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RENNES. LE VILLAGE NUMÉRIQUE VOUS ATTEND HALLE MARTENOT

Mercredi 6 et jeudi 7 février 2019, le Village numérique ouvre ses portes aux petits et aux grands à Rennes Halle Martenot. Partez à la découverte des usages du numérique. Et c’est gratuit !

ATELIERS PRATIQUES ET STANDS DE DÉMONSTRATION

Mercredi 6 février de 9h à 12h et de 14h à 22h30

Jeudi 7 février de 9h à 16h30 en continu

Robotique, codage, jeu vidéo, sensibilisation à la donnée personnelle, fabrication numérique et 3D, éducation aux médias, démarche open source, présentation de l’Edulab Pasteur.

Accès libre – gratuit
tout public petits et grands, sans prérequis techniques

TABLE RONDE

Mercredi 6 février à 19h30

Les pratiques numériques juvéniles à la maison

Temps d’échange sur la manière dont les pratiques numériques sont intégrées au sein du foyer familial. Quelles sont les représentations des
parents à l’égard des outils et des usages numériques de leurs enfants ? Comment s’organisent les pratiques numériques à la maison ? Comment concilier la « culture de la chambre » avec les règles de vie familiale ?

Table ronde animée par Barbara Fontar, maîtresse de conférences en Sciences de l’éducation à l’Université Rennes 2, Bénédicte Havard Duclos docteure en sociologie et Agnès Grimault-Leprince Maîtresse de conférences en Sociologie.

Accès libre – gratuit

Halle Martenot, place des Lices
Accès au site : métro Sainte-Anne / bus Place de Bretagne lignes C2, C4, C6

GRAND DÉBAT, CHACUN SA SALLE, CHACUN SON DÉBAT ?

Avec les nombreuses manifestations des gilets jaunes à Paris, Rennes et dans toute la France, un grand débat a été lancé. Outre les cahiers de doléances mis à disposition dans les mairies et les mairies de quartier, plusieurs discussions ont été proposées à partir du site granddebat.fr. Mais beaucoup de groupes de gilets jaunes préfèrent contourner ce site et organiser des réunions par eux-mêmes.

Gilets Jaunes
Les principaux leaders du mouvement des gilets jaunes à Rennes. De gauche à droite : Gaëtan Honoré, Sandrine Godal et Patrick Leborgne.

L’endroit paraît un peu lugubre à Saint-Grégoire. À l’intérieur d’un hangar peu chauffé, un buffet et une cinquantaine de chaises font face à un podium. En haut, Gaëtan Honoré, porte-parole du groupe les lapins jaunes de Rennes, règle les derniers détails techniques et lance un live Facebook pour ses 680 abonnés. Un cahier de doléances est ouvert sur une table à l’entrée, à côté de divers flyers sur le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC). Car le mot d’ordre du jour est bien sa mise en place, mais avant tout d’en débattre. « C’est un test. On fait notre propre grand débat et on verra si ça marche et si on en fait d’autres par la suite », annonce Gaëtan Honoré.

 

« Notre débat va se détacher en trois thèmes : Le RIC, les salaires et les revenus, et le droit de manifester », indique Gaëtan Honoré. Les thèmes ont été choisis par les membres du groupe Facebook « lapins jaunes » avec une volonté de « faire venir et faire parler tout le monde ». Tous, sauf les élus et les représentants politiques qui ne sont pas conviés. « On veut que ça soit un vrai débat entre citoyens. Les thèmes ont été votés en amont sur le réseau social. On fera ensuite un rapport qu’on enverra à l’Assemblée avec qui nous avons discuté la semaine passée », explique le porte-parole.

Gilets Jaunes
Le RIC fait débat. « Ce qui me fait peur, c’est le changement de loi permanent », s’inquiète Carole.

Gaëtan Honoré, porte-parole : « L’objectif est de faire dégager le gouvernement et après de voter pour les représentants. Quand on aura gagné, je m’éclipserai et je ne veux plus en entendre parler ».

Le débat se lance. Dans le public, des étudiants, des salariés, des retraités. Tous les âges et toutes les classes politiques se rencontrent. Et premier pari gagné : tout le monde s’exprime. « C’est ce que j’aime avec ce genre de débat. C’est vraiment apolitique », s’enthousiasme Stan, 25 ans, étudiant en science de l’éducation. Le jeune homme « n’a jamais participé à une manifestation pour les gilets jaunes ». Mais avant de se concerter sur le RIC, il convient de s’organiser. En effet, difficile de s’y retrouver parmi tous les groupes de gilets jaunes. « Comment s’organiser pour être crédible ? », lance-t-on dans l’assemblée. « Il faut distinguer le sérieux et la volonté de faire le buzz », répond-on. « Nous sommes contre cette guerre d’ego », indique Karine, infirmière libérale, qui tente de rassurer le public.

Gilets Jaunes
Les slogans sont déjà prêts pour la prochaine manifestation.

Patrick, retraité et ancien leader syndical : « En 40 ans de combat, je n’ai jamais rien vu d’aussi démocratique que notre débat »

Ce débat ne sert pas simplement à la discussion. Il répond à quelques questions par des réponses pas forcément vraies ou sourcées, mais très souvent en se servant des exemples de fonctionnement dans d’autres pays. Certaines propositions à court terme émergent : « Il nous faudrait un bureau de vote ici ». Mais aussi à long terme : « on a besoin de tout reconstruire. Ça prendra du temps, mais on peut commencer dès l’éducation ». Parmi les revendications de la soirée, le public demande à connaître ce qu’on ne sait pas sur les fiches de paie, la taxe des grandes entreprises étrangères, un meilleur pouvoir d’achat. « On nous parle constamment d’acheter bio, mais on n’a pas les moyens », clame-t-on.

Gilets Jaunes
Un cahier de doléances et des feuilles de revendication personnalisées sont mis à disposition à l’entrée.

Le débat se clôt au bout de plus de trois heures de discussion. De vraies propositions et idées émergent, tout comme des messages hostiles contre les politiciens et les trois derniers présidents. D’autres groupes de gilets jaunes ont d’ailleurs lancé leur propre plateforme sur internet à l’image du site du gouvernement. Tous se donnent déjà rendez-vous la semaine suivante, même heure, même adresse.

Gilets Jaunes
Voici l’extrait du compte rendu complet publié après le premier grand débat… sur Facebook évidemment.

Pourtant, la mairie de Rennes rappelle que « des salles sont spécialement mises à disposition pour le grand débat ». Mais pour l’instant, dans la métropole, seulement trois soirées en deux semaines ont été inscrites sur le site officiel du gouvernement, contre huit pendant la même période sur Facebook. Le maire de Chartres de Bretagne, Philippe Bonnin, est passé par le site pour organiser un débat dans sa commune le mardi 29 janvier. « Le maire a une double mission de représentant de la commune et des habitants. J’ai donc pris mes responsabilités. Au-delà des opinions de chacun, c’était l’occasion de réviser l’approche de la constitution », indique-t-il. Comme tous les autres élus, Philippe Bonnin a laissé les habitants échanger sans intervenir. « Si j’avais été interpellé, j’aurais réagi ».

Gauche, droite et extrême droite, tous les bords politiques étaient représentés. Selon la ville, ils étaient une centaine à débattre sur les quatre sujets proposés par le gouvernement : la transition écologique, la fiscalité et les dépenses publiques, la démocratie citoyenne et l’organisation de l’État et des services publics. « Quelques participants présents sont déjà actifs dans la vie locale », précise Philippe Bonnin. Après un rappel des règles et un discours du maire, la soirée pouvait démarrer. Les revendications venaient du cahier de doléances laissé à disposition dans la mairie. Guy Appéré, médiateur, s’est chargé de l’animation du débat. Michèle Philippe remettra ensuite une synthèse de la discussion à la préfecture qui transmettra au président de la République. Tous deux sont bénévoles pour cette soirée.

Phillipe Bonnin, maire de Chartres de Bretagne après son discours d’ouverture du débat : « je vais maintenant prendre place dans le public et s’il s’avère justifié que je réponde à des demandes de votre part, je le ferai dans le cadre de mes responsabilités ou fonctions de maire ».

« Je suis plutôt satisfait de ce débat », conclut le maire. « Nous avons constaté des agacements, notamment sur l’emploi. Il y a eu également beaucoup d’interrogations. On sent un besoin permanent d’appel d’air ». Lors de cette réunion, aucun gilet jaune n’était présent. Confirmant ainsi leur besoin de faire leur réunion sans élu. « C’est compréhensible. Dans tout mouvement social, il y a eu cette défiance. À nous de garder cette vigilance sur les revendications en tant qu’observateur ».

Gilets Jaunes

Un débat plus structuré qu’à Saint-Grégoire, mais pour le même bilan : quelques idées, mais surtout une nécessité de parler entre citoyens. Gilets jaunes ou non, tous les participants espèrent que ces instants ne sont pas simplement des gains de temps pour atténuer les colères physiques. Pourtant, beaucoup semblent pessimistes malgré un besoin évident d’expression mais chacun de son côté, traduisant une vraie fissure entre élus et gilets jaunes, même dans le dialogue. Des deux côtés, d’autres réunions suivront et un rapport complet doit avoir lieu au début du printemps. Suffisant pour atténuer la colère des gilets jaunes ?

Gilets Jaunes
Panneau d’accueil à la maison du citoyen.

LIVRES À PARAÎTRE EN FÉVRIER

Beaucoup d’amour dans les livres à paraître en février, qui est tout de même le mois de la Saint Valentin. Mais ne vous y méprenez pas, parmi notre sélection, ni romance ni guimauve !

sirène à paris mathias malzieu

Pour Mathias Malzieu, l’histoire d’amour impossible entre un homme et une sirène dans le Paris contemporain devient un conte fantastique dans Une Sirène à Paris (Albin Michel, 6 février 2019). Dans la veine de La Mécanique du cœur (Flammarion, 2007) l’auteur questionne l’engagement poétique et le pouvoir de l’imagination dans notre époque troublée.

sirène à paris mathias malzieu
Une adaptation cinématographique est d’ores et déjà en cours de préparation.

Autre grand conteur de la passion amoureuse dans une version plus réaliste, David Foenkinos nous parle de Deux sœurs (Gallimard, 21 février 2019). Mathilde, effondrée suite à l’abandon de son mari est accueillie dans le foyer de sa sœur. Dans ce huis clos familial, chacun y perd son équilibre. L’auteur illustre remarquablement la passion amoureuse et ses dérives.

Deux soeurs David Foenkinos

Avec Véronique Ovaldé, la solitude d’une mère après la disparition de son mari se transforme en une enquête mystérieuse sur le passé. Gloria quitte brusquement les rives de la Méditerranée avec ses deux filles pour rejoindre sa maison d’enfance en Alsace. Personne n’a peur des gens qui sourient (Flammarion, 6 février 2019), un roman tendu qui montre tout le courage d’une mère pour sauver ses enfants.

Personne n'a peur des gens qui sourient Véronique Ovaldé

Continuons avec l’esprit de l’enquête dans la littérature étrangère. Peter Heller et sa passion pour la nature nous entraînent sur les routes du Grand Ouest américain avec Céline Watkins, artiste et détective, et son taiseux de mari. Céline (Actes Sud, février 2019) est à la fois un grand roman familial et une aventure rythmée, drôle et profonde.

Céline Peter Heller

Le mois de février se place aussi sous le signe de l’Asie. Ne ratons pas le plaisir de retrouver Dai Sijie qui remporta un grand succès avec son premier roman, Balzac et la petite tailleuse chinoise (Gallimard, janvier 2000). Toujours dans la veine autobiographique, Dai Sijie nous conte avec L’évangile selon Yong Sheng (Gallimard, 7 février 2019) l’histoire de son grand-père, l’un des premiers pasteurs chrétiens en Chine. Fils de menuisier, Yong Sheng est placé en pension chez un pasteur américain. Marié de force, il fera ensuite des études de théologie à Nankin. Son bonheur bascule en 1949 avec l’avènement de la République populaire.

L'évangile selon Yong Sheng Dai Sijie

Restons en Asie pour terminer cette revue de littérature étrangère. Hoai Huong Nguyen propose un roman épistolaire vibrant où l’amour imprègne chaque haïku. Le Cri de l’aurore (Viviane Hamy, 7 février 2019) rend hommage au Vietnam sous une forme originale, des lettres poétiques de personnages face à l’éloignement et la mort, guidés vers la lumière par la force de l’amour.

Le Cri de l'aurore Hoai Huong Nguyen

Côté roman noir, Arnaldur Indridasson, une valeur sûre, revient avec un nouvel enquêteur. Konrad, policier à la retraite doit reprendre une enquête qui a toujours pesé sur sa conscience. Le recul d’un glacier ramène le cadavre d’un homme d’affaires disparu depuis trente ans. Ce que savait la nuit (Métailié, 7 février 2019) est dans la lignée de Simenon.  Avec la construction d’un environnement social et affectif soigné et captivant, Arnaldur Indridason, propose un beau roman noir aux rebondissements surprenants.

Ce que savait la nuit Arnaldur Indridason

La plume d’Éric Maravélias avait séduit de nombreux lecteurs avec son premier roman, La fausse soyeuse (Gallimard, 2014). Toujours dans l’ambiance aussi sombre du milieu des gangsters, Au nom du père (Gallimard, 14 février 2019) est une tragédie moderne impliquant mariage forcé pour association de cartels, jalousie, trahison, rancœurs. Vingt-cinq ans après que Dante, un truand notoire, a confié son fils à son meilleur ami, les trois personnages règlent leurs comptes.

Au Nom du père Éric Maravélias

En ce mois de février sort en version poche Une longue impatience (J’ai lu, 13 février 2019) de Gaëlle Josse, un superbe portrait de femme secrète et généreuse, un roman bouleversant sur l’amour maternel. On vous en parlait en octobre dernier dans une chronique à consulter ici.

Une longue impatience Gaëlle Josse


Antoine Bello
(Scherbius (et moi), Gallimard, mai 2018) et Wilfried N’Sondé (Un océan, deux mers, trois continents, Actes Sud, janvier 2018) ont confirmé leur talent en 2018 avec de nouveaux romans passionnants. Retrouvez leur précédent roman en poche : L’homme qui s’envola (Folio, février 2019) et Berlinoise (Babel, février 2019).

L'homme qui s'envola Antoine BelloBerlinoise Wilfried N'Sondé

CATHERINE DENEUVE DANS LA DERNIÈRE FOLIE DE JULIE BERTUCCELLI

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Salle comble à l’Arvor le 20 janvier 2019 pour l’avant-première du film La dernière folie de Claire Darling, en présence de sa réalisatrice Julie Bertuccelli (L’arbre, Depuis qu’Otar est parti, La Cour de Babel…). Déambulation dans l’histoire de Claire (Catherine Deneuve) et de sa fille Marie (Chiara Mastroianni) au travers d’un vide-grenier où souvenirs, rêves et réalités s’entremêlent. Une œuvre envoûtante sur laquelle la cinéaste est revenue pour nous en vidéo.
Sortie en salle le 6 février 2019.

À Verderonne, petit village de l’Oise, c’est le premier jour de l’été et Claire Darling se réveille persuadée de vivre son dernier jour… Elle décide alors de vider sa maison et brade tout sans distinction, des lampes Tiffany à la pendule de collection. Les objets tant aimés se font l’écho de sa vie tragique et flamboyante. Cette dernière folie fait revenir Marie, sa fille, qu’elle n’a pas vue depuis 20 ans.

La dernière folie de Claire Darling Julie Bertuccelli Catherine Deneuve Chiara Mastroianni
Catherine Deneuve est Claire Darling dans le film de Julie Bertuccelli.

« – Vous vendez quoi au juste ? – Tout, je vends tout. »

L’histoire démarre dans le petit village de Verderonne, dans l’Oise, alors que Claire Darling (Catherine Deneuve) se réveille un matin persuadée d’avoir à mourir le soir même. Cette idée fixe la pousse à organiser un grand vide-grenier, qui la dépouillerait de tous les objets qu’elle possède et qui emplissent sa grande maison bourgeoise. Du mobilier, des tableaux, poupées et automates, tout un fatras énigmatique, symbole d’une longue vie écoulée. Mise au courant de cette vente, sa fille Marie (Chiara Mastroianni, fille de Catherine Deneuve) revient après 20 ans d’absence pour arrêter Claire dans son apparente déraison. Le passé familial douloureux, les relations tumultueuses entre Claire et Marie et l’exposition de ces objets qui ont habité leur vie font de ce retour l’occasion d’une re-visite du passé.

La dernière folie de Claire Darling Julie Bertuccelli Catherine Deneuve Chiara Mastroianni
C.Deneuve (Claire Darling) et C.Mastroianni (Marie Darling), mère et fille.

Librement adapté du roman Le dernier vide-grenier de Faith Bass Darling, de Lynda Rutledge, le film y puise notamment son rapport romantique aux objets. En tout genre, ils cristallisent l’histoire de la maison et sont capables de la ranimer. Claire Darling, sa fille Marie, ainsi que les personnages secondaires vivent en effet des réminiscences du passé au contact de ces bibelots sans vie… mais non sans âme. Les temps se superposent dans ce même espace qu’est la vieille maison de Claire. Mais pourquoi Claire vendrait-elle son passé ? Le dédoublement des intrigues (celle du passé, celle du présent) nous permet petit à petit la compréhension du personnage complexe de Claire Darling et de sa « dernière folie ». Le vide-grenier devient l’étalage, non plus d’objets, mais d’une vie.

La dernière folie de Claire Darling Julie Bertuccelli Catherine Deneuve Chiara Mastroianni
Objets, souvenirs et visions dans un conte réaliste

La mémoire est une chose instable, sujette au refoulement, à la déformation. La cinéaste Julie Bertuccelli se sert de sa malléabilité pour jouer avec nos perceptions. Les secrets familiaux, les drames du passé ont fracturé la relation entre Claire et sa fille, mais elles ont aussi fracturé leurs souvenirs communs. Ce retour de la fille, 20 ans après, convoque un passé tortueux, dramatique. Les deux personnages vont devoir le ré-explorer pour y trouver la paix, avant la fin de la journée.

Très vite, le spectateur se questionne sur le niveau de réalité dans lequel il se situe. Le film brouille les pistes dans ses va-et-vient entre les réalités : celle du présent des personnages, celle de la maladie de Claire qui lui inspire des visions, et celle des souvenirs, qui resurgissent. Dans ces ponts établis entre le présent et le passé, le réel et l’imaginaire, Julie Bertuccelli étudie et représente la porosité des frontières de la perception ; et donc l’ambiguïté de la notion même de réalité. Le tout est favorisé par la capacité du cinéma à courber l’espace-temps.

À cela s’ajoute la question du « dernier jour de la vie », celle de Claire, qui charge chaque expérience d’une intensité plus forte, avec son lot de visions et d’envies farfelues en cette occasion si particulière. L’œuvre devient un méli-mélo de temps et d’émotions, symbolisé par la fête foraine et le cirque qui prennent place à Verderonne en même temps que le vide-grenier. Un cocktail de plus en plus explosif au fur et à mesure que la fin (du film, de la journée et peut-être de Claire Darling) approche…

Julie Bertuccelli prolonge sa mise en scène de thématiques telles que les liens familiaux, l’enfance, le passé mis au présent, l’imaginaire, la mort ; des thématiques qu’elle a déjà travaillé dans ses deux premières fictions Depuis qu’Otar est parti (2003) et L’Arbre (2010). Des destins de femmes, mises face à des situations complexes de deuil ou de maladie. Une fatalité qu’elle explique ainsi :

Quand on parle de la vie, on parle de la mort. Je mets en avant la mort car les personnes qui la vivent de près développent un imaginaire très fort pour faire le deuil et continuer à vivre avec appétit.

Face à cette constance d’un travail sur l’imaginaire, c’est le mode de représentation qui a évolué chez cette cinéaste. Si son premier film affichait un réalisme de forme, les deux suivants ont basculé dans des représentations d’ordre onirique, à forte valeur symbolique. Dans La Dernière folie de Claire Darling, l’impression de réalité laisse volontiers place à des réminiscences et à des visions hallucinées, au fort potentiel esthétique. La cinéaste semble s’ouvrir oeuvre après oeuvre au pouvoir fascinateur de l’image, sans perdre son goût pour le narratif… ce qui lui réussit bien !

La dernière folie de Claire Darling Julie Bertuccelli Catherine Deneuve Chiara Mastroianni
Julie Bertuccelli à l’Arvor le 20 janvier 2019. Salle pleine.

La dernière folie de Claire Darling Julie Bertuccelli Catherine Deneuve Chiara Mastroianni

La dernière folie de Claire Darling de Julie Bertuccelli, avec Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Alice Taglioni, Laure Calamy, …

Sortie le 06 février 2019.

DANS LA JUNGLE, TERRIBLE JUNGLE, DU RHEU !

Installée au Rheu (35) depuis 2016, l’association Jungle réunit une dizaine d’artistes et collectifs, techniciens et constructeurs autour d’un projet de lieu partagé dédié à la création, à la construction et aux résidences. Pour les 3 ans de cette aventure collective, nous avons pénétré en territoire sauvage afin d’en étudier la faune et les projets florissants…. Welcome to the jungle !

Jungle, n.f. – savane touffue où vivent les grands fauves…

Une aubaine

« On était chacun dans notre coin à payer des loyers conséquents pour des espaces pas forcément adéquats », raconte Cédric, directeur artistique de la compagnie Scopitone (théâtre d’objets), implantée à Jungle depuis les débuts de cette dernière, en janvier 2016. Il n’est pas le seul à avoir fait ce constat. Pour faire face aux difficultés ou par simple enthousiasme pour le projet, ils sont une dizaine d’entités à avoir fait ce pari de la cohabitation et à avoir monté ensemble l’association Jungle. Parmi elles, des compagnies artistiques (Scopitone, Niclounivis, Hophophop!, Bakélite,.), des scénographes et constructeurs (Zarmine, Alexandre Musset), des producteurs et bureaux d’accompagnement d’artistes (Hélène Martin, Hectores), un vidéaste (Greg Bouchet) ou encore une musicienne (Elsa André). Certains se connaissaient déjà, d’autres s’ignoraient, mais ils ont décidé de lier leur destin.

la jungle
Avant les travaux. Jungle. Le Rheu (35).

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Le plateau de Jungle (2019)

Pour les réunir, un lieu. Une ancienne draperie de 1040 m² louée à un particulier du Rheu (35). « On avait d’abord pensé à demander un local à la ville de Rennes, mais l’attente aurait été de plusieurs années. Alors on s’est tourné vers les particuliers. », raconte Alexandre Musset, constructeur-régisseur et initiateur du projet d’association. Le site est désert à leur arrivée. Ils mettent alors tous la main à la pâte pour en faire un espace adapté à leurs activités. « On a fait le tour des besoins de chacun en termes d’espace et d’utilisation, pour diviser le lieu de manière pragmatique », nous explique Lorinne du bureau Hectores ; et Alexandre de préciser « (…) Il fallait un grand lieu de stockage, un espace de plateau pour pouvoir travailler, et puis des espaces d’atelier pour chaque compagnie ».

L’idée est que chacun puisse conserver son autonomie tout en partageant certains lieux communs : cuisine, salon, plateau, entrepôt, jardin… Par exemple, Alexandre a besoin d’un grand atelier pour ses travaux de construction tandis que la Compagnie Bakélite se contentera d’un plus petit pour son théâtre d’objets. Proportionnellement, la part du loyer reversée par la Compagnie Bakélite sera moins élevée que celle d’Alexandre. Pour Cédric de Scopitone, l’intérêt est évident : « On paye moins cher qu’avant et on a plus d’espace. (…) Tous nos décors sont stockés ici. On a un plateau de répétition, chose qu’on n’avait pas avant. » Un grand espace d’entrepôt est, lui, divisé en parts égales.

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Atelier de la compagnie Scopitone, Jungle. Le Rheu (35).

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Atelier de la compagnie Niclounivis, Jungle. Le Rheu (35).

Favoriser la coopération

L’intérêt de Jungle n’est pas que pécuniaire. Les trois premières années de vie du lieu semblent avoir démontré que la proximité spatiale occasionne le rapprochement professionnel des différentes entités présentes. En plus de se prodiguer des conseils et enseignements précieux – Alexandre a par exemple enseigné la soudure à Nito de la compagnie Niclounivis – nombre d’entre elles (si ce n’est toutes) partagent désormais, occasionnellement, des projets communs. « Je travaille avec tout le monde ici », nous assure même Cédric.

Les informations, les idées ou les matériaux peuvent circuler rapidement et à toute heure de la journée entre les différents protagonistes. « Ce qui est bien avec ce lieu c’est qu’il est poreux. Tous les corps de métiers se croisent » confirme Marine, du Collectif Zarmine. Il suffit de passer dans l’atelier d’à côté, d’en discuter à la pause midi ou de l’évoquer à la réunion collective mensuelle. Du simple coup de main au projet co-monté, cette coopération fluide et économique est promesse d’efficacité et de qualité, dans des domaines professionnels où le temps et l’argent manquent constamment.

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Réunion de la compagnie Bakélite, Jungle (2019)

Dès lors, la diversité des profils n’est plus un frein au lien entre les membres, mais représente au contraire un atout pour chacun. « Je reçois des conseils précieux pour créer mes spectacles », affirme Nito, dont le castelet a été fabriqué par Alexandre, tandis que Cédric nous décrit sa collaboration avec Greg Bouchet (MicMac Factory) qui a réalisé des affiches pour ses spectacles. Leurs ateliers ne sont séparés que par le plateau de répétition. Mais Lorinne insiste sur la liberté et l’indépendance des membres de Jungle : « Ce sont des participations pas forcément sur du long terme et c’est surtout pas obligatoire. Chacun en fonction de ses envies et de ses besoins va aller chercher les compétences qu’on a ici, s’il en a envie. Chacun reste libre de son projet. »

Jungleland

Au-delà des projets individuels et parfois partagés, Jungle organise ponctuellement des événements communs. Par exemple les Safaris.

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Affiche de Safari #2, événement organisé par l’association Jungle, au Rheu (35)

Lorinne nous en parle ainsi : « C’est ce qui fait l’identité de Jungle aujourd’hui. Ce sont des rendez-vous que l’on propose au public. Il vient y découvrir des propositions artistiques, mais aussi le lieu en général, sous une thématique particulière. » L’occasion pour les habitants du Rheu de passer un après-midi entre spectacles, activités et moments conviviaux, là où la « zone » environnante n’offre habituellement rien d’aussi (ré)créatif.

Et si cette « zone » devenait justement un nouveau pôle attractif ? Une ressourcerie prévoit déjà d’ouvrir ses portes dans la même rue que Jungle (rue de la Haie de Terre). L’occasion peut-être de tisser les liens d’un nouveau maillage, d’inventer de nouvelles coopérations.

A noter que l’association Jungle reçoit également des artistes en résidence dans ses locaux, et héberge parfois des événements culturels. Pour en savoir plus, les contacter ou consulter leur site internet

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La Jungle
Atelier.jungle@gmail.com
8 rue Haie de la Terre – 35 650 Le Rheu

CHE MALAMBO, DANSE EXPLOSIVE À PARIS

Envie d’un spectacle enflammé aux rythmes latinos ? Pour la première fois à Paris, Che Malambo s’empare de la scène Bobino du mercredi 30 janvier au dimanche 21 avril 2019. Un spectacle unique créé par le directeur artistique et chorégraphe français Gilles Brinas. Présentation.

https://youtu.be/2B526pOjKgU

« Le Malambo, c’est d’abord un rythme devenu danse[…] danse explosive, toute en tensions contenues, qui n’a eu de cesse d’évoluer » Gilles Brinas.

Che Malambo, ce sont douze artistes – danseurs et musiciens – réunis sur scène afin de faire découvrir le Malambo, une des danses majeures en Argentine, au même titre que le tango.

Le Malambo, késako ?

Né au début du XVIIe siècle, le Malambo est une danse exclusivement masculine qui puise dans la tradition des gauchos de la pampa (« plaine » en Quechua). Afin de rompre avec la solitude des grands espaces, ces cavaliers chargés de garder les troupeaux se seraient mis à claquer des mains et à taper des pieds dans un rythme soutenu. Ainsi est née la deuxième danse nationale argentine, trop peu connue.

che malambo bobino paris
© Diane Smithers

Contrairement au tango, qui se danse en couple et de la même manière dans toute l’Argentine, le Malambo se danse seul, sur une petite surface, et varie selon les régions du Sud et du Nord. En évolution constante, la guitare et les bombos – gros tambours en bois et en peau – apparus dans le nord du pays se sont ajoutés au martèlement des pieds et ont accompagné la danse afin de donner un rythme plus appuyé et musical. Cette manière de danser s’est popularisée au début du XIXe siècle avant de se transformer en duels de zapateado (danse sur un rythme en trois temps, scandée par un martèlement du pied) – les payadas – dans les années 1900. Les hommes s’affrontent en tapant des bottes aux sons des bombos et s’arrêtent quand l’un des deux déclare forfait. Le XXe siècle n’a eu de cesse d’enrichir cette tradition argentine aujourd’hui reconnue, des festivals et compétitions étant organisés autour du Malambo.

Ces rythmes primitifs et trépignements endiablés venus d’Amérique latine ont été la source d’inspiration du chorégraphe français Gilles Brinas, tombé en extase devant cette danse traditionnelle dans les années 70 au Lido à Paris. Fasciné par tant de technique, le danseur et chorégraphe a voyagé en Argentine afin d’apprendre toute la complexité de cette danse, auparavant interdite parce que jugée indécente et pratiquée dans les « maisons closes ».

Che Malambo, le folklore sur la scène Bobino !

Sur l’idée originale de Gilles Brinas, Che Malambo développe un spectacle unique autour de cette danse très physique. La musique suit le danseur (et non le contraire) dans des tempos rapides, rythmés aux bruits des claquettes des danseurs, des bombos et des boleadoras, lassos munis de boules de bois aux extrémités qui virevoltent dans l’espace en parfaite synchronisation avec les pieds. « Che Malambo est la rencontre improbable d’un folklore bien assumé avec un univers étranger ignorant tout de ce sujet si particulier et sensible, qui a donné forme à un ballet-concert que nous souhaitons universel où la danse et le rythme sont les invités d’honneur » expliquer Gilles Brinas.

che malambo bobino paris
© Frank Wiesen

Devant le spectateur, des hommes aux torses bombés, battent la mesure et donnent une impression de horde sauvage, les claquettes rappelant sans mal le bruit des galops de cheval des gauchos. Des cris tribaux s’ajoutent à l’instrumentalisation et complètent cette danse virile et provocante.

che malambo bobino paris
© Frank Wiesen

Tous danseurs folkloriques avec une base de danse classique, les artistes se donnent corps et âme dans la chorégraphie et transmettent une énergie à couper le souffle, une expression enthousiaste ne quittant pas leur visage. Du premier au dernier pas de danse, les danseurs se déchaînent et enchaînent les mouvements de pieds dans une chorégraphie qui démontre l’agilité et l’habilité de leurs pieds. Parfois vêtus d’un perfecto en cuir noir et de claquettes, ou d’un poncho traditionnel et pieds nus, les pieds s’agitent, se courbent, les jeux de jambes vigoureux s’enchaînent de manière impressionnante et le sourire demeure. Le niveau de technicité élevé et les compétences requises se confirment au fil de la chorégraphie et ne peut que subjuguer.

che malambo bobino paris
© Christopher Duggan

Che Malambo
du mercredi 30 janvier au dimanche 21 avril 2019

Bobino – 14/20 rue de la Gaité 75014 Paris
Tarifs semaine (mercredis et jeudis) : de 19€ à 45€
Tarifs week-end (vendredi, samedis et dimanches) : de 23€ à 53€

Réservation
www.bobino.fr
0143272424
Fnac, Carrefour et points de vente habituels

0892683622 (0,40€ ht/min) – www.fnac.com

www.chemalambo.valprod.fr

Gilles Brinas, directeur artistique et chorégraphe

che malambo bobino paris
Le chorégraphe Gilles Brinas

Ce spectacle est né d’une idée originale de Gilles Brinas, danseur et chorégraphe talentueux qui a travaillé comme danseur au Ballet de l’Opéra de Lyon, au Ballet du XXe siècle de Maurice Béjart, à la Scala de Milan, au Grand Ballet de France et dans les compagnies de Robert Hossein, Peter Goss et Anne Béranger. Depuis quelques années, il travaille avec de nombreux professeurs tels que Lucia Petrova, Raymond Franchetti, Andrej Glegolski et collabore également avec des chorégraphes de renoms comme Vittorio Biagi, George Skibine et Jean Golovine.

LOUER UN BATEAU A NICE ET CABOTER HEUREUX SUR LA CÔTE D’AZUR

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Si vous séjournez dans la plus belle région de la côte méditerranéenne et aimez les activités nautiques, excursions et coins reculés, sachez que vous attend à Nice un vaste parc de location de bateaux. Avec une majorité des bateaux louables sans permis. Grâce à des tarifs attractifs, caboter heureux sur la Côte d’Azur n’a jamais été aussi facile.

Profitez de magnifiques spots et d’une vaste zone de navigation qui s’étend de Monaco jusqu’aux îles de Lérins, en passant par la Baie des Anges, la promenade des Anglais à Nice, Saint-Jean-Cap-Ferrat et Beaulieu. L’Office de Tourisme Métropolitain Nice Côte d’Azur vous accueille et vous renseigne tous les jours.

Les zones de mouillages des îles de Lérins face à la baie de Cannes offrent une vue ensorcelante. Pourquoi pas lentement longer le cap entre Golfe Juan et Antibes-Juan-les-Pins ? Ou bien, juste à gauche du port de Nice, en direction de Monaco ou du port naturel de Villefranche-sur-Mer, alternez baignades et bains de soleil dans les eaux bleu turquoise de la Côte d’Azur.

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Pour louer un bateau à Nice, rien de plus simple. Des équipes professionnelles vous accompagnent dans vos choix : meilleurs itinéraires, restaurants et coins à ne pas manquer. Des conseils qui tiennent compte de vos envies et des conditions météorologiques. Vous pouvez même réserver votre location de bateau à Nice en ligne avant votre arrivée. Vous préciserez le nombre de personnes à bord. Une suggestion : privilégier un départ en début de matinée, la mer est souvent plus calme.

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Vous aimez les sports nautiques ? Boy, wake et ski nautique vous tentent ? Vous pouvez remorquer tout votre matériel avec des bateaux de catégorie 3 (minimum 100 cv). L’utilisation de matériel spécifique, le respect des règles de sécurité et des zones de navigation sont évidemment hautement recommandés.

SI la pêche vous séduit, pratiquez ce plaisir avec l’ensemble de la flotte mise à disposition (à l’exception des semi-raides en raison des risques de dégât avec les hameçons). La côte de Nice regroupe de nombreuses espèces tels la daurade, le maquereau, la pieuvre, le thon, au large de Nice, de Saint-Jean–Cap-Ferrat, de Beaulieu, de Saint-Laurent du Var… La plupart des bateaux sont équipés de sondes et des cannes à pêche déjà montées sont disponibles.

Préparez votre séjour nautique à Nice grâce à ce communiqué et au site de :

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CES FEMMES-LÀ, DE GÉRARD MORDILLAT, L’AVENIR DE L’HOMME

Ces femmes-là, le dernier roman de Gérard Mordillat (éd. Albin Michel) paru lors de la rentrée littéraire de janvier, convoque la puissance d’une action collective à travers une multitude de destins individuels. En situant l’action au cœur d’une manifestation, l’auteur compose une fresque visionnaire épique, politique et humaine.

 

CES FEMMES LA MORDILLAT

« Personne n’avait jamais entendu un tel rugissement. Personne n’avait jamais vu ça : les jeunes, les vieilles, les vierges, les prostituées, les amoureuses, les musulmanes, les Africaines, les Asiatiques, les échevelées, les tondues, les sévères, les robes rouges, les pantalons noirs, les beautés, les disgraciés, les en fauteuil, les béquillards, les sirènes, les gorgones, les talons hauts, les chaussures basses, les myopes, les lunettes noires, les battues, les battantes, les voilées, les seins nus, les callipyges, les hurleuses, les timides, les grandes, les petites, les grosses dondons, les fils de fer, les roploplos, les œufs au plat, les révoltées, les rebelles, les révolutionnaires… Elles étaient le chaos, l’insurrection. »

Quel récit ! Quelle mise en scène ! Quelle tragi-comédie ! Quel talent ! Quel panache ! Ce nouveau roman de Gérard Mordillat ne se lit pas seulement, il se vit pleinement. Comme si nous étions dans un théâtre et que nous y vibrions aux rythmes des événements, que nous communiions avec les différents acteurs de ce roman choral. Qui sont-ils ces personnages, ces femmes-là (entre autres) ? Ce sont celles et ceux nommés par l’auteur, mais ce sont surtout nous toutes et nous tous. Effet miroir ? Probablement. Les aventures qui arrivent à ces personnages sont le reflet, parfois affligeant, parfois engageant de nous-mêmes.

ces femmes-là gérard mordillat

Ce qui pince, ce qui amuse, ce qui interpelle surtout, c’est à quel point l’écriture de Gérard Mordillat est visionnaire. À se demander s’il n’était pas dans les coulisses (avant l’heure) des manifestations et mouvements que nous vivons en France à l’heure actuelle. Et l’auteur n’y va pas de main morte ; sa plume est un scalpel et les portraits dressés sont si proches de la réalité qu’on en reste soufflé.

ces femmes-là gérard mordillat

Mettre en scène une manifestation contre un pouvoir autoritaire en place n’a rien d’une sinécure, surtout dans la progression des événements, la description des deux camps qui s’opposent, les manifestants, les forces de sécurité. Et pourtant on y croit du début à la fin de la séquence. Et la puissance de l’écrit nous entraîne malgré nous (comme des voyeurs fascinés par le pire) à nous transposer sur ce théâtre de violences, de revendications, d’ambiances enfumées, ensanglantées, colorées d’insultes en tout genre, dans un climat mortifère, mais souvent drôle, cyniquement drôle.

ces femmes-là gérard mordillat

Encore un regard sur les dérives d’une société, peut-être la nôtre. Et des thématiques fortes qui appellent notre vigilance permanente : l’ultralibéralisme, la stigmatisation, le racisme, le sexisme, la puissance de l’argent, l’ignominie des petites intrigues politiques, la ségrégation revenue, l’intégrisme religieux, l’homophobie, la fascination et l’excitation pour la violence… LA LUTTE DES CLASSES SOCIALES…

ces femmes-là gérard mordillat

Mais la raison, la douceur, l’action réfléchie et le regard vers l’avenir et l’humanité demeurent « aux mains » et à l’esprit des femmes ! Rien d’étonnant là-dedans si on a bien observé l’histoire de l’humanité. Les grands hommes ont souvent été des femmes !

ces femmes-là gérard mordillat

Ces femmes-là, de Gérard Mordillat – éditions Albin Michel – 380 pages. Parution : janvier 2019. Prix : 21,50 €.

VICHY 1940. DÉNATURALISÉS, LES RETRAITS DE NATIONALITÉ SOUS VICHY

Le magnifique et très émouvant essai de Claire Zalc, Dénaturalisés : le retrait des nationalités sous Vichy, paru en octobre 2016, s’ouvre sur l’aventure familiale de David et Ela Bienenfeld, couple de juifs polonais, de leurs trois enfants et de leur neveu, orphelin de père et de mère, un certain Georges Perec.

DENATURALISES ZALC

 

Grâce à la loi du 10 août 1927 qui autorise les étrangers à prendre la nationalité française après trois ans de présence sur le territoire, les Bienenfeld deviennent Français sur décision administrative du 23 décembre 1927. L’histoire, hélas, ne s’achèvera pas là pour eux et le cas Bienenfeld ne sera que l’une des aventures familiales, en proie à l’administration vichyste, parmi des milliers d’autres, malheureuses et tragiques, qui jalonnent le livre de Claire Zalc.

PETAIN 1940
Philippe Pétain, vice-président du Conseil en mai 1940.

La loi du 22 juillet 1940, promulguée par le régime de Vichy, ordonnera en effet la révision de toutes les naturalisations acquise depuis 1927. Le dossier Bienenfeld est donc réexaminé et augmenté de la mention « Israélite ». Au printemps 1941, David, Ela et leurs enfants ne sont donc plus Français, à l’exception de Bianca, l’une de leurs filles mariée à un Français de souche, et devenue Bianca Lamblin.

DENATURALISES ZALC

Les courriers de David Bienenfeld assurant la Commission de dénaturalisation et la préfecture de son profond attachement à la France, rappelant le rôle de son épouse, infirmière pendant la guerre, et la mort de son beau-frère, André Perec, mort pour la France en juin 1940, n’y feront rien. Les Bienenfeld s’enfuiront alors et se cacheront en Isère avec leurs enfants et leur neveu, échappant ainsi à une probable déportation. À la Libération, ils retrouveront leur qualité de citoyen français.

De 1927 à 1940, 650 000 personnes arrivées d’Europe du Sud et de l’Est sont devenues françaises. La loi imposée par le Maréchal Pétain menaçait à présent du retrait de nationalité près d’un million de personnes. Nombre de juifs parmi eux, repérés sommairement par leur patronyme ou leurs métiers, seront les cibles majeures.

Ce faisant, les dénaturalisations ont participé à la mise en œuvre sur le territoire français de la Solution finale. (Claire Zalc).

Certains personnels préfectoraux en charge des dénaturalisations (souvent les mêmes qui, en 1927, étaient chargés des naturalisations) ont appliqué avec zèle les consignes antisémites. Il est vrai aussi, souligne Claire Zalc, que « d’autres freinent la cadence, multiplient les décisions de maintien et font d’une certaine manière de la résistance en coulisse […]. Ces agents sont [en effet] dotés d’un pouvoir décisionnel considérable du fait de l’absence de contrôle parlementaire et juridictionnel ».

MADJANEK
Majdanek 24 juin 1944

L’étude de Claire Zalc est construite, dit-elle, « à ras des dossiers ». Elle décortique les logiques administratives, le déploiement de la machine bureaucratique, cette « forme ordinaire de la violence d’État », le fonctionnement de la Commission, les enquêtes menées sur le patriotisme et la moralité des dénaturalisés. Pris dans le faisceau de la Commission, ces malheureux écriront aux autorités administratives pour dire la douleur de leur sort et leur désir de rester Français. Vainement. Entre des milliers d’autres, Clara Abramowicz enverra, elle aussi, une lettre poignante au Président de la Commission qui n’aboutira qu’à un froid et terrible rapport du Préfet de police : « Bien que l’intéressée et sa famille ne fassent l’objet d’aucune remarque défavorable, j’estime que leur retour dans la communauté française ne présente aucun intérêt ». Clara, embarquée dans le convoi n° 50 le 4 mars 1943 à Drancy, achèvera sa vie au camp de Majdanek en Pologne.

Dénaturalisés : Les retraits de nationalité sous Vichy par Claire Zalc. Sciences humaines. Histoire. L’Univers historique. Date de parution 22/09/2016. 24.00 € TTC. 400 pages.

CLAIRE ZALC

Claire Zalc est directrice de recherches à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (CNRS-ENS). Elle a publié Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre, avec Nicolas Mariot (Odile Jacob, 2010) et Melting Shops. Une histoire des commerçants étrangers en France (Perrin, 2010). Elle a dirigé, avec Tal Bruttmann, Ivan Ermakoff et Nicolas Mariot, Pour une microhistoire de la Shoah (Seuil, 2012).

LES CHAMPS LIBRES FONT LEURS JARDINS D’HIVER (ENTRETIEN ET PROGRAMME)

Les 1, 2 et 3 février 2019, les Champs Libres de Rennes se métamorphosent en Jardins d’hiver où fleurissent des propositions inédites pour savourer la littérature. Responsable de la programmation culturelle à la direction des Champs libres, Astrid Massiot nous présente le festival.

champs libres jardins d'hiver

UNIDIVERS : Quel est votre rôle dans l’organisation des Jardins d’hiver ?

ASTRID MASSIOT : Je m’occupe du pilotage du festival avec Christine Cordonnier, responsable de l’action culturelle pour la bibliothèque des Champs libres. Dès le printemps, nous rassemblons les informations sur les parutions à venir pour réfléchir à la programmation. Nous proposons ensuite un budget pour cet événement et nous mettons en œuvre son organisation en mobilisant nos collègues et les différents partenaires.

Astrid Massiot
Astrid Massiot, responsable de la programmation culturelle des Champs Libres

UNIDIVERS : Pouvez-vous nous parler de la genèse du festival et de ses objectifs ?

ASTRID MASSIOT : Notre rôle premier en tant qu’institution culturelle est de soutenir l’art en étant une interface entre les artistes et le public.

C’est un rôle très humble de mise en relation dans lequel le travail consiste à créer les meilleures conditions possibles pour que les uns rencontrent les autres.

Le festival s’ajoute à la programmation littéraire de la saison. Les Champs libres ont ouvert il y a 13 ans, et dès le début nous avons proposé des rencontres littéraires dans notre salle de conférences ainsi qu’au Café des Champs libres. Ces rencontres se sont développées. À une époque, nous organisions des séries de rencontres de septembre à décembre, sous le nom d’Automne littéraire. C’était une façon d’éclairer l’actualité de la rentrée littéraire de septembre. À travers ces rencontres nous avons développé un public fidèle et, d’autre part, une relation de travail avec les écrivains et les éditeurs. Nous avons constaté au fil des ans que l’événement était une forme permettant de rassembler des publics plus larges. Quel que soit le champ, événementialiser crée un effet de communication, de croisement des publics qu’on atteint difficilement avec les rencontres de la saison.

Nous avons donc voulu créer un festival de littérature afin de nous adresser à un public plus large, ou en tout cas qu’un public plus large puisse comprendre que la littérature s’adresse à lui, puisque la littérature s’adresse à tous. C’est cette idée qu’on veut faire toucher du doigt au public en essayant de braquer les projecteurs sur la littérature pendant un temps fort, mais aussi de proposer une variété de rencontres pour qu’un public large puisse s’y retrouver. Les Jardins d’hiver prolongent en fait par un format plus ample l’idée des Premiers dimanches aux Champs libres, une manifestation initiée par notre précédent directeur, Roland Thomas, dont l’idée était déjà d’ouvrir les Champs libres le dimanche et de proposer une nouvelle façon d’apprécier ces lieux.

UNIDIVERS : La première édition des Jardins d’hiver avait-elle satisfait ces objectifs ?

ASTRID MASSIOT : La première édition a été un moment fort pour nous, pour plusieurs raisons. Le premier retour très positif est venu directement du public, pendant le weekend du festival. Beaucoup de gens sont venus nous dire à quel point ils étaient heureux de ce qu’il se passait, que c’était une innovation à répéter, des retours très touchants donc. Et puis toute l’équipe des Champs libres a vu son lieu de travail se métamorphoser pendant le festival, devenir un endroit chaleureux envahi par des gens heureux de venir y passer du temps, c’était une chouette expérience pour nous. Un autre retour très positif a été celui des écrivains invités, qui sont tous repartis enchantés, certains affirmant même qu’ils seraient d’accord pour revenir ou être invités d’honneur du festival.

Champs libres Rennes Jardins d'hiver Florence Aubenas Carole Martinez
En 2018, lors de la première édition du festival Florence Aubenas et Carole Martinez étaient les invitées d’honneur du festival.

De plus, la fréquentation avait été très importante.

C’est un weekend de gratuité complète. Et les expositions du Musée de Bretagne sont en accès libre également. L’année dernière nous avons reçu plus de 20 000 visiteurs pendant le festival.

UNIDIVERS : Cette année l’invitée d’honneur du festival est Maylis de Kerangal, pourquoi ce choix ?

ASTRID MASSIOT : Maylis de Kerangal nous semblait avoir une grande proximité avec des idées directrices du festival, la transmission et le décloisonnement. Elle intègre dans son œuvre romanesque une dimension documentaire très marquée. Malgré qu’ils soient très documentés, ses romans sont passionnants, qu’on se reporte à Réparer les vivants, ou à Un monde à portée de main. Dans ce dernier roman, on rentre dans l’univers des gens qui apprennent à peindre le trompe-l’œil. On découvre un monde : le nom des pinceaux, comment on fait du faux marbre, comment on fait des patines sur du bois, comment on est peintre pour reproduire les fresques de Lascaux, le tout dans un style qui ne se fait jamais lourd. Maylis de Kerangal parvient à décloisonner, ce qui est aussi notre volonté. Par ailleurs, c’est une femme qui est toujours dans la générosité autour de son travail, qui s’intéresse beaucoup aux autres, elle était complètement cohérente par rapport à notre projet.

Champs libres Rennes Jardins d'hiver

UNIDIVERS : Et le reste de la programmation, comment s’est-il construit ?

ASTRID MASSIOT : Notre choix se porte avant tout sur des auteurs et des livres plutôt que sur des thèmes. Nous travaillons sur deux temps essentiels de l’année littéraire, la rentrée de septembre et celle de janvier. Nous lisons les livres et nous signalons à notre comité de programmation ceux qui nous semblent les plus marquants.

On essaie souvent de créer des duo, les thèmes peuvent donc venir après, de la rencontre entre deux auteurs. Quand deux écrivains se rencontrent, cela est souvent fécond, les idées se décloisonnent, les publics se croisent. Parfois les deux auteurs se connaissent, parfois non. Cela peut être riche de surprises. Cette année par exemple, il semblait évident, quand on invite Mona Ozouf et Michelle Perrot, de les réunir sur le sujet de George Eliot et George Sand. Ce n’est pas une première rencontre pour elles, elle se connaissent très bien. Mais pour le public, cela va être un grand moment de voir ces deux femmes, historiennes, philosophes, et très férues de littérature, converser ensemble de ces deux George, deux femmes cachées sous des prénoms d’homme et qui ont marqué la littérature de leur pays, l’Angleterre et la France.

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Visuel : La Grande Librairie

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Visuel : La Grande Librairie

Autre exemple de duo construit en fonction d’un thème : on voulait absolument faire venir Frédéric Paulin pour La Guerre est une ruse, et il nous a semblé intéressant de l’inviter aux côtés de Jean-Baptiste Naudet, dont le livre, La Blessure, est un récit personnel sur l’Algérie aussi. Leurs livres éclairent ce pays à deux périodes différentes : la guerre d’indépendance pour Naudet, les années 1990 et le terrorisme islamique pour Paulin. Cela nous paraissait évident de faire se rencontrer ces auteurs pour confronter face au public les deux réalités montrées par les deux livres.

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Frédéric Paulin à la librairie La Nuit des temps (Rennes) © Vincent Gouriou

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Jean-Baptiste Naudet © L’Iconoclaste

UNIDIVERS : C’est un thème récurrent des rencontres littéraires, non ? À la précédente édition des Jardins d’hiver une rencontre portait déjà sur ce sujet.

ASTRID MASSIOT : L’an dernier, il y avait même deux rencontres autour de ce sujet, puisqu’on avait d’un côté Jacques Ferrandez et Kaouther Adimi (« Regards sur l’Algérie ») et, de l’autre, Kamel Daoud (« Un livre peut-il sauver le monde ? »). L’histoire entre l’Algérie et la France est très forte et je crois qu’on n’a pas fini, en France, de s’intéresser à l’Algérie. Il se trouve qu’on a de très bons écrivains, français ou algériens qui écrivent à ce sujet, essentiellement du roman mais pas que. Je ne serai donc pas étonnée qu’on retrouve ce thème encore les prochaines années. Non pas qu’il y ait une volonté particulière de notre part, mais on ne s’en privera pas car il nous semble que la littérature a la capacité d’éclairer. Et s’il y a un sujet, un pays, pour lequel les éclairages sont encore nécessaires, pour nous Français, mais peut-être aussi pour les Algériens eux-mêmes, c’est bien l’Algérie.

UNIDIVERS : Cette année encore, on trouve un certain nombre de propositions transdisciplinaires, par exemple celles qui mêlent musique et littérature…

ASTRID MASSIOT : La littérature résonne avec les autres arts. Dans notre volonté d’élargir les publics de la littérature, c’est important de signaler aux amateurs de musique, par exemple, que la littérature peut leur parler aussi. Des musiciens comme Frànçois Atlas ou Bertrand Belin s’immergent dans la littérature. Cela montre bien que les deux arts peuvent converser. En tant qu’événement littéraire, nous souhaitons donner une scène à cette conversation entre musique et littérature. On le fait aussi dans le cadre d’un partenariat avec le Conservatoire. Quatorze duos d’élèves comédiens ou musiciens ont créé pour le festival des lectures musicales de dix minutes à partir de textes qui les inspirent. Ils les donneront à voir et à entendre plusieurs fois dans le weekend. On retrouve là le souci que nous avons de tisser des liens, parce que la littérature ce sont des liens tissés.

UNIDIVERS : Vous vous êtes effectivement entouré de nombreux partenaires à l’occasion du festival, pouvez-vous nous parler de cette volonté ?

ASTRID MASSIOT : C’est dans la manière de travailler des Champs libres depuis toujours. Nous ne sommes pas un équipement hors-sol dans la ville, nous avons toujours cherché à répondre aux sollicitations de beaucoup de partenaires, festivals, associations, ou autres institutions. D’ailleurs, pour exaucer le souhait d’élargir les publics de la littérature, il faut aller les chercher, et on est plus forts à plusieurs. Même si les Champs libres représentent un équipement très présent et qui a des moyens, la recherche de nouveaux publics ne doit pas s’arrêter. Les partenariats permettent d’amener des nouveaux publics. Et puis il y a une telle richesse, des talents incroyables, sur le territoire rennais et métropolitain, qu’il serait dommage de s’en priver pour faire les choses dans son coin. Que des gens pleins de talents et de compétences acceptent de les mettre au service du festival, c’est génial !

En plus du Conservatoire, nous travaillons avec l’association de slam et de spoken word Au détour de Babel, qui invite Nico K à réaliser différentes animations pendant le weekend. La compagnie l’Unijambiste propose une sieste musicale et littéraire. Les étudiants du Master de Littérature comparée de l’Université Rennes 2 participent à l’organisation en amont et sont bénévoles sur l’événement. Les étudiants de LISAA accompagnent le festival par des propositions graphiques. La Maison de la Poésie, un partenaire fidèle et apprécié des Champs libres, tient un club de lecture de poésie une bonne partie du weekend. Dans le Musée de Bretagne, l’équipe lit des textes rattachés aux collections du musée et les élèves comédiens de l’école du TNB interprétent des lettres en faveur de Dreyfus. Il y aura aussi un cabinet de lecture mis en place par l’ADEC. Nicolas Cébile réalise de nouveau les « 30 secondes pour convaincre », des petites vidéos tournées dans un vidéomation où le public est invité à parler d’un livre qu’il aime.

Yann Peucat tiendra aussi son studio de Bookfaces.

Enfin Luke Von Westen de Crab Cake Corporation donnera un DJ set le samedi soir avec une playlist déjantée dont chaque morceau a un lien avec une œuvre littéraire.

En fait, de la même façon que nous proposons au public de rentrer dans l’atelier de l’écrivain et de découvrir ses amitiés littéraires, nous avons aussi souhaité donner une place à nos amis artistes.

D’autres partenaires à ne surtout pas oublier sont les libraires. L’activité des libraires est complémentaire à l’activité culturelle. La littérature est une aventure collective qui va de l’écrivain jusqu’au lecteur, en passant par l’éditeur, le libraire, les centres culturels, la presse, les étudiants en lettres. Le livre doit se vendre, sinon plus de livres, ni d’écrivains. Il faut défendre ce métier qui est celui de la chaîne du livre qui, souvent, prend le plus de risques financiers. Pour ce festival ils vont tous commander beaucoup de livres même si, parfois, on vend assez peu en festival. Trois librairies nous accompagnent cette année, Page 5 de Bruz, la librairie Le Forum du livre et Le Failler de Rennes. Elles seront présentes tout le weekend, dans le hall, mais aussi dans d’autres espaces des Champs libres, comme pendant les rendez-vous Jardins d’hiver, qui avaient été très appréciés l’an dernier, pendant lesquels l’écrivain se transforme en libraire et fait ses conseils de lecture. Les Champs libres travaillent à l’année avec la plupart des libraires du territoire métropolitain. Nous essayons de varier les libraires mais notre proposition est exigeante puisqu’il faut mobiliser du personnel pendant trois jours, ce qui n’est pas forcément possible pour toutes les librairies.

UNIDIVERS : Les événements littéraires prennent régulièrement la forme de salons du livre. Pour Jardin d’hiver, vous semblez avoir voulu rendre la littérature plus ludique, voire festive ?

ASTRID MASSIOT : Notre envie était d’inviter des publics qui peut-être n’auraient pas d’appétence pour la littérature à venir se promener ce weekend aux Champs libres. Peut-être y tomberont-ils sur un écrivain ou un livre qui pourraient changer leur vie, on est plusieurs à avoir vu notre vie changer suite à la lecture d’un livre. Avec la soirée du samedi, on cherche à créer une ambiance festive. Les Champs libres seront exceptionnellement ouverts jusqu’à 23h. La soirée commence avec la rencontre entre Bertrand Belin et Jean Rolin, et se poursuit avec le concert littéraire de Frànçois Atlas. On pourra y boire un verre en profitant du DJ set de Luke Von Westen ou s’essayer à un escape game dans la bibliothèque.

Nous voulons créer un espace de convivialité afin d’ouvrir des portes et que le public s’empare de ce qu’on lui propose.

[PROGRAMME]

vendredi 1er février à 14h00 (60 min)
Maylis de Kérangal et Marie Cosnay Conférence

vendredi 1er février à 14h00, à 16h30 (30 min)
Ose le son ! Concert

vendredi 1er février de 14h00 à 16h00
Bookfaces Livres, lecture publique

vendredi 1er février de 14h00 à 16h00
30 secondes pour convaincre Livres, lecture publique

vendredi 1er février à 14h30, à 16h00, à 17h30
Balades littéraires au musée Livres, lecture publique

vendredi 1er février à 15h00 (60 min)
Battle littéraire Livres, lecture publique

vendredi 1er février à 15h15, à 17h30 (30 min)
Ose le son ! Concert

vendredi 1er février à 15h30 (45 min)
Moi et mon Jules (Verne) par Dominique Paquet Conférence

vendredi 1er février à 16h00 (30 min)
Rendez-vous au Jardin d’hiver avec Maylis de Kérangal Livres, lecture publique

samedi 2 février à 14h30, à 16h00, à 17h30
Balades littéraires au musée Livres, lecture publique

samedi 2 février à 14h30 (60 min)
François Bégaudeau et Makenzy Orcel Conférence

samedi 2 février à 14h30, à 18h30 (30 min)
Ose le son ! Concert

samedi 2 février à 14h30 (30 min)
Rendez-vous au Jardin d’hiver avec Maylis de Kérangal Livres, lecture publique

samedi 2 février de 14h30 à 17h30, de 19h00 à 21h00
30 secondes pour convaincre Livres, lecture publique

samedi 2 février à 14h30, à 16h30, à 17h30 (30 min)
Vous reprendrez bien un peu de poésie ? Livres, lecture publique

samedi 2 février de 14h45 à 18h30 (10 min)
Cabinet de lectures Livres, lecture publique

samedi 2 février à 15h00, à 17h00 (45 min)
Le temps et la nature Autres scènes

samedi 2 février à 15h30 (45 min)
Catherine Poulain Conférence

samedi 2 février à 15h30, à 17h00, à 19h00 (30 min)
Ose le son ! Concert

samedi 2 février à 15h30 (30 min)
Rendez-vous au Jardin avec François Atlas Livres, lecture publique

samedi 2 février à 15h30 (45 min)
Tahar Ben Jelloun Conférence

samedi 2 février à 16h00 (30 min)
Promenade littéraire avec Estelle-Sarah Bulle Livres, lecture publique

samedi 2 février à 16h00 (60 min)
Maylis de Kérangal et Chantal Thomas Conférence

samedi 2 février à 17h00 (60 min)
Pauline Delabroy-Allard et Estelle-Sarah Bulle Conférence

samedi 2 février de 17h00 à 19h00
Lettres en faveur de Dreyfus Livres, lecture publique

samedi 2 février à 17h30 (60 min)
Maylis de Kérangal Conférence

samedi 2 février à 18h00 (30 min)
Promenade littéraire avec Makenzy Orcel Livres, lecture publique

samedi 2 février à 19h00 (60 min)
Bertrand Belin et Jean Rolin Conférence

samedi 2 février de 19h30 à 22h30
Bookfaces Livres, lecture publique

samedi 2 février de 19h30 à 22h30 (30 min)
Escape game – Imaginarium, la frontière des mondes Livres, lecture publique

samedi 2 février de 20h00 à 23h00 (180 min)
Une soirée au jardin Livres, lecture publique

samedi 2 février à 20h30 (45 min)
Les Fleurs du mal, par François Atlas Concert

dimanche 3 février de 14h00 à 18h00
Lettres en faveur de Dreyfus Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 14h30, à 16h00, à 17h30
Balades littéraires au musée Livres, lecture publique

dimanche 3 février de 14h30 à 18h30
Bookfaces Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 14h30 (60 min)
Mona Ozouf et Michelle Perrot Conférence

dimanche 3 février à 14h30, à 16h00, à 17h30 (30 min)
Ose le son ! Concert

dimanche 3 février de 14h30 à 18h30
30 secondes pour convaincre Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 14h30, à 16h30, à 17h30 (30 min)
Vous reprendrez bien un peu de poésie ? Livres, lecture publique

dimanche 3 février de 14h45 à 18h30 (10 min)
Cabinet de lectures Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 15h00 (60 min)
Jean-Baptiste Naudet et Frédéric Paulin Conférence

dimanche 3 février à 15h00 (45 min)
Catherine Meurisse Conférence

dimanche 3 février à 15h00 (30 min)
Rendez-vous au Jardin avec Véronique Ovaldé Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 15h00, à 17h00 (45 min)
Le temps et la nature Autres scènes

dimanche 3 février de 15h00 à 18h00
Pose-lecture Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 15h30 (30 min)
Promenade littéraire avec Pauline Delabroy-Allard Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 16h00 (45 min)
Andreï Makine Conférence

dimanche 3 février à 16h30 (30 min)
Promenade littéraire avec Frédéric Paulin Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 16h30 (30 min)
Rendez-vous au Jardin avec Mona Ozouf Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 16h30 (60 min)
Véronique Ovaldé et Erwan Desplanques Conférence
De 18 à 100 ans

dimanche 3 février à 17h00 (45 min)
Eric Vuillard Conférence

dimanche 3 février à 17h00 (60 min)
Battle littéraire Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 17h30 (30 min)
Rendez-vous au Jardin avec Michelle Perrot Livres, lecture publique

dimanche 3 février à 18h00 (60 min)
Pauvre chanson par Marie Modiano Concert
De 18 à 100 ans

champs libres jardins d'hiver

 

BD DE FÉVRIER, PARUTIONS RÉDUITES MAIS DE QUALITÉ

Février est un mois de transition en matière de parution éditoriale. L’occasion est trop belle, dans un flux réduit, de chercher la pépite dans ces publications originales. Faites votre choix.

BD GUERNICA

Quittons provisoirement les maisons d’éditions habituelles pour débuter avec ce remarquable éditeur qu’est La Boîte à Bulles qui publie ce mois notamment Guernica (1), dessiné par Bruno Loth, auteur du très réussi Ermo. L’inspiration espagnole du créateur perdure ici avec cette BD qui met en parallèle le récit du début habituel d’une journée à Guernica, petit village du Pays basque, ce 26 avril 1937, et d’autre part le cheminement artistique de Picasso qui fera de l’évènement dramatique à venir, une œuvre et un cri de rage universels. L’intérêt et la tendresse manifestés par Loth dans ses récits précédents pour les « gens de peu » a trouvé ici un sujet à sa mesure.

BD PAYSAN QUEBEC

Plus actuel un second ouvrage publié le même jour avec Le Nouveau Monde Paysan au Québec (2) de Stéphane Lemardelé qui, à travers le portrait de plusieurs jeunes agriculteurs québécois, évoque la possibilité d’une nouvelle agriculture alternative plus humaniste et plus solidaire face aux difficultés climatiques. Une BD imposante transposable en France et ailleurs.

BD SIMIRNIAKOV

Autre éditeur remarquable, L’Association, qui publie notamment Emmanuel Guibert, édite encore une BD originale avec Simirniakov (3) : à partir d’un fait historique, l’abolition du servage en Russie qui conduira à la révolution de 1917, Vincent Vanoli conçoit un conte qui oscille entre drame et burlesque, politique et trivialité. On y croise des chansons des Beatles et des moujiks volants, un cheval qui parle, et la modernité en marche. Une thématique qui rappelle le fameux Ce qu’il faut de terre à l’homme de Martin Veyron.BD LES NUISIBLES

Parmi les éditeurs plus connus, Futuropolis, édite Les Nuisibles (4), où Piero Macola s’attache à deux hommes en marge de la société : Bruno qui cherche à devenir transparent et Anton qui veut survivre. Un récit profondément humain et intimiste qui résonne avec les malaises et les crises sociales actuelles et s’exprime par de tendres dessins.

BD RETOUR A KILLYBEGS

Aussi politique, mais en Irlande cette fois-ci, chez Rue de Sèvres où après le succès de l’adaptation en BD du roman de Sorj Chalandon Mon TraîtrePierre Alary poursuit avec l’ouvrage suivant : Retour à Killybegs (5). Tyrone Meehan, figure emblématique de l’Ira qu’il a trahi, raconte sa vie gâchée, la violence familiale, sa confusion jusqu’à sa trahison. Même dessin, même récit exceptionnel, un deuxième opus qui devrait retrouver son public initial.

ACTUS BD LES OUBLIES DE TROMELIN

La collection Aire Libre de Dupuis est une valeur sûre. La réédition de Les esclaves oubliés de Tromelin de Savoia (6), déjà paru en 2015, confirme cette affirmation. Un dessin pur, classique, accompagne une histoire vraie : l’île des Sables, un îlot perdu au milieu de l’océan indien. À la fin du XVIIIe siècle, un navire y fait naufrage avec à son bord une « cargaison » d’esclaves malgaches. Les survivants construisent alors une embarcation de fortune. Seul l’équipage blanc peut y trouver place, abandonnant derrière lui une soixantaine d’esclaves. Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin récupérera les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois. Une fois connu en métropole, ce « fait divers » sera dénoncé par Condorcet et les abolitionnistes, à l’orée de la Révolution française. Sylvain Savoia, des siècles plus tard, se rend sur l’ile dans le cadre d’une mission archéologique. Récit historique et témoignage direct contemporain s’imbriquent avec bonheur.

ACTUS BD JANE
Chez Glénat est attendu un ouvrage qui est un pari puisque Jane (7) se veut une adaptation moderne du roman Jane Eyre de Charlotte Brontë. La scénariste star Aline Brosh McKenna (Le Diable s’habille en Prada notamment, Crazy) fait ses premiers pas en bande dessinée en compagnie du multi-primé Ramon K. Pérez (Jim Henson’s Tale Of Sand). Un roman graphique moderne sans aucun doute, comme le laissent présager les premières planches entrevues.

BD SARKOZY KADHAFI

Pour terminer, trichons un peu en évoquant un ouvrage paru le 30 janvier (!) et dont on a découvert quelques pages dans la dernière livraison de la Revue Dessinée : Sarkozy Kadhafi : des billets et des bombes (8) un titre explicite qui concrétise le travail mis en commun de 5 reporters mettant en exergue les liens entre l’ancien Président français et le dictateur Lybien. Des révélations explosives que le support de la BD rend facilement compréhensible et didactique. Assurément un succès à venir.

Quels que soient vos choix : bonne et heureuse lecture.

(1) Guernica. Parution le 06/02. 80 pages. 19 €.
(2) 256 pages. 29€.
(3) 64 pages. 18€.
(4) 120 Pages. Parution le 06/02. 20€.
(5) Parution le 13/02. 160 pages. 20€.
(6) Parution le 28/02. 128 pages. 22€.
(7) Parution le 20/02. 224 pages. 18€.
(8) La Revue Dessinée/ Delcourt. 24,95€.

AGITATO ! LA NOUVELLE FORMULE DU TRIANGLE

En cette fin de janvier, Le Triangle, Cité de la danse célèbre son grand événement annuel, Agitato ! Pour cette nouvelle édition, le festival aura lieu du mardi 29 janvier au vendredi 8 février 2019. Une dizaine de spectacles démontreront la vitalité de la création chorégraphique contemporaine. Parmi toute cette originalité artistique, coup de projecteur sur les créations à ne pas manquer selon Unidivers !

Depuis 2006, Agitato représente un temps fort dans la programmation de la Cité de la danse. Pendant une dizaine de jours, la danse se décline sous différentes formes pour offrir au public rennais et alentour un aperçu de la production chorégraphique contemporaine. « La danse est un art extrêmement varié. Il peut être social comme créatif. Le Triangle défend la nécessité de la création, de la recherche, l’idée qu’il y ait des jeunes créateurs qui s’affranchissent des formes déjà connues pour faire du neuf –  explique Charles-Édouard Fichet, directeur du Triangle. Le festival est un moment durant lequel il est possible de concentrer des rendez-vous où les artistes se montrent devant un public, mais également devant des professionnels, grâce à qui les œuvres pourront vivre. Agitato présente une dimension aussi bien festive que professionnelle ».

Alors que le festival était originellement organisé en juin, cette année, il se déplace pour suivre le calendrier des programmateurs de salles de spectacles : « Avancer le festival en février permet d’inscrire les pièces dans la programmation de l’année suivante, ce qui n’était pas possible les années précédentes ».

festival agitato 2019 rennes
© Konstantin Lipatov. Fin et suite, de Simon Tanguy et Propagande C. Danse, humour et narration… Un tourbillon, une folle épopée vers la liberté ! Mercredi 6 février, 20h30.

D’interprètes à chorégraphes

Sur l’ensemble des artistes programmés, tous ont été interprètes et ont naturellement glissé vers la conception chorégraphique : Latifa Laâbissi, Brigitte Chataignier et Catherine Legrand, Florence Casanave, Simon Tanguy… Issus tout deux du milieu hip-hop, la jeune Leïla Ka et le breton Bruce Chiefare ont poussé cette porte qui relie l’interprétation à la création artistique. Avec Pode Ser et Influences, ils proposent respectivement un spectacle créé par leurs soins et révèlent ainsi leur talent de chorégraphe. « Beaucoup de danseurs évoluent dans ce sens-là – explique Charles-Édouard Fichet. Leila Ka et Bruce Chiefare ont plus d’un point commun. Ils s’emparent du champ contemporain afin d’y intégrer le hip-hop et d’apporter des formes nouvelles d’expression, de déplacements, de gestes qui enrichissent la pratique. C’est la grande liberté de la danse contemporaine ». Un bel échantillon révélant la diversité et la richesse du hip-hop en somme.

festival agitato 2019 rennes
© Lamy N. Influences, de Bruce Chiefare. Mardi 5 février, 20h15.

Dans Influences (mardi 5 février), Bruce Chiefare, de la compagnie Flowcus, transporte le public dans une création à la gestuelle fluide et douce. Aux côtés de Phynox, les deux interprètes communiquent dans un duo chorégraphique poétique qui bouscule les a priori sur la culture hip-hop.

festival agitato 2019 rennes
© Yoann Bohac. Pode Ser, de Leïla Ka. Mercredi 6 février 2019, 19h30.

Leila Ka présente Pode Ser (mercredi 6 février), son premier solo en tant que chorégraphe. C’est par les portes du hip-hop et notamment grâce à George Cordeiro, alias Ghel Nikaido, que Leïla entre dans la danse. Portant baskets Nike aux pieds et tenue de danse classique, Leila Ka se nourrit de ses influences diverses pour une proposition chorégraphique aussi sensible que puissante autour de la question des contradictions de l’être.

Une place pour les artistes bretons

« Présenter autant d’artistes bretons qu’extérieurs est nécessaire, il faut éviter l’enfermement. C’est un des buts de l’art, il faut qu’il reste universel » rappelle le directeur du Triangle. Aux côtés d’artistes internationaux tels que Marco Chenevier ou Flora Détraz, les chorégraphes régionaux ont une place de choix au sein du festival, à l’image de Brigitte Chataignier et Catherine Legrand et de leur pièce, Un tracé.

festival agitato 2019 rennes
© Caroline Ablain. Un Tracé, de Brigitte Chataignier et Catherine Legrand. Mardi 5 février, 19h.

« Toutes deux ont acquis un savoir pointu sur une forme en particulier : Brigitte Chataignier a longuement étudié la danse indienne, le Mohini Attam, elle a une technique époustouflante. Catherine Legrand, elle, s’est intéressée aux carnets de Dominique Bagouet, qui a laissé la possibilité de reprendre ses œuvres et de les transmettre ». Amies de longue date, les deux chorégraphes se réunissent pour réaliser Un tracé. Jouant sur leurs ressemblances physiques, les mouvements de chacune révèlent pourtant leur identité respective dans ce spectacle où s’entremêlent leurs savoirs artistiques.

festival agitato 2019 rennes
© Marc Domage. Adieu et merci, de Latifa Laâbissi et Figure Project. Mardi 29 janvier, 20h.

Dans un autre registre, la chorégraphe Latifa Laâbissi interprètera Adieu et Merci, une de ses créations les plus emblématiques. « Adieu et Merci est un faux solo puisque le rideau devient son partenaire, un personnage à part entière. Il se déplace, la voile, se découvre et danse avec elle ». Pendant 45 minutes, elle se glisse dans la peau des artistes qui l’ont précédée et livre une cascade de saluts. Dans sa dernière année de résidence au Triangle, le choix du spectacle – même involontairement – constitue un bel hommage à ces trois années de collaboration…

Un pas dans la culture chorégraphique

Comment regarder un spectacle de danse ? Comment l’interpréter ? Assister à une représentation de danse c’est admirer une œuvre d’art mouvante. Le public doit s’attarder sur la technique et la gestuelle, les mouvements et les émotions de l’interprète… Le sujet n’est jamais écrit noir sur blanc, mais le Triangle invite à « se positionner en tant que spectateur : ne pas regarder la danse avec un début et une fin, une histoire, une dramaturgie, mais regarder la beauté du geste, l’esthétique, ce que ça raconte et explore. Un spectacle n’est jamais signifiant au sens absolu du terme ».

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Portrait d’artistes #1, par Nathalie Salmon. Mardi 5 février, 18h30.

Afin de découvrir les sensibilités, influences et pratiques des chorégraphes, la danseuse et pédagogue Nathalie Salmon propose quatre portraits du mercredi 6 au vendredi 8 février dans lesquels elle explore l’univers des artistes du jour. « Les explications brèves ne suffisent parfois pas. Il est nécessaire de donner des codes, de faire de la culture chorégraphique : qui est cet artiste, d’où vient-il, comment travaille-t-il… ». Une manière d’aller plus loin que la pratique artistique sans pour autant donner toutes les clés de compréhension. « Le SAS de Nathalie Salmon est surprenant. Elle a une approche lointaine vis-à-vis de la danse. Elle parle d’un film avant de montrer le lien avec le spectacle qui a été présenté. Elle crée un univers qui n’est pas direct et le public adore cette approche ».

« Certains artistes utilisent des objets tirés d’autres formes artistiques… »

À l’image de bien d’autres disciplines artistiques à l’heure actuelle, la danse contemporaine aime à repousser ses limites en regardant vers d’autres arts et d’autres pratiques. Par exemple, en explorant de nouvelles possibilités techniques de création et de réception, comme la réalité virtuelle. Projet expérimental produit en partenariat avec le festival Travelling, A Place In Space, de Sarah Kuntz (lundi 4 février), propose une nouvelle façon d’apprécier la danse grâce au casque que vous revêtirez pour vous immerger dans un spectacle virtuel.

festival agitato rennes 2019
© Émilie Guilland. A Place In Space, de Sarah Kuntz. Film en réalité virtuelle ! Lundi 4 février, 18h.

Coproduite par le Triangle, la nouvelle création de Léa Rault et Alina Bilokon (Pilot Fishes), The Siberian Trombinoscope (jeudi 7 février) mélange fiction, danse, musique et chant dans un spectacle exploitant le potentiel plastique et artistique des corps dans ses nombreuses dimensions.

En écho au spectacle, l’installation Crlt, créée par Fanny Gicquel et Vincent-Michaël Vallet sera visible dans le hall du Triangle tout au long du festival.
Une autre proposition intéressante qui prolonge la recherche chorégraphique vers de nouvelles pratiques est l’atelier Mackathon (samedi 9 février), co-organisé avec lassociation Mille au carré. L’objectif de la séance sera de détourner un objet qui figure dans le spectacle Muyte Maker de Flora Détraz.

Hors les murs

Un festival c’est aussi tout ce qui peut entourer et accompagner la pratique artistique. Fidèle à son habitude, le Triangle propose lors d’Agitato des moments de rencontre où la danse sort de la salle de spectacle pour devenir plus accessible : un goûter hip-hop avec Bruce Chiefare dans le hall du Triangle (mercredi 6 février), une après-midi découverte des locaux et activités de l’association Réservoir Danse (samedi 2 février) ou encore un happening avec les élèves du lycée Descartes encadrés par Simon Queven.

festival agitato 2019 rennes
Le Monstre s’agite ! Le samedi 2 février à partir de 14h, dans les locaux de l’association Réservoir Danse.

Enfin le festival se clôturera en musique par une session mix avec DJ Deheb et la chanteuse Céline Yavetz. Autant de propositions qui illustrent la volonté de créer avec Agitato un moment d’effervescence artistique et culturelle !

Festival Agitato – Cité de la danse, Le Triangle. Du 29 janvier 2019 au 8 février 2019

Programmation complète

[Infos Pratiques]

LA BILLETTERIE

Comment acheter vos places ?
Sur place au Triangle : lundi, mardi, jeudi, vendredi 14:00 -> 19:00, mercredi 10:00 -> 19:00, samedi 10:00 -> 17:00
Par téléphone au 02 99 22 27 27
En ligne sur notre site web : www.letriangle.org (frais de gestion de 1€ par billet acheté via notre site web)

Modes de règlement : espèces, chèque,carte bancaire, chèques vacances (ANCV), chèques culture

Possibilité d’envoi des billets à domicile (frais d’envoi 1,50 €)

PASS : S’abonner c’est encore possible !

Choisissez 3 spectacles (dans le festival et/ou la saison) et bénéficiez du tarif PASS.
Pour le festival : 9€ PASS plein • 6€ PASS réduit • 5€ PASS -12 ans
sauf pour Influences (p.11), Pode Ser (p.15) et O.K. (p.19) : tarif unique 6€
Renseignements auprès de l’accueil.

Bénéficez-vous d’un tarif réduit ?
Le tarif réduit s’applique aux étudiants, –30 ans, demandeurs d’emploi, bénéficiaires de l’allocation adultes handicapés, adhérent.e.s Triangle, carte Cezam, abonné.e.s du TNB et du Centre culturel Juliette Drouet (Fougères),
adhérent.e.s de L’intervalle (Noyal-sur-Vilaine)
Des tarifs spécifiques sont également en place pour les enfants –12 ans et les bénéficiaires du dispositif SORTIR !

INFOS COMPLÉMENTAIRES

En musique
ven 08 fév – après chaque spectacle
DJ Deheb + Céline Yavetz
Une session mix groove et oriental née de la rencontre entre deux univers : la musique orientale sans frontières de Céline Yavetz, le groove funk et les
musiques électroniques de DJ Deheb.

Restauration locale et savoureuse
Plats chauds, desserts… tous les soirs de spectacles.
L’occasion de retrouver l’équipe du Triangle et les artistes pour partager vos impressions, vos émotions, vos coups de coeur.

Billet solidaire
Un geste solidaire pour ouvrir les portes du Triangle aux spectateurs.trices qui ne peuvent pas se le permettre, en majorant l’achat de votre place de quelques euros.

Accessibilité
Tous nos spectacles sont accessibles aux personnes à mobilité réduite. Afin de vous accueillir dans les meilleures conditions, n’hésitez pas à vous signaler
au moment de votre réservation.

Article réalisé par Jean Gueguen et Emmanuelle Volage

ANTOINE CHOPLIN, LA DOUCEUR DU PARTIELLEMENT NUAGEUX

Entre les nuages de la mémoire et l’éclaircie d’une belle rencontre, Antoine Choplin nous propulse avec douceur dans le ciel partiellement nuageux d’un astronome chilien.

PARTIELLEMENT NUAGEUX

Ernesto Guttierez quitte momentanément son observatoire de Quidico et son chat nommé Le crabe pour se rendre à Santiago. Il a rendez-vous au bâtiment de la Fondation afin d’obtenir une subvention pour l’achat d’une lame de Schmidt pour Walter, son vieux télescope.

MONEDA SANTIAGO DU CHILI
Palais de la Moneda

Comme à chacune de ses visites dans la capitale, il aime flâner au palais de la Moneda, dans les vieux quartiers pour terminer inévitablement au musée de la Mémoire. Là, sur le mur des disparus, il contemple la photo de Paulina, son ancienne compagne.
C’est dans cette salle qu’il surprend la fébrilité d’une jeune femme aux longs cils noirs, à la fossette haut placée et au chignon prêt à se défaire.

VALPARAISO CHILI
Valparaiso

Ernesto est plus à l’aise la tête dans les étoiles, à observer les courants magellaniques ou les nébuleuses. Son bonheur, il le puise à Quidico avec Le Crabe, ses amis mapuches, son carnet de dessins d’oiseaux étranges et sa poésie. C’est un homme qui aime voir loin, vers l’horizon ou les étoiles.
Dans un télescope, «  ce qu’on observe, c’est des objets qui s’éloignent. Et en plus, on les voit comme ils étaient il y a pas mal de temps. » Comme Paulina ou les personnes que l’on a aimées.

Il lui faudra retourner à Santiago pour oser aborder Ema, cette femme fragile, marquée d’une autre manière par les disparitions de la dictature de Pinochet.
Pour oublier l’ombre de l’histoire, il faut savoir embrasser l’horizon. Tels les totems construits par Diego, un artiste mapuche ami d’Ernesto, qui de leur prairie triangulaire observent au-delà de la falaise l’océan et l’île aux Morts.

Les Mapuches continuent à faire face aux disparus, ils aiment se souvenir d’eux.

Avec une belle douceur, nous assistons à la rencontre fragile de deux êtres marqués par les blessures du passé. Au fil de leurs longues marches dans les paysages sublimes du Chili, Santiago, Valparaiso, Quidico, ils s’apprivoisent, se découvrent, se complètent.

QUIDICO CHILI
QUIDICO

La grâce, la précision et l’humanité d’Antoine Choplin nous font vivre un moment magique entre les douleurs du passé et la lumière de l’avenir. Une rencontre à ne pas rater.

Partiellement nuageux d’Antoine Choplin. Editions La Fosse aux ours, 17 janvier 2019, 144 pages, 16 euros, ISBN : 9782357071391.

ANTOINE CHOPLIN

Antoine Choplin

Romancier et poète français né à Châteauroux en 1962, Antoine Choplin a reçu le Prix du Roman France Télévisions en 2012 pour La nuit tombée ( La fosse aux ours, 2012) et le Prix Louis-Guilloux en 2017 ( Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar ( La fosse aux ours, 2017). Il vit actuellement dans l’Isère où il est directeur artistique du festival de l’Arpenteur.

IDISS DE ROBERT BADINTER OU LES MÉMOIRES D’UNE ERRANCE JUIVE

À l’aube de la neuvième décennie de son existence, on pouvait s’attendre à ce que Robert Badinter, à qui l’on doit l’abolition de la peine de mort en France en 1981, publie un volume de mémoires. Avec Idiss (éd. Fayard), voilà qui est fait. Mais assurément pas sous la forme qu’on attendait !

Idiss Robert Badinter

Portant le prénom de la grand-mère maternelle de l’ancien Garde des Sceaux, Idiss est le récit, magnifique d’émotion et d’affection, de la vie de cette femme à travers le regard, admiratif et infiniment tendre, du dernier de ses petits-fils, Robert. Manière plus touchante encore de se livrer en racontant la vie d’un autre, ou d’une autre en l’occurrence, une femme exemplaire de courage, de force, de dignité et d’amour, une femme résistant à toutes les épreuves épouvantables que l’Histoire — avec une grande hache comme disait Georges Perec – a fait subir à la communauté juive, dont Idiss faisait partie, dans la première moitié d’un siècle de guerres, de massacres, de terreurs et d’horreurs antisémites inégalées.

Juif Errant Idiss Robert Badinter
Le Juif errant est un personnage légendaire dont les origines remontent à l’Europe médiévale

L’histoire d’Idiss Rosenberg (Russie 1863-Paris 1942) fut une série d’intenses moments de bonheur familial, longues parenthèses entre autant de tragiques déchirements. Idiss naît en 1863 en Bessarabie, cette partie, faute d’être une patrie, de l’Europe centrale et méridionale, coincée entre Russie et Roumanie. Cette terre fut de longue date celle de moult familles juives, abandonnées à la vindicte antisémite d’autorités tsaristes et de nationalistes orthodoxes qui provoquaient ou laissaient faire pogroms et meurtres dans la communauté des ghettos.

La fuite vers l’Europe occidentale et l’Amérique fut la seule et évidente issue pour nombre de Juifs de cette terre bessarabienne. La France, abri républicain, pays de Victor Hugo et d’Émile Zola, défenseur de la cause dreyfusarde, attirait les Juifs d’Europe – « Heureux comme Dieu en France » disait un vieux dicton yiddish. Tout comme la lointaine Amérique du Nord où de nombreux Juifs avaient déjà émigré. Ces deux pays attiraient une génération que minait la contagion raciste et mortifère propagée par de redoutables États et populations de la Mitteleuropa.

Heureux comme un Juif en France Idiss Robert Badinter
Nadia Malinovich, Heureux comme un Juif en France : Intégration, identité, culture (1900-1932), Paris, Honoré Champion, « Bibliotheque d’études juives », 2010.

Idiss, son mari Schulim et leur fille Chifra, bientôt baptisée Charlotte afin de mieux vivre son intégration française, allaient donc retrouver leurs deux fils, Naftoul et Avroum, déjà installés à Paris. La France était pour eux tous, à cette période de leur vie, un havre de paix comparé à l’enfer bessarabien, un territoire laïc et libre où les Juifs étaient encore simplement dénommés citoyens français « de confession israélite ». Même si l’antisémitisme généralisé, certes moins virulent qu’en Bessarabie, courait lui aussi dans les différentes couches de la société française.

Action française Idiss Robert Badinter
« La France sous le Juif », manchette antisémite de L’Action française du 5 juin 1936.

Dans la capitale, « pour Idiss, le premier problème n’était pas son judaïsme ni sa nationalité étrangère mais son analphabétisme qu’elle tentait de maîtriser par l’acquisition de termes français qu’elle répétait patiemment ». Les filles dans la lointaine Bessarabie, comme dans bien d’autres endroits de la planète, n’avaient pas vocation à être instruites. Idiss en souffrit toute sa vie. « Selon la tradition juive, la vraie noblesse est celle du savoir » et sa fille Charlotte pallia ce manque cruellement vécu par Idiss en suivant l’enseignement de Monsieur Martin. Cet instituteur patriote, héraut d’une laïcité libératrice, l’un de ces hussards noirs de la République comme les nommait Charles Péguy, lui communiqua l’amour de la France et des Lettres. Et quand « Charlotte, retirée dans sa petite alcôve, récitait une fable de La Fontaine, Idiss attentive écoutait l’enfant dire un texte qu’elle, sa mère, ne comprenait pas toujours, mais qui lui était une musique au cœur ». Le certificat d’études de Charlotte, « premier diplôme français obtenu par la famille », fit le bonheur et la fierté d’Idiss.

hussards noirs Idiss Robert Badinter
« Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple : s’il ne l’est aujourd’hui, il le sera demain », Jules Simon.

La vie matérielle de la famille s’améliore grâce au travail des deux fils, initiateurs d’un commerce de vêtements et de peaux peu à peu florissant dans le quartier du Marais. Shulim, le père, ne verra guère ce commerce prospérer, pris par un cancer qui le déroba à l’amour des siens en 1920. Idiss vit là la première de ses plus grandes épreuves en portant en terre l’homme de sa vie.

À cette date, Samuel, devenu Simon, rencontra Chifra, devenue Charlotte, lors du bal des Bessarabiens de Paris. Coup de foudre et début d’une union bénie par Idiss. Ils seraient « heureux aussi longtemps que Dieu le voudrait » leur dit-elle. Le sort futur du couple n’exaucera pas, hélas, les espoirs et la prière maternelle. Claude et Robert, futur avocat et ministre, seront les fruits de cet amour.

L’entrée en guerre en 1939 et la soumission de la France, « trahison de son idéal », ébranlent cruellement les convictions pacifistes de Simon, sa foi originelle en la République française et en la bienveillance, croyait-il, des autorités envers les Juifs. L’antisémitisme d’État institué par Vichy rend peu à peu la vie irrespirable. « Entre la France et les Juifs, c’est une histoire d’amour qui a mal tourné » disait alors l’avocat Léon Maurice Nordmann, fusillé au Mont Valérien en 1942. Paris, ville lumière, était devenue bouche d’ombre « où flottaient les étendards nazis » et antichambre de la mort des Juifs dans les camps.

Paris occupé Idiss Robert Badinter
Paris occupé Idiss Robert Badinter

Le Juif et la France Idiss Robert Badinter
Le Juif et la France est une exposition s’étant déroulé du 5 septembre 1941 au 15 janvier 1942 à Paris. Financée par la propagande de l’occupant allemand, cette exposition « scientifique » s’appuie sur le travail de George Montandon, professeur à l’École d’anthropologie de Paris et auteur du livre Comment reconnaître le Juif ?

La fuite vers la zone libre devenait inévitable et Charlotte y rejoint son mari, accompagné de ses fils, tous déchirés à la perspective d’abandonner Idiss, malade et près de mourir sur son lit de souffrance, laissée aux seuls soins et à l’amour de Naftoul, l’un de ses fils resté à Paris. « Adieu Idiss, adieu l’enfance ». Les mots déchirants de Robert Badinter vous étreignent alors. Idiss allait « rejoindre Schulim et reposer à ses côtés dans la tombe du cimetière de Bagneux, devant une poignée de parents et d’amis. Le kaddish (N.D.L.R. : « sanctification », l’une des pièces centrales de la liturgie juive qui a influencé plusieurs prières chrétiennes, dont le Notre Père) dit par le rabbin est rapidement expédié. Puis tous s’en furent par des voies séparées. C’était le temps du malheur ». Ce sont les dernières lignes d’un livre du souvenir, fait de mots simples, bouleversant de tendresse, d’amour et d’humanité. Un récit inoubliable.

Simon Badinter fut déporté sur ordre de Klaus Barbie au camp de Sobibor en Pologne le 25 mars 1943, dont il ne revint jamais. Sa mère, la grand-mère paternelle de Robert, Scheindléa Schindler-Badinter, subit le même sort en septembre 1942, à Auschwitz-Birkenau. Comme Naftoul Rosenberg, lui aussi disparu dans le même camp en juillet de la même année.

Idiss de Robert Badinter – Fayard – 236 pages. Parution : 24 octobre 2018. Prix : 20.00 €

Idiss Robert Badinter
Robert Badinter
est avocat, universitaire, essayiste et homme politique français. Il s’inscrit au barreau de Paris en 1951 et débute sa carrière d’avocat comme collaborateur d’Henry Torrès. Il soutient une thèse sur les conflits de droit aux États-Unis et réussit l’agrégation de droit en 1965. Ancien président du Conseil constitutionnel, il est principalement connu pour son combat contre la perpétuité réelle et la peine de mort dont il obtient l’abolition en France le 30 septembre 1981 en tant que Garde des Sceaux, mais également pour la dépénalisation des relations homosexuelles entre majeurs de moins de 21 ans, et surtout comme auteur du nouveau Code pénal.

CAHIERS DE DOLÉANCES, ET À RENNES ?

Sous l’impulsion du mouvement des gilets jaunes, Emmanuel Macron lance une grande consultation citoyenne jusqu’au 15 mars. Tous les intéressés sont invités à soumettre leurs idées en se rendant dans leur mairie. À Rennes, depuis le 18 janvier, des cahiers de doléances ont été ajoutés dans les mairies de quartier afin de faciliter l’accès au débat national. Problème : les limites du panel de consultation.

À l’accueil de l’Hôtel de Ville, une courte file d’attente s’improvise. Crayon et brouillon à la main, Annick s’apprête à remplir l’un des sept cahiers de doléances à Rennes. Le livre est déjà bien entamé. « Nous avons mis en place ce cahier la première semaine de janvier. Pour l’instant, ce sont surtout des retraités qui l’ont rempli, car ils ont du temps pour se déplacer aux horaires d’ouverture de mairie. On aperçoit quelques lycéens, mais c’est plus rare », observe-t-on à l’accueil.

Cahier de doléance
Le cahier est grand et comporte de nombreuses pages. La lettre aux Français d’Emmanuel Macron est agrafée sur la première page. (Cliquez sur l’image pour la lire)

Parmi les revendications les plus importantes, il n’est donc pas étonnant de voir la baisse de la CSG pour les retraités en tête de file. Concernant les autres propositions populaires : la fin du mépris du président de la République et de l’État envers les « Gaulois réfractaires » et « fainéants », le rétablissement des routes à 90 km/h et une justice fiscale plus équitable (remise en cause par la suppression de l’ISF notamment). « Ce mépris ne provoque que les violences que l’on voit aujourd’hui », constate Annick.

D’autres cahiers sont mis à disposition dans les mairies de quartier : Patton, Bréquigny, Villejean, Thabor, Cleunay et Blosne. En place depuis vendredi 18 janvier, ces nouveaux cahiers ne sont pas encore très remplis. Mais là encore, la baisse de la CSG figure parmi les revendications les plus soumises. Nicole a elle aussi inscrit cette demande dans le cahier : « J’ai le temps pour me déplacer. Donc j’en profite pour écrire un peu pour les autres ».

Cahier de doléances
Exemple de message simple que l’on peut trouver ici à Cleunay : Arrêt des augmentations des denrées alimentaires de base. Indexation des retraites sur le coût réel de la vie.

« Je pense que ça ne sert pas à grand-chose »

Concernant la forme, on est loin de l’anonymat des groupes des gilets jaunes sur Facebook. Ici chacun doit signer de son nom sa ou ses propositions. Les écritures sont alors très lisibles, rares sont les fautes d’orthographe et les formules de politesse sont très présentes. On y ressent vraiment l’application. « Monsieur le président », « je vous en saurais gré » et même quelques « bon courage ». D’autres ont soigneusement préparé, imprimé et agrafé leurs idées dans le cahier.

Et une page de plus au cahier de doléances à l’Hôtel de Ville. La moitié du cahier est déjà bien remplie.

Un autre rédacteur en est très surpris. « Je ne suis pas venu ici pour écrire des formules de politesse. Je vais faire un peu plus de rentre-dedans ». Comme d’autres avant lui, il se met à rédiger des listes de plusieurs propositions, simplement délimitées par des tirets. Ce grand ouvrage livre donc plusieurs niveaux de colères. Mais une colère partagée.

Est-ce que tout cela suffira pour susciter une réaction du gouvernement ? Nicole n’y croit pas. « Je pense que ça ne sert pas à grand-chose », dit-elle en reposant son stylo. « Ça m’a défoulé. J’avais des choses à dire », explique Annick. Pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, il est possible, depuis lundi 21 janvier, d’écrire ses propositions sur internet. Mais les questions sont plus orientées et la parole moins libre qu’une page blanche. Pour ceux à qui la plume ou le clavier ne suffisent pas, il reste encore les débats. La ville de Rennes laisse à disposition des salles (Salle Guy Ropartz [14 rue Guy Ropartz], Auditorium de la Maison des associations [cours des Alliés], Salle polyvalente de la mairie de quartier Bréquigny – Sud-Gare [1 place de la Communauté]. Les demandes peuvent être adressées auprès du Service Relations Citoyens par téléphone au 02.23.62.10.10 ou par mail à l’adresse suivante : ville.rennes@ville-rennes.fr. L’État référence ensuite tous ces débats sur son site. Mais certains préfèrent s’organiser par eux-mêmes…

Où trouver les cahiers de contributions citoyennes ?

Place de la Mairie. Du lundi au vendredi de 8 h 30 à 17 h, et le samedi de 9 h 30 à 12 h.

Dans les mairies de quartiers :

À Maurepas/Bellangerais-Jeanne d’Arc/Longs Champs/Beaulieu : 32 rue de Trégain ; lundi, mardi, mercredi et vendredi, de 9 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h, et le jeudi de 13 h 30 à 17 h.

À Bréquigny/Sud-Gare : 1 place de la Communauté; lundi, mardi, mercredi et vendredi, de 9 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h, et le jeudi de 13 h 30 à 17 h.

Le Blosne/Francisco Ferrer/Landry/Poterie : 7 boulevard de Yougoslavie; lundi, mardi, mercredi et vendredi, de 9 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h, et le jeudi de 13 h 30 à 17 h.

Villejean/Beauregard/Saint-Martin : 43 cours Président John Fitzgerald Kennedy; lundi, mardi, mercredi et vendredi, de 9 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h, et le jeudi de 13 h 30 à 17 h.

Centre/Thabor/Saint-Hélier/Alphonse Guérin : 7 rue de Viarmes; du lundi au vendredi, de 9 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h.

Bourg L’Évêque/La Touche/Moulin du Comte/ Cleunay / Arsenal-Redon/La Courrouze : 31 rue Jules Lallemand; du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h.

LE DIEU VAGABOND DE FABRIZIO DORI, LES MILLE COULEURS DU MYTHE

Avec Le Dieu Vagabond (éd. Sarbacane), l’exceptionnel dessinateur italien Fabrizio Dori nous plonge dans une mythologie grecque qui fait irruption dans nos vies quotidiennes. Des images fantastiques au service d’un conte original.

Il s’appelle Eustis, drôle de nom pour une drôle de silhouette qui évoque des personnages de Magritte : chapeau melon et longue redingote. Précisons qu’il est un peu perdu, Eustis. Il vit dans un champ de tournesols près d’une grande ville. Il picole pas mal. Il raconte des histoires à qui veut l’entendre, comme un devin. En fait, il n’est pas de notre temps. Il n’est pas de l’époque du Dieu unique. Il est issu du Thiase, ce cortège errant de Dionysos. Satyre, divinité mineure du temps d’Hadès ou d’Artémis, ami de Pan, il s’est égaré sur le chemin de Delphes, attiré par une nymphe maléfique : « Entre nymphes et satyres, c’est comme ça que ça marche… ». Il aimerait retrouver ses potes, le bon vieux temps, celui où Dionysos organisait des fêtes royales, et quitter ses mortels qui ne voient pas « les choses clairement »  parce qu’ils les recouvrent « constamment d’une couche de paroles ».

Thiase Fabrizio Dori Le Dieu vagabond

Thiase Fabrizio Dori Le Dieu vagabond

Thiase Fabrizio Dori Le Dieu vagabond

Ainsi va le monde et le dessin exceptionnel de Fabrizio Dori qui accompagne Eustis, mais aussi ses compagnons de route : Léandros, héros grec oublié de ne pas avoir accompli de faits d’armes remarquables, ou le professeur, petit humain à la recherche du sphinx. Le lecteur, qui a abandonné son rationalisme le long de ce périple, s’associe à cette quête pour côtoyer Morphée, Hécate, Chiron « psychothérapeute des Dieux » et beaucoup d’autres plus ou moins connus. L’humour, le décalage des époques, le grotesque des situations dissimulent une érudition pointue de cette mythologie grecque trop souvent réduite à quelques clichés.

On voyage ainsi dans un flou chronologique, quand un parc d’attractions d’aujourd’hui se confond avec une décharge transformée en demeure d’Hadès. Ce mélange temporel s’accompagne de dessins exceptionnels qui empruntent à toutes les époques et l’on s’amuse à découvrir les arabesques d’un ciel étoilé de Vincent Van Gogh, que croise d’ailleurs Eustis (normal pour un dieu habitant un champ de tournesols). Les violines rappellent Paul Gauguin, celui de Pont-Aven comme des Marquises. Les arbres fluctuent et flanchent comme dans les toiles des nabis (N.D.L.R. : mouvement artistique postimpressionniste, né à la fin du XIXe siècle de la rencontre de Paul Sérusier avec Paul Gauguin). Les gros plans expressifs sont ceux de Edvard Munch et les silhouettes dorées, celles de Gustav Klimt. De chapitre en chapitre, de rencontre en rencontre, le style graphique change, éclate, étourdit.

Fabrizio Dori prend parti pour son satyre, écrabouillé par LE Dieu qui a empli « le cœur des hommes, de mensonges et d’illusions ». Plus que par la critique, il préfère cependant faire l’éloge, par le dessin, de ces temps dionysiaques qu’il peint avec une beauté indicible.

Fabrizio Dori Le Dieu vagabond

Eustis retrouve ses oreilles pointues et ses petites cornes frontales. Il retrouve sa nudité et les yeux fixes du léopard qu’il porte sur ses épaules. Une fête flamboyante clôture cet album unique qui donne envie de se plonger encore dans l’univers de Fabrizio Dori, qui avec Gauguin l’autre monde avait déjà ouvert en grand les portes de notre imaginaire. Et de nos yeux.

Fabrizio Dori Le Dieu vagabond

Le Dieu Vagabond – Scénario et dessin de Fabrizio Dori – Éditions Sarbacane. 160 pages. Parution : 2 janvier 2019. Prix : 25€.

Fabrizio Dori Le Dieu vagabond

Après avoir étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Brera à Milan, Fabrizio Dori
a travaillé dans le domaine de l’art. Il a exposé à Milan, Modène, Vérone, Ravenne, Udine, dans des galeries comme Luciano Inga-Pin, Studio d’Arte Cannaviello, Ninapì, ArteRicambi, Galleria San Salvatore…. Il a publié en Italie le roman graphique Uno in diviso tiré du roman de Alcide Pierantozzi. Il vit à Milan et travaille comme illustrateur et auteur de bandes dessinées. Chez Sarbacane, il est l’auteur et l’illustrateur de Gauguin, l’autre monde qui a remporté un joli succès.

Gauguin, l'autre monde, Fabrizio Dori, 2016.
Gauguin, l’autre monde, Fabrizio Dori, 2016.

COOL ROOF À BREST, DES TOITS BLANCS POUR LIMITER LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

Climatiser de grands espaces pollue beaucoup. À Brest, l’entreprise Cool Roof a trouvé une solution pour réduire les émissions de gaz à effet de serre que provoquent les fluides frigorigènes. Il s’agit de recouvrir les toits d’une couche blanche pour rejeter un maximum de lumière et donc de chaleur. Une économie de près de 20 000 € par an en plus de protéger l’environnement. (moyenne constatée pour les entreprises concernées).

Et si dans 20 ans, du haut de Rennes, on ne voyait plus que des toits blancs ? Si l’idée prend du temps, elle permettrait d’économiser grandement en énergie. C’est ce que développe l’entreprise brestoise Cool Roof, lancée en 2015. « Le directeur d’une grande surface à Quimper cherchait à réduire l’énergie dans son magasin. Il était en plus confronté à des problèmes d’électricité et de toiture », explique Antoine Horellou, directeur de l’entreprise Cool Roof, « toit frais » en anglais.

Cool Roof
La peinture est un mélange de résine et de pigment. « Sa particularité c’est surtout la résine, car il faut une peinture qui réfléchit », indique Antoine Horellou.

L’électricien Ronan Caradec et le frigoriste Roland Soun, en charge du projet, se tournent vers les États-Unis et les matières utilisées pour la conquête spatiale. Inspirés par leurs matériaux, ils décident de développer leur propre résine. La peinture blanche miracle est née. Depuis les Bretons sont très demandés en France. Ils ont notamment remporté le prix de la création d’entreprise aux victoires de Bretagne début décembre 2018.

Steven Chu en 2009 : (Prix Nobel de physique en 1997) : Ces cool roofs vont considérablement réduire le réchauffement climatique et l’énergie. C’est le moyen le moins cher et le plus efficace ».

C’est bien connu, le noir attire davantage la chaleur. Cette peinture blanche particulière repousse la chaleur et préserve le bâtiment pour limiter la climatisation. « Pour le premier essai à Quimper, on a fait le test, il y avait une différence entre 30 et 40° entre la partie noire et blanche », indique Antoine Horellou. Ce système aiderait, selon l’entreprise, à économiser près de 15 000 € en électricité et 7000 € en toiture. En diminuant la climatisation, elle permet aussi de réduire l’impact carbone.

Mais cette résine est-elle elle-même polluante ? « Notre sujet est avant tout l’impact carbone dans la durée », répond Antoine Horellou. « On peut évidemment améliorer le process et on cherche des matériaux qui pourraient être transformés ». Forte de ses réalisations, l’entreprise s’est mise à travailler avec la région Bretagne afin de modifier sa résine pour une plus grande bio-dégradabilité. « On fait des recherches sur de la résine d’huître ou d’algue ». En attendant, c’est pour l’instant une solution durable. « Les grandes surfaces nous appellent pour protéger à la fois leurs travailleurs et les clients, mais également leurs denrées », se réjouit Antoine Horellou.

Cool Roof
Venu des États-Unis où il connait un grand succès, le « cool roof » permet aussi de prolonger la durée de vie du toit.

Entre les grandes surfaces, les casernes de pompiers ou encore les entrepôts, Cool Roof a multiplié les projets. « Nous ne réparons pas les revêtements. Nous proposons simplement une alternative à la climatisation. C’est une solution supplémentaire. Mais c’est vrai que ça protège plus, il y a moins de rénovation à faire ». Désormais, la structure veut passer à l’étape supérieure et s’attaquer au marché mondial. New York a déjà lancé une grande opération « NYC Cool Roof » afin que la Big Apple soit recouverte à l’année d’un grand manteau blanc. La vue satellite aérienne entre New York et Paris démontre bien cette politique. Car si les « cool roofs », sont connus et largement utilisés aux États-Unis, ils peinent encore à traverser l’Atlantique…

Cool Roof
© GoogleMaps
Cool Roof
© GoogleMaps

COOL ROOF FRANCE
287 Rue Ernest Hemingway

29200 BREST

contact[@]coolroof-france.com

+33 (0)2 44 84 08 04

Antoine Horellou

Directeur

19 rue Ste Thérèse
29000 – Quimper

BD MAJUSCULE POUR UN AMOUR MINUSCULE

Dans une BD fleuve et imposante Teresa Radice et Stefano Turconi nous livrent un album dense sur le courage de vivre et sur la différence. Notamment mais pas seulement. Attention BD hors norme.

BD AMOUR MINUSCULE

Une collection qui s’appelle « Treizeétrange », un format inhabituel pour une BD avec 320 pages denses et serrées, des pages entières de textes comme dans un roman, une balade dans le temps entre 1930 et nos jours ….. Autant de pistes surprenantes dans ce livre foisonnant qui déclame que « la vie c’est ce qui arrive quand on a d’autres projets. » Car ce roman graphique est avant tout une histoire de vies.

BD AMOUR MINUSCULE

 

C’est l’histoire d’une émigration de Gênes vers l’Argentine en 1933 quand le poids du populisme se manifeste en Europe mais c’est aussi une émigration de Syrie vers Lampedusa quand la folie religieuse s’empare des régions qui constituent le berceau de notre  civilisation.

BD AMOUR MINUSCULE
C’est l’histoire d’un livre

sur l ‘héritage, sur la façon dont on gère ce qui nous a été transmis… et sur ce qu’on laisse à notre tour.

C’est l’histoire d’un Amour minuscule, cet embryon qui pousse dans le ventre d’Iris (qui ressemble étrangement à Sophie la petite fille d’Antoine dans Les Vieux Fourneaux) et qui va attendre le possible retour de son père, parti une ultime fois en Syrie pour dire au revoir à sa famille.

BD AMOUR MINUSCULE
C’est l’histoire, qui s’entremêle de religions, de questionnements de la Foi face aux atrocités du monde, de tolérance. Du droit au doute et à la solitude.
C’est l’histoire de personnages étonnants, attachants, liés les uns aux autres par leur extravagance ou leur empathie. Maïté, une mère inconséquente, volage, fantasque, qui cache derrière sa vie hors des murs de lourds secrets passés. Ale, l’ancienne colocataire devenue plus qu’une amie, une soeur qui apporte réconfort et lucidité quand l’absence de l’être aimé devient incertaine. Saul, religieux (inspiré du père Paolo Dall’Oglio, enlevé en 2013 à Raqqa par les djihadistes de Daech), perdu dans le désert, point d’ancrage pour les réflexions existentielles qui animent les hommes et les femmes perdus dans leur vie personnelle ou devant l’actualité du monde. Mais aussi Malik, le compagnon d’exil qui n’arrivera jamais sur les côtes italiennes. Ou encore  Janis et Linda, couple uni qui transforme les beautés de la montagne en lieu de bonheur simple.

BD AMOUR MINUSCULE
C’est l’histoire d’une glycine violette qui éclaire la page 9, ouvrant le livre sur la lumière éclatante d’une maison, close depuis des décennies mais c’est aussi l’histoire de peintures religieuses dissimulées dans l’obscurité d’une église syrienne que trois bougies éclairent: une chacune pour « ceux qui sont partis, ceux qui restent et ceux qui viendront ».

LE PORT DES MARINS PERDUS

Amour minuscule c’est tout cela et beaucoup d’autres choses encore. Teresa Radice et Stefano Turconi, mariés dans la vie de tous les jours, ont bouleversé les codes et les genres pour cette BD à nulle autre pareille. Teresa raconte et Stefano dessine.  Auteur notamment du Le Port des Marins Perdus, ils associent cette fois ci des morceaux de vie personnelle à l’Histoire pour raconter un récit inracontable. Par une construction subtile, et parfois déconcertante, ils élaborent peu à peu un gigantesque puzzle où s’emboîtent parfaitement les destinées de personnages tous attachants et profonds. Poésie, amour, tolérance sont les maîtres mots de ces pages et leur universalité nécessite bien de la part du lecteur un peu de patience, de réflexion. La beauté des dessins l’aide à appréhender ce que de longs textes expriment parfois avec un peu trop de facilité ou de naïveté. Mais un rayon de soleil sur les montagnes désertiques suffit à gommer ces rares défauts.

BD AMOUR MINUSCULE

Découpé en phases de Lune, associées à la beauté de la calligraphie arabe, on voyage de Gênes en Argentine, d’Alep à au Haut-Adige, de la verdoyante montagne à l’aride désert. On accompagne Iris qui s’est promenée tout au long de son enfance et qui a retiré de ses périples une grande curiosité intellectuelle et une vision tolérante des différences.

Entre la certitude et le doute, l’espérance et le désespoir, le beau et le laid, l’amour et la haine, les auteurs ont choisi mais ils n’assènent à aucun moment leur choix. Ils utilisent différentes époques, différents lieux, différentes cultures et toute la palette des mots et des couleurs pour vous expliquer tendrement et calmement leur idéal de vie.

Amour minuscule est donc l’histoire d’une BD hors norme. L’histoire d’un roman fleuve qui s’écrit avec des mots et des images. L’histoire de la vie. Et la vie est complexe. Et douloureuse. Mais parfois magnifique. Teresa et Stefano nous la montrent telle qu’elle est.

BD Amour Minuscule de Teresa Radice (scénario) et Stefano Turconi (dessins). Editions Glénat. Collection Treizeétrange. 320 pages. 27€.

POLICES DES TEMPS NOIRS DE JEAN-MARC BERLIERE, HISTOIRES SANS ESPOIR

Polices des temps noirs est le dernier livre de l’historien Jean-Marc Berlière, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale en France et auteur de plusieurs travaux consacrés aux heures sombres de la France (Policiers sous l’Occupation, Liaisons dangereuses. Miliciens, truand, résistants, Liquider les traîtres. La face cachée du PCF clandestin etc.). Paru fin 2018, ce dernier ouvrage clairement encyclopédique répond aux vœux du grand spécialiste américain de Vichy qu’est Robert Paxton (La France de Vichy, 1940-1944), d’une recherche enfin dédiée à la police de Vichy.

Police des temps noirs Jean-Marc Berlière

C’est une tâche ardue et d’une infinité complexe qui a été relevée et qui servira enfin de socle à tout travail ultérieur. Manifestement l’auteur a une vision étendue, mais bien évidemment non exhaustive, on s’en doute, de la masse des documents qui reposent dans de multiples archives, services, forts militaires et autres dont certains on fait un aller retour jusqu’à Moscou via Berlin avant de revenir en France dans les suites de la chute du rideau de fer : les jeunes historiens auront de quoi s’occuper…


archives secrètes police des temps noirs jean-marc berlière

L’ouvrage est conçu sur le mode d’un dictionnaire alphabétique, muni d’un glossaire dont il faut se servir pour suivre le fil des explications, tant la situation est complexe et « enchevêtrée » entre Français et Allemands, entre policiers, gendarmes et militaires et entre les milices des différentes factions de la Collaboration et surtout les officines diverses mêlant truands et policiers corrompus à des trafics et à la lutte sauvage contre une résistance hélas parfois naïve. On découvre à la lecture que certains services très maréchalistes lutteront avec autant d’efficacité contre les espions allemands de la zone sud que contre les gaullistes, tout en revendiquant dès 1940 une forme de proto-résistance.

La question des brigades spéciales y est abordée clairement : elles recrutaient souvent de jeunes gardiens de la paix, appâtés par une promotion rapide au grade d’inspecteur. La sinistre réputation de ces sections vaudra une épuration sans pitié : condamnations à mort, travaux forcés, indignité nationale, révocation sans pension. Sont abordées aussi diverses unités, dont certaines peu connues, comme celles chargées de missions répressives, telles que les douanes ou les gardes de communication. Ou d’autres, tristement célèbres, comme les GMR (garde mobile de réserve), auxiliaires des unités allemandes luttant contre les maquis. Certains se rachèteront une conduite, parfois héroïque, dans les derniers mois de la guerre en se ralliant aux maquis.

épuration, temps noirs de la police, jean-marc berlière

Parmi la collection de « bandes » affiliées aux divers services allemands (Abwehr, SD, SIPO, etc.), on retrouve bien sûr la célèbre Gestapo française de la rue Lauriston, menée par le tandem Bonny-Laffont, qui finiront tous deux fusillés. Mais aussi des entités plus curieuses, telle la Gestapo  « géorgienne », dirigée par un Géorgien et composée en partie de ressortissants du Caucase : outre leurs activités crapuleuses associées à un combat sans pitié contre la Résistance, ils étaient des agents soviétiques sous la coupe de Béria. La plupart passeront à travers les filets, échappant à la fois aux Alliés et même au NKVD (N.D.L.R. : Commissariat du peuple aux Affaires intérieures, organisme d’État chargé de combattre le crime et de maintenir l’ordre public d’abord dans les républiques socialistes soviétiques puis dans l’URSS entière). Ils rentreront en URSS sous la protection de leur Maître, sans passer par la case goulag…

Pierre Bonny gestapo française occupation
Pierre Bonny en octobre 1944. Fusillé le 26 décembre 1944.

Henri Lafont gestapo française
Henri Chamberlin, dit Henri Lafont, en mai 1944. Fusillé le 26 décembre 1944.

bonny et lafont procès gestapo française
Henri Lafont et Pierre Bonny lors du verdict rendu le 11 décembre 1944, qui les condamne tous deux à mort.

hommage aux victimes de la gestapo française

 

Revient aussi la question des différentes populations étrangères, ou considérées comme marginales, internées par le régime : la situation des Tsiganes n’eut rien de confortable pendant le conflit du fait de l’internement de ces populations mobiles et libres, même s’ils ne furent jamais l’objet de transactions entre Vichy et les Allemands, comme ce fut le cas des Juifs étrangers. Les seuls cas de déportation concernent la Région Nord, sous contrôle des autorités allemandes de Belgique.

Un petit point local est abordé dans cet ouvrage, qui concerne la Bezen Perrot (La Formation Perrot, en français, était une unité para-militaire nationaliste bretonne intégrée en 1943 dans le Sicherheitsdienst allemand); cette formation bretonne de collaboration avec le nazisme était installée à la caserne du Colombier à Rennes. Pour autant, on n’y trouve peu d’avancées par rapport aux écrits des historiens locaux passionnés par la question bretonne : sans doute faudra-t-il qu’un jour quelqu’un se penche, aux archives fédérales allemandes, sur certains documents d’époque pour clarifier le débat.

Toujours est-il que voilà un ouvrage de qualité, extrêmement documenté et qui fera date, d’autant que sa lecture est facile.

Polices des temps noirs – France 1939-1945. Jean-Marc Berlière (Auteur) Patrick Modiano (Préface). Paru le 6 septembre 2018. Éditeur Perrin.

JEAN MARC BERLIERE

Jean-Marc Berlière est professeur émérite de l’Université de Bourgogne, spécialiste de l’histoire de l’institution et la société policières en France, chercheur rattaché au CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales).

CULTURE CLUB A L’ARVOR POUR LE FESTIVAL TRAVELLING

Culture Club pose ses caméras au cinéma Arvor de Rennes, rue d’Antrain (avant son déménagement gare Sud et le Festival Travelling du 5 au 11 février 2019). L’émission Culture Club animée par Thibaut Boulais en compagnie de Nicolas Roberti est tournée chaque mois dans un lieu emblématique de la Métropole de Rennes. TVR et Unidivers – deux regards culturels en un pour le même prix (gratuit). Culture Club, l’essayer c’est l’adopter !

Spécial Cinéma avec Rurik Sallé auteur de « Le cinéma français c’est de la merde« . Éric Gouzannet directeur de l’Arvor et cofondateur du festival Travelling. Fabrice Bassemon directeur de l’association Clair-Obscur organisatrice du 30ème festival Travelling 2019 (dédié aux villes-mondes à travers 10 films choisis par les internautes) et les coups de coeur de Nicolas Roberti de notre magazine Unidivers : Jardins d’hiver aux Champs libres, Agitato au Triangle.

À la suite un entretien avec Rurik Sallé qui affectionne particulièrement le cinéma et le mot de Cambronne :

cinema rennes

AVEC MÊME PAS SOMMEIL CHARLELIE COUTURE POURSUIT SA ROUTE

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CharlElie Couture livre son dernier opus, Même pas sommeil, dont la sortie est prévue le 25 janvier prochain. Fort d’une carrière de plus de 40 ans, le chanteur fait figure d’exception dans le champ de la musique populaire internationale. Créateur d’une œuvre pluridisciplinaire, Charlélie Couture fait partie de ces artistes inclassables qui nous emmènent à chaque fois là où on ne les attend pas. Après avoir exploité les répertoires musicaux cajuns avec son album Lafayette, sorti en 2016, il nous embarque pour de nouvelles pérégrinations !

Il ne fait aucun doute que sur le plan international, CharlElie Couture fait partie des artistes les plus complets. Né en 1956 à Nancy, il fut tout d’abord diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Son premier contact avec la musique, il le doit semble-t-il à sa grand-mère professeure de piano qui lui fit aussi découvrir la musique classique. En 1978, après avoir présenté sa thèse de fin d’étude, il expose ses œuvres picturales au Salon des artistes indépendants de Paris et autoproduit son premier album 12 chansons dans la sciure. En 1981, suite à un deuxième opus intitulé Le pêcheur, il est repéré par le directeur d’Island Records, Chris Blackwell. Il rejoint cette même année le célèbre label pour lequel il enregistre Pochette surprise. Mais c’est l’album suivant, Poèmes rock, qui le fit connaître du grand public, notamment grâce au succès populaire de la chanson « Comme un avion sans ailes ».

charlelie couture, meme pas sommeil
Photo: Shaan C.

Résidant aux États-Unis depuis 2004, il enregistre en Louisiane l’album Lafayette, sorti en 2016 et dans lequel il mettait à l’honneur la musique cajun. Trois ans après et de retour en France suite à l’élection de Donald Trump, il nous exposera le 25 janvier prochain son tout dernier opus intitulé Même pas sommeil, marqué par une diversité d’ambiances musicales.

À travers ses œuvres, CharlElie Couture poursuit une quête vers ce qu’il nomme l’ « art total ». Il faut rappeler qu’il est en outre l’un des théoriciens du multisme, démarche qui désigne la déclinaison de l’expression artistique sous différentes formes. Sa créativité bouillonnante trouve donc un exutoire non seulement dans le champ musical, mais également dans le dessin, la peinture et la photographie. Ainsi, ce sont ses propres réalisations qui ornent les pochettes de la plupart de ses albums.

Cette logique pluridisciplinaire et éclectique semble également avoir amené l’artiste franco-américain à cultiver son goût pour des esthétiques musicales différentes et il parvient ici à les allier sans pour autant que ses chansons y perdent en cohérence. La plupart de ses influences semblent issues des musiques populaires américaines, centrales dans son éducation musicale : les éléments du blues, notamment, structurent des chansons comme « Another Man Blues » et « Les heures caniculaires ». La première présente des interventions mélodiques passionnées à la guitare électrique, tandis que dans la seconde, celles-ci prennent un aspect plus nonchalant. De même, la guitare électrique saturée est très présente sur cet album et confère entre autres à sa chanson titre des accents blues rock avec lesquels l’artiste est familier.

Par ailleurs, on retrouve également des influences jazz dans certaines chansons,  qu’il exploite notamment au piano et ceci depuis le début de sa carrière. Elles sont surtout flagrantes dans « Résister sister » et « Le lamantin », dans laquelle il adopte un style pianistique syncopé et décalé caractéristique du ragtime. De même, l’intervention de la trompette dans ces deux chansons évoque celles du jazz New Orleans, ainsi que le jeu de musiciens phares comme Louis Armstrong. Cependant, on perçoit des influences extérieures dans les « Odes à l’est ». La deuxième d’entre elles fait d’ailleurs entendre un jeu de violon dont les mélodies semblent inspirées des modes orientaux, également présents dans la musique klezmer new yorkaise.

charlelie couture, meme pas sommeil
Photo: Charles Dutot

Depuis le début de sa carrière, CharlElie Couture s’attache à explorer le conscient et l’inconscient et à traiter les grands enjeux de l’existence, à travers l’expression artistique. De fait, les chansons de cet album s’avèrent enracinées dans le concret, se référant au monde contemporain et à ses troubles. Ainsi dans « Toi, ma descendance », l’artiste nous fait part de sa grande inquiétude quant à l’avenir des générations futures dans un monde promis à la désertification par le réchauffement climatique. Dans « Another Man Blues », son adaptation du blues « Another Man Gone Done » popularisé autrefois par Vera Hall, il met cette fois-ci en scène une bavure policière, comme celles qui, ces dernières années, ont tué de nombreux Afro-Américains aux États-Unis. Il parvient ainsi à traduire la violence et l’horreur de cet évènement par une atmosphère sombre que l’on peut également retrouver chez des artistes comme Rhyece O’Neill. Cette ambiance est renforcée par les solos enflammés et captivants de Karim Attoumane à la guitare électrique saturée. À l’inverse dans « Les heures caniculaires », cette référence au blues prend des allures plus lascives et traduit une torpeur, ainsi qu’un aspect sensuel, voire érotique, qui tranche avec les atmosphères des autres titres. On y est happé par la passion et la virtuosité démontrée par le violoniste Pierre Sangra, lors de ses solos survoltés qui n’ont rien à envier à ceux des meilleurs guitar heroes dans le champ du rock.

Dans ces chansons, on retrouve avec plaisir la voix nasillarde, souvent plaintive et ô combien caractéristique de CharlElie Couture avec laquelle il travaille les sonorités des langues française et anglaise. Mais dans les « Odes à l’est », il adopte davantage une déclamation poétique, ainsi qu’un timbre plus grave et placide que l’on retrouve également dans « Toi, ma descendance ». De même parmi tous ces titres, l’auteur du « manifeste de l’art rock » n’a pas hésité à revisiter à sa façon la chanson « Il est cinq heures, Paris s’éveille », de Jacques Dutronc, qu’il transpose dans le Paris actuel à travers Même pas sommeil. S’il en réactualise le texte et l’instrumentation, il en conserve cependant l’agitation correspondant à celle du « réveil » de la capitale dès les premières heures de la matinée. Dans cet album, il semble également manier l’ironie par le contraste et les ambiances douces amères, avec habileté : « Le lamantin », par exemple, associe un rythme de chanson jazz festive et une trompette bouchée badine à un jeu de piano parfois dissonant et tirant sur le mode mineur. Il faut dire qu’elle met en scène un travailleur « senior » qui, voyant se profiler l’heure de son licenciement, choisit de finir au fond de l’océan lors d’un pot d’entreprise très arrosé.

charlelie couture, meme pas sommeil
Photo: Charles Dutot

À travers Même pas sommeilCharlElie Couture continue à se réinventer et nous démontre qu’une fois de plus, il ne compte pas s’arrêter en cours de voyage. Comme il le dit si bien, en dépit d’une carrière déjà bien remplie et jalonnée de 23 albums, le sommeil ne vient toujours pas. Heureusement, ce sera pour plus tard…

charlelie couture, meme pas sommeil
Photo: Shaan C.

L’album Même pas sommeil de CharlElie Couture sortira le 25 janvier prochain sur Flying Boat/Rue bleue. Il est disponible en pré-commande sur le site de l’artiste.

Sa prochaine tournée passera le 26 avril au CAC de Concarneau et le 27 avril à l’Espace Avel Vor de Plougastel.

LA REVANCHE … À QUEL PRIX !

Le prix : l’historienne des sciences Margaret Rossiter a fait dans les années 80 ce constat : les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches que les hommes. Elle nomme cette théorie l’effet Matilda.

LE PRIX GELY

Stockholm, décembre 1946. Otto Hahn, qui a découvert la fission nucléaire, va recevoir le prix Nobel de chimie. Dans sa suite, quelques heures avant son apparition publique, Lise Meitner, son ancienne collaboratrice s’invite pour le retrouver. Il y a maintenant huit années qu’ils ne se sont pas vus. Mais Otto Hahn n’est pas si surpris de la visite de sa comparse. Après tout, n’est-ce pas lui qui l’a éloignée de l’Allemagne, en 1938, suite à la nuit de Cristal. Les Juifs étant traqués de partout, il valait mieux que Lise Meitner rejoigne la Hollande ou la Suède alors que d’autres grands scientifiques fuyaient vers les États-Unis.
La jeune femme a vieilli, mais n’a rien perdu de son énergie comme de sa verve. Elle a des choses à dire, elle a des comptes à régler avec son alter ego. Et elle ne va pas le ménager toute femme qu’elle demeure dans une société toujours trop machiste.

OTTO HAHN
Otto Hahn (1879-1968). Prix nobel de chimie en 1944.

Le prix et quel prix ! À quel prix ! Le Nobel… Mais ce n’est pas le seul prix qu’aborde non sans talent, Cyril Gély, dans cette controverse magistrale. Le prix à payer pour être vivant, le prix à payer pour être reconnu, le prix à payer dans l’existence quand on est une femme, le prix à payer quand on est juif (donc, être inférieur aux yeux des nazis, des antisémites, des fascistes).

Lise Meitner
Lise Meitner (1878-1968). Physicienne autrichienne.

Qui sera le plus habile dans cet échiquier littéraire et humain ? Qui saura déstabiliser l’autre avec des arguments imparables ? Qui sortira vainqueur de cette joute verbale ? Quels sont les reproches faits à Otto Hahn ? À Lise Meitner ? Y a-t-il des coupables, des responsables de cette situation ? Seul Hahn sera reconnu par ses pairs alors que c’est le couple Hahn-Meitner qui a réellement découvert la fission nucléaire… et donc la bombe atomique. Est-ce que la physique prime sur la chimie ? Ou l’inverse ? (car il s’agit de cela également).

HAHN MEITNER

Le suspense est permanent, les caractères sont forts et attachants jusque dans leurs travers. Remarquable jeu de massacre. Un écrit d’une pertinence explosive.

Le prix – Éditions Albin Michel – Cyril Gély. 220 pages. Prix : 17,00 €. Parution : janvier 2019.

Couverture : Philippe NARCISSE & AKG-IMAGES – Photo auteur Cyril GELY © DR

Cyril Gély, originaire de Rouen, est auteur de théâtre à succès, plusieurs fois nommé aux Molière : Signé Dumas, Diplomatie, et scénariste de Chocolat notamment.
Il a reçu le Grand Prix du jeune théâtre de l’Académie française, le Prix du Scénario au festival international de Shanghai et le César 2015 de la meilleure adaptation pour Diplomatie, tourné par Volker Schlöndorff.

LA GUERRE DES PAUVRES, RÉVOLTE DE L’HOMME ORDINAIRE

L’Histoire est la matière des livres d’Eric Vuillard. La guerre des pauvres s’inscrit dans l’Histoire des peuples et de ses révoltes, celles des miséreux, pauvres et meurt-de-faim, paysans, ouvriers et manants. Ceux-là que les rois et monarques pressurent et asphyxient de leur pouvoir absolutiste et économique, avec la gabelle, la taille ou la corvée. La France voit ainsi se soulever les Bonnets rouges de Bretagne ou de Bourgogne, les Tars Avisés du Bas Limousin et du Quercy, les Pitauds d’Angoumois et de Saintonge, les Croquants du Périgord. À l’extérieur du Royaume de France, à ses frontières ou presque, d’autres révoltes sont apparues, innombrables. L’une d’elles fut la guerre des paysans allemands, en 1525, d’abord d’origine religieuse puis économique et politique. C’est à cette révolte-là que s’est intéressé Éric Vuillard qui en a fait le sujet de son dernier livre, La guerre des pauvres, avec cette manière bien à lui, vive, nerveuse, puissante, sans apprêt ni temps morts, sobre et captivante.

THOMAS MUNZER

Posons le cadre : dans la première moitié du XVIe siècle, de nouveaux courants protestants radicaux se font jour dans le Saint-Empire romain germanique et jugent que le protestantisme établi par Luther ne va pas assez loin dans la pureté du christianisme biblique. Un homme en particulier est à l’origine de ce radicalisme religieux, Thomas Müntzer, prêtre et orphelin dont le père fut pendu, ou peut-être brûlé, sur l’ordre discrétionnaire d’un comte et seigneur local tout puissant. Le sentiment de l’arbitraire, du despotisme et de l’injustice allait naître, déjà, dans l’esprit du tout jeune fils.

imprimerie 1492

Un demi-siècle auparavant naissait ce qui allait donner un formidable élan à la diffusion du savoir : l’imprimerie née du plomb fondu, « cette pâte brûlante qui avait coulé depuis Mayence sur tout le reste de l’Europe », et qui allait mettre la Sainte Bible, imprimée et démultipliée, entre les mains des clercs, prêtres et pasteurs, mais aussi sous les yeux du « petit Thomas Müntzer qui grandit ainsi avec Ézéchiel, Osée, Daniel ».

En 1520, après des études de théologie à l’Université de Leipzig, Thomas fut nommé prédicateur à Zwickau, à l’église Sainte-Marie, d’abord, lieu de culte des riches patriciens locaux, à Sainte-Catherine, ensuite, l’église de « la plèbe, des pauvres tisserands, des mineurs, de leurs femmes, de tous les misérables de Zwickau ». « Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses », lance-t-il très vite. Les mots sont forts. Ce sont ceux de l’Évangile qu’ouvriers et gueux entendent du haut de la chaire ecclésiale. « Pourquoi le Dieu des pauvres était-il si bizarrement du côté des riches ? » persiste à dire le jeune Thomas.

john wyclif
John Wyclif (1330-1384) lointain précurseur de la Réforme.

L’idée n’était pas nouvelle : deux siècles auparavant, en Angleterre, un certain John Wyclif proférera des paroles qui mettront sens dessus dessous l’administration papale. Pensez donc, ce Wyclif prônait la traduction de la Bible dans la langue du pays –« Traduire la Vulgate en anglais, quelle horreur ! » – ce qui entraînera, affirmait-il, la suppression du corps des prélats devenus inutiles. Cette graine de prêtre révolté prêchait aussi pour la désignation des papes par tirage au sort, pour la condamnation de l’esclavage, pour la pauvreté évangélique dans les rangs de tout le clergé, enfin, et ce n’était pas la moindre de ses folies, pour l’égalité entre les hommes ! Wyclif fut suivi d’autres prédicateurs du même ton outre-Manche: Wat Tyler, John Ball, William Merfold.

Jan Hus
Jan Hus (1369-1415)

À Prague aussi, la dissidence bousculera l’autorité papale : Jan Hus prêchera « la désobéissance, l’amour, la prière, même pour les ennemis du Christ et tonne que le repentir ne passe ni par l’argent des indulgences, ni par la violence des croisades, ni par le pouvoir des princes ».

Et c’est à Prague précisément, que Thomas Müntzer va lui aussi prêcher, là où vingt-cinq ans plus tôt, sous l’influence de ce même Jan Hus, « on avait remisé le Purgatoire, révoqué les péchés mortels, renié la monarchie pour le seul règne de Dieu ».

Que de beaux exemples à suivre pour Müntzer dont les prêches seront de la même tonalité, bouillante et rebelle. « Il veut la peau des puissants, il veut en finir avec la pompe et ce luxe de chien », écrit Éric Vuillard.

L’écho de la parole du jeune prédicateur de Zwickau lui vaudra de vivre une existence d’errance qui allait être son lot sa vie durant, repoussé de ville en ville par les autorités, religieuses ou laïques. Après Prague, il prêchera à Allstedt où il écrira sa véhémente « Protestation », cherchant à « convertir Juifs, païens et Turcs », dans une église où il dit la messe et s’adresse aux fidèles en allemand, comme le fit John Wyclif deux cents ans plus tôt en Angleterre. La foule est là, qui vient entendre une parole biblique enfin compréhensible de tous, portée par ce prêtre dissident qui monte peu à peu dans les degrés de la violence contre les puissants et monarques, profanes et religieux, tous ennemis du peuple, le vrai, celui de « l’homme ordinaire », celui des « pauvres laïcs et paysans » qui doivent « TUER LES SOUVERAINS IMPIES », pas moins !

Oui, Müntzer est violent, oui Müntzer délire. […] Les exaspérés sont ainsi, ils jaillissent un beau jour de la tête des peuples comme les fantômes sortent des murs 

écrit magnifiquement Éric Vuillard.

Printemps 1525 : la guerre des paysans commence, en Souabe et aux alentours du lac de Constance, au Tyrol comme en Thuringe, en Saxe, en Alsace, du nord au sud, en Forêt Noire aussi. « Thomas Müntzer se détacha alors des autres prédicateurs ». La révolte n’était plus seulement religieuse, elle devenait aussi soulèvement populaire. Alors « la frange huppée de ses sympathies se mit à prendre peur. Il parlait d’un monde sans privilèges, sans propriété, sans État ». Müntzer n’oubliait pas pour autant les mots de l’Écriture, citant Daniel : « Dieu a donné le pouvoir à la communauté ». Le 12 mars 1525, Müntzer se mit en route, suivi d’une troupe de paysans en révolte. « Il allait à la guerre comme dans la Bible, dans une atmosphère de fin du monde ». « Ce ne sont pas les paysans qui se soulèvent, c’est Dieu ! » aurait dit Luther. Mais Dieu, dans cette révolte, c’est bien plutôt « la faim, la corvée, les censives, les dîmes, la mainmorte, le loyer, la taille, le viatique, la récolte de paille, le droit de première nuit, les nez coupés, les yeux crevés, les corps brûlés, roués, tenaillés. Les querelles sur l’au-delà portent en réalité sur les choses de ce monde ». Et ce ne sont pas les seuls paysans qui suivent Müntzer et son appel à vivre l’Évangile à la lettre. Tous ces pauvres et ces gueux des villes et des mines se retrouvent aussi sur le champ de bataille de Frankenhausen, face à la puissante armée de cavaliers et de fantassins de Philippe de Hesse. La victoire du souverain, « avec l’aide de Dieu » écrit-il, fit quatre mille morts. Et Thomas Müntzer, fait prisonnier, périt sous la hache du bourreau. Comme une trentaine d’années plus tôt, son malheureux père fut pendu, ou brûlé, on ne sait.

La figure de Müntzer est assurément singulière dans l’histoire des mouvements populaires. En 1850, Friedrich Engels dans son ouvrage La Guerre des paysans en Allemagne en a fait le héros d’un « communisme primitif précurseur du communisme scientifique ». Et selon l’historien Ernst Bloch, dans son étude de 1921 intitulée Thomas Müntzer, théologien de la révolution, l’homme est présenté « de façon essentielle comme un communiste doué d’une conscience de classe, révolutionnaire et millénariste ».Dans L’Œuvre au noir, en 1968, Marguerite Yourcenar évoquait déjà le personnage de Thomas Müntzer. En 2019, Éric Vuillard nous en restitue également, et admirablement, la figure et le parcours. Nul doute aussi que son récit trouvera écho dans une certaine actualité…

La guerre des pauvres Éric Vuillard, Actes Sud, janvier 2019, 8,50 €

PHILIPPE BESSON, UN CERTAIN PAUL DARRIGRAND

Philippe Besson est un compagnon de route, un auteur qui chaque année nous emmène dans ses introspections amoureuses. Avec Un certain Paul Darrigrand, il nous raconte son deuxième amour de jeune homme troublé par la maladie. Pudique et tendre. Comme d’habitude.

PHILIPPE BESSON

Philippe Besson a publié son premier roman, En l’absence des Hommes, il y a maintenant 14 ans. Cet ouvrage rencontra d’emblée un succès mérité. Un an plus tard, l’écrivain récidivait avec Son frère, un texte dans lequel un homme va aider son frère à mourir, en se rendant dans la maison de leur enfance, sur l’île de Ré. Aujourd’hui, avec la parution de Un certain Paul Darrigrand, Philippe Besson nous emmène derrière le rideau de ce second récit et nous fait découvrir la réalité qui généra le roman, repris au cinéma. Notoriété, cheminement littéraire, récits de plus en plus autobiographiques, vieillissement, autant d’éléments qui ont permis probablement ce passage de Thomas et Lucas, les deux frères, à celui de Philippe Besson et de Paul Darrigrand. Du roman, derrière lequel on peut se cacher, Besson est passé désormais au « Je ».

PAUL DARRIGRAND BESSON

Les lecteurs fidèles se sont habitués à cette personnalisation car depuis de nombreux ouvrages, l’écrivain s’est attaché à traquer avec un scalpel, les émotions de l’amour, la compréhension de ce premier moment qui fait que deux êtres en un éclair se voient et se désirent, qui fait que « L’histoire vient de commencer ». Paul Darrigrand est le second amant dévoilé et le lecteur comprend rapidement que le scalpel va fouiller les mêmes entrailles:

Cette année-là, j’avais vingt-deux ans et j’allais, au même moment, rencontrer l’insaisissable Paul Darrigrand et flirter dangereusement avec la mort, sans que ces deux événements aient de rapport entre eux. D’un côté, le plaisir et l’insouciance ; de l’autre, la souffrance et l’inquiétude. Le corps qui exulte et le corps meurtri.

Cette fois-ci, c’est la maladie qui va interférer dans cette relation d’amour, une maladie qui menace la vie même de Philippe Besson, une maladie qui mange les globules et qui en pleine exaltation d’un amour naissant va bouleverser une passion dévorante. Paul est marié, va être père de famille. Paul, l’amoureux, est maître, semble-t-il, du jeu. Philippe Besson, subit, suit dans un dialogue paralysant où il est surtout, l’auditeur et non le conteur. L’univers habituel de Besson se retrouve, un univers égocentrique où l’on parle essentiellement des relations entre les êtres, de passion amoureuse, de sexe, d’affection, d’envie. Les relations humaines sont décortiquées et la rate, qui détruit et mange les défenses immunitaires de l’auteur, agit comme une folie amoureuse non maîtrisée et dévastatrice qui, si elle ne mène pas à la mort, peut mener au désespoir. Supprimer un organe revient il à supprimer un amour?

À cette thématique devenue récurrente s’ajoute cependant le charme habituel de ses ouvrages: un style simple, pur, sans emphase qui touche au plus juste. Avec une grande sensibilité et une poésie indirecte, les textes de Philippe Besson possèdent tous une petite musique, qui transfigure la réalité parfois triviale en petite épopée humaine. La mécanique diabolique des sentiments est décrite au plus près. Inspectant chaque recoin de la psyché humaine, Besson réussit à établir avec le lecteur une sorte de connivence, le persuadant que sa vie et ses textes nous sont personnellement destinés. A moins de ne jamais avoir été amoureux et de n’avoir jamais connu la foudre qui s’abat sur vous, ces « fulgurances, ces immédiatetés, la nécessité implacable ».

Paul Darrigrand n’a pas la force de Thomas Andrieu, premier amant de Arrête avec tes mensonges, mais les habitués de Philippe Besson poursuivront avec plaisir leur chemin auprès de leur ami et confident. Pour les nouveaux lecteurs, peut être sera t’il préférable de débuter leur parcours avec l’auteur par les ouvrages précédents. Car la vie en fait est un feuilleton et il vaut mieux probablement la commencer par le début.

Un certain Paul Darrigrand de Philippe Besson. Editions Julliard. 212 pages. 19€. Disponible le 24 janvier 2019.

MODE, 10 TENDANCES DE LA SAISON PRINTEMPS-ÉTÉ 2019

Les fêtes et la nouvelle année passées, il est temps de se projeter afin de se faire une idée de ce que les tendances mode de la saison printemps-été 2019 réserve. Bien que le chaos se propage peu à peu dans les boutiques durant cette période de soldes (qui ne fait que commencer) Unidivers propose de faire un point – non-exhaustif – sur les tendances à retenir !

 

La mode du printemps-été 2019 valorise plus que jamais le corps féminin et propose une étendue de choix. Décolleté plongeant, déclinaisons du smoking ou travail de manches… Quelles sont les tendances qui méritent une attention particulière ?

Les couleurs phares de la saison

tendances mode de la saison printemps-été 2019

Les couleurs pep’s vont faire vibrer le cœur des mordus de mode – le rose a notamment inspiré les plus grands couturiers. Notre préférence se tourne toutefois vers le jaune (bien entendu). N’hésitez pas à sortir votre ciré jaune quand le temps est un peu morose, le ciré revisité de Marc Jacobs en est la preuve : les Bretons semblent avoir un temps d’avance sur la mode ! Qu’il soit satiné, pastel ou criard, la couleur jaune citron sera au top de la tendance printemps-été 2019.

Dans un autre registre, les couleurs du désert – les déclinaisons d’un bel orangé à l’appui – réchauffera votre dressing et les teintes brunes se refont une beauté. Les adeptes d’aventure trouveront leur compte dans les magasins pour être au top : le look aventurière (en mode camouflage ou safari) est assuré.

Un printemps-été 2019 sous le signe des imprimés

tendances mode de la saison printemps-été 2019

Nous ne saurons dire si c’est une bonne chose, mais les imprimés animaliers sont toujours d’actualité. Le serpent et le léopard s’installeront durablement (ou non) dans le placard de la gente féminine, mais préférons à cette jungle vestimentaire les intemporels comme les rayures. On retiendra notamment la mini-robe droite au décolleté plongeant de la marque Saint-Laurent Paris. Deux associations à la pointe de la mode pour la saison printemps-été 2019.

Les fleurs ne sont pas en reste et sont déclinées sous toutes leurs formes pour notre plus grand plaisir. Devenu un intemporel du monde de la mode, les fleurs rétro et stylisées ont su trouver une place de choix chez les plus grands : longue robe fluide chez Carolina Herrera, combinaison-cycliste chez Stella McCartney ou le pantalon et veston chez Paco Rabanne… la tenue coup de cœur d’Unidivers n’est autre que le tailleur revisité de Dolce Gabbana ou comment le motif complète audacieusement les coupes et matières de la saison à venir !

Pour les plus audacieuses, l’art contemporain s’infiltre également dans la garde-robe féminine au printemps-été 2019. Un total look arty pour un style décalé, mais branché !

Des matières pour un style tendance

tendances mode de la saison printemps-été 2019

On ne le dira jamais assez, le denim est LA récurrence modesque que l’on adore ! Comme toute matière indémodable, le jean s’impose de nouveau et cette fois sous toutes les coutures : un style eighties sophistiqué avec le jean ou la robe chemise bleached (javellisé) façon Balmain, un style branché avec la veste patchwork made in Isabel Marant… À en juger par le look branché proposé par la maison Zadig et Voltaire, osez le total look denim !

tendances mode de la saison printemps-été 2019

Pour briller en société cet été, osez la transparence. Avec Alexander Mcqueen, la dentelle bohème sort des placards et offre un look romantique saupoudré d’un zeste de rock attitude. La longue robe en crochet du couturier Michael Kors ne laisse pas place au doute. Plébiscitée cette année, il est difficile de ne pas remarquer que la tendance est à la mode hippie. Elle accompagne les coupes printemps-été 2019 et la nostalgie des années seventies défile sur le podium.

Aux dentelles bohèmes et au crochet, s’ajoute le plumetis. L’élégance et la sensualité se réunissent pour des looks plus romantiques que jamais. Relevons particulièrement la touche sportswear de la robe blanche de la maison Burberry ! À ne pas oublier également les résilles réinventées.

Le cycliste de ville ?

tendances mode de la saison printemps-été 2019

La mode se veut parfois expérimentale. Les défilés printemps-été 2019 ont dévoilé une nouvelle tendance dans le sportswear pour le moins intéressante : le cycliste de ville. Les plus grands couturiers ont réinventé ce vêtement peu glamour et osent anoblir le cycliste pour les citadines. Sans savoir réellement quoi en penser, une élégance froide ressort de ce look inattendu… une nouveauté insolite qui mérite tout de même une attention ?

Quels styles pour les Rennaises ?

tendances mode de la saison printemps-été 2019

Le Bohème rock  : Des petits airs de Janis Joplin planaient au dessus des défilé. Entre les codes hippie et rock, un style rebelle rend hommage aux imprimés gypset (bohème glam) et aux allures désinvoltes mais finement travaillées.

tendances mode de la saison printemps-été 2019

Pour un look citadin sophistiqué : la mini-robe, les mailles Glitter, le crop et taille haute aperçus sur les défilés en fin d’année promettent un style 100 % féminin et élégant. À retenir notamment, la robe pull toute en brillance d’Isabel Marant, un bijou vestimentaire !

Source photos : L’Express / Vogue / Cosmopolitan

BEGGAR’S OPERA DYNAMITE LES CODES DU GENRE

Beggar’s opéra de John Gay et Johan Christoph Pepush déboule à Rennes. A peine dix jours après le succès du conte Ory de Rossini, l’opéra de Rennes ouvrait à nouveau ses portes à une œuvre aussi étonnante qu’inattendue, l’opéra des gueux. Pour les amateurs d’œuvres classiques, friands de divinités exemplaires ou d’attendrissantes idylles, le choc fut rude. Rien de plus iconoclaste et paillard que cet opéra populaire, volontiers grossier et sans complexe. Cet anti-opéra dynamite les codes du genre avec férocité.

Beggar’s opéra a vu le jour en 1728. Il est la vivante manifestation d’un rejet de l’opéra à l’italienne comme le proposait Haendel à cette époque ; jugé trop classique, élitiste, parfois ennuyeux. Parenthèse didactique, c’est cette œuvre qui a inspiré, deux siècles plus tard, en 1928, l’opéra de quatre sous par Kurt Weill sur un livret de Berthold Brecht.

beggar's opera

L’action se déroule dans les bas-fonds de Londres ou voisinent putes, maquereaux et autres escrocs à la petite semaine, mendiants, voleurs, tout cela baignant dans un magma délétère, celui de la misère, de l’ignorance et de la violence. Cela n’empêche pas nos détrousseurs de tous poils d’afficher un bel optimisme et la pièce s’ouvre sur un énergique ballet façon hip hop, au cours duquel nos malandrins affirment la nécessité sociale de leur existence. Ils accompagnent leur danse de chants, de cris et autres vociférations qui nous éloignent d’emblée d’une conception classique de l’opéra. Nous trouverons une éclatante confirmation de ce sentiment lorsque les autres personnages se mettent à chanter. Finies les opulentes cantatrices aux aigus fabuleux. Exit les ténors et leurs morceaux de bravoure.

beggar's opera

Quant interviennent Robert Burt, en Mr Peachum, et sa sulfureuse épouse interprétée par Beverley Klein, deux pensées contradictoires  nous viennent à l’esprit. La première se résume à un mot « gargantuesque» ! L’autre ressemblerait plutôt à : qu’est-ce que je suis venu faire ici ? Les choses ne vont guère s’améliorer avec l’entrée en scène de l’excellent Filch, alias Sean Lopeman, affublé d’une voix évoquant un chat émasculé qui se serait coincé la queue dans la porte. A ce moment d’alternative, ou l’on adhère ou l’on se sauve de l’opéra en courant. Nous avons décidé de rester, et ce fut une bonne décision.

beggar's opera

Le décor de cartons empilés jusqu’au plafond de manière anarchique se révélera une bonne idée. Il correspond à l’esprit de la pièce. Sa conception modulaire permet de le transformer facilement en porte, en armoire ou en bar en fonction des nécessités de la très dynamique mise en scène proposée par Robert Carsen. Dynamique sera sans doute le mot en forme de fil rouge de cette production. Le public est à tout moment emporté par l’énergie que dégage cette troupe jeune et talentueuse ; et cela, même si les 1h50 de spectacles sans entre-acte, nous mettent un peu à rude épreuve.

beggar's opera

Heureusement Kate Batter, dans le rôle de Polly Peachum, l’amoureuse trahie, nous apportera de jolis instants d’apaisement, elle partage ce compliment avec Olivia Lebreton, dans le rôle de Lucy, tout aussi amoureuse et pas moins délaissée. Le traître, c’est Macheath, accessoirement chef des bandits, grand amateurs de cinq à sept avec des vénus mercenaires et totalement immorales. Il est parfait ! Le rôle sera tenu par Benjamin Purkiss avec un réel brio et une convaincante présence scénique. Même sensation pour Kraig Tomber, dans le rôle de Lockit, directeur de la prison, qui démontre une solide expérience et incarne avec talent un personnage foutrement véreux.

beggar's opera

Et la musique dans tout cela ? William Christie et les membres des arts florissants, au nombre de dix, judicieusement placés sur scène, ont offert une interprétation de qualité. Le son des instruments anciens a restitué l’ambiance particulière des chants populaires des XVIIe et XVIIIe siècle qui sont en quelque sorte «recyclés» et viennent servir l’intrigue. Un long entretien avec la percussionniste, Marie Ange Petit, disciple de Philippe Herreweghe, chef et fondateur de l’ensemble la Chapelle royale, nous a apporté un éclairage des plus intéressants : notamment que la partition de l’œuvre se limitait quasiment à deux lignes mélodiques sur lesquelles les musiciens improvisaient à leur gré. Cela rend leur travail encore plus digne d’admiration et de louanges.

beggar's opera

Vous l’aurez sans doute compris, Beggar’s opera est une œuvre atypique, iconoclaste et anti-bourgeoise qui mérite votre curiosité. Il faut immédiatement accepter la transgression des codes et se laisser aller à l’enthousiasme qui submerge immanquablement un auditeur, fourvoyé par la présence du mot opéra dans le titre.

beggars opera

Sans doute un peu ancêtre d’un genre qui portera plus tard le nom de comédie musicale, on ne peut occulter le désir de singularité si profondément consubstantiel à l’esprit anglais. On peut presque parler d’insularité. D’un anti-opéra à un Brexit, un féroce esprit d’indépendance s’affirme dans la continuité. Lorsque l’on sait que l’Opéra des gueux fut présenté en ouverture à l’occasion de l’inauguration du très sérieux Opéra Royal de Londres, en 1732, (Covent Garden), comment s’étonner que le public rennais ait trouvé cette œuvre So British !

BEGGAR’S OPERA 

Ballad opera de John Gay et Johann Christoph Pepusch
Dans une nouvelle version de Ian Burton et Robert Carsen
Mise en scène Robert Carsen
Conception musicale William Christie

Scénographie James Brandily
Costumes Petra Reinhardt
Chorégraphie Rebecca Howell
Lumières Robert Carsen et Peter van Praet
Dramaturgie Ian Burton
Collaboration à la mise en scène Christophe Gayral
Assistant à la mise en scène Stéphane Ghislain Roussel
Création maquillage/coiffures Marie Bureau du Colombier
Création son Léonard Françon
Directeur de casting David Grindrod CDG
Surtitrage Richard Neel
Stagiaire costumes Jana Höreth
Stagiaire scénographie Ava Rastegar
Avec
Macheath Benjamin Purkiss
Mrs. Peachum / Diana Trapes Beverley Klein
Harry Dominic Owen
Betty Emily Dunn
Jenny Diver Lyndsey Gardiner
Matt Gavin Wilkinson
Dolly Jocelyn Prah
Polly Peachum Kate Batter
Lockit Kraig Thornber
Suky Louise Dalton
Molly Natasha Leaver
Lucy Lockit Olivia Brereton
Mr. Peachum Robert Burt
Filch Sean Lopeman
Jack Taite-Elliot Drew
Robin Wayne Fitzsimmons
Et les musiciens de l’ensemble Les Arts Florissants
Direction et clavecin (en alternance) William Christie ou Florian Carré ou Marie Van Rhijn
Recherches musicales Anna Besson et Sébastien Marq
Edition musicale Pascal Duc (les Arts Florissants)

L’ÎLE DES PLUIES. UN ROMAN BRETON PAR MARC GONTARD

Sorti en 2018, L’île des pluies (éd. Goater), de Marc Gontard raconte le conflit à la fois actuel et historique entre l’ouverture à l’Autre et le repli sur Soi. Après De sable et de sang, Fractales ou encore Granville Falls, l’ancien président de l’Université Rennes 2 propose pour son sixième livre un roman policier retraçant l’histoire sombre d’une île bretonne et de ses habitants, loin du monde ouvert et mondialisé du continent. Frisson au cœur de l’étoile…

ile des pluies marc gontard

Extrait : « Il y a quelques passagers. Des visiteurs, venus pour la journée. Je reconnais aussi quelques îliens qui rentrent du continent. Je reste là, un instant, accoudé au garde-fou qui protège le sentier. Un gros rondin de bois poli par le frottement des mains. C’était la place du recteur, autrefois, quand il venait assister à l’arrivée du courrier. J’étais un gosse solitaire et assez renfermé. Ceux du continent m’intimidaient. Je me coulais derrière lui, connaissant d’avance sa réaction… Si les estivantes avaient le malheur de débarquer en maillot de bain ou si elles portaient un short trop court, il DÉVALAIT quatre à quatre les escaliers pour les rabrouer vertement. Tout cela a bien changé aujourd’hui ! »

Dans le brouillard tempétueux d’une île du golfe du Morbihan, cloîtrée sur elle-même et dans les méandres du genre humain, le visiteur et encore moins l’étranger ne sont les bienvenus. Le tableau est manichéen, l’écriture un peu machinale. S’y cachent pourtant une généreuse sensibilité, une véritable pensée engagée sur des questions de communautarisme et une philosophie du rapport à l’altérité.

Les 5 branches de l’étoile

Le roman se découpe en cinq parties pour autant de narrateurs-personnages : Jean, vieux pêcheur ; Gwenal, son fils ; Ben, maire de l’île et Louisa, sa femme devenue folle ; enfin Stella, journaliste au passé trouble, venue du continent faire la lumière sur le passé de l’île. Au travers de ces cinq personnages coexistants, l’auteur nous présente la même histoire, les mêmes faits divers selon différents points de vue. Tantôt celui de l’ouverture, de l’ostracisme, de la recherche du passé, de la quête d’un avenir, ici ou ailleurs; et de la folie… Les grandes peurs se mêlent aux grands espoirs, et les esthétiques diffèrent : du maire « patriote » qui voit son île comme une femme pure et blanche, à préserver, jusqu’au jeune homme aventureux qui découvre le mélange des couleurs de peau, la croisée des chemins. Si la technique narrative de la multiplication des points de vue n’a rien de révolutionnaire, son emploi semble parvenir, dans L’île des pluies, à donner du relief et de la profondeur de champ à une histoire sans grands enjeux a priori. Comme si l’auteur allumait plusieurs phares dans les ténèbres du grand large, pour une meilleure orientation de la pensée du lecteur…

ile des pluies

« C’est ça l’étoile de mer. 5 bras munis de granules calcaires et d’épines, autour d’une bouche invisible. Qui tue. »

La métaphore de l’étoile de mer revient régulièrement dans le livre. Cinq actes à ce roman, comme cinq branches d’une même étoile. Au centre, c’est le meurtre (celui de Gourvenn, celui de Malick) et l’animosité de l’homme pour l’homme. Dans la tradition du roman policier, les masques sont de sortie, les vérités sont cachées et l’opiniâtreté des chercheurs de vérités ne suffit pas toujours à révéler les secrets enfouis dans la mémoire des lieux, des êtres. Il faut s’y reprendre à plusieurs fois, passer par plusieurs chemins, plusieurs « bras » pour comprendre ce qui se joue réellement au centre de l’histoire des personnages de Gontard. Une histoire de violence que l’auteur fait remonter aux temps des colonisations, puis à la Libération, avec l’Épuration et la justice expéditive faite aux femmes… qui semble avoir disparu de la mémoire des îliens. Un passé que l’auteur, armé de quelques personnages sensibles, s’attache à faire resurgir pour mieux la comparer avec la situation présente. C’est alors que l’œuvre devient politique, en créant des ponts entre le passé et le présent. En faisant se rencontrer la violence aveugle des épisodes « d’épuration » de 1945 et la violence xénophobe de 2018, il leur attribue une source commune : le repli de l’homme sur l’homme ; la mort du goût de l’autre.

« Tout le monde sur le pont ! À la télé, sur BFM, on parle des élections. Je monte un peu le son. Inquiétude. La France est divisée en deux, ceux qui prônent l’ouverture, sans crainte de la mondialisation, et ceux qui veulent fermer les frontières, quitter l’Europe et se replier sur le territoire… »

Sans faire preuve d’un génie particulier dans le domaine ancestral de la dissimulation/révélation, l’auteur a tout de même le talent de nous garder accrocher à l’histoire et de nous rappeler à l’Histoire. Histoires qui ne sont finalement ici qu’un prétexte à une réflexion plus globale sur le rôle d’un pays comme la France face aux défis contemporains : migrations, mondialisation, guerres etc., avec des tirades comme celle de Stella : « Que peut une économie refermée dans ses frontières qui n’aurait pas su développer de nouvelles compétences pour affronter une mondialisation dont tout le monde sait qu’elle est inscrite dans l’histoire de la planète ! Nous ne sommes pas seuls sur le globe, même si nous avons la chance de vivre sur un territoire privilégié. Il faut penser aux autres. Notre survie dépend aussi de la leur… »

La réponse de l’auteur est celle de l’amour – ici entre deux jeunes personnages – et de l’ouverture curieuse à l’étranger, à l’inconnu. Ouverture à la différence de l’Autre, à sa faculté de mettre en relief nos propres spécificités. Une prise de position convenue mais un sentiment décrit avec habileté par Marc Gontard, qui délaisse en bout de course le politique pour s’attacher au sensible, ramenant le débat à des questions d’Humanité profonde.

L’Île des pluies de Marc Gontard – Éditions Goater – collection « La Société des gens » – 256 pages. Parution : 15 mai 2018. Prix : 18€.

éditions goaterl'ile des pluies

Marc Gontard est écrivain et professeur de lettres modernes. Il a enseigné les littératures francophones dans diverses universités notamment à Fès (Maroc) et à Rennes II-Haute Bretagne, université dont il fut d’ailleurs le président de 2005 à 2010. Il est spécialiste des littératures de langue française et des littératures de l’altérité, notamment de l’oeuvre de Victor Segalen et des littératures maghrébines.

LA COLLECTION DE LUDOVIC LAGARDE, INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DE L’ÉNIGME

Créée en résidence au TNB, La Collection, mise en scène par Ludovic Lagarde, est donnée jusqu’au 25 janvier 2019. Depuis sa première création française en 1965, le mélodrame énigmatique du Britannique Harold Pinter a rarement été jouée en France, et jamais dans une nouvelle traduction. C’est donc une quasi exclusivité qui est proposée au public rennais !

La Collection, écrite en 1961 et créée pour la première fois à la scène en 1962 au Aldwych Theatre de Londres, est la quatrième pièce de Harold Pinter, fameux dramaturge et prix Nobel de littérature en 2005. En France, elle n’avait jusque-là connu que cinq mises en scène, dont deux de Patrice Kerbrat (1973 et 2000). La dernière en date a été produite par Thierry Harcourt, en 2018. Mais contrairement à ses prédécesseurs proches ou lointains dans le temps, Ludovic Lagarde abandonne la traduction de Éric Kahane (celle de la première création française et de l’édition Gallimard de 1967) pour confier le travail du texte à son collaborateur de longue date, l’écrivain Olivier Cadiot. Remaniement, à peine perceptible, visant, non pas vraiment à moderniser un texte vieux de moins de soixante ans, mais tout juste à le rendre plus naturel aux oreilles du public actuel.

olivier cadiot ludovic lagarde la collection tnb
Depuis Sœurs et frères en 1993, Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde ont travaillé ensemble sur de nombreuses adaptations.

La même subtile évolution apparaît dans des détails de mise en scène, transformés par rapport aux indications scéniques précises du texte de Pinter. Exit la cabine téléphonique au centre de la scène, censée séparer les intérieurs domestiques respectifs de Harry et Bill et de Stella et James. Elle est avantageusement remplacée par de petites enceintes portatives qui se fondent dans le décor des deux salons et sur lesquelles les personnages tapotent pour décrocher et mettre ainsi fin au bip familier et lancinant qui envahit la salle dès le début du spectacle et qui revient de manière récurrente au cours de l’acte unique de la pièce, créant effets de pause, d’attente et de suspens dans ce mélodrame à l’intrigue opaque et pourtant si éculée, celle d’une infidélité conjugale.

Les deux intérieurs bourgeois nous font face. À gauche (côté jardin) le salon spacieux, blanc et molletonné où vivent le couple marié de James et Stella (« l’appartement de James, à Chelsea, quartier voisin de Belgravia, fréquenté par les artistes »). À droite (côté cour), l’intérieur plus sombre, à l’ameublement austère mais élégant, de la maison de Harry (« la villa de Harry à Belgravia, un quartier résidentiel de Londres »), où il vit avec Bill au nom d’un lien trouble. Sont-ils juste des amis et collègues vivant ensemble ou bien des amants ? La suggestion d’homosexualité que taisait sourdement le texte de Pinter (quoiqu’une colocation entre un homme mûr et un jeune dandy ne devait pas apparaître anodine dans les années soixante) est ici assumée par des sous-entendus appuyés ou des gestes explicites.

Les deux espaces mis en parallèle, séparés par un mur invisible, forment une disposition scénique complexe mais rendue particulièrement claire et dynamique par la mise en scène. L’alternance soignée de l’éclairage marque le passage d’un intérieur à l’autre dans l’enchaînement de l’action. Les scènes se déroulent parfois l’une à côté de l’autre, se reflètent ou s’enchâssent. Le jeu spatial donne un premier indice sur le mystère qui se dessine dans les premières scènes de la pièce : Bill rompt le mur invisible pour dévoiler que la maison de Harry déborde en fait sur le côté gauche de la scène (jardin) et que l’apparent parallèle stricte cachait une imbrication des espaces, comme des personnages.

Bill (Micha Lescot) et Stella (Valérie Dashwood).

La vie très quotidienne des personnages, dans laquelle on perçoit toutefois dès le début une forme de bizarre théâtral, d’incongru dans les situations, de saugrenu dans les dialogues et de malaise tensif, est en effet troublée par une affaire des plus banales mais qui résistera pourtant aux explications tout au long de la pièce. James accuse Bill d’avoir couché avec Stella. Bill dément. La situation est posée. Elle paraît simple, mais s’obscurcit au fil des différentes confrontations entre les protagonistes, où la vérité reste insaisissable. Les versions de ce qui a pu se passer cette nuit, dans cette chambre d’hôtel à Leeds, s’enchaînent, se contredisent. Les échanges se tendent peu à peu, tout en oscillant entre échappées absurdes, sarcasmes caustiques, et situations gênantes.

la collection ludovic lagarde harold pinter
James (Laurent Poitrenaux), Harry (Mathieu Amalric) et Bill.

Le jeu des acteurs a le mérite d’accentuer le potentiel comique du texte. C’est donc dans une légèreté troublante que la tension grimpe, se révélant par l’ironie mordante qui gagne les personnages. Elle prend différentes formes selon les protagonistes, et se manifeste par une riche palette de jeux d’acteurs. James, (Laurent Poitrenaux), mari trompé contenant sa rage, toujours au bord d’exploser, explosant finalement. Bill (Micha Lescot), dandy élégant et talentueux (probablement styliste, tous les personnages travaillent dans la mode), plaisantin ne prenant rien au sérieux mais se prêtant volontiers au jeu pour rompre son ennui. Harry (Mathieu Amalric), vieux beau désabusé qui subit la situation puis qui cherche à la résoudre, sans qu’on sache à quel point il en souffre (se sent-il trompé aussi ?). Enfin Stella (Valérie Dashwood), belle, sensuelle, dont la suprême ironie réside dans le silence, dans l’inexpliqué, peut-être inexplicable. Image même de l’énigme que représente la femme pour l’homme. Stella qui rappelle Flore, le personnage du Printemps de Botticelli ornant la couverture de L’Ironie de Jankélévitch, celle qui, comme Stella, sourit en nous regardant parce qu’elle sait que malgré toutes les investigations, les questionnements, les déblatérations ou les volumes écrits, on ne saurait jamais ce qu’elle pense, car elle est la seule à savoir ce qu’elle pense et pourquoi elle pense ainsi, la seule à avoir le fin mot de l’histoire, la clé de l’énigme.

L’ironie, Vladimir Jankélévitch, Flammarion, 1964.

La Collection, résolument moderne, élude le dénouement. Elle dit non à une vérité pré-obtenue à des fins de résolution dramaturgique, c’est là son réalisme, et laisse les personnages, comme les spectateurs, dans le théâtre de leurs interrogations, c’est là sa force. Mais la mise en scène de Ludovic Lagarde, ainsi que la performance des quatre acteurs, mêlent une légèreté rafraîchissante au grinçant et à l’absurde du texte de Pinter, et font de la pièce un bel hommage au théâtre britannique et une belle occasion théâtrale à ne pas manquer pour le public rennais !

la collection ludovic lagarde harold pinter

TNB
MER 16 01 20h00

JEU 17 01 19h30
VEN 18 01 20h00
SAM 19 01 15h00
LUN 21 01 20h00
MAR 22 01 20h00
MER 23 01 20h00
JEU 24 01 19h30
VEN 25 01 20h00

SALLE VILAR
DURÉE ESTIMÉE 1H20
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RENNES, LE LABEL CHARBON VA RÉCHAUFFER TA MAISON COMME AVANT !

Charbon est un nouveau label rennais lancé fin 2018. Il sort sa première release samedi 19 janvier 2019, un EP de 70’s Network intitulé Netwurkkin. Unidivers a rencontré deux des fondateurs du label, Gaspard Aillet et Maxime Simon, mineurs de son.

Unidivers : Quel rôle assurez-vous dans Charbon et quel a été le parcours musical qui vous a conduit dans cette nouvelle aventure ?

Gaspard : J’assure la direction artistique du label. Je suis DJ et membre du collectif Chevreuil, qu’on a créé avec Romain Trochet il y a quatre ans. Je joue, sous l’alias Abile, et je m’occupe de la programmation musicale de nos soirées. L’idée de Charbon est née à force de graviter dans ce monde, grâce à des rencontres, dont celle, importante, de Ringard. Il est producteur depuis dix ans, dont cinq au sein de son label Dance Around 88. L’idée me chatouillait depuis un moment. L’été dernier, je discutais avec 70’s Network qui m’a assuré que si je lançais mon label il serait ravi d’en faire la première sortie. C’est ce qui a achevé de nous motiver.

charbon label rennes
Gaspard, alias Abile, tête pensante, tête dansante !

Maxime : Pour ma part, je suis un des artistes du label, j’officie sous le nom de 440Hz. J’ai commencé à écouter de la musique électronique il y a cinq ans, en arrivant à Rennes, grâce aux nombreuses soirées qui y sont proposées. Comme j’étais musicien, j’ai poncé Ableton Live (N.D.L.R. : logiciel permettant la composition et l’arrangement mais aussi l’interprétation en concert). Après avoir beaucoup joué dans ma chambre, je me suis produit au Chantier, où j’ai rencontré Gaspard. Depuis j’ai continué à bosser à fond la production et le live pour affiner mon style musical. Je me suis aussi mis au DJing sur vinyles depuis un an, mais la production reste mon domaine de prédilection. C’est aussi lié à mon métier puisque je suis ingénieur son : je travaille avec des artistes sur le mixage de leurs morceaux et je suis technicien radio. J’avais du mal à passer de l’autre côté, à jouer hors de chez moi. Grâce à Gaspard, j’y suis parvenu. Après notre rencontre au Chantier, il m’a programmé à plusieurs événements. Quand il m’a parlé de son idée de label, je trouvais évident de l’accompagner dans l’aventure.

charbon label rennes
Maxime, alias 440Hz, était l’un des gagnants du tremplin Astropolis 2018.

Unidivers : « Charbon va réchauffer ta maison comme avant », peut-on lire sur votre page Soundcloud. Pourquoi ce nom ? Reflète-t-il une ligne musicale particulière ?

Gaspard : On ne veut pas s’enfermer dans une ligne musicale qui nous restreigne mais plutôt se laisser la possibilité d’un choix large dans les musiques électroniques. La première sortie est axée lo-fi (N.D.L.R. : low-fidelity, expression désignant des méthodes d’enregistrement visant à produire volontairement un son « sale »), la prochaine sera complètement différente. Ce qui nous plaisait, c’est l’image du mineur qui bosse toute la journée, qui cherche et cherche encore. Ce travail acharné permet à l’artiste de se trouver en proposant de la qualité et c’est le fruit de ce travail qu’on veut proposer dans Charbon.

Et puis il y a ce que le charbon peut évoquer graphiquement : un côté sombre, les reliefs de la matière, des textures qu’on aime retrouver dans la musique, dans les crissements, les crépitements, les saturations, les bruits crades, quelque chose qui ne soit pas lisse, comme si le disque était rayé… Mais on ne veut pas se fixer une ligne directrice trop fermée parce qu’on voudrait faire perdurer le label, et on ne sait pas ce qu’on écoutera dans trois ans. On veut pouvoir suivre les inspirations qui nous parlent.

Maxime : Sans aller trop dans le chelou, on ne veut pas faire de standardisé. Peut-être qu’on pourrait définir notre ligne directrice par un léger décalage qui crée un univers commun.

Unidivers : Pouvez-vous nous parler du premier artiste produit par Charbon, 70’s Network ?

charbon label rennes 70's NetworkGaspard : 70’s Network, alias Wesley, est un DJ et producteur qui vient de La Tremblade en Charente-Maritime. Il s’est mis à la musique à ses huit ans, d’abord à la batterie puis à la guitare. En évoluant dans la musique, il a découvert des nouveaux styles, dont la house et la techno. Il s’est mis à produire chez lui et à s’acheter des machines, il a désormais un set up assez complet. On s’est rencontrés par des amis communs, on a fait des soirées ensemble, joué ensemble et c’est devenu un bon ami.

Maxime : C’est aussi un grand charbonneur ! Sur l’EP, le travail du son est remarquable. Il fait lui-même le mixage et le mastering, avec beaucoup de talent. Cela lui permet de développer une identité très marquée. Le danger du lo-fi est de se complaire dans un son crade, ce qui ne suffit pas pour produire quelque chose de qualité. En l’occurrence, il me semble que 70’s Network a trouvé le juste équilibre.

Unidivers : Des détails sur cet EP, Netwurkkin ?

70's Network Netwurkkin charbon label rennes

Gaspard : C’est le deuxième EP de 70’s Network, après une première sortie chez Lobster Theremin. Il est composé de quatre titres, très axés lo-fi pour les trois premiers morceaux, le quatrième est davantage jungle, rave, UK (N.D.L.R. : la bass music ou UK bass est un genre musical né au Royaume-Uni et qui mélange les influences des styles drum and bass, bassline, dubstep et UK garage, notamment). Ce sont des textures vintages qu’il affectionne, où on reconnaît l’influence du hip hop ou de vieux tubes de dance music parfois.

Unidivers : Netwurkkin sort le 19 janvier en version digitale. Il sera disponible à la vente sur votre page Bandcamp au prix de 4€ (et 1€ le morceau). Est-ce que vous envisagez aussi de presser des vinyles, pour cette sortie ou pour les prochaines ?

Gaspard : Évidemment, sortir des vinyles est un rêve. On va attendre de rentrer un peu d’argent avec les premières sorties et on espère pouvoir presser des vinyles pour la troisième sortie.

charbon label rennes release party

Unidivers : à l’occasion de cette sortie vous organisez le soir-même une release party au 1988 Live Club où sont programmés 70’s Network, vos deux alias, Abile et 440Hz, ainsi que le duo Klass Sirius. Est-ce un indice sur votre prochaine sortie ?

Gaspard : Oui, c’est une façon de présenter les artistes des premières sorties du label. Après 70’s Network, Klass Sirius sera la deuxième sortie de Charbon. C’est un duo de machinistes bien équipés puisqu’ils ont une dizaine de machines à eux deux. Je les ai déjà vu jouer différents live et leur performance ne fait que s’améliorer. Pour cette soirée ils présenteront leur nouveau live, on est ravis qu’ils se joignent au plateau ! La troisième sortie sera assurée par Maxime, alias 440Hz. Pour la quatrième sortie on prospecte encore, mais on a déjà quelques filons.

Unidivers : La musique électronique est désormais bien implantée dans la région. Charbon rejoint les rangs de nombreux labels bretons. Avez-vous des modèles dans le paysage culturel régional ?

Maxime : Côté production, je suis parrainé par Blutch. C’est d’ailleurs aussi le graphiste de Charbon, tant qu’il n’est pas encore trop pris par sa carrière musicale, puisqu’il fait désormais partie du label d’Astropolis. Il y a aussi Yann Polewka, de Texture. Moins connu, un artiste comme Berg Jaär, un gros malade de l’analogique qui a sorti un EP sur le label A.R.T.S..

Gaspard : Pour les maisons de disques, on peut citer Tripalium Corp., Pulse Msc ou encore Vielspaβ. Et puis je parlais tout à l’heure de Dance Around 88, le label de Ringard, un modèle pour moi. On aimerait bien le signer sur Charbon. Pour boucler la boucle.

CHARBON LABEL
Booking // charbonlabel@gmail.com
Chargée de production et de communication // Youmna Ghanem
Graphiste // Julien Porhel

La Bretagne bouillonne de labels ! Samedi 9 février 2019, le festival Astropolis et La Carène (Brest) les mettent à l’honneur lors d’une émission spéciale Tsugi Radio et un Astroclub BZH Labels Night.

ENTRETIEN AVEC TI NAMO ROI DE TIKOPIA (NOUS TIKOPIA NOMINÉ CÉSAR 2019 MEILLEUR DOCUMENTAIRE)

En hommage à la sortie du documentaire « Nous, Tikopia » le 7 novembre 2018, la région Bretagne a reçu la visite du roi de l’île de Tikopia, Ti Namo. Comme nous l’apprend le documentaire de Corto Fajal, la tâche du jeune monarque est de « maintenir les conditions de vie de son peuple et de les transmettre aux générations à venir ». Un fardeau bien lourd à porter, dans une période de grande précarité et d’importants défis écologiques pour ce petit territoire du Pacifique (5km²) et ses 2000 habitants. Nous sommes allés à Longaulnay chez Corto Fajal où nous l’avons rencontré lui, ainsi que Sa Majesté Ti Namo.

Ti Namo, roi de l’île de Tikopia, une île des Salomon, voyage pour la première fois hors de son territoire. Accompagné d’une délégation de 5 Tikopiens et du documentariste Corto Fajal, son road-trip français l’amène cette semaine en région bretonne. Il a été reçu le mercredi 31 octobre par le Président de région Loïg Chesnais-Girard, à l’Hôtel de Courcy (Hôtel de Région), à Rennes. L’objectif était d’afficher l’entente entre les deux partis, ainsi que leur volonté commune d’imaginer des moyens de lutter contre le réchauffement climatique. Car c’est bien par le climat que l’île se trouve aujourd’hui la plus menacée.

ti namo tikopia

La civilisation trois fois millénaire des Tikopiens doit affronter jour après jour des phénomènes tels que la montée de l’océan, la recrudescence des cyclones (due au dérèglement climatique) ou plus grave encore, des pénuries d’eau potable ; des problématiques venues du « monde extérieur » (le nôtre), dont l’île de Tikopia vivait complètement isolée il y a quelques décennies seulement. Aujourd’hui, alors que les impacts du mode de vie occidental impactent la planète entière, Ti Namo n’a plus d’autre choix que de s’ouvrir à lui, pour y chercher les remèdes à ses maux…

tikopia ti namo

De part sa situation péninsulaire et les nombreuses îles qui la composent, la région bretonne est une des premières régions françaises touchées par le dérèglement du climat. Il y a donc de solides raisons pour la Bretagne de se montrer solidaire avec l’île tikopienne. C’est une des raisons pour laquelle la région Bretagne a soutenu le tournage du film « Nous Tikopia » du documentariste breton. Après s’être intéressé aux éleveurs de rennes du Grand Nord jusqu’en 2010, Corto Fajal a passé ces 6 dernières années à la réalisation d’un film sur Tikopia, île de l’archipel des Salomon. 3 expéditions successives ont été nécessaires à l’aboutissement d’un projet plus que cinématographique. Des moyens ont également été alloués par la Communauté de Communes « Bretagne Romantique » où réside le cinéaste.

ti namo tikopia
De gauche à droite, Le Président de la Bretagne Romantique; Ti Namo (roi de Tikopia); Le Président de la région Bretagne; et Corto Fajal.

Au-delà de la relation artistique et diplomatique, les deux parties (Tikopia et la Région Bretagne) disent vouloir parler d’une véritable relation d’échange et de collaboration. Face aux combats écologiques communs, le Président de la Région Loïg Chesnais-Girard a souligné tout ce que le mode de société tikopien pouvait avoir d’instructif pour le nôtre. Par exemple, là où notre société occidentale se considère propriétaire de la terre qu’elle foule, la société tikopienne, elle, ne s’en considère que comme l’hôte privilégiée, la partenaire. Cette différence d’appréhension du territoire induit chez les Tikopiens des comportements d’une grande justesse écologique [à découvrir dans le film] et un sens des responsabilités à cet égard qu’il nous faut remarquer et dont il nous faut apprendre.

De leur côté, les Tikopiens disent pouvoir s’enrichir du savoir-faire technique occidental, par exemple en matière de gestion de l’eau potable. Sur le plan international, c’est par le biais juridique que Ti Namo et son peuple pensent pouvoir s’exprimer plus largement (depuis les Accords de Paris) et la France pourrait devenir un acteur privilégié et bienveillant dans ce dialogue. Dans les deux camps, il s’agit d’avancer main dans la main vers un avenir plus souriant que celui qui semble promis à chacun des deux territoires.

« Nous Tikopia », de Corto Fajal, est sorti dans les salles de France le 7 novembre 2018.

RENNES BREIZHICOOP, ÉPICERIE COOPÉRATIVE ET PARTICIPATIVE

Faire vos courses dans l’épicerie Breizhicoop, c’est à la fois en être client, travailleur et propriétaire ! Voilà ce que propose Breizhicoop, la première épicerie participative de Bretagne. Vendre à prix équitable des produits sains, locaux et choisis par les clients, tel est l’objectif de ce projet social et solidaire. Une première étape, car l’ambition de l’association est d’ouvrir à terme un grand supermarché Breizhicoop. Le lancement de l’épicerie est prévue en mars 2019 dans le quartier du Blosne (Rennes).

breizhicoop

L’association Breizh’i Potes, à l’origine du projet Breizhicoop, ouvrira début 2019 une épicerie au sein du centre commercial Sainte-Elisabeth dans le Blosne (Rennes). Première étape avant un éventuel supermarché, ce lieu-test poursuit deux objectifs principaux : « favoriser le développement de filières de production durables, respectueuses de l’environnement et des humains » et « permettre à chacun et chacune d’améliorer sa consommation selon ses moyens et ses convictions », selon le site internet de la coopérative.

« Nous souhaitons reprendre le pouvoir sur notre alimentation, avec un projet responsable, engageant et générateur de lien social entre les habitants de notre métropole Rennaise. »

Faire bouger les lignes, perturber les codes du « faire ses courses », c’est l’une des visées de Breizhicoop. Le magasin, basé sur un système coopératif et participatif, sera ouvert à tous à condition d’en devenir membre et de participer au fonctionnement du magasin. Autrement dit : on n’y entre pas comme dans un moulin, on s’y implique durablement ! Nous vous avons détaillé ci-dessous ce système fondé sur l’horizontalité et la gestion collective…

Qu’est-ce qu’une épicerie coopérative et participative ?

Le modèle coopératif : Une coopérative est une entreprise financée par ses membres, qui la gouverne selon le principe démocratique « 1 personne = 1 voix ». Chaque coopérateur achète une (ou plusieurs) part(s) de l’entreprise et peut participer de manière égale à la gestion de celle-ci. Chez Breizhicoop, il s’agit d’un investissement de 90 € par coopérateur (ou 30€ pour les personnes bénéficiant des minima sociaux). Il faut être coopérateur pour pouvoir faire ses courses dans le magasin et participer à sa gestion.

Ce modèle doit permettre l’indépendance morale et financière de l’entreprise et le pouvoir de chacun des membres sur les orientations de celle-ci. Pour ses utilisateurs, c’est la garantie d’une entreprise éthique ou, du moins, à leur image.

coopérative breizhicoop

Le modèle participatif : L’autre condition pour avoir accès aux produits de l’épicerie, c’est la participation active à son fonctionnement. Chaque membre doit consacrer 3 heures de bénévolat mensuel à Breizhicoop. Grâce à ce système de bénévolat où « chacun fait un peu », la masse salariale est considérablement réduite et le prix des produits s’en ressent. Breizhicoop espère proposer à terme, des prix « 20 à 40% moins cher que dans la grande distribution à qualité équivalente », lorsque le supermarché existera [voir suite de l’article]. De quoi rembourser l’investissement de chaque membre…

la louve breizhicoop
La Louve. Premier et plus grand supermarché coopératif-participatif de France. Paris.

De New-York à Paris : Breizhicoop s’inspire librement du modèle de la Louve, premier supermarché coopératif et participatif de France. Fort de ses 1450m² et de ses 6000 membres, ce supermarché parisien est une réussite prouvant sue le modèle peut fonctionner et séduire un public français. Il s’inspire lui-même du plus bel exemple mondial de supermarché coopératif et participatif : le Park Slope Food Coop de New-York, créé en 1973. Ce magasin compte 16 000 membres et est notamment reconnu pour ses prix ultra-compétitifs. Son fonctionnement démocratique et non-lucratif lui permet aussi d’être très réactif sur le plan éthique et politique, en organisant par exemple régulièrement des boycotts à l’encontre des marques ne respectant pas l’environnement ou le travail des producteurs.

Re-créer du lien

Une des valeurs fondamentales affichées par Breizhicoop est la génération de liens, économiques oui mais aussi humains, sociaux.

D’abord, des liens entre le magasin et ses clients. La Vice-Présidente de la Coopérative Breizhicoop, Nora Duval, constate : « Aujourd’hui, comme la plupart des gens, je n’ai aucun plaisir à faire mes courses. Produit bio, pas bio, peu importe, ce n’est pas un endroit où ça me plaît d’être ». Selon elle, lutter contre la froideur kafkaïenne des rayons de supermarché, cela commence par y réintroduire du social. « L’idée de Breizhicoop c’est qu’on y retrouve des connaissances, des copains, des amis, qu’on soit content d’être là parce que la semaine dernière on a passé 3 heures à faire les rayons ou la caisse. Je sais qu’à la Louve à Paris certaines personnes restent tout le samedi après midi dans le magasin tant ils s’y sentent bien ! » Passer son temps libre à flâner et papoter dans les rayons, une idée farfelue ? Nora voit les choses sous un autre angle : « C’est nous les propriétaires du magasin. On ne se sent pas étranger à l’endroit, on y est attaché, ainsi qu’à tout ce qui s’y trouve ». Autre détail qui permettrait de réchauffer les cœurs sans briser la chaîne du froid : le mobilier, tout fait de bois.

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Egalement du lien entre les villes et les campagnes, soit entre petits producteurs et clients urbains. L’idée est de développer les circuits-courts en se fournissant localement ; d’aider ainsi le développement des petits producteurs régionaux ; de permettre la rencontre entre ces producteurs et les adhérents du supermarché afin de créer une relation de confiance voire de reconnaissance mutuelle. Parmi les valeurs fortes du projet se situe la juste rémunération des producteurs et la valorisation des produits de qualité (locaux et issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement).

« L’objectif de Breizhicoop est de fournir, au prix le plus bas possible, les meilleurs produits qui soient » stipule Nora Duval. Toutefois, l’objectif de vendre au-dessous du prix de vente en grande surface ne pourra pas être atteint dès l’ouverture de l’épicerie Breizhicoop. « On est sur des systèmes de volume. Avec l’épicerie on ne distribuera pas assez de volumes pour avoir des prix réellement compétitifs. » Patience donc, il faudra attendre l’ouverture du supermarché, d’ici quelques années, pour espérer atteindre des prix aussi détonnants que ceux de Park Slope Food ou de la Louve…

De la magie citoyenne ?

Au travers de ce projet coopératif s’exprime fortement la notion de pouvoir du citoyen. Celui d’asseoir des valeurs personnelles ou collectives via un projet, parfois en contradiction avec le modèle sociétal classique; celui d’innover et de bousculer l’ordre économique ou politique, en s’organisant différemment et à des fins autres que pécuniaires ; celui d’unir des volontés individuelles au service d’un projet collectif. Des valeurs qui ne se portent pas sans effort : « Finalement ce qui peut être le plus compliqué dans ce genre de projet, c’est qu’on est tous des personnes avec chacun nos rêves, nos espoirs, nos envies… et de se réunir autour d’un seul projet, je crois que c’est ça qui est à la fois le plus compliqué et le plus beau » constate la vice-présidente, soulignant qu’un projet de longue haleine comme Breizhicoop (déjà 2 ans d’existence) demande force patience, écoute et diplomatie pour réussir le défi du consensus. « On a mis en place une communication non-verbale en réunion pour ne pas se couper la parole. On sait se demander une précision, dire si on est d’accord ou pas d’accord, etc… le tout sans parler ».

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Une vision pro-active du citoyen qui séduit de plus en plus de monde en France, en particulier une jeunesse en quête de sens, recherchant davantage dans ses projets l’utilité sociale et le sentiment d’appartenance que la rentabilité économique. Ces procédés font aussi échos à des mouvements récents qui ont exprimés haut et fort la volonté de renaissance du citoyen comme acteur politique : par exemple le mouvement « Nuits Debouts », ou plus récemment celui des « Gilets Jaunes » qui revendique la mise en place du Référendum d’Initiative Citoyenne (le RIC).

« On ne se rend pas compte à quel point une population citoyenne est capable de choses extraordinaires » Nora Duval

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Carte de France des supermarchés coopératifs-participatifs. Framasoft. janvier 2019.

Nora Duval nous fait également part du lien de solidarité qui existe entre les différents projets de supermarchés coopératifs : « Il y a une solidarité entre les associations en France. La Louve à Paris et Scopéli à Nantes par exemple nous ont aidé au démarrage. Il existe même des « inter-coops » où se retrouvent les associations coopératives, pour partager nos expériences ». Bien loin de l’agressivité concurrentielle, mot d’ordre en cours dans notre société capitaliste.

Hyper-passé ?

En 2011, encore 72 % des dépenses alimentaires se faisaient dans les grandes surfaces. Toutefois les hypermarchés connaissent un recul progressif de leur fréquentation. Pourquoi les français boudent-ils les hypermarchés ?

Répondant aux besoins des ménages des années 70-80, avides de consommation, ce système de distribution fait aujourd’hui face à diverses concurrences ; à commencer par celle d’Internet qui attire par son choix et ses prix, et celle des nouveaux magasins de quartier faisant peau neuve. Selon Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire société et consommation (Obsoco), « Ces formats géants sont l’archétype d’une distribution de masse. Aujourd’hui, l’abondance qu’ils mettent en scène est davantage associée à la surconsommation et au gaspillage qu’au progrès ».

Panel consommation

« L’idée vient d’une volonté fondamentale, celle de se nourrir sainement, localement et à prix justes pour le producteur, comme pour le consommateur. » Breizhicoop

Dans ce contexte, est-il étonnant de voir des alternatives spontanément émerger ? Ce ne sont pas moins de 29 projets de supermarchés coopératifs-participatifs qui ont vu le jour en France, dont certains ont déjà ouvert – comme la Louve à Paris. Ces projets sont presque tous bénévoles et apparaissent comme l’expression populaire d’une méfiance vis à vis de la distribution de masse, souvent jugée irrespectueuse de l’environnement, du travail des producteurs et du bien-être du consommateur. Règne cette idée que si la consommation raisonnable et saine ne vient pas à eux, les citoyens iront à elle.

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Le chantier de l’épicerie Breizhicoop. Fin 2018. Rennes.

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« Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur l’impact négatif que peut avoir le secteur agro-alimentaire industriel sur l’environnement et les conditions de travail des producteurs. » Breizhicoop

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Un film est même sorti…breizhicoop

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LA KIPPA BLEUE DE DAVID ALLOUCHE OU DEVIENS QUI TU ES

La Kippa Bleue est le premier roman de David Allouche. Il conte la crise de foi de Sasha Cohen et l’émancipation familiale et spirituelle qui le conduira à l’âge adulte.

On est tellement bien comme ça, enlacés, à se raconter nos vies. Il est déjà trois heures du matin, mais Carla a l’air en forme. Je vais lui raconter mon histoire toute la nuit et, si ça lui plaît, demain, je lui raconte la suite. Et toutes les nuits comme ça…

Yom Kippour, le Jour du Grand Pardon, est une fête sacrée pour les Juifs pratiquants. C’est justement ce moment qu’a choisi Sasha Cohen pour annoncer à son père qu’il ne croit plus en Dieu, et qu’il souhaite prendre ses distances avec les traditions religieuses de la famille. Et ce n’est pas une mince affaire. Avant cela, il désire s’éprouver en vivant quelques aventures de son jeune âge (17 ans). Car il a la chance de pouvoir profiter d’un séjour parisien avant de revenir à Marseille pour ce Kippour !

Dans ce roman d’apprentissage, qui fonctionne à la façon d’un road movie, David Allouche aborde l’importance et l’influence des rencontres et des partages, les certitudes qui deviennent parfois des doutes, les incertitudes et les hésitations qui autorisent les questions et le parcours tumultueux vers le libre-arbitre, le début de l’autonomie. Au fur et à mesure de ses rencontres, Sasha, en quelques jours, bascule de l’adolescence vers le monde adulte. Et ce ne sera pas une sinécure, même si l’auteur parsème son récit d’humour à divers degrés.

Dans les bras de sa muse, la délicieuse Carla, Sasha, qui a toujours été identifié avant tout à un Juif séfarade, mesure les variantes d’un certain romantisme, découvre le plaisir sexuel qui souvent n’est rien sans sentiments. Son chemin vers l’émancipation se poursuit page après page.

Au-delà de l’histoire de Sasha, David Allouche, fin observateur, propose une réflexion à peine dissimulée sur l’importance de l’identité. Identité sexuée, identité sociale, identité psychologique, culturelle et cultuelle. C’est aussi un récit touchant sur le bonheur. Qu’est-ce que le bonheur ? Le bonheur en soi existe-t-il réellement ou doit-on simplement se réjouir de multiplier les petits plaisirs quand nous avons appris à les reconnaître ? C’est, enfin, un roman sur l’amour, l’amour que découvre Sasha dans les bras de Carla, l’amour qui lie des êtres au sein d’une même famille. Et quand les non-dits s’en mêlent ou s’emmêlent, c’est encore plus haletant.

La Kippa bleue de David Allouche – Éditions Eyrolles – 168 pages. Parution : 15 novembre 2018. Prix : 14,00€.

kippa bleue david alloucheDavid Allouche
, diplômé de Télécom ParisTech et de l’ESSEC, est économiste et conférencier. La Kippa bleue est son premier roman. « J’écris quand je suis heureux et j’écris pour donner de la joie. »

BD. DU COTÉ DE CHEZ SWAN SANS PROUST MAIS AVEC NEJIB

En racontant les prémices du mouvement impressionniste, Néjib débute la chronique d’une vie parisienne des années 1860. Quand la peinture reflète la société, elle devient le support d’un feuilleton passionnant.

NEJIB SWAN TOME 1

Les planches dessinées de Néjib sont facilement reconnaissables : des traits noirs puissants et structurés qui entourent les personnages, les figeant, donnant une priorité au dessin, ce dessin si cher au maître Ingres pour qui la couleur n’est qu’une « tentatrice fatale ». Mais à ce dessin reconnaissable Néjib apporte son originalité en adjoignant une ou deux couleurs par page, comme pour éclairer les scènes d’une manière originale en distinguant l’essentiel du secondaire. On peut alors s’étonner que l’auteur, qui s’était fait connaître avec le formidable Stupor Mundi choisisse comme thème de sa BD suivante la naissance et l’aventure des impressionnistes, ces peintres qui vont remplacer justement le trait par la couleur, et utiliser la lumière pour donner forme aux objets et aux êtres.

BD SWAN BUVEUR D'ABSINTHE

On ne sait comment le dessinateur relèvera ce défi dans les ouvrages suivants, mais dans ce premier opus, annoncé comme L’aventure des Impressionnistes, des impressionnistes il n’en est guère question. C’est plutôt une période incandescente de contestation artistique qui se déroule devant nos yeux. Des peintres établis comme Ingres, Couture, Cabanel, sont les supports d’un conservatisme pictural qui commence à se fissurer. Courbet et surtout Manet sont dans la BD les prémices et les annonciateurs d’une révolution qui arrive à grands pas, dont on ignore encore tout, mais dont les « rapins » vont déclencher l’étincelle comme l’annonce la première page. Pourtant Néjib ne limite pas sa BD à ces faits si connus et si souvent relatés. Son propos est plus large et constitue l’intérêt majeur de cet ouvrage : c’est le Paris des années 1860 qu’il s’attache à décrire grâce à l’œil neuf et étranger de Swan et de son frère Scottie, qui débarquent de New York chez leur cousin Edgar Degas pour toucher de plus près à ce monde artistique dont il rêve tant. Scottie, qui apporte dans ses valises un lourd secret personnel veut intégrer l’Académie des Beaux Arts. Swan, à l’encontre des mœurs de son temps, veut elle aussi créer, dessiner, peindre. En utilisant ce fil conducteur, Néjib peut ainsi élargir son propos et sa palette. Il est alors question d’homosexualité, de féminisme, de misogynie, de conservatisme et d’aveuglement bourgeois dans le décor d’un Paris qu’Haussmann est en train de détruire pour reconstruire une capitale moins accessible aux violences révolutionnaires.

BD SWAN BUVEUR D'ABSINTHE

Derrière les destins connus de Manet, ce dandy soucieux de renouveler l’art dans le cadre officiel du Salon, ou du triste Degas qui hésite encore entre la peinture d’Histoire, celle qui ouvre les portes de la renommée et les dessins de femmes saisies dans leur quotidien, Néjib réussit à nous conter une époque, où l’on se meut dans une société corsetée, rigide dirigée par l’hypocrisie et les apparences. Sans lourdes considérations, sans insistance, il nous apprend par touches impressionnistes de multiples petites et grandes histoires.
Loin des ouvrages didactiques ou historiques, la BD se lit comme un véritable roman policier : lettres cachées, secret de famille conduisent le lecteur à arpenter les salles du Louvre où officient par centaines des apprentis copistes comme les rues populaires de la capitale dans lesquelles Manet trouvera un apprenti qui deviendra son modèle enfantin.

BD SWAN BUVEUR D'ABSINTHE

Avec Swan, Néjib démontre avec talent que l’art épouse ou précède les mouvements de la société. Aussi les bouleversements sociaux à venir, liés à l’industrialisation croissante, annoncent-ils l’impressionnisme ? Nous le saurons avec le deuxième opus de cette série digne des feuilletons populaires publiés dans les journaux de l’époque.

BD SWAN BUVEUR D'ABSINTHE

Swan Tome 1 Le Buveur d’Absinthe. Auteur : Néjib. Éditions Gallimard Bande Dessinée. 180 pages. 22 €.

AVEC MINIATURES LA CIE MOSSOUX-BONTÉ PLONGE DANS L’ÂME HUMAINE

A Rennes, le Triangle Cité de la Danse accueille jeudi 17 janvier 2019 à 20h la Compagnie belge Mossoux-Bonté et leur création Les Miniatures, une série de quatre récits chorégraphiques – Vice Versa (2015), Alban (2017) Alecto (2018) et (At) the Crack of Dawn (2018). À la frontière entre danse et théâtre, solos, duo et trio se succèderont sur scène. Pour l’occasion, Unidivers a rencontré la danseuse et chorégraphe belge Nicole Mossoux. Entretien.

Patrick Bonté et Nicole Mossoux, Compagnie Mossoux-Bonté
Patrick Bonté et Nicole Mossoux de la Compagnie Mossoux-Bonté (Belgique) © Mikha Wajnrych

Unidivers : Fondée en 1985, la compagnie Mossoux-Bonté propose – à travers le langage chorégraphique et la musicalité du geste – une lecture de l’univers contemporain et particulièrement de l’âme humaine. Pourquoi ce choix ?

Nicole Mossoux : Notre histoire à chacun a certainement conduit à cette exploration. Patrick Bonté a fait des études de théâtre et une formation de romaniste (N.D.L.R. : équivalent d’une formation de Lettres en France). Avant notre rencontre, il a également touché à la mise en scène de texte, avec une forme d’insatisfaction quant aux limites du texte à aller fouiller l’âme humaine. Et aussi peut-être, avec la prémonition qu’il existe des états de présence au plateau qui n’ont pas besoin de mots et peuvent toucher (sans doute) une intimité plus étrange.

Les Miniatures Compagnie Mossoux-Bonté Le Triangle
Alecto, Compagnie Mossoux-Bonté © Mikha Wajnrych

Pour ma part, je viens du milieu de la danse (N.D.L.R. : Nicole Mossoux a notamment étudié à l’école Mudra de Maurice Béjart). Lors de la fondation de la compagnie dans le contexte des années 70, il était difficile de trouver dans les langages chorégraphiques – que j’ai pu découvrir à ce moment-là – des propositions autour du corps dansant, du corps glorieux, mais aussi autour de la perceptibilité et de sa faille, les failles intimes que l’on trouve en chacun.

Nos recherches respectives se sont croisées par le fruit du hasard. Nous avons présenté Juste Ciel, notre premier solo, tourné en 1985 au Mexique et en Afrique Noire. La réponse du public dans ces cultures totalement différentes se logeait au creux de l’intime – je me permets de reprendre ce mot parce que je le trouve important.

« Au-delà des différentes cultures, il existe un langage qui dépasse le corps et se partage » Nicole Mossoux (2018)

Ces premières tournées ont conforté notre désir d’explorer ces voies-là. Patrick Bonté a collaboré à la mise en scène et à la conception des Miniatures, mais aujourd’hui il ne travaille plus le texte.

Unidivers : Solos, duo et trio, Les Miniatures regroupe quatre récits dansés dont le premier est Vice Versa. Comment est né le projet ? Qui en est l’initiateur ?

Nicole Mossoux : Nous alternons l’initiative des projets dans la compagnie. La proposition vient tantôt de l’envie de Patrick de toucher à un univers, tantôt de la mienne. L’autre – au même titre que toute l’équipe – accompagne le porteur du projet et essaie de réaliser scéniquement ce qu’il a en tête. On signe toujours la conception séparément. C’est beaucoup plus clair de cette façon. Par contre, tous les projets sont réalisés ensemble.

Les Miniatures Compagnie Mossoux-Bonté Le Triangle
Vice Versa, Compagnie Mossoux-Bonté © Mikha Wajnrych

Concernant Les Miniatures, l’idée vient d’une chanson du québécois Michel Faubert, « Les Anneaux de Marianson », reprise d’une chanson médiévale normande anonyme du XVe siècle. Il y a au Québec une certaine propension à emprunter la culture traditionnelle francophone-européenne dont ils sont imprégnés. J’ai été touchée par l’histoire tragique de la chanson, vrai réquisitoire pour la place des femmes dans le monde. Elle dénonce une jalousie masculine complètement déplacée et un soupçon d’adultère qui finit très mal. Un accompagnement musical très contemporain, aux sonorités électroniques tourne en boucle derrière la voix de Michel Faubert. J’ai eu envie de plonger dans cette partition.

La compagnie a fait appel aux danseuses belges Frauke Mariën et Shantala Pèpe avec qui nous travaillons depuis longtemps et dont nous sommes très proches. L’idée était d’introduire du corps dans les mots et de figurer les images de la chanson sans pour autant l’illustrer. Vice Versa (2015) parle en quelque sorte de l’intimité entre deux femmes et de ces sociétés de femmes – dans les pays du Maghreb par exemple – qui se rassemblent et se rassurent. Loin du monde des Hommes – avec un grand H – et de la violence du monde, le corps se libère et s’exprime. Vice Versa n’est pas non plus un réquisitoire féministe, mais ce sont tout de même des femmes qui l’interprètent (rires).

Les Miniatures Compagnie Mossoux-Bonté Le Triangle
Alban, Compagnie Mossoux-Bonté © Mikha Wajnrych

Unidivers : Vice Versa, au même titre que les trois autres récits, est caractérisé par une absence totale de scénographie…

Nicole Mossoux : C’est en effet un principe que nous avons voulu poursuivre dans les trois autres miniatures. Dans le cas d’une présentation des quatre récits dans une même soirée, nous voulions alléger les éléments extérieurs comme le changement de décor. Une histoire économique entrait également en jeu au départ. Le projet n’étant pas budgété, la compagnie a décidé de tout réaliser elle-même. Des musiciens et costumières que l’on connaît sont venus donner un coup de main à l’endroit où ce n’est pas notre métier. On a vraiment essayé de mettre tout le budget dans le cachet des danseurs.

Les Miniatures Compagnie Mossoux-Bonté Le Triangle
(At) the Crack of Dawn, Compagnie Mossoux-Bonté © Mikha Wajnrych

Unidivers : Les Miniatures dégage un sentiment étrange, une familiarité qui peut être déstabilisante pour le spectateur. Une référence à la notion de Umheimlich du psychanalyste allemand Sigmund Freud – pas forcément bien traduite par « l’inquiétante étrangeté » en français – que vous abordiez déjà en 1994 avec le spectacle Twin Houses ?

Nicole Mossoux : La traduction française prend une connotation péjorative et effectivement le mot inquiétant n’est pas forcément correct. Umheimlich en allemand signifie ce qui est familier et ne l’est pas en même temps. L’étrange n’est pas spécialement inquiétant. Il interpelle, dérange, mais ne se loge pas seulement du côté de l’inquiétude. Cette notion est toujours plus ou moins présente dans nos recherches, en filigrane.

Twin Houses (1994) – Compagnie Mossoux-Bonté

Ce n’est pas un principe général pour le théâtre et ce n’est qu’un point de vue, mais si le contenu ressemble de trop près à ce que la rue ou le quotidien propose, je pense qu’il manquerait l’effet de découverte qu’il est possible de créer chez le spectateur. Ce léger dérangement du réel qui fait qu’une chose parfois minime – et pas spécialement spectaculaire, au sens du déploiement de technicité – peut venir chercher le public et, quelque part, le déranger. Le mot « déranger » n’est encore une fois pas forcément négatif. C’est plutôt un détail, une image ou un mouvement qui peut réveiller des souvenirs, des émotions. On entre dans un langage de suggestions. Patrick et moi sommes assez peu narratifs, le but étant de pousser le spectateur à se laisser aller et à remplir les vides lui-même.

Les Miniatures Compagnie Mossoux-Bonté Le Triangle
Alecto, Compagnie Mossoux-Bonté © Mikha Wajnrych

Unidivers : Chaque récit a été créé indépendamment les uns et autres et peut se présenter individuellement. (At) the Crack of Dawn arrive en fin de parcours dans Les Miniatures. Au vu du travail de la lumière, le récit semble se lire comme une ouverture en fin de spectacle.

Nicole Mossoux : Un chemin dynamique était nécessaire dans la suggestion des idées. Le spectacle commence par Alecto (2018), une pièce très sombre où l’image est centrée sur la déesse vengeresse pour ensuite passer à Vice Versa (2015) et au cheminement de ces deux femmes avant de retourner à Alban (2017) l’image de l’homme fleur, prisonnier de ses pulsions de vie et de mort.

Les Miniatures Compagnie Mossoux-Bonté Le Triangle
(At) the Crack of Dawn, Compagnie Mossoux-Bonté © Mikha Wajnrych

Le trio de (At) the Crack of Dawn (2018) vient en fin de spectacle comme il arrive en fin de soirée. Notre vision n’est peut-être pas celle du spectateur et ce point-là nous intéresse particulièrement, mais l’idée générale se résume à trois femmes qui se retrouvent sur la plage après une nuit improbable. Elles vont dépenser leurs dernières énergies dans un espace ouvert au lever du soleil – At crack of dawn se traduit par « À l’aube » en français.

« Sans parler d’optimisme, peut-être que (At) the Crack of Dawn agit comme une lueur, une ouverture sur la fin. Ça me plaît qu’elle se place en quatrième et dernière position… Nicole Mossoux (2018)

Unidivers : Quelle a été la réception du spectacle auprès du public ?

Nicole Mossoux : Vice Versa a déjà fait son chemin tout seul alors que les quatre ont été créés plus tardivement. Une session a été réalisée à Paris et Bruxelles. Les spectateurs n’ayant pas les mêmes histoires à raconter, les ressentis sont vraiment divers. Le mouvement lancinant de Vive Versa transporte les gens, mais il y a une chose très étrange, car au final, le public n’écoute pas vraiment le texte de la chanson. Ça n’a jamais gêné personne puisque c’est de l’ancien français et certains mot n’existent plus. L’histoire n’est qu’en arrière-plan et devient un support pour les danseuses et les spectateurs pour plonger dans un univers plus sensuel, la connivence de ces femmes plus que focalisé par le tragique de l’histoire. Si vous avez l’occasion de lire le texte intégral, vous vous rendrez compte à quel point l’histoire est horrible. Ce n’était pas rigolo à l’époque, mais en même temps cela rappelle des faits d’aujourd’hui…

Les Miniatures Compagnie Mossoux-Bonté Le Triangle
Vice Versa, Compagnie Mossoux-Bonté © Mikha Wajnrych

Jeudi 17 janvier 2019 à 20 h au Triangle – Les Miniatures, Compagnie Mossoux-Bonté (Belgique). Durée 1 h 10

Vice Versa
Production : Compagnie Mossoux-Bonté, avec le soutien des Brigittines – Centre d’Art contemporain du Mouvement de la Ville de Bruxelles, de la Fédération Wallonie-Bruxelles, service de la danse et de Wallonie-Bruxelles International. Alban – Production : Compagnie Mossoux-Bonté, avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, service de la danse de Wallonie-Bruxelles International. Conception et chorégraphie Nicole Mossoux / mise en scène Nicole Mossoux en collaboration avec Patrick Bonté / interprétation et participation à la chorégraphie Frauke Mariën, Shantala Pèpe / musique Les anneaux de Marianson, interpretation Michel Faubert – orchestration Jérôme Minière / montage son Thomas Turine / lumière Patrick Bonté / assistanat Julie Goldsteinas / directeur technique Jean-Jacques Deneumoustier

Alecto
conception Patrick Bonté / chorégraphie Patrick Bonté en collaboration avec Nicole Mossoux et Vilma Pitrinaite / interprétation Vilma Pitrinaite / lumière et bande son Patrick Bonté / maquillage et prothèse Rebecca Florès-Martinez / assistanat Wendy Toussaint / direction technique Jean-Jacques Deneumoustier

Alban
conception et chorégraphie Nicole Mossoux / mise en scène Nicole Mossoux en collaboration avec Patrick Bonté / participation à la chorégraphie Victor Dumont / interprétation Ives Thuwis / lumière Patrick Bonté / directeur technique Jean-Jacques Deneumoustier

(At) the Crack of Dawn
concept et chorégraphie Nicole Mossoux / mise en scène Nicole Mossoux, en collaboration avec Patrick Bonté / interprétation et participation à la chorégraphie Frauke Marlën, Shantala Pèpe, Vilma Pitrinaite / musique interprétations diverses des Gnossiennes d’Erik Satie / lumière Patrick Bonté

Site de la Compagnie Mossoux-Bonté / Facebook

TARIFS
18€ plein
13€ réduit
6€ -12 ans
4€ / 2€ SORTIR !

PASS Triangle :
13€ plein
10€ réduit
5€ -12 ans

AUTOUR DE
JEU. 17 JANV.
Culture Chorégraphique
Ciné Cité Danse