), un commando armé attaque le fourgon pénitentiaire. L’opération est militaire : un véhicule-bélier percute l’avant du convoi, une rafale de tirs automatiques cloue les agents au sol, et en moins de deux minutes, Amra disparaît avec ses ravisseurs. Bilan : deux agents pénitentiaires tués, trois blessés graves. Une opération aussi violente que rapide, jamais vue depuis l’évasion d’Antonio Ferrara en 2003. Les autorités déclenchent immédiatement l’alerte enlèvement la plus élevée pour un détenu.

Les prémices d’une fuite orchestrée

L’enquête dévoile que l’évasion a été longuement préparée. Depuis sa cellule, Amra aurait utilisé des téléphones clandestins pour coordonner ses hommes. Un rapport de l’administration pénitentiaire révèle qu’il a été signalé à plusieurs reprises pour son comportement suspect… sans qu’aucune mesure renforcée ne soit prise.

Les complices ? Une vingtaine de personnes au profil varié : anciens codétenus, petites mains du trafic, mais aussi des femmes chargées de la logistique, du transport ou du blanchiment. Selon Le Figaro, certaines avaient pour mission de séduire et manipuler des agents ou des fonctionnaires.

Compiègne, les Balkans, Bucarest : neuf mois de disparition

Durant sa cavale, Mohamed Amra échappe aux radars grâce à une discipline stricte. Il change constamment de planques. À Compiègne, il loge incognito dans un Airbnb loué 100 euros la nuit. Puis, il quitte la France via la Belgique ou les Pays-Bas, direction l’Europe de l’Est.

À Bucarest, il vit sous un faux nom et évite tout contact numérique. Il se déplace uniquement en taxi, paie en liquide, et change de logement tous les dix jours. Pourtant, un détail le trahit : une caméra de vidéosurveillance capte une plaque de voiture utilisée pour un repérage, et la coopération entre Europol et la police roumaine permet une localisation précise.

Le 22 février 2025, un raid de la police roumaine met fin à la cavale. Amra est arrêté sans résistance dans un immeuble résidentiel de la capitale.

Retour en France, isolement et enquête-fleuve

Extradé rapidement, Mohamed Amra est incarcéré à Condé-sur-Sarthe dans des conditions de sécurité exceptionnelles : cellule d’isolement, surveillance vidéo permanente, aucun contact avec les autres détenus.

Parallèlement, la justice française poursuit ses investigations. Vingt-quatre personnes sont interpellées pour leur participation présumée à l’évasion ou à la cavale. Parmi elles, un certain Adonis C., proche d’Amra, arrêté en Thaïlande et extradé vers la France. Les charges évoquent association de malfaiteurs, complicité de meurtre et financement du terrorisme.

L’affaire Mohamed Amra déclenche une onde de choc politique. Comment un détenu classé comme « dangereux » a-t-il pu organiser son évasion depuis une prison ultra-sécurisée ? Pourquoi les alertes n’ont-elles pas été prises en compte ? Une commission parlementaire est ouverte. Le ministre de la Justice promet une réforme profonde du système de transferts et de surveillance. Mais pour les syndicats de surveillants, le mal est profond : « on laisse pourrir les conditions de détention et on ignore nos alertes ».

Une cavale si longue : peur, silence et soupçons de réseau mafieux

L’un des éléments les plus troublants dans l’affaire Amra reste la durée exceptionnelle de sa cavale. Neuf mois sans interception, malgré une alerte Interpol, une surveillance accrue aux frontières et une traque transnationale. Pour les enquêteurs, cette performance ne peut s’expliquer par le seul talent de dissimulation du fugitif. Elle témoigne, plus profondément, de l’existence d’un réseau criminel structuré ayant fourni appuis logistiques, moyens financiers, documents falsifiés et lieux sûrs.

Des indices concrets orientent les investigations vers les Balkans, et plus précisément la Roumanie, la Serbie et la Bosnie-Herzégovine, connues pour abriter des filières actives dans le trafic de drogue, d’armes et de faux papiers. Selon une source proche de l’enquête citée par Le Monde, Amra aurait bénéficié de la protection d’une organisation criminelle transfrontalière disposant de ramifications en Europe de l’Ouest. Plusieurs de ses contacts téléphoniques, interceptés depuis sa cellule avant l’évasion, mentionnent des « frères de l’Est » et des « zones de repli ».

Ce réseau fonctionnerait selon une hiérarchie stricte, à la manière des mafias albanaises ou kosovares : des commanditaires invisibles supervisent les opérations sans jamais apparaître, confiant à des exécutants locaux le soin d’assurer la logistique. Amra, dans ce système, pourrait n’avoir été qu’un lieutenant : un homme de terrain redouté, mais dépendant d’un pouvoir supérieur. Cette hypothèse expliquerait aussi la peur qui entoure son nom. Plusieurs proches ou anciens associés interrogés par la police ont refusé de coopérer, invoquant des risques personnels. Une femme, suspectée de l’avoir logé en région parisienne, a déclaré lors de sa garde à vue : « Je savais qui il était. On ne dit pas non à La Mouche. »

L’omerta est renforcée par le respect craintif que Mohamed Amra inspire dans certaines cités normandes et franciliennes. Sa réputation d’homme froid, capable de violence extrême, couplée à un certain charisme, alimente une forme de mythe qui le protège plus sûrement que n’importe quel passeport. Dans le monde du narcotrafic, son évasion a été perçue comme un exploit, et sa cavale comme un défi lancé à l’État. Mais pour les enquêteurs, elle révèle surtout un écosystème mafieux profondément enraciné, dont Amra n’est peut-être que la partie émergée.

Une fascination morbide

Dans l’opinion publique, la cavale d’Amra prend des airs de roman noir. Sa silhouette fine, ses faux noms, ses complicités féminines et sa discrétion font penser à un personnage de polar moderne. Des internautes le comparent à Redoine Faïd. Des jeunes diffusent même des « fan edits » sur TikTok.

Cette glorification inquiète les sociologues. Elle relève d’une dynamique bien connue : la construction d’un « anti-héros » en opposition aux figures d’autorité. Pour une partie des jeunes issus de quartiers populaires, Mohamed Amra incarne un symbole de revanche contre un système perçu comme injuste. Son audace, son intelligence tactique, sa capacité à déjouer l’État font de lui un objet d’admiration presque romantique.

La figure du hors-la-loi charismatique, largement relayée par les réseaux sociaux, répond à une soif d’identification dans un contexte de défiance généralisée envers les institutions. Le mécanisme est amplifié par la viralité des contenus et la culture du buzz, où l’image du criminel devient produit culturel et même marchandise. Il ne s’agit plus de comprendre les faits, mais de s’approprier une esthétique du refus. Mais derrière le vernis du mythe, deux hommes sont morts. Et la justice entend bien faire payer à « La Mouche » le prix de son envol.

Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique et humaniste !