Le titre est trompeur. Motorossa d’Adèle Albrespy et Jean Aubertin, publié aux éditions Dargaud, parle bien entendu de mécanique et de motos, mais aussi d’un pays insulaire et d’une jeune fille en reconstruction. Un bijou de lecture.
« Une fille qui avait tout perdu …. et qui a tenté de se sauver par la vitesse ». C’est la dernière phrase de l’album, mais elle aurait pu en être l’incipit. Elle dit tout.
Elle s’appelle Franca. Elle s’est faite tatouer en chiffres romains sous le sein gauche l’année 1999. C’est l’année du décès de sa mère. « Il faut avouer que je n’arrivais pas à m’en remettre. » Deux ans plus tard, elle a quitté Rome et vit en Sardaigne chez sa tante et son oncle. Elle flotte. Entre deux eaux. Elle plonge profondément dans l’eau bleu, sous un ciel bleu. Dans son maillot de bain bleu. Elle remonte à la surface, mais elle boit la tasse. Jusqu’au jour où Silvio, un jeune homme attaché à son île, l’emmène faire un tour de moto et déclenche une tempête sous le crâne de Franca. Elle s’achète aussitôt une Ducati 900 S d’un rouge flamboyant et aidé par son oncle, ancien motard paralysé à la suite d’un accident, décide de participer à la course annuelle organisée sur le circuit de Carbonia.
On devine que les pétarades vrombissantes et les scènes de courses en circuit vont se succéder à un rythme effréné. Magnifiques dans leur transcription graphique, telles les images filmées de caméras embarquées familières aux adeptes des courses de moto GP, les dessins magnifiques de Jean Aubertin, captent les visages sous les casques, écrasent les perspectives, nous invitent à nous pencher au maximum pour prendre la courbe au plus vite. Les aplats de couleurs transforment la tribune de départ en une vaste mosaïque de couleurs vives et éclatantes. Importantes, ces cases ne constituent pourtant pas l’essentiel. Plus que le challenge de trois courses, c’est la piste du retour à la vie que parcourt Franca au guidon de sa moto. Unique femme en compétition, elle doit bien entendu essuyer les quolibets machistes de la population locale, artisane d’un « chacun à sa place ». Mais en se frottant aux pilotes en course, elle grandit et assure à grande vitesse une transition vers le monde des adultes, où beaucoup de coups sont permis. Contrairement aux locaux qui pense qu’elle roule pour se tuer, Franca déclare au contraire qu’elle roule pour essayer de sauver sa peau.
Le récit, magnifiquement écrit, laisse la place à de très beaux personnages secondaires, comme cet oncle nostalgique dans son fauteuil roulant, où ces jeunes hommes, en quête de virilité, un peu, beaucoup amoureux de Franca. Même le maire de Carbonia, dans son costume trop grand, est plus vrai que nature. Les touches colorées et violentes des couleurs de Aubertin, contrastent heureusement avec la finesse d’une histoire où tout n’est que subtilité.
La Sardaigne stylisée est aussi omniprésente par ses paysages, ses couchers de soleil qui rappellent étrangement les reflets des toiles de Edward Munch (jusqu’à ce ponton de bord de mer, si proche du Cri), mais aussi par la transcription d’un mode de vie, de pensée insulaire. Rome, c’est les Nordiques, ces presque étrangers et on devine que Adèle Albrespy, qui a étudié le cinéma à Rome, a probablement fréquenté cette terre gorgée de soleil et de passé antique, un passé qui resurgira comme un symbole avant la fin de l’histoire.
Complexe, subtil, taiseuse parfois, tout le contraire d’une course de motos, cette première bande dessinée collaborative réussie, donne envie de découvrir rapidement un autre album. Pétaradant ou pas, mais aussi réussi.