Michael Ondaatje, né au Sri Lanka en 1943, décline son oeuvre autour des spectres de la Seconde Guerre mondiale et surtout de son impact sur l’enfance. Adapté au cinéma par Anthony Minghella sous le titre Le patient anglais, son roman L’homme flambé lui a valu le Booker Prize en 1992 puis le Golden Booker Prize en 2018.
Ombres sur la Tamise reprend les thèmes chers à l’auteur grâce à un roman d’apprentissage, peut-être un des romans les plus aboutis.
Dès la première phrase, Michael Ondaatje donne le ton de ce récit clair-obscur en laissant planer une impalpable menace.
En 1945, nos parents partirent en nous laissant aux soins de deux hommes qui étaient peut-être des criminels.
Rachel a seize ans, Nathaniel, quatorze quand leurs parents leur annoncent qu’ils partent pour un an à Singapour, les laissant à Rubigny Gardens, leur maison de Londres, sous la garde d’un voisin que les enfants appellent « le Papillon de nuit ». La maison familiale devient alors le lieu de rencontre de personnages étranges, cosmopolites à l’image du « Dard de Pimlico », un ancien boxeur, ami du « Papillon de nuit ».
En retrouvant la malle de leur mère à la cave, les enfants comprennent vite le mensonge de leurs parents et ne peuvent que s’en remettre à leurs deux tuteurs. Ils se laissent guider sur les canaux de Londres, ceux utilisés pendant la guerre pour le transport d’explosifs, participant ainsi aux activités illicites du Dard de Pimlico. Le monde des hors-la-loi semble à Nathaniel bien plus magique que dangereux. Les deux adolescents, sans rien connaître d’eux-mêmes, sont façonnés par les fragments épars et incertains des personnages étranges qui croisent leur route. À l’image de ce mot énigmatique écrit sur les partitions de Malher pour indiquer des passages difficiles, pesants, le « Schwer » devient le qualificatif de leur vie. « Admettre que plus rien n’est sûr. »
Enlevés par un certain McCash, Rachel et Nathaniel retrouvent enfin Rose, leur mère, venue se terrer à White Paint, la maison de ses parents. Si Rachel ne lui pardonne pas son absence, Nathaniel, envoyé quelques temps aux États-Unis, revient vite s’installer auprès de sa mère. Son mystère l’attire.
Ce n’est que bien plus tard, après la mort de Rose, que Nathaniel, travaillant au Foreign Office comme correcteur des dossiers des archives relatifs aux périodes de guerre et de l’après-guerre, découvre des traces de l’activité de Rose.
Je commence à comprendre qu’une guerre non autorisée avait continué de faire rage après l’armistice, période marquée par des règles et des négociations obscures ainsi que des actes belliqueux dont le public n’eut jamais vent.
Rose voulait fuir le destin de cette génération de femmes contraintes d’attendre le retour du mari. Elle voulait jouer un vrai rôle dans le monde quelque soient les risques et les renoncements. Nathaniel retrouvera celui qui a semé cette graine de folie dans le coeur de la petite Rose alors qu’elle n’était qu’une enfant. Ce garçon tombé du toit, celui qui lui a appris la chasse et la pêche, à connaître la nature, celui qui l’enrôlera dans la lutte.
Michael Ondaatje nous emmène parmi les ombres de la Tamise, dans les moindres recoins de ses canaux, dans le passé trouble des périodes méconnues de l’après-guerre, dans la mémoire d’un homme qui s’évertue à trouver les réponses aux incompréhensions de son adolescence.
Ombres sur la Tamise est un roman exigeant à la frontière de plusieurs genres qui séduit par son ambiance mystérieuse et par ce voile levé sur les lieux et les troubles de l’Histoire.
Ombres sur la Tamise de Michael Ondaatje, traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, paru le 4 avril 2019 aux Éditions de l’Olivier, 288 pages, Prix : 22,50 euros, ISBN : 9782823612813
Michael Ondaatje est né à Ceylan (Sri Lanka) en 1943. À l’âge de onze ans, il rejoint sa mère divorcée en Angleterre et étudie à Dulwich. Il émigre au Canada (Montréal, puis Toronto). Il découvre la poésie à l’université et publie onze volumes de poèmes. En 1989, avec La Peau d’un lion (Payot, 1989), il est finaliste du prix Ritz-Hemingway aux côtés de Nadine Gordimer et Toni Morrison. Son roman Le Patient anglais, adapté au cinéma par Antony Minghella, lui a valu le Booker Prize en 1992, puis le Golden Booker Prize en 2018, et s’est vendu à près de cinq millions d’exemplaires dans le monde. Michael Ondaatje a reçu le prix Médicis étranger en 2000 pour Le Fantôme d’Anil. Tous les livres de Michael Ondaatje sont publiés aux éditions de l’Olivier.
https://youtu.be/FguRZAv_LS4