L’édition 2018 du festival du Roi Arthur aura lieu les 24, 25 et 26 août 2018 à Bréal-sous-Montfort sur le site du Mafeu. En voici le programme.
FESTIVAL
Vendredi 24 août
ALBATROSS
THEO LAWRENCE & THE HEARTS LES NÉGRESSES VERTES FATOUMATA DIAWARA PAROV STELAR MARCEL ET SON ORCHESTRE MEUTE
Samedi 25 août
UKULELEBOBOYS HIPPOCAMPE FOU GROUNDATION BARCELLA
IAM
THE INSPECTOR CLUZO ALLTTA
Dimanche 26 août
HOSHI
LA CHIVA GANTIVA PARCELS
GUNWOOD
NOEL GALLAGHER’S HIGH FLYING BIRDS J. BERNARDT
MARTIN SOLVEIG
VILLAGE CONCERTS
Samedi 25 août
KILTACLOU LORDS THEORY SUGAR FAMILY VERSATIL MONSTER BALBAZAR
IO
Dimanche 26 août
THE YELLBOWS
LA BAVARDE
THE BLUE BUTTER POT
VILLAGE ANIMATIONS
Samedi & Dimanche
CIE FIREMAN
DRO LIG
D’année en année, le Roi Arthur monte en gamme et s’installe, sereinement, dans la liste des grands festivals bretons. Après avoir accueilli certains des plus grands artistes français et quelques noms internationaux, pour son 10ème anniversaire le festival bréalais s’offre une soirée supplémentaire et de grands noms de la scène mondiale.
Vendredi, Parov Stelar, référence mondiale électro swing « made in Vienna » ambiancera la plaine.
Samedi, c’est IAM qui vous donne rendez-vous au festival du Roi Arthur. L’énorme tournée nationale fêtant les 20 ans de l’album « L’école du micro d’argent » n’était pas passée en Bretagne, ce sera donc chose faite cet été au festival des Vieilles Charrues et au Roi Arthur uniquement !
Rockeur britannique incontournable, co-leader du groupe légendaire Oasis, Noël Gallagher accompagné des high flying birds, viendront enflammer la scène Excalibur le dimanche. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, c’est Martin Solveig qui conclura le festival et cette soirée qui s’annonce exceptionnelle ! Frissons garantis !
Bien sûr, le festival du Roi Arthur n’oublie pas ses racines : l’éclectisme et la découverte. Le reggae sera représenté par les californiens de Groundation. La chanson, par le retour combiné des Négresses Vertes et de Marcel et son Orchestre mais aussi par le poète moderne Barcella.
L’incroyable combo fanfare-techno du groupe allemand, Meute, est le projet à ne pas manquer en live ! Combo tout aussi improbable des rockeurs–agriculteurs du groupe Montois, The Inspector Cluzo !
Attention, gros coup de cœur en vue pour la pop des australiens de Parcels. Comme pour Fatoumata Diawara, icone de la musique malienne et chanteuse du projet Lamomali avec M.
Se produiront aussi au festival du Roi Arthur deux artistes dévoilant leurs nouveaux projets comme J. Bernardt, co-leader du groupe belge Balthazar et Alltta, nouveau bébé de 20syl, fondateur de C2C et Hocus Pocus.
Sans oublier, les plus jeunes qui deviendront grands comme Hippocampe Fou, Hoshi, les UkulelebOboys, Theo Lawrence & The Hearts, La Chiva Gantiva, Gunwood. Et bien sûr, le tissu local avec les rennais de Albatross, en ouverture le vendredi.
En tout, 21 groupes se relayeront sur les deux scènes du festival, en plus des 2 jours de concerts en accès libre sur le village d’Arthur !
La billetterie du festival du Roi Arthur est d’ores et déjà ouverte et propose des pass 1 et 2 jours au tarif préférentiel de 35 et 50 euros et des pass 3 jours au tarif de 75 euros dans la limite des stocks disponibles.
Dates : 24 août – 26 août 2017
Lieu : Bréal-sous-Montfort
Scènes : 2 (Scène Excalibur & Scène Lancelot)
Capacité : 15 000 festivaliers / jour
Date de création : 2008
Direction artistique : Adrien Gaillard
Tatiana Trouvé, Sans titre issu de la série Les dessouvenus, 2017, crayon sur papier marouflé sur toile, eau de javel, papier
•Atelier Tatiana Trouvé
Musée des beaux-arts de Rennes
11h et 15h
Gratuit
Organisé par Musée des beaux-arts
#Musée
Tatiana Trouvé renouvelle la sculpture et l’installation en fabriquant, soudant, tordant et assemblant. Elle se joue du temps et de l’espace pour créer une vie parallèle. Avec O. Hays, médiatrice / A partir de 13 ans.
Adresse
Musée des beaux-arts de Rennes
20 Quai Emile Zola
Animation famille flash
Un paysage, une grotte… j’ai un peu peur. Que se passe-t-il ? L’artiste Edgard Maxence construit en peinture une légende qui se raconte et se transmet.
À l’occasion de l’exposition Histoires et légendes bretonnes Avec Anne-Sophie Guerrier, médiatrice – A partir de 7 ans
Adresse
Musée des beaux-arts de Rennes
20 Quai Emile Zola
Les livres successifs d’Éric Vuillard se font écho et bâtissent une œuvre d’un genre hybride. Sont-ils romans, récits, essais historiques ? Ou tout cela à la fois ? « C’est peut-être la singularité de mes livres, ils méconnaissent la division des pouvoirs entre la littérature et d’autres disciplines » dit Éric Vuillard. C’est ce que fait notre auteur dans son dernier livre paru, L’ordre du jour, prix Goncourt 2017.
Avant L’ordre du jour, Vuillard a exploré à sa façon, dans La Bataille d’Occident, les racines et les développements de la Grande Guerre, une guerre « à la fois obscure dans ses causes, brutale dans son déclenchement et terrible dans ses effets » nous dit-il. Les victimes en sont toujours les gens du peuple, ces « vies infimes devenues cendre » comme l’écrivait Michel Foucault. Avec ce court récit, Vuillard nous présente un effroyable et inoubliable tableau de la folie guerrière qui a ouvert le XXe siècle.
À la veille du conflit, au printemps 1914, l’Europe dirigeante apparaît comme une vaste famille où chaque tête couronnée est cousine d’un voisin régnant. « Toutes les couronnes d’Europe possédaient des ancêtres qui avaient dormi dans les mêmes draps […]. Le Kaiser était colonel des dragons de l’armée britannique et son cousin George V l’était dans la garde prussienne. L’autorité avait à peu près partout la même allure barbue, les hommes portant tous au menton une jolie fraise de dindon. Un tourisme chic réunissait chaque été tout le monde sur la côte française, on jouait au whist, on partageait les mêmes maîtresses ». Un jeu d’alliances familiales et d’ententes diplomatiques dont la belle mécanique finira par se dérégler et s’emballer après deux coups de revolver conspirateurs tirés à Sarajevo.
Militaires allemands en 1915
Les armées, héritées du siècle dernier, sont d’opérette, comme en représentation : casoars en panache, casques à pointe, képis colorés, kilts et pompons, soldats de plomb d’un autre âge que le feu singulièrement meurtrier de nouvelles armes fauchera à grande échelle dans le conflit qui pointe : feu des premières mitrailleuses, des premiers tanks, des premiers lance-flammes, des Grosses Bertha « aux obus de neuf cents kilos », feux de la guerre moderne, désormais.
Mobilisation allemande 1914
Un cataclysme avance, que les populations n’ont pas perçu. « Le contremaître, l’ouvrier, le marchand, tous vont à la guerre les yeux bandés, tous avancent la main sur le cœur vers l’inconcevable. Bien sûr, il y a l’esprit de revanche, ces raisons qu’on invoque. Mais cela ne suffit pas, cela ne suffit jamais à expliquer pourquoi un beau jour des millions d’hommes viennent en chantant tous ensemble se placer les uns en face des autres et se tirent brusquement dessus ». Des hommes, jeunesse de l’Europe, chair à canon bientôt collée à la boue des tranchées, ce serpent de « sept cent cinquante kilomètres de trous entre deux pays ». Tout un peuple joyeux qui ne demandait qu’à vivre et avait « le sentiment qu’être heureux est le seul choix possible ».
Jean Jaurès est né en 1859 et mort assassiné à Paris le 31 juillet 1914.
Foin de ces rêves et de ces fadaises ! De tous côtés, les gouvernants embobinent, manipulent, poussent au combat et à la tuerie de masse. Seul Jaurès, ami du peuple, s’oppose et dénonce les manœuvres de son gouvernement. Mais le grand pacifiste tombe après qu’« une main apparaît tenant un revolver » au café Le Croissant, rue Montmartre. Et les socialistes se rallient alors à un Deschanel invoquant devant le Parlement le salut de la civilisation et l’Union nationale.
En face, on n’a pas oublié les mots de l’Empereur Guillaume II : « La guerre sera fraîche, courte et joyeuse ». Et le stratège allemand Schieffen prépare, de longue date, « avec une ferveur mathématique », un plan d’attaque contre la France. Le bonhomme déteste la diplomatie, son jeu à lui c’est la guerre : « On ne sait rien de plus beau et de plus élégant que d’encercler méthodiquement ses ennemis puis de les réduire à néant ; c’est là une joie que peu d’hommes ont connue. L’odeur de la poudre y prend un arrière-goût de miel et d’anis ».
La plume de Vuillard se fait caustique, mordante, férocement ironique contre galonnés et gouvernants réunis, « ces grandeurs caduques, ces Louis XIV de bazar, ces majestés de feuilleton ». Mais une plume qui se désespère du malheur des populations jetées sur les routes de l’exode où « toute une foule misérable va ramper depuis Namur », une plume qui se désespère du malheur de ces pauvres hommes de troupe dont 27 000 d’entre eux périssent en une seule journée, le 22 août 1914, à cette date le plus vaste et le plus bref massacre de l’Histoire.
Ce jour-là, « les Bülow, les Hausen, les Kluck, les Lanrezac, les Castelnau, les Dubail, les Joffre, les Moltke, que l’Histoire semble avoir jetés sur les routes des hommes pour leur malheur, avaient décidé qu’on chasserait le soldat dans la terre de Belgique, dans les forêts et les plaines de France ». Au total « 27 000 dormeurs du val. Ils sont là, tête nue, milliers de bouches ouvertes, la lumière pleut sur leur sommeil, ces milliers de trous rouges, dans l’abdomen, le front, le dos, qu’on imagine ces corps déchiquetés sur l’herbe noire ».
Inspiré, plein du souffle d’un Hugo dont il se sent proche, Éric Vuillard use sans cesse d’une langue pure et ciselée, éblouissante et bouleversante, qui montre et démontre cette « effroyable machination du rien » plongeant l’Europe dans l’abîme de quatre années de ténèbres et d’effroi.
Selon Paul Veyne, l’écriture de l’Histoire doit « allier la connaissance du cœur et la beauté littéraire ». Ce livre magnifique en est l’exacte illustration.
La Bataille d’Occident, Un endroit où aller,Éric Vuillard, Actes Sud Littérature, mars 2012, 192 pages. 19, 50 €.
ISBN 978-2-330-00244-2 Prix Valery-Larbaud 2013
Éric Vuillard, né en 1968 à Lyon, est écrivain et cinéaste. Il a réalisé deux films, L’homme qui marche et Mateo Falcone. Il est l’auteur de Conquistadors (Léo Scheer, 2009, Babel n°1330), récompensé par le Grand prix littéraire du Web – mention spéciale du jury 2009 et le prix Ignatius J. Reilly 2010. Il a reçu le prix Franz-Hessel 2012 et le prix Valery-Larbaud 2013 pour deux récits publiés chez Actes Sud, La bataille d’Occident et Congo ainsi que le prix Joseph-Kessel 2015 pour Tristesse de la terre et le prix Alexandre Viallate pour 14 juillet.
Les Belles Ambitieuses : de tout temps, on sait ce qui a conduit les uns les autres aux plus hautes fonctions du pouvoir : l’argent, la politique, le sexe. De tout temps, on sait ce qui a provoqué la chute des plus influents : l’argent, la politique, le sexe. Voilà donc à la fois ce qui attire ou ce qui apeure. Peut-on réussir sans en passer par là ???
Traîner au lit avec une dame aimable est une sagesse : on n’y a besoin de rien ni de personne d’autre. C’est aussi une plénitude, c’est-à-dire un paradis.
Paris, années 70.
Amblard Blamont-Chauvry, polytechnicien, énarque est promis à une grande carrière. Descendant d’une famille puissante, son destin semble tout tracé. Autant que son ami Thierry d’Audignon, riche héritier. Blamont-Chauvry doit se résoudre à un beau mariage avec la jeune Isabelle Surgères, même s’il ne l’aime pas. Il faut savoir se sacrifier un peu pour nourrir ses ambitions et entretenir son statut social.
Nonobstant, le jeune homme en a décidé autrement. Ce qu’il souhaite avant tout : s’adonner à la paresse, l’oisiveté, la luxure, la gourmandise et autres plaisirs. Eh oui, c’est un jouisseur, pas nécessairement un « sauteur »… Un jouisseur. Et puis, il y a celle qu’il aime en secret, la jeune Coquelicot. Intrigante ? Peut-être… En tout cas, c’est elle qui éveille tous ses sens et qui anime les vaisseaux de son cœur. Et puis, il n’y aurait pas d’apprentissage efficient pour devenir le parfait égoïste gonflé d’orgueil comme de cynisme sans sa bonne marraine, la comtesse de Florensac qui tient salon dans les parages et lui prodiguera les meilleures leçons possibles pour nager dans ce « marigot doré » car c’est bien connu, même les crocodiles se dévorent entre eux.
À travers une époque, savamment retracée, celle des années post 68, en pleine période Pompidou, fin des Trente Glorieuses, Stéphane Hoffmann nous offre une peinture satirique d’une certaine société, celle des nantis, des héritiers – non des bourgeois bien trop vulgaires -, qui vivent nombre d’intrigues (qui ne sont pas sans rappeler celles des cours de nos ancêtres rois de France). D’ailleurs, l’essentiel de l’intrigue de ce roman cruel se déroule dans la bonne ville de Versailles, Paris manquant singulièrement de panache.
Au-delà, la thématique de l’ambition est le cœur même de cette proposition littéraire. Quand on est issus de là, que faire de sa vie ? Comment s’épanouir ? Doit-on être utile ? Peut-on être utile ? Être libre ? Faut-il être ambitieux ? Et comment s’y prend-on pour réussir à ne rien faire en donnant le sentiment de s’investir, d’être nécessaire et incontournable ?
Si les hommes sont – avec une redoutable efficacité – croqués, les femmes, ces Belles Ambitieuses, ne sont pas en reste. L’auteur leur réserve des portraits au scalpel. Si les petits marquis gonflés de testostérone croient les diriger, les maîtriser, les dominer, il n’en est rien. Ces dames savent utiliser leurs charmes pour mener leur barque. Et acquérir un statut social, se protéger du lendemain, s’assurer une sécurité n’est pas non plus impossible. Car ces petites marquises, souvent menacées par l’âge, maîtrisent parfaitement l’art de la manipulation, de la politique, de l’intrigue. Et qu’on ne les prenne pas pour des écervelées, elles peuvent s’avérer redoutables et venimeuses.
Roman élégant à l’humour mélancolique. C’est éblouissant de finesse. (de là où il est La Bruyère a dû se délecter)
Les belles ambitieuses un roman de Stéphane Hoffmann aux Éditions Albin Michel. 265 pages. Parution : 22 août 2018. 19,50 €.
Journaliste et critique littéraire, Stéphane Hoffmann publie Le Gouverneur distrait en 1989 et obtient le prix Nimier pour Château Bougon en 1991. Des filles qui dansent (2007) et Des garçons qui tremblent (2008) le consacrent comme un de nos plus brillants romanciers. Les autos tamponneuses, en 2011, confirment son succès. En 2016, il obtient le prix Jean Freustié pour Un enfant plein d’angoisse et très sage.
La rentrée littéraire s’annonce prolifique s’accompagnant comme chaque année de révélations et de découvertes. Avec son premier roman, Pêche, la Galloise Emma Glass, frappe fort. Un texte-choc, dérangeant. Inclassable.
Autant l’écrire de suite : avant de choisir ce mince roman, Pêche, prenez le temps de lire la première page, cette page onze chapitrée « Panser profond ». Si les mots vous touchent, vous transportent, vous intriguent, n’hésitez pas et laissez-vous emporter par ce récit violent et rude où le style si particulier, et magnifiquement traduit vous emmène dans un univers fantasmatique unique. Il démarre fort ce texte syncopé : Pêche rentre chez elle, du sang coule le long de ses jambes, ses parents qui viennent de faire l’amour sur la table de la cuisine, ne s’aperçoivent de rien. Seule, elle va devoir affronter le mal que lui a causé Lincoln, une ombre lointaine aux odeurs de charcuterie et aux doigts en forme de saucisses.
Lincoln, le seul étranger à posséder un nom propre courant à côté de Vert, l’amoureux de Pêche, de Sable, de Mr Mélasse, de Patate, des noms de fables et de contes, auxquels ce récit emprunte de nombreuses thématiques. Dans des pages parfois loufoques et délirantes ou par des descriptions anatomiques poussées à l’extrême, la jeune écrivaine galloise sans retenue, retrouve la saveur des récits pour enfants où la dévoration par des ogres maléfiques génère des peurs ancestrales. Le récit fait peur, fait sourire parfois et emmène le lecteur dans une expérience rarement connue. Pêche, va devoir vivre et composer avec son corps meurtri, et dans la solitude trouver une solution extrême à son mal-être.
Emma Glass
Comme les contes, Pêche peut se lire à voix haute, pour mettre en exergue le rythme d’un style qui parfois vous assène un vrai coup de poing dans l’estomac, ou plus rarement vous adresse un sourire. Comme les contes, Pêche n’hésite pas à transgresser la réalité et les règles les plus élémentaires de bon goût.
Les amateurs de BD retrouveront des accents de l’exceptionnel Blast de Larcenet, quand l’énormité des corps et des fonctions vitales prennent le pas sur la bienséance. L’horreur fait ici parfois bon ménage avec la poésie et pose les questions essentielles du bien et du mal, du beau et du laid, de la vengeance et de la rédemption.
Ce voyage aux confins de l’âme humaine, aborde avec sa prose inédite, le thème si souvent développé ces derniers temps du viol et de violences physiques (1). L’homme comme prédateur, la femme comme proie. Son approche inédite ne peut laisser le lecteur de marbre. Une Pêche à croquer. Et à digérer.
Pêche le premier roman d’Emma Glass. Éditions Flammarion. Hors collection – Littérature étrangère. Parution le 22/08/2018. 128 pages – 139 x 212 mm Broché EAN : 9782081443136 ISBN : 9782081443136. 14€.
trad. anglais (GB) Claro.
(1) Lire à ce sujet le formidable livre d’Adélaïde Bon : « La petite fille sur la banquise » chez Grasset.
Jeudi 16 août 2018 c’est avec émotion que nous avons appris la mort d’Aretha Franklin à l’âge de 76 ans, dans sa maison de Detroit. Son nom seul est associé à certaines des plus grandes chansons de la musique populaire du siècle dernier, parmi lesquels figurent bien évidemment les incontournables Respect et Think. Il est aussi intimement lié à un ensemble d’esthétiques musicales qui ont grandement contribué à façonner celles de la musique populaire actuelle : la soul music. Nous lui rendons donc hommage, par un retour sur son parcours musical et son style singulier.
Née en 1942 à Memphis, au sud des États-Unis, Aretha Franklin était la fille du révérend C.L. Franklin, pasteur protestant afro-américain célèbre pour ses sermons enflammés surnommé « million-dollar voice ». Mais bien qu’elle soit née dans le Sud, c’est à Detroit que sa famille a décidé de s’installer en 1946 alors qu’elle n’avait que 4 ans. Comme la plupart des interprètes afro-américains, elle fit ses classes comme chanteuse soliste de gospel à l’Église baptiste New Bethel, alors dirigée par son père. Ce dernier a alors pris en charge la carrière de sa fille et la fit voyager sur les routes pour donner des concerts dans différentes églises, comme de nombreux artistes de gospel à cette période. Elle enregistra en 1956 un premier album, Songs of Faith, dans lequel figure sa reprise du standard Precious Lord (Take My Hand) composé par Thomas A. Dorsey.
https://www.youtube.com/watch?v=c90cBgKNN58
Puis après avoir exprimé à son père sa volonté de s’affirmer dans le champ de la musique profane, elle signa en 1960 avec le label Columbia et elle enregistra neuf albums de rhythm and blues et de jazz. Mais ce n’est qu’en 1967, année où elle signa avec le label Atlantic Records à New York qu’elle connut un véritable succès. Cette même année, elle réalisa une session d’enregistrement mémorable au célèbre studio du label FAME à Muscle Shoals, où avait été notamment gravé la reprise de Land of 1000 Dances par Wilson Pickett. C’est dans ce studio, alors dirigé par le regretté Rick Hall, qu’elle a enregistré I Never Loved A Man (The Way That I Love You), l’unique titre qui est sorti de cette session. Il fut la première pierre et la chanson titre de son premier album chez Atlantic dans lequel figure le célèbre Respect, reprise d’une chanson d’Otis Redding qu’elle s’est pleinement appropriée au point d’en faire un véritable hymne féministe.
À l’écoute de ses chansons, on peut remarquer que son style pianistique se situe dans la tradition du gospel, comme elle l’a affirmé dans une interview donnée en 1967 pour la chaîne américaine ABC. Elle le développa pendant son enfance auprès de James Cleveland, grand musicien plus tard surnommé le « roi du gospel », qui participa au renouvellement du genre. Le jeu pianistique d’Aretha Franklin révèle effectivement une approche principalement harmonique et rythmique intrinsèque au gospel moderne et qui a été plus tard associée aux esthétiques pop des années 60.
On retrouve entre autres cette même dimension harmonico-rythmique dans les motifs des chansons de Motown, particulièrement à travers les motifs des chansons composées par les frères Holland et Lamont Dozier à Motown (par exemple Ain’t Too Proud To Beg pour les Temptations). C’est un aspect qui caractérise plus largement les différentes esthétiques musicales de cette période qui ont été plus tard réunies sous le terme de soul music. Celle d’Aretha Franklin pouvait saisir émotionnellement l’auditeur par l’association de différents éléments, dont le caractère rythmique et harmonique des accords au piano, la rythmicité du sermon des pasteurs, une grande intensité et un timbre vocal personnalisé.
Sa musique condense donc tous ces éléments, de façon très exacerbée sous certains aspects, dans un style très expressif qui résonna tout d’abord auprès de nombreux auditeurs américains. Il faut rappeler que cette étroite relation de la musique populaire américaine avec les éléments emblématiques du gospel afro-américain avait été auparavant développée dans les années 50, exemplifiées notamment par Ray Charles et Sam Cooke. Ce serait d’ailleurs la trajectoire de ce dernier vers la musique profane et l’admiration qu’elle lui portait qui aurait poussé la jeune chanteuse à s’engager dans cette voie. Elle a ainsi pu affirmer son style à un moment où l’influence du gospel était devenu prédominant dans le champ de la musique populaire aux États-Unis, avec le succès qu’on connaît.
Couverture du Time 28 juin 1968
Elle possédait des capacités vocales hors norme, notamment une grande étendue vocale qui lui permettait de passer rapidement du registre grave ou medium au registre aigu en conservant une grande puissance vocale. C’est une spécificité qu’elle partageait notamment avec Martha Reeves, chanteuse principale du groupe Martha & The Vandellas, artiste de Motown ayant également vécu à Detroit. À l’instar de ses contemporains, Lady Soulréutilisait également les principaux éléments vocaux présents dans le gospel, le rhythm and blues et les esthétiques de la musique soul : principalement les mélismes, la rythmicité du preaching et les procédés de répétitions issus des sermons des congrégations afro-américaines. Mais sa signature vocale est également marquée par une utilisation récurrente et saisissante du belting. Il s’agit d’une sollicitation extrême de la ceinture abdominale qui favorise une grande intensité vocale qui peut aller jusqu’au cri. Cela lui permettait de réaliser des attaques véritablement« électriques » du registre de la voix de tête, avec cette grande puissance vocale et un vibrato infaillible. C’est une des raisons pour laquelle son style vocal ne peut laisser aucun auditeur indifférent.
Il est vrai que le temps a passé et que les modes ont évolué au fil des décennies. Il n’en demeure pas moins que la voix et la musique d’Aretha Franklin sont restées comme l’une des références les plus importantes de la musique populaire internationale du XXe siècle. De nombreuses spéculations ont permis à certains commentateurs d’établir des liens et un héritage musical entre celle qu’on appelait la reine de la soul et d’autres icônes du genre, Whitney Houston en première ligne. Mais on peut aisément supposer que ses chansons ont influencé de nombreux interprètes, quels que soient les aspects qui furent retenus de son style et de sa personnalité artistique. Pendant les 20 dernières années, on a pu entendre des éléments similaires à son style vocal chez des chanteuses telles qu’Alicia Keys et Christina Aguilera.
En proie à un cancer contre lequel elle luttait depuis 8 ans, elle avait dû annuler plusieurs concerts et ses représentations s’étaient faites plus rares. Mais lors de ses apparitions sur scène, elle démontrait encore une très grande sensibilité et une intensité vocale toujours efficaces. C’est ce qu’avaient pu constater les spectateurs de sa prestation en 2015 à la cérémonie du Kennedy Center Honors. Elle y avait interprété l’un de ses plus grands succès, (You Make Me Feel Like) A Natural Woman en présence de la compositrice de cette chanson, Carole King et de Barack Obama, qui n’avaient pu dissimuler leur émotion.
Dès l’annonce de sa disparition, de nombreux hommages ont afflué des quatre coins du monde et dans tous types de médias. Il n’est donc pas nécessaire de développer davantage le nôtre, sous peine de se perdre en superlatifs. Pour le parachever, nous ne pouvons que vous inviter à deux démarches : se replonger dans les albums de Lady Soul et, pour ceux qui le souhaitent, réinterpréter son répertoire ou s’en inspirer. C’est de cette manière que son héritage musical pourra poursuivre sa route, le plus longtemps possible. Cela devrait se concrétiser, nous n’en doutons pas.
Hommage à Aretha Franklin (1942-2018) la Reine de la Soul.
Vous avez rêvé de mode, de déco toujours dans l’air du temps… Pas évident de dénicher la perle rare. Et surtout à prix doux. À prix tout doux. Eh bien c’est chose faite avec Les Petites chanceuses, la boutique en ligne qui monte, qui monte… Et qui va faire bien des heureux. L’affaire a pris du temps, de l’énergie et surtout a été pensée longuement en amont afin de satisfaire les clients, qu’ils soient acheteurs ou vendeurs. Ô Les petites chanceuses (et prochainement les petits chanceux) qui peuvent depuis le printemps se rendre dans cette caverne aux trésors…
Et si sa créatrice, fondatrice nous en disait un peu plus… Rencontre au retour de la plage avec Juliette BELET, quadra nantaise, maman de deux grands enfants, active, sportive, au sourire bronzé qui s’est lancé dans l’aventure entrepreneuriale, forte d’une expérience de 25 ans dans la vente. La belle nourrit la volonté de donner une deuxième chance aux fringues trop nombreuses qui encombrent les placards tout autant que de lancer via Les Petites chanceuses de nouveaux créateurs qui brillent par leur talent en matière de bijoux fantaisie et déco tendance.
Quand Juliette BELET se confie discrètement : « J’avais envie d’apprendre un nouveau métier. Cette aventure digitale est captivante et nous entraîne à envisager les choses sous d’autres angles. La communication est assez facile. Je souhaitais aussi diversifier mes activités, quitter une espèce de routine qui s’installe malgré nous avec le temps. » Juliette est bien dans son époque, une chef d’entreprise 3.0, plutôt à l’aise dans ses baskets, une femme du XXIe siècle, émancipée, qui va de l’avant et toujours tournée vers les autres.
Christophe MARIS : Comment est née l’aventure des Petites Chanceuses ?
Juliette BELET : Avec ma sœur Agathe, aujourd’hui à la tête de l’entreprise de déco, Monsieur et Madame TAL, nous organisions des ventes à domicile (bijoux & objets déco), les clientes et clients étaient satisfaits, ce fut vite un succès. Forte de cela, Agathe a monté son entreprise et ouvert une boutique à Bouguenais Les Couëts (La boîte à sardines) et moi, je me suis surprise à envisager de créer ma propre boîte. Après 4/5 ans de réflexion, je me suis dit que mettre en relation des vendeurs et des acheteurs serait une bonne idée, même si je sais pertinemment qu’il existe certains sites qui s’y emploient. Mais ils sont moins ciblés que Les Petites chanceuses, ils sont souvent devenus trop gros, pas assez sélectifs, tout le monde s’y perd. Et puis je nourrissais un souhait capital : la mise en avant des créateurs, redonner toute son importance aux petits artisans qui savent faire preuve d’ingéniosité et de goût. Et surprendre… Toujours surprendre ! Et puis si les choses se développent comme je le souhaite et j’y travaille, je m’investirai totalement dans cette aventure d’indépendante…
CM : Quel est le principe exact des Petites Chanceuses au-delà même du simple lien entre des gens qui vont trouver un intérêt soit dans la revente de vêtements ou d’articles de déco comme ceux qui vont acquérir « la » ou « les » pièces recherchées depuis un moment voir celle(s) qui les surprendra (ont) ?
JB : Avant tout travailler à satisfaire les deux parties en présence : vendeurs comme acheteurs. Je souhaite sincèrement que les gens « commercent au sens noble du terme » (même si la notion de flux financier existe) des articles qui sortent un peu de l’ordinaire. On connaît les formes d’achat d’aujourd’hui : l’achat traditionnel obligatoire, l’achat coup de cœur et l’achat compulsif. Moi mon Graal c’est la pièce unique, celle qu’on cherche depuis longtemps, mais qu’on ne trouve pas nécessairement autour de soi. C’est aussi la possibilité de vider ses armoires en permettant à d’autres accéder à de jolies pièces sans dépenser des folies. Les modes de consommation changent, évoluent. Mes propres enfants ne veulent plus de la société de consommation que leurs aînés ont connue. Ils veulent simplement du sur-mesure, dans un souci d’économie, mais également avec un regard sur la planète, sur la façon dont les choses sont fabriquées, où elles ont été fabriquées. Au final, ils sont sensés et raisonnables. Et j’adopte cette philosophie. On peut rendre service en cédant ses fringues, sa déco à d’autres personnes. Et puis il y a tant de créateurs qu’on ignore, que je me sens le devoir de les mettre en avant, avec mes modestes moyens, Les Petites Chanceuses.
CM : Concrètement, quel est le principe de base des Petites Chanceuses, quand on est un internaute balbutiant ?
JB : Très simple en réalité. Chacun s’inscrit via le formulaire présent sur le site, comme vendeur, comme acheteur. Ensuite les personnes se baladent de visuels en visuels selon les catégories proposées puis elles remplissent leur panier, valident et s’acquittent de la somme demandée en toute sécurité. Quelques jours après, elles reçoivent leur(s) article(s) à domicile. En cas de souci quelconque, elles peuvent bien sûr retourner leur(s) achat(s).
CM : Qui joue le rôle de modérateur tant pour les articles en vente, qu’en cas de soucis ?
JB : Cela relève tant de ma responsabilité que de mes compétences.
CM : Quelle est la cible des Petites Chanceuses? Qui est réellement concerné ?
JB : Après des analyses assez poussées en matière de ventes, surtout par rapport aux lignes vêtements et des études de prix, on peut penser avec une certitude relative par prudence que Les Petites chanceuses s’adressent à une clientèle qui s’étend de 25 à 50 ans, entre vêtements, bijoux et décoration. Le panier est aux alentours de 20/25 euros. Les motivations sont diverses tant en termes de ventes que d’achats : vider les trop-pleins, servir aux autres et cette thématique en plein boum : s’affranchir de l’achat neuf obligatoire !
CM : Alors Juliette toujours concrètement, comment on vend, comment on achète rapidement ?
JB : Pour les achats c’est comme expliqué ci-dessus. Pour les vendeurs : on crée son compte. On photographie ses articles et on ajoute toutes les caractéristiques s’y rapportant : taille, couleur, matière, le nom du produit et le prix demandé. Simple non ?
CM : Quel est votre regard sur la qualité des articles qui circulent sur le site des Petites Chanceuses ?
JB : Validation de chaque article. Exigence quant à l’état. Tout doit être en très bon état sans quoi c’est un refus catégorique. On ne peut se permettre le moindre écart. Les acheteurs veulent des articles irréprochables. Je suis intransigeante quant à l’esprit à savoir : il faut que les articles soient dans la tendance du moment, actuels. En ce qui concerne les créations proposées par les artisans, je favorise le circuit court et veille bien naturellement à une fabrication en France. C’est une attitude responsable, il me semble.
CM : Et le style ? Qui s’occupe du style ou du stylisme ?
JB : Je travaille au ressenti et tente de cerner la personnalité de chacun. J’écoute, je lis, je discute et travaille sur les centres d’intérêt des uns des autres afin de faire des propositions d’articles qui répondent aux attentes des clientes. Je sélectionne toutes les propositions de ventes que je reçois et je chine également à l’extérieur.
JB : Que chacune et chacun, qu’elle ou il soit acheteur(euse) ou vendeur(euse), puissent trouver un équilibre entre une boutique traditionnelle physique et le commerce en ligne. Mais aussi proposer de plus en plus de produits d’exception. Et puis mon Graal comme je vous l’indiquais : donner la place qu’ils méritent aux créateurs. Viendra dans la foulée la mise en place d’une ligne « homme » en complément des femmes et enfants actuellement disponible pour les vêtements. Je sais déjà que ces messieurs sont déjà nombreux à s’intéresser aux Petites Chanceuses. Et des projets en cours de développement : proposition de produits de beauté et hygiène, épicerie fine… C’est passionnant…
CM : Des surprises nous attendent toutes et tous probablement non ? Bientôt la rentrée et Noël n’est pas si loin…
JB : Je n’en dévoile pas trop, mais je peux déjà vous dire que 5 nouveaux créateurs vont venir rejoindre le site en septembre, essentiellement dans le domaine de la création textile avec de très jolies pièces. (Linge de maison, sacs à main, pochettes…) Suivez bien l’évolution des Petites Chanceuses sur le site, sur les réseaux sociaux, Facebook et Instagram et vous ne serez pas déçu(e)s.
Les petites chanceuses. Neufs ou d’occasion, trouvez votre bonheur parmi des centaines d’articles, l’objet déco qui révolutionnera votre intérieur, la robe stylée pour votre prochaine soirée.
« Ceci n’est pas un roman. Ni même un récit. C’est une histoire ». C’est ce que disait l’écrivain italien Alessandro Baricco du roman Soie paru en français en 1997. Et Baricco ne dit pas autre chose d’un autre de ses livres, Novecento : pianiste, publié en France en 2004 :
Tu n’es pas complètement fichu, tant qu’il te reste une bonne histoire et quelqu’un à qui la raconter.
Et « son histoire à lui… c’était quelque chose. Il était sa bonne histoire à lui tout seul. Une histoire dingue, à vrai dire, mais belle » écrit Baricco. « Lui », c’est T.D. Lemon Novecento, jeune homme de 32 ans devenu pianiste, abandonné à la naissance et trouvé par un marin du bord, Danny Boodmann, sur le Virginian, navire de croisière transatlantique régulier entre Southampton et New York. Et Alessandro Baricco, magicien du verbe, nous offre là un conte étrange et extraordinaire, comme une fable du XXe siècle, ce siècle que les Italiens nomment le « Novecento ».
Le bébé de quelques jours, abandonné par l’un de ces malheureux migrants du pont inférieur, fuyant la misère et allant chercher fortune en Amérique dans les années vingt, est découvert dans un carton à chaussures posé sur le piano dans la salle de bal des premières par Danny Boodmann, homme d’équipage, « nègre de Philadelphie, un géant, magnifique à voir » qui fond de tendresse devant ce petit d’homme, persuadé « qu’on l’avait laissé là pour lui. C’était absurde, mais il y croyait ». Et les deux lettres initiales inscrites sur la boîte à chaussures, « TD Limoni », ça voulait dire « Thanks Danny » bien sûr ! Dany le nommera « T.D. Lemon » accolé à son nom. Ce sera donc « Danny Boodmann T.D. Lemon ». Et pour faire bonne mesure, ajoutons-y Novecento se dit-il, après tout, l’enfant a été trouvé « la première année de ce foutu nouveau siècle, non ? ».
Pendant huit ans, jusqu’à sa mort accidentelle sur le navire qui rendra le gamin une deuxième fois orphelin, Danny prendra l’enfant sous son aile. Et pendant huit années, Novecento ne posera pas une seule fois le pied à terre. Et pour bien des années encore ! Novecento, en effet, n’avait peur que d’une chose, qu’une fois débarqué on lui demande des papiers, un visa, qui sait ? Pour tout le monde, et sur tous les continents, Novecento n’existait pas puisqu’il n’avait pas d’identité, « pas de patrie, pas de date de naissance, pas de famille, officiellement il n’était pas né ». Son seul monde, c’était ce navire et « sa maison, c’était l’océan ».
Alessandro Baricco
La réputation de Novecento, devenu un pianiste hors pair jonglant avec les quatre-vingt-huit touches de l’instrument sans « jamais un regard pour ses mains », commença à se répandre de port en port. Et parvint aux oreilles d’un certain Jerry Roll Morton, « l’inventeur du jazz » comme il se baptisait. Il défia Novecento dans un duel pianistique sur le Virginian. Et sur le terrain du jazz, bien sûr. Jerry Roll « envoya un blues à faire pleurer un mécano allemand, tu aurais dit qu’il y avait tout le coton de tous les nègres du monde là-dedans, et que lui, il était en train de le ramasser, avec ces notes-là ». Novecento lui répondit avec une virtuosité inouïe et, recroquevillé sur le clavier, délivra « une charge meurtrière d’accords qui avait l’air d’être jouée à cinquante mains, on aurait cru que le piano allait exploser » ! Vexé, Jerry Roll Morton ne voulut plus entendre parler de ce pianiste et débarqua à Southampton pour regagner sans traîner l’Amérique et n’embarquer que sur les seuls bateaux où il restait le roi, ceux du Mississippi !
La Légende du pianiste sur l’océan
Après trente-deux ans de vie sur l’océan, Novecento n’avait toujours pas mis pied à terre. Tous ces voyageurs qui embarquaient lui apportaient un peu de leur pays, « ce qu’il savait lire, c’était les gens, les endroits, les bruits, les odeurs, leur terre, leur histoire… écrite sur eux, du début à la fin. Et lui il la lisait avec un soin infini… » Mais, quand même, Novecento,
pourquoi tu ne descends jamais, même une fois, pourquoi est-ce que tu ne vas pas le voir, le monde, de tes yeux, de tes propres yeux ?
finit par lui demander Tim Tooney, son copain trompettiste de l’orchestre du bord. Alors, un matin, Novecento lui annonça : « A New York, dans trois jours, je descends. Il y a quelque chose que je dois voir là-bas. La mer… » La mer vue de la terre ferme, et non plus celle qu’il voyait du haut du pont d’un bateau. Il se souvenait de l’histoire de ce paysan découvrant la mer par hasard : un foudroiement, « un hurlement géant » et le surgissement d’une vérité qui lui crie : « la vie, c’est quelque chose d’immense ! ». Voilà ce qu’il voulait vivre à son tour.
« Chaque histoire est gardienne d’un espoir, dit Alessandro Baricco, cette vie n’est pas la seule et si nous le voulions, nous pourrions avoir une existence différente ». Novecento finira donc par débarquer du Virginian pour vivre lui aussi une nouvelle vie. Au jour annoncé, il se mit à descendre les marches de l’échelle de coupée adossée au quai new-yorkais, et… laissons le lecteur découvrir la suite !
Ce court et magnifique texte est comme une allégorie du XXe siècle, nous dit Françoise Brun, traductrice et préfacière : on y retrouve les grands mouvements migratoires qui avaient emporté nombre d’Européens vers l’Amérique, dont quatre millions d’Italiens en vingt ans, on y aperçoit la grande épopée des transatlantiques, symboles d’un univers de luxe côtoyant la misère, on y revit la naissance du jazz et même le second conflit mondial quand le paquebot Virginian sera transformé, à la fin de l’histoire, en hôpital militaire flottant.
Novecento lui-même n’est pas sans équivalent dans la vraie vie, selon Françoise Brun qui pense à Glenn Gould, légende vivante du clavier, enfermé dans l’unique geste de sa vie, jouer du piano entre les murs d’un studio, musicien solitaire immuablement arc-bouté sur les touches de l’instrument. Comme Novecento, cloîtré sur son bateau, angoissé à l’idée de descendre à terre et de « se confronter à la multiplicité des rues, des villes, des expériences, quelque chose de l’angoisse de l’homme jeté dans la métropole » écrit Françoise Brun.
Le texte de Baricco, sous-titré « monologue », a d’abord été écrit pour être dit sur une scène de théâtre. Son succès en Italie, mais aussi en France (joué par Jean-François Balmer puis récemment par André Dussollier), ne s’est jamais démenti. L’écriture de Baricco n’y est pas étrangère, faite de gravité et de légèreté mêlées, de grâce et de poésie, et marquée d’une infinie tendresse pour ses personnages, marins, émigrants ou musiciens.
Novecento : pianiste. Un monologue. Alessandro Baricco. Nouvelle édition en 2017. Collection Folio (n° 3634), Gallimard. Parution : 09-03-2017. 96 pages.
Titre original : Novecento. Un monologo.
Trad. de l’italien par Françoise Brun. Postface de Françoise Brun.
C’est en 2001 que l’accordéoniste Maxime Raguin et le guitariste Manuel Mercier ont créé à Rennes le groupe Le P’tit Son. Après une pause de 4 ans engagée en 2012, ils sont revenus l’année dernière avec leur dernier album, Marche ou rêve. Dans la foulée, ils ont également lancé une tournée anniversaire de leurs 15 ans. À cette occasion, ils sont passés samedi 11 août au festival Transat en ville à Rennes, place de la mairie.
Le spectacle de Transat en ville du 11 août a encore une fois mis à l’honneur un groupe directement issu de la scène rennaise. Cette fois-ci, ce fut au tour du groupe Le P’tit Son, dont la tournée célèbre les 15 ans de concerts. Formé il y a 17 ans par Maxime Raguin, accordéoniste et Manuel Mercier, guitariste, il s’est progressivement agrandi et compte également Ludovic Laclautre, guitariste et joueur de banjo, ainsi que Cyril Demichelis à la clarinette, Cédric Motte à la basse et Robin Tixier à la batterie.
Parmi les chansons de leur set, la moitié a été consacrée aux chansons de leur dernier album Marche ou rêve, sorti en mars 2017. En guise d’ouverture, ils ont néanmoins repris Havana Gila, chanson traditionnelle klezmer qui annonce d’emblée leurs influences musicales. En effet, ces dernières semblent polarisées autour des musiques populaires des Balkans, popularisées de nos jours dans leurs versions cosmopolites par des artistes tels que les illustres Emir Kusturica et Goran Bregovic.
On retrouve dans leurs chansons des éléments issus de ces répertoires, comme les contretemps marqués en pizzicato par le banjo et la guitare (mais également par l’accordéon sur certaines chansons), présents notamment dans le jazz manouche et la musique tzigane (Je tourne en rond). D’ailleurs, le jeu de l’accordéon, comme celui d’inspiration klezmer de la clarinette, se rapporte aux mêmes influences. De même, le parcours harmonique, toujours en tonalité mineure, les constructions mélodiques et les moments de ruptures rythmiques des musiques balkaniques constituent la trame de beaucoup de ces morceaux.
Mais si cette influence transparaît de façon évidente dans la plupart de leurs chansons, d’autres lorgnent également vers d’autres répertoires plus ou moins associés. Ainsi, la chanson Gitan renferme des influences tirées de la musique espagnole, principalement le recours de la guitare classique et l’utilisation du mode « andalou ». Par ailleurs, le set du P’tit Son a également inclus deux morceaux lents, La valse du chapeau (2010) et Triste liberté (2006), dont les rythmes de valses marqués à l’accordéon par Maxime Raguin, renvoie inévitablement à la valse musette de l’Entre-Deux-Guerres. La chanson Mauvais hommes’articule quant à elle autour d’une rythmique en contretemps au banjo et à l’accordéon, s’apparentant davantage à celle des « skanks » plus lents du reggae roots.
Parallèlement à la musique, leurs textes révèlent un aspect semi-décalé et en même temps profondément humaniste qui semble résumer la philosophie de ce groupe. Ils sont construits autour de thématiques ayant trait aux déboires de la vie quotidienne, ou encore à des situations burlesques (Petit bonhomme et Derrière la porte) qui évoquent presque l’univers de chanteurs comme Thomas Fersen. D’autres, plus profondément ancrées dans le réel, pourraient être qualifiées de contestataires, comme par exemple Mauvais homme et Vivre l’évolution (2010). Les paroles sont déclamées et parfois même presque contées (Petit bonhomme) sur un ton simple, sans artifices et souvent dans la dérision, mais sur un ton toujours passionné. Si désillusions et déceptions sentimentales sont également évoquées, les trublions du P’tit Son s’attachent aussi à célébrer les idéaux de liberté et la foi en l’avenir (Hier mat). Tout leur charmeréside dans leur art de livrer une musique efficace, sans se prendre trop au sérieux. Il faut ajouter à cela une bonhomie naturelle, et leur énergie spontanée comme autant d’injonctions à l’ivresse et à la fête. Des valeurs qu’ils ont visiblement réussi à communiquer aux spectateurs qui ont répondu à cet appel. Certains de leurs fans présents dans le public ont notamment repris en chœur la chanson Vivre l’évolution, véritable hymne révolutionnaire avec lequel ils ont conclu brillamment leur prestation. Bravo les gars !
Dans le cadre de leur tournée Marche ou Rêve, le P’tit son reviendra en Bretagne pour notre plus grand plaisir.
Le beatmaker et multi-instrumentisteClément Bazin était invité samedi 11 août à clôturer la 11e édition du festival Belle Ile On Air. L’occasion pour lui de présenter Everything Matters, un premier album électro, frais, dansant, qui a pu être dégusté sans modération par les festivaliers. Entretien.
Unidivers : Belle Ile On Air est une grande première pour vous…
Clément Bazin : Oui c’est la première fois que je viens ici, c’est magnifique. J’en ai entendu parler par des copains, mais je ne connaissais pas du tout l’île comme beaucoup de spots en Bretagne d’ailleurs. C’est gardé sous secret, il doit y avoir un contrat de confidentialité (rires). La programmation est top. Il y a plein de groupes que je connais et que j’ai déjà écoutés comme Samifati, L’Or du Commun, The Bongo Hop et Tshegue que j’avais croisé en festival.
U : Comment vous avez découvert la scène électronique ?
Clément Bazin : Je suis rentré là dedans assez tard. J’ai commencé la musique avec le steeldrum, l’instrument que je joue sur scène et qu’on entend dans beaucoup de mes morceaux et encore plus dans mon album. J’ai fait de la musique électronique pendant des années. Dans le milieu des années 2000, une copine m’a fait découvrir une scène à l’ouest de Londres qui s’appelle le Broken Beat. Un mélange de musique très électronique avec beaucoup de synthés, de boîtes à rythmes, de programmation, de traitement électronique, de solos et des introductions de morceaux très longues. C’est un mouvement qui n’a pas trop pris d’envergure, mais pour la première fois j’ai entendu une musique produite électroniquement. J’ai voulu refaire pareil et ce mouvement m’a mis le pied à l’étrier pour faire de la production.
U : Vous évoquiez le steeldrum, c’est un instrument originaire de Trinité-et-Tobago, qui apporte une touche « caraibesque » à vos morceaux. L’incorporer au sein de la musique électronique s’est fait naturellement ? Clément Bazin : Le steeldrum n’est pas venu très naturellement à ma musique, car j’en joue depuis tout petit et je le voyais comme un instrument à part. D’un côté, je faisais de la musique électronique chez moi la nuit avec mon casque et le reste du temps je jouais dans les orchestres en tant qu’instrumentiste. Au début, je cloisonnais beaucoup le steeldrum et l’électro. C’est mon premier label With Us Records qui m’a conseillé de mixer les deux. J’en avais mis dans des tracks, mais je n’étais pas sûr de moi. Ils m’ont dit : « c’est un instrument que tu maîtrises, il faut que tu le maries avec l’électro, ça marchera trop bien ». Come To This est un des tout premiers morceaux où j’ai incorporé du steeldrum dedans. Au début je trouvais ça trop différent et après ça m’a paru naturel de mélanger les deux, d’autant plus que ça m’intéressait de l’utiliser dans un autre contexte.
U : Le steeldrum fait partie intégrante de votre album Everything Matters sorti fin avril. Il n’y a pas un risque de plonger ceux qui vous écoute dans une mélancolie répétitive ?
Clément Bazin : Ce que j’aime avec le steeldrum c’est le sortir de son contexte. C’est un instrument qui vient d’un État traditionnel, il a un son très typé qui nous laisse imaginer un décor dès que l’on entend sa sonorité. Les gens ont beaucoup de stéréotypes, mais c’est normal, car ils ne connaissent pas ce son. Ils vont imager un gars sur une croisière avec une petite couronne de fleurs en train de jouer. Moi ce qui m’intéresse c’est le sortir de ça. Chacun de mes morceaux, que ça soit Catch Me, That Feeling, offrent plusieurs couleurs qui ne sont pas forcément joyeuses et dansantes. That Feeling porte le steeldrum comme mélodie principale, c’est un morceau beaucoup plus mélancolique et qui a une couleur un peu plus bleutée. J’essaye de garder ce son, qu’on puisse le réentendre, mais qu’à chaque fois ça soit différent. Je souhaite qu’il montre une nouvelle palette et qu’il ne soit pas forcément l’instrument des Caraïbes éminemment dansant et joyeux, mais qu’au contraire il puisse avoir plusieurs visages.
U : C’est un album composé de 13 morceaux plutôt dansants aux sonorités électroniquement tropicales. Il a été construit à partir de vos EP’s précédents comme une sorte de bilan…
Clément Bazin : En lame de fond, il y avait quand même l’idée de reprendre ce que j’avais fait dans les EP’s précédents, de chercher et de développer aussi ce que j’avais aimé faire. Non pas de clôturer l’histoire, mais essayer d’en faire un album, de synthétiser en un format un peu plus long ce que j’ai aimé faire. Je ne vais pas faire un album de polka ou de techno derrière. Je ferme la parenthèse de ce que j’ai fait précédemment, j’essaye de tirer ce qui m’a le plus plu dans chaque EP et de le retravailler. Dans l’album j’ai rajouté With You et Distant qui étaient déjà sorti. J’ai essayé de construire un album nouveau, frais et cohérent autour de ces sons-là.
U : On retrouve pas mal de feats, vous avez plutôt respecté la parité en choisissant deux voix féminines et deux voix masculines, comment vos choix se sont-ils opérés ?
Clément Bazin : Effectivement dans l’album il y a Lia, Aaricia, JT Soul et Zéfire. Les feats se sont faits au feeling, je n’ai pas fait 1000 essais avec des gens par mail que je ne connaissais pas. Pendant un an, je suis parti jouer au Québec à Montréal. J’ai rencontré via mon label plein de groupes et des gens super cool. C’est une ville où la scène n’est pas très grande donc tout le monde se connaît assez bien. J’ai connecté avec ces artistes-là. Je suis retourné là-bas en septembre dernier pour jouer. J’avais su à l’avance que j’étais programmé. Je les ai appelés en leur disant : « je suis en train de finir mon album, j’ai presque fini les instrumentaux, je vous envoie des maquettes et quand je viens on reste dix jours sur place, on fait du studio et on finit les featuring ». On a tout fait sur place, on a enregistré les featuring dans le studio d’un groupe de potes et on a fini d’écrire. On avait déjà échangé en amont par mail, mais ça s’est fait très naturellement. J’avais déjà rencontré Lia avant, on avait fait Distant et je l’ai rappelé pour qu’on fasse Ride, un autre morceau de l’album.
U : Vous avez souvent des retours sur certains de vos morceaux ?
Clément Bazin : That Feeling est le morceau sur lequel j’ai reçu le plus de messages sur les réseaux sociaux. Les gens ont beaucoup accroché avec ce titre. Il était pour moi plus personnel, intimiste, un peu mélancolique, mais tu es toujours surpris, car tu ne sais jamais comment les gens vont s’approprier le son et ce que ça va leur procurer. La musique instrumentale est incroyablement riche, car il n’y a pas de paroles, on ne te dicte pas un texte. Un morceau instrumental va beaucoup plus résonner avec l’imaginaire et les émotions de chacun. Les gens connectent de façon plus singulière avec un morceau instrumental.
U : Comment s’est construite votre histoire avec le label Nowadays Records ?
Clément Bazin : Très naturellement. J’ai tourné pendant longtemps avec Woodkid, un chanteur français. Je faisais des percussions et un peu de steeldrum dans son groupe. Quand j’ai fini une tournée qui a duré trois ans, j’avais envie de sortir ma musique. J’avais tellement de travail acoustique que je n’arrivais pas à terminer mes morceaux. Il y a deux ans, je me suis enfermé dans mon studio, j’ai envoyé les premières maquettes à Nowadays. Au début je me demandais à qui je pourrais envoyer ça et je préférais avoir un label sur Paris pour discuter avec vu que j’habite là-bas. Avec Nowadays on a le même parcours, c’est un label qui a commencé sur des bases hip-hop et c’est ce que j’écoutais le plus au collège et au lycée. Ce label a ensuite évolué vers de la musique électronique comme moi. Quand je leur ai envoyé les maquettes, ils m’ont directement répondu. On s’est rencontrés la semaine d’après et ça a matché.
U : Avec le succès de With You, les dates se sont vite enchaînées, vous réalisez les premières parties de Fakear et de Petit Biscuit, vous vous attendiez à un tel engouement ?
Clément Bazin : Jamais. With You c’est un morceau que j’avais écrit juste après la tournée Woodkid dans mon home studio. Il a beaucoup tourné et a eu énormément de plays sur les plateformes de streaming. Quand tu sors un son, c’est toujours une surprise et un plaisir de voir que les gens connectent. Des fois tu es certain qu’un morceau va mieux marcher et finalement c’est un autre qui accroche bien.
U : Ça vous dérange d’être parfois comparé à Fakear ou Møme ?
Clément Bazin : Non pas du tout. Parfois ça surprend quand des gens te disent : « je t’ai découvert avec cet artiste », mais que tu ne pensais pas du tout être proche de cet artiste. Fakear m’a invité sur plein de premières parties. Il a des super tracks que j’adore. Après je ne me reconnais pas dans toute la scène électronique française.
U : Selon vous, Everything Matters est un album qui peut s’écouter où et à quel moment de la journée ?
Clément Bazin : Je ne suis pas partisan de dire : « je me suis inspiré de plein de choses pour vous faire voyager ». J’écris ma musique instantanément dans une cave en sous-sol et je produis pour me procurer des émotions. J’ai besoin d’écrire de la musique. J’écris dix morceaux nuls, je suis déprimé. Mais dès que j’en écris un que je trouve bien, je suis le plus heureux du monde. La création c’est très personnel, ce n’est pas machinal. Je veux que les gens écoutent ma musique n’importe où et qu’elle les emmène quelque part. Je n’ai pas envie de dire : « il faut écouter Everything Matters sur une plage ». Je préfère qu’une personne l’écoute dans son salon, mais qu’elle se sente à la plage, que ça la fasse voyager ailleurs.
Après Jules Sébastien César Dumont d’Urville qui, lors de sa deuxième circumnavigation en 1840 découvrit une terre qu’il baptisa Terre Adélie en hommage à son épouse Adèle, il fallut attendre le début du 20e siècle pour voir la France repartir vers le sixième continent. Sous l’impulsion des navigateurs anglais et norvégiens et belges, Jean-Baptiste Charcot (1867-1936) organisa deux expéditions à bord du Français et du Pourquoi Pas ? et durant la Première Guerre mondiale, la marine nationale lui confia le commandement de deux bateaux « corsaires », le MEG I et le Meg II.
Charcot reprit ses voyages après le conflit, mais cette fois vers l’Arctique, relativement plus proche. Il fut victime avec son équipage d’un naufrage le 16 septembre 1936 (il n’y eut qu’un seul rescapé le Maître timonier Gonidec). Pour la deuxième fois il venait de déposer à Angmagsalik, côte est du Groënland, Paul-Émile Victor qui hiverna au sein d’un village esquimau pour poursuivre ses études ethnographiques commencées en 1934. Paul-Émile Victor créa en 1947 les Expéditions Polaires Françaises (EPF) qu’il dirige jusqu’en 1976 : pendant cette période pas moins de 150 missions sont menées sous son égide sur tous les continents blancs. Ces hommes, aussi grands fussent-ils, n’auraient pu réaliser leurs quêtes sans l’aide d’autres hommes. Paul-Émile Victor sut s’entourer d’équipes de techniciens, car les EPF étaient avant tout une « entreprise logistique », de maintenance, de transport, médicale (à plusieurs reprises des mécaniciens assistaient le médecin chirurgien lorsque celui-ci devait opérer des urgences qui ne pouvaient attendre ou espérer un transport rapide) qui faciliteront les divers travaux de relevés scientifiques.
Georges Gadioux est de ceux-là. Il est né en 1943. Son prénom il le doit à un oncle FTP fusillé en 1941. Si l’école se passe bien, son instituteur décide, comme cela se passait souvent à l’époque, qu’il suivra les traces de son père et donc une formation de mécanicien agricole : la France est encore tournée vers l’agriculture et le plan Marshall banalise dans les campagnes l’usage du tracteur. Après des classes en France, il poursuit son service national en Algérie.
De retour à la vie civile, Georges retrouve sa Charente natale et naturellement devrait prendre la suite de son père. Est-ce le goût des voyages, d’une vie autre, plus collective ? Il renonce à une existence toute tracée et vient chercher du travail sur Paris, à une période de plein emploi. De la mécanique agricole il passe à celle de l’automobile. Les hasards de l’emploi l’amèneront dans un curieux garage en souterrain au 22 avenue Chantemesse situé sous les locaux des Expéditions Polaires Françaises. Petit à petit, Georges découvre ce petit monde curieux qui lui était totalement inconnu et sympathise avec le personnel. On est en 1965.
Il participe ainsi à l’expédition glaciologique internationale au Groënland de février 1967 à septembre 1967. Cette mission est destinée à prélever des échantillons de glace par carottage profond et on mesure aujourd’hui l’importance de ces relevés plus anciens pour apprécier les changements climatiques. Plusieurs traversées du Groënland sont ainsi réalisées avec des véhicules tout terrain d’origine militaire : les fameux Weasel de la firme Studebaker.
Le 15 août 1968, au milieu du Groënland, Robert Guillard Chef des Opérations lui fait part d’un message reçu de Paris. « Faire rentrer Georges Gadioux dans la première évacuation, il doit être à Dakar le 5 octobre, l’IGN le recrute pour une mission en Afrique de l’Ouest : mesurer la distance “Dakar-Djibouti”.
En attendant le premier avion qui va se poser en Terre Adélie. Georges Gadioux Octobre 1971 (Facebook)
De retour du continent africain, Gadioux s’inscrit pour une campagne d’été en Terre Adélie au sein des Expéditions Polaires Françaises. Il découvre cette fois la Terre Adélie où il sera de trois campagnes d’été de 3 Mois et d’un hivernage de 16 Mois après un long voyage en bateau à chaque expédition. Au terme de l’hivernage, il participe avec 3 camarades à l’accueil du premier avion qui atterrit en Terre Adélie.
Dans ce LC 130 de l’US Navy se trouve l’équipe du Raid I A G P. De retour en France, les hasards de sa “première mission africaine” l’auront mis au contact d’un continent à 100 000 lieux des Pôles : sa compétence y a été reconnue, on le sollicite pour la Côte d’Ivoire dans le domaine agroalimentaire [juste retour aux sources ?], il y montera tous les échelons jusqu’au poste de directeur commercial, mais ceci est une autre histoire. Aujourd’hui il goûte une retraite sereine en Poitou, mais reste amoureux des Pôles et fidèle de l’amicale des expéditions polaires.
Le district de Terre Adélie est situé sur le continent antarctique et forme un secteur angulaire [432 000 km²] de calotte glaciaire compris entre le 136e et le 142e méridien de longitude Est. Il a pour sommet le pôle sud géographique, et pour base la portion de côte, voisine du cercle polaire antarctique, de 350 kilomètres de longueur baignée par la mer Dumont d’Urville.
Son climat est caractérisé par de très basses températures et des vents violents souvent chargés de particules de glace, les “blizzards”.
À partir du mois de mars, la mer se recouvre d’une pellicule de glace qui s’épaissit pour atteindre un à deux mètres durant l’hiver. Cette glace de mer qui forme la banquise couvre une étendue immense et bloque la navigation. Le retour de l’été entraîne la débâcle de cette glace qui se fragmente en plaques partant à la dérive.
Dans un ouvrage superbement écrit, Ambroise Paré, la main savante (Gallimard, 2007), Jean-Michel Delacomptée nous fait (re-)découvrir ce médecin et chirurgien, né à proximité de Laval. C’est à Laval, précisément, que l’homme exerça, en premier lieu la profession de barbier. Et comme tout barbier, Ambroise Paré pouvait accomplir aussi de menus actes médicaux et chirurgicaux.
1510-1590
Monté à Paris en 1530, Ambroise Paré se formera au vrai métier médical à l’Hôtel-Dieu. Il y acquerra le parfait maniement des ventouses, se familiarisera avec toutes sortes de remèdes, « répercussifs, purgatifs, maturatifs, dessicatifs, escharotiques ». L’Hôtel-Dieu, « où l’on mourait beaucoup et l’on y disséquait souvent », nous dit Jean-Michel Delacomptée, fera aussi d’Ambroise une sorte de médecin légiste avant l’heure, et ce geste exploratoire le conduira logiquement sur la voie de la chirurgie.
Auteur de l’ouvrage : Ouvrage : Les oeuvres d’Ambroise Paré. Lyon: Editions du fleuve, 1962 Cote : 009830
Ce sont les guerres et les blessures qu’il devra soigner, provoquées par de nouvelles armes (« l’artillerie diabolique, invention détestable » [Ambroise Paré] qui l’amèneront à trouver de nouveaux modes de guérison que ne cesseront de condamner les sommités médicales de l’époque, beaucoup plus enclines à soigner confortablement en ville que sur les champs de bataille.
Edition : Paris : G. Buon, 1585 Cote : 001709
Ambroise Paré se moquait du savoir académique, celui des « perroquets titrés qui caquettent en chaire, leur opposant le savoir pratique acquis sur le tas au gré de l’observation de la guerre et du hasard » [J.-M. Delacomptée]. Il préconisa ainsi la ligature des artères après amputation, méthode en opposition avec la traditionnelle cicatrisation des plaies par l’huile bouillante qui condamnait souvent à mort le malheureux patient. Parmi les autres remèdes couramment utilisés et rejetés par Ambroise Paré, il en est un autre : l’ingestion du jus de momie, ou de cadavre décomposé, en bonne place lui aussi dans le magasin des horreurs prétendument thérapeutiques !
Edition : Paris : G. Buon, 1585 Cote : 001709
Ambroise Paré était un homme toujours proche de son malade, et son souci du bien-être des patients a vite fait de lui un chirurgien recherché par beaucoup, en premier lieu par les souverains et les nobles. « L’humanité toujours, soulager, atténuer ce qui brûle, ce qui ronge et corrompt » [Jean-Michel Delacomptée].
Les blessures qu’Ambroise Paré soigna sur le terrain des guerres l’amenèrent aussi à créer des prothèses utilisées jusqu’à la veille du XXe siècle, merveilles d’inventions mécaniques, décrites par le menu, en français donc en langage clair pour tous. Car Ambroise Paré « avait le talent de la communication, il se servit de son ignorance en latin pour diffuser son savoir, exaspérant les Diafoirus mais lu par les barbiers et apothicaires » [Jean-Michel Delacomptée].
Edition : Paris : G. Buon, 1579. Cote : 008773
L’édition posthume de ses textes, en 1598, réunissait 29 volumes, et rassemblait la quasi-totalité du savoir médical à l’époque d’Henri III. Cet homme, ami de Ronsard, émaillait aussi ses textes savants de fragments poétiques, car il avait également un véritable amour des Lettres qui, joint à l’amour du genre humain, à une foi profonde dans la vie -et en Dieu-, faisait de lui une magnifique figure de l’Humanisme de la Renaissance. Ambroise Paré ? « La science, la poésie : la nature et la grâce. L’homme tout entier », écrit Jean-Michel Delacomptée pour conclure cette très belle et vivante biographie.
Ambroise Paré la main savante, Jean-Michel Delacomptée, Éditeur Gallimard. Date de publication. 18/10/2007. Collection L’un et l’autre. 280 pages. 22 €.
C’était tout cela, Ambroise Paré, la main qui tranche et la main qui panse. La main qui soustrait et la main qui ajoute. La main qui fabrique, la main qui écrit. La main du vif-argent, de la ligature, de l’huile, et celle de l’encre dispensée par la plume. L’intelligence, la bonté tout entières dans la main.
Les illustrations sont issues de la Bibliothèque Gallica en ligne ici.
La collection de poche Folio vient de rééditer le témoignage, dérangeant et fort, de François Sureau, paru en 2013 chez Gallimard (collection Blanche), qui rappelle l’issue tragique d’un recours demandé devant le Conseil d’État en 1983 par un militant basque et antifranquiste, Jorge Ibarrategui, réfugié politique en France du temps du général Franco. Ce militant, renvoyé en Espagne par la France, fut assassiné par un groupuscule de police parallèle de l’ancien régime franquiste. Cet assassinat hante toujours la mémoire de François Sureau.
Le jeune auditeur au Conseil d’État que François Sureau était à l’époque, s’ennuyant ferme dans une commission où il passait le plus clair de son temps à traiter du remembrement rural et du contentieux de l’indemnisation des rapatriés d’Algérie, eut un jour l’opportunité d’être affecté à la commission des recours des réfugiés. « Lorsqu’un demandeur d’asile arrive en France, précise François Sureau, il demande le statut de réfugié à l’office français de protection des réfugiés et apatrides, et si celui-ci le refuse, il peut se pourvoir devant la commission des recours ».
François Sureau y eut à traiter la demande d’un réfugié politique basque, militant antifranquiste, Javier Ibarrategui, arrivé et réfugié en France en 1969, poursuivi alors en Espagne suite à l’assassinat, auquel il s’est trouvé mêlé, du commissaire Meliton Manzanas, « un tortionnaire notoire ».
François Sureau
Nous sommes en 1983 quand la commission des recours, dont François Sureau est rapporteur, doit statuer et décider de garder ou non sur le sol français Jorge Ibarrategui. À cette date la démocratie a été rétablie de l’autre côté des Pyrénées. Que doit faire alors la justice française ? « À l’époque, la jurisprudence n’admettait pas que l’on pût obtenir le statut de réfugié autrement qu’en étant directement persécuté par un État ».
Ibarrategui doit donc être logiquement renvoyé en Espagne. Mais dans ce pays, fraîchement sorti de 40 ans de dictature, les changements politiques ne se font pas sur un claquement de doigts. Les Renseignements généraux français laissent des notes indiquant que des groupuscules activistes clandestins franquistes continuent de sévir jusque sur notre territoire, le GAL en particulier, avec la complicité de certains membres du nouveau ministère de l’Intérieur espagnol.
François Sureau a connaissance de ces informations qui l’ébranlent, mais ne modifient en rien les conclusions de son rapport. Les règles du droit en vigueur poussent donc le jeune juriste à se prononcer pour un retour de l’ancien activiste vers son pays d’origine. D’autant que l’on peut croire aux « promesses d’amnistie du gouvernement espagnol », lui dit un assesseur représentant l’administration au sein de la commission.
Ibarrategui aura beau plaider sa cause avec un calme et une dignité exemplaires et « une sévérité tranquille dont on devinait qu’il ne s’exemptait pas », rappeler qu’il a cessé toute activité politique dès qu’il fut sur le territoire français, qu’il a aussi condamné l’assassinat de l’amiral franquiste Carrero Blanco (ce que certains de ses anciens camarades de combat lui reprocheront), et qu’une fois rentré au pays, il sera à coup sûr menacé de mort par des groupuscules armés clandestins franquistes, rien n’arrêtera la décision finale de la commission des recours. Pas même la défense, indignée et virulente, de l’assesseur représentant le haut-commissariat pour les réfugiés, une femme courageuse et clairvoyante pressentant le funeste destin d’Ibarrategui à son retour sur le territoire espagnol. « En me regardant, [Ibarrategui] m’a dit qu’il ne souhaitait pas, s’il venait à être assassiné, que quiconque se sente responsable de sa mort. Je sais à présent qu’il était sincère. Mais sur le moment cette phrase nous a braqués contre lui. […]C’était comme un chantage moral » écrit François Sureau.
Quelques mois plus tard à Pampelune, Ibarrategui sera assassiné de quatre balles de pistolet par un commando paramilitaire lié à l’ancienne police franquiste.
Le Chemin des morts est un texte saisissant qui révèle les faiblesses du droit et les petites et grandes lâchetés des hommes et des femmes chargés de rendre la justice. Le droit et le style juridique sont des « instruments calculés pour mettre le plus de distance possible entre le juge et le tragique de l’existence, et grâce auxquels la description d’une catastrophe ferroviaire au Bengale paraît évoquer la rencontre de deux trains miniatures sous les combles d’un pavillon de banlieue » écrit François Sureau avec amertume.
Pour Ibarrategui, la justice avait failli selon lui. Alors qu’elle peut se voir abusée par d’autres réfugiés qui n’ont pas la même sincérité, la même dignité, ni la même droiture que l’ancien militant basque, dit François Sureau, exemples à l’appui. Mais que peut-on faire au sein d’une haute administration, ou face à elle, quand on n’en est qu’un de ses rouages ?
François Sureau n’oubliera jamais cette tragique affaire et cette erreur de jugement dont il sent toujours le terrible poids trente ans plus tard, qui aura assombri sa vie de conseiller d’État et remis en cause sa philosophie de la fonction de juge. Il en tirera les conséquences et abandonnera sa mission pour devenir avocat, persuadé d’être plus utile et plus en paix avec sa conscience dans ce nouveau rôle.
Par sa densité et sa force, ce texte grave et douloureux donne à réfléchir sur les fragilités et les responsabilités d’un homme qui a pouvoir sur un autre homme. Et c’est François Sureau l’écrivain et avocat, et non plus le juge, qui se raconte ici et se remet en question, prisonnier d’un dévorant et ineffaçable tourment. « Plusieurs personnes que j’aimais sont mortes et leur apparence, malgré tous mes efforts, s’est effacée de ma mémoire. Javier Ibarrategui y est resté, comme pris dans des glaces éternelles. La faute a des pouvoirs que l’amour n’a pas ».
Le chemin des morts, François Sureau, Première parution en 2013. Collection Folio (n° 6410), Gallimard. 18-01-2018. 5,50 €.
Ecrivain plusieurs fois primé, François Sureau est aussi avocat au barreau de Paris. Ancien membre du Conseil d’Etat, il fit ses classes comme rapporteur à la Commission des recours des réfugiés (devenue Cours nationale du droit d’asile) où il fut en charge de quelques dossiers de demande d’asile en France. Dans ce court récit, il revient sur l’une de ses décisions, parmi les toutes dernières, qu’il prit et qui n’a cessée depuis de le hanter. « Je me suis demandé depuis, presque chaque jour, si j’aurais pu rédiger autre chose que ce que j’avais écrit ».
Le 25 août pour la clôture de la quinzième édition de Transat en Ville, la costumerie Des Habits et Vous proposera gratuitement aux spectateurs de se parer de déguisements pour une immersion totale dans l’ambiance du bal de La Piste à dansoire. Rencontre avec Noëmie Bourigault, l’une de ses fondatrices.
Unidivers : Vous vous définissez comme une costumerie, qu’est-ce donc ?
Ce n’est pas forcément quelque chose qui existe initialement, c’est surtout le nom qu’on a donné à une idée : celle de créer un vestiaire de costumes pour habiller le public lors d’événements. Il s’agit donc avant tout d’un vestiaire ambulant qui regorge de tenues diverses et variées, datant d’époques différentes.
Ce projet ambulant est né d’un travail avec la compagnie Engrenages…
En effet, tout est parti d’une demande de la compagnie Engrenages dans le cadre du festival Le funk prend les rennes qu’elle organise tous les ans. Nous nous connaissions déjà avec les organisateurs. Céline Mousseau a eu envie de faire participer le public de manière originale. En en discutant ensemble, une volonté est née d’accumuler des vêtements autour du thème funk années 70 et d’intégrer le public. Qu’il soit acteur et partie prenante. En octobre 2014, nous avons ainsi eu carte blanche pour constituer une première esquisse de la costumerie, ça a été le point de démarrage. Puis en juin 2015, au festival BJBN, la costumerie a été présentée au public dans sa forme actuelle pour la première fois.
Êtes-vous indépendants ou rattachés à la compagnie ?
Engrenages soutient et supporte le projet, ils produisent des spectacles, nous sommes complètement rattachés à eux mais nous pouvons tourner avec d’autres projets. C’est néanmoins Engrenages qui assure toute notre production et notre diffusion.
Où stockez-vous les costumes et comment vous les procurez-vous? Via Emmaüs comme à vos débuts ?
Au départ nous avons effectivement mis en place des partenariats avec Emmaüs, le Relais et le Secours Populaire. Nous travaillons désormais d’avantage avec des grossistes de fripes. Nous achetons directement des stocks et ça nous arrive de plus en plus d’avoir des dons spontanés de la part de personnes nous ayant croisés lors d’un événement. Rien de neuf donc, que de la seconde main. Nous faisons ensuite tout un tri puis nous stockons les costumes à Nouvoitou, au sein d’un collectif où nous avons un atelier.
Comment faites-vous le choix des époques disponibles ou des thèmes proposés ? Seuls ou en partenariat avec les compagnies avec lesquelles vous travaillez ?
Pour l’instant c’est surtout nous qui décidons du style. Étant donné qu’on tourne principalement avec des projets sur le thème des seventies, le plus gros stock que nous avons concerne cette décennie. Nous pouvons cependant répondre à des demandes plus précises. Tout cela a pour pierre angulaire l’art de la SAPE, de costumer les gens de manière élégante.
Vous mentionnez une scénographie originale, qu’entendez-vous par là ?
Nous arrivons sur les événements avec des portants, des luminaires, des cabines d’essayage, tout ça avec une même esthétique. Il y a un côté un peu rétro. Tout est en ferraille, un peu vieilli, patiné. Nous tentons à travers cela de créer une sorte de cocon, afin que le public entre vraiment dans un univers et puisse choisir sa tenue d’un instant dans un cadre agréable et propice.
Comment interprétez-vous ce regain d’intérêt pour les décennies précédentes ?
Je sais pas exactement pourquoi ces années là plaisent. Les projets musicaux autour de ce thème là existaient en parallèle du notre, nous avons donc fait notre stock en fonction. Le côté vintage est très à la mode. Voyager dans le temps, quitter l’époque actuelle, tout cela plaît au public.
Lors de quelles occasions intervenez-vous ? Est-ce qu’un particulier peut venir vous louer un costume ?
Nous sommes majoritairement présents lors de festivals, d’ouvertures de saisons de scènes nationales ou d’événements culturels en tous genres. Cela dépend de la demande.
Nous nous sommes longtemps posés la question de la location aux particuliers et avons jugés qu’il était préférable de garder tous les stocks disponibles pour des événements avec de plus grosses jauges. Nous préférons costumer une foule, afin d’obtenir une scénographie vivante. La location aux particuliers existe déjà avec d’autres structures. Nous pouvons cependant occasionnellement louer nos costumes mais dans le cadre de projets spécifiques, des tournage de clips ou films par exemple.
Vous vous associez régulièrement avec Mobil Casbah et leur bal « La piste à dansoire », en quoi danse et costumes font-ils bon ménage ?
Nous sommes associés sur certaines dates. Nous nous sommes rencontrés à notre première en 2015, où nous étions programmés ensemble sans le savoir. La combinaison fonctionnait, il y avait une logique. Il y a un côté très esthétique à voir cette foule costumée. Le costume permet également au spectateur de passer plus vite outre le côté « gêne » qui peut exister au début d’un bal.
Le déguisement confèrerait une sorte d’anonymat à celui qui le porte ?
Nous mettons à disposition des vêtements mais le public fait le reste, il prend part et devient acteur. Pour une fois, nous leur demandons et leur permettons de se mettre en avant. Le costume crée en outre une sorte de seconde peau. Il désinhibe, permet d’être un peu caché, de ne plus être vraiment nous, de se permettre plus de choses peut-être.
Tête d’affiche de la 11e édition du festival Belle Ile On Air, Arnaud Rebotini, producteur de musique électronique et un des fondateurs du groupe Black Strobe, a pris un bon bol d’air frais à Belle-Île-en-Mer vendredi 10 août. Rencontre avec cet adepte de machines analogiques à quelques heures de fouler la scène Vauban.
Unidivers : Pour votre première à Belle Ile On Air, vous avez défini une tracklist ou bien vous vous laissez une part d’improvisation ?
Arnaud Rebotini : Quoiqu’il arrive que je joue dans un festival ou dans une salle de concert, j’ai toujours une tracklist définie avec de l’improvisation. Il y a juste le temps qui m’est compté, ce soir je dois jouer une heure.
U. : Avec Black Strobe on ressentait déjà une mouvance électroclash. Désormais, en tant qu’Arnaud Rebotini, c’est l’électro analogique qui domine un peu plus. Comment avez-vous évolué dans la musique électronique ?
Arnaud Rebotini : Je suis arrivé dans la musique électronique avec la techno. Principalement par des trucs assez expérimentaux quand j’étais plus jeune. J’ai évolué dans cette sphère et j’ai essayé de me trouver. De Black Strobe à Arnaud Rebotini, c’est une longue évolution. Je ne calcule pas trop ma carrière, je fais un peu ce dont j’ai envie et j’essaie d’avancer comme ça.
U. : Fin scénographe, en live vous proposez un vrai show, entouré de vos synthés et de vos boîtes à rythmes, combien y en aura-t-il ce soir ?
Arnaud Rebotini : Sur scène, trois boîtes à rythmes et cinq synthés m’accompagnent. La scénographie est importante. Quand on va sur scène, il faut avoir un minimum d’attitude et l’installation de synthés en fait partie.
U. : Vous n’êtes d’ailleurs jamais accompagné d’ordinateurs sur scène…
Arnaud Rebotini : Non parce que je voulais me libérer des ordinateurs et des interfaces qui ne me plaisaient pas trop. L’idée était aussi de garder le son vraiment analogique et conserver cette liberté de jouer avec des instruments pour le côté un peu performance.
U. : Vos machines analogiques (synthés et boîtes à rythmes) vous suivent n’importe où lorsque vous vous produisez, d’où vient cette passion et comment les choisissez-vous ?
Arnaud Rebotini : Grâce à la musique électronique tout simplement. Je suis partie d’un groupe de rock, ensuite, j’ai commencé à composer seul grâce à un ordinateur avec des synthés analogiques et monter un petit set-up pour pouvoir jouer. Après cette passion vient aussi de l’amour des sons tout simplement. Je les choisis en fonction du morceau que je décide de faire, mais de mon humeur aussi. Des fois je pars d’un son de synthé, je commence à jouer dessus, je trouve des accords, une mélodie ou une ligne de basse et je construis le morceau comme ça.
U. : Votre nouvel EP Flowers For Algernon sort aujourd’hui chez OFF Recordings. Un EP plus techno composé de cinq titres où vous dédiez un morceau à la TR-909 intitulé My 909. Comment a été pensé ce nouvel EP ? Qui n’est pas sous votre label Blackstrobe Recordsd’ailleurs…
Arnaud Rebotini : J’ai fait un morceau exclusivement avec ma TR-909. J’avais quelques morceaux techno que j’ai envoyés au label OFF à Berlin et ils ont voulu les sortir. C’est vraiment des loop, pas sous forme de morceaux hyper construits. J’avais envie de faire un maxi techno. D’habitude c’est sur mon label, mais là c’était l’occasion de sortir quelque chose à l’étranger.
U. : Votre look rockabilly : gomina, costard et lunettes noires est aux antipodes des codes de l’électro, il vient de vos influences musicales ?
Arnaud Rebotini : Oui de ce que j’aime finalement. Quand tu passes un certain âge, il faut savoir changer et vivre avec son âge. J’ai pris cette direction-là. Je n’ai pas envie d’être un mec chauve en tee-shirt noir (rires).
U. : En mars dernier, vous avez reçu un César pour la meilleure musique originale du long métrage 120 Battements par minute, quel rapport entretenez-vous avec le cinéma ?
Arnaud Rebotini : J’apprécie les rencontres artistiques avec les réalisateurs et travailler sur un film. Avec Robin Campillo, le scénario était écrit, on s’est vu, on a parlé du film et je lui ai écrit la musique. Ensuite, il a tourné, monté et après j’ai réécrit des choses. Je peux aussi intervenir après que le réalisateur ait commencé le montage et venir combler un manque au film. Les deux processus sont intéressants.
U. : Vous avez remixé Smalltown Boy de Bronski Beat, pour quelle raison avez-vous choisi ce morceau en particulier ?
Arnaud Rebotini : C’est Robin Campillo, le réalisateur de 120 battements par minute, qui a choisi ce morceau, car il entre dans l’histoire d’Act Up. Jimmy Somerville était un des premiers contributeurs d’Act Up. Il y a eu un concert de soutien dans les années 1990 avec son groupe The Communards. Je n’y étais pas, mais Robin Campillo se souvenait qu’il avait fait une version house un peu modernisée de l’époque de Smalltown Boy et il m’a demandé de créer une version comme si on avait fait un remix de Smalltown Boy dans les années 1990.
U. : En général, comment s’opère le choix d’un remix ?
Arnaud Rebotini : C’est toujours une demande, je fais assez peu de booklet de reddit, il y a des DJ qui font ça. En général on vient me demander un remix d’un morceau. Il y a quelques années, j’avais remixé Something To Do, un vieux titre de Depeche Mode.
En attendant la sortie d’un nouvel album prévu au début de l’année prochaine, Arnaud Rebotini poursuit sa tournée des festivals. Il sera le 25 août au festival Le Cabaret Vert à Charleville, le 31 août au MEG Festival à Montréal (Canada), le 8 septembre au Climax Festival à Bordeaux, le 21 septembre au festival Ouest Park au Havre…
Miguel de Cervantès y Saavedra, dont l’Espagne a célébré avec faste en 2016 le quatrième centenaire de la mort, a mené une existence faite d’aventures et de mésaventures, de combats et de revers, militaires, civils et familiaux. Une vie qui comporte encore aujourd’hui bien des zones d’ombres et que ses biographes, dès le XVIIe siècle, ont tenté d’éclaircir à travers les seules traces écrites laissées par le génial écrivain : ses récits de fiction. Une vie que nous raconte magnifiquement l’hispaniste Jean Canavaggio.
Après un court passage dans une institution académique madrilène, le jeune Miguel, né à Alcalá de Henares en 1547, partira pour l’Italie à l’âge de 22 ans. Il s’engagera alors dans les forces de la Sainte Ligue levées par Philippe II pour stopper la menace turque. Il se retrouvera au cœur de la bataille navale de Lépante, où un méchant coup d’arquebuse lui enlèvera définitivement l’usage de la main gauche. Puis, entre Naples et les côtes catalanes, en 1575, des corsaires barbaresques l’enlèveront et le vendront comme esclave à Alger, ce port enrichi de maints et sombres trafics où cohabitaient Morisques, Chrétiens et esclaves noirs.
La servitude durera cinq ans et lui donnera la matière du récit du captif dans la première partie du Quichotte. Libéré de ses chaînes par l’entremise « sonnante et trébuchante » des frères Trinitaires, il reviendra en Castille, pour s’y marier, en 1584, à une jeune fille d’Esquivias, parente d’un vieux propriétaire terrien local, don Alonso Quijana, inspirateur, dit-on, de la figure du Quichotte. Cervantès s’éloignera ensuite de ce village de la Mancha, et de sa jeune épouse, pour se faire collecteur d’impôts, avec des fortunes diverses, de 1587 à 1597, en Andalousie, au service des ambitions guerrières d’un Philippe II résolu à lancer son Invincible Armada contre les Anglais. Pendant ces dix années, il arpentera les quartiers de Séville, observera ses foules bigarrées et interlopes dont il fera les voleurs, entremetteurs et autres vagabonds des « Nouvelles exemplaires ».
Enfin fixé à Madrid, jusqu’à sa mort, il se consacrera alors pleinement à la carrière des lettres, et rédigera la première partie du Quichotte. Après en avoir lu le manuscrit, le jeune – et déjà fameux- Lope de Vega, dans une lettre du 16 août 1604, décochera ce trait assassin : « Il n’y a pas de poète aussi mauvais que Cervantès » !
Mais qu’importe : en janvier 1605 paraîtra, à l’enseigne de l’imprimeur Juan de la Cuesta à Madrid, l’édition princeps de L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, dont les premiers chapitres annonceront le grand thème de l’ouvrage : un homme à l’entendement troublé par la lecture d’un roman de chevalerie, Amadis de Gaule, entend réincarner à lui seul les valeurs disparues de la chevalerie errante.
1547-1616
« Lecteur exemplaire, Don Quichotte illustre à sa façon la puissance contagieuse des livres en mettant leur vérité à l’épreuve de la réalité, il révèle ainsi à ses dépens ambiguïté des rapports entre la vie et la littérature […]. Don Quichotte, dit-on, est le premier roman des temps modernes. Parce qu’en donnant la parole aux personnages et, avec elle, la liberté d’en user, ce récit, pour la première fois, a installé à l’intérieur de l’homme la dimension imaginaire : au lieu de raconter du dehors les événements qu’il vit, il recrée le mouvement par lequel il s’invente. […] Le succès immédiat du livre l’a convaincu qu’il avait su répondre à une attente ».Jean Canavaggio.
« Coupée à la même étoffe que la première » écrira Cervantès, la seconde partie du Quichotte, parue en 1615, sera le récit développé des exploits de l’ingénieux hidalgo conduits jusqu’à leur terme : la mort du chevalier à la Triste Figure. « La seconde partie n’a pas seulement confirmé les qualités de la première ; elle a porté le roman à son point de perfection » (Jean Canavaggio).
Roman parfait auquel « la littérature ne cessera de […] rendre hommage, que l’on songe seulement au “Cardenio” (perdu) de Shakespeare, à “Vies et opinions” de Tristram Shandy de Laurence Sterne, à “Jacques le Fataliste” de Diderot ou à “L’idiot” de Dostoïevski. Flaubert qui l’annote dès l’âge de onze ans en sera hanté toute sa vie » (Laure Murat, « Relire », Flammarion, 2015).
Les éditions et traductions se multiplieront dans l’Europe entière. César Oudin le traduira en français en 1614, version revue par Jean Cassou au XXe siècle. La dernière traduction et édition française en date est celle de notre grand biographe cervantiste Jean Canavaggio, parue en 2001.
Dans l’ultime partie de sa vie, Cervantès publiera les « Nouvelles exemplaires » en 1613, le « Voyage au Parnasse » en 1614, l’ensemble de ses Comédies et intermèdes en 1615, et enfin les « Travaux de Persilès et Sigismonde » qu’il achèvera dans les affres de la mort toute proche, le 20 avril 1616. Beaucoup plus en amont, les premières livraisons de « La Galatée » étaient parues dès 1585.
L’immortel créateur de Don Quichotte disparaîtra, par un étrange hasard de l’Histoire, le même jour qu’un autre « géant », William Shakespeare. A la différence du dramaturge anglais, mort dans l’aisance matérielle d’un bourgeois de Strattford upon Avon, l’écrivain espagnol le plus emblématique, auteur de l’un des plus grands mythes de la littérature mondiale, finira sa vie dans un triste dénuement.
Cervantès, Jean CANAVAGGIO, Éditeur FAYARD, 9/1997, pages : 382 25.00€
Normalien, agrégé d’espagnol, docteur ès lettres, Jean Canavaggio est professeur à l’université de Paris-X-Nanterre et directeur de la Casa de Velázquez. Spécialiste du Siècle d’or espagnol, il a consacré une large part de ses recherches à la vie et à l’œuvre de Cervantès.
Généraliste, la revue Reflets vendue en kiosque consacre son dossier de l’été à la poésie. Avec succès semble-t-il, prouvant ainsi que l’idée n’est pas saugrenue et que les lecteurs sont capables de curiosité. Et si presse et poésie n’étaient peut-être pas irréconciliables ?
Presse et poésie, deux mondes qui s’ignorent
En quelques décennies, la poésie a pratiquement disparu de la presse et des médias, y compris des titres qui touchent à la sphère culturelle. Non seulement il n’y a plus d’espace dans les journaux pour la publication d’un poème, mais les articles culturels n’en parlent tout simplement plus. Rares sont les présentations de livres de poésie, les entretiens avec des poètes. Il faut généralement un événement exceptionnel comme l’attribution du prix Nobel de littérature à un poète, par exemple à Tomas Tranströmeren 2011, pour qu’apparaisse le mot « poésie » dans un article.
On note cependant depuis quelque temps la timide et irrégulière présence d’un extrait de poème dans les pages « livres » du magazine hebdomadaire Télérama, mais par ailleurs les articles sur la poésie y sont portion congrue. Sa sélection d’ouvrages pour l’été ne présente pas un seul livre de poésie, alors que la saison se prête volontiers aux expériences et aux découvertes de lecture. Un quotidien bretonavait également semé quelques espoirs en publiant dans ses pages « Cultures » du samedi un billet « Poésie » signé Philippe Simon. Informatif et relié à une actualité éditoriale, chaque article donnait à découvrir un poète d’aujourd’hui. Cette louable initiative, pourtant appréciée par beaucoup de lecteurs, a hélas pris fin sans qu’elle ait eu le temps de trouver véritablement sa place.
Plus grave, le mot « poésie » et ses dérivés sont désormais détournés de leur sens. Accolé à un mot, « poétique » signifie souvent léger, sentimental, voire un peu mièvre. Quant au mot « poète », sans référence à l’art, il est devenu un terme dépréciateur employé pour désigner une personne dénuée de sens pratique, bref un rêveur !
Alors quand on apprend qu’une revue généraliste vendue en kiosque consacre un dossier de plus de trente pages à la poésie dans son numéro de l’été, on n’en croit pas ses yeux !
Un important dossier sur la poésie
La revue Reflets a été créée en septembre 2011 par Christian et Thérèse Roesch et parait selon une fréquence trimestrielle (1). Généraliste, elle propose une approche de l’actualité qui donne sens aux événements, en dépassant l’anecdote et l’aspect émotionnel, pour mettre en avant ce qui se joue pour la société et notre futur. Elle pose un regard spirituel ouvert sans exclusive sur le monde. Outre des sujets d’actualité, la revue Reflets publie des dossiers, comme celui sur la poésie dans le n° 28 (2).
L’initiative de la revue Reflets pour son numéro de l’été 2018 (juillet-août-septembre) est un pari courageux et un exemple à suivre. Sur 83 pages du numéro, le dossier en comporte 32, ce qui est en soi une gageure. Richement illustré, en particulier par Nadejda Menier artiste spécialiste de la manière noire, il est agréable à lire et accessible aux lecteurs non-avertis. Dans ces pages abondamment éclairées de poèmes et d’extraits d’auteurs d’hier et d’aujourd’hui (Jacques Prévert, Saint-Exupéry, Tagore, François Cheng, Xavier Grall, Jean Lavoué par exemple), pas de savantes gloses universitaires, ni de jargon de spécialistes, mais des entretiens et des articles écrits à la première personne qui établissent d’emblée une proximité avec le lecteur.
Il a été réalisé avec le concours actif et éclairé de la poète Brigitte Maillard, qui n’a de cesse de sortir la poésie et les poètes de la confidentialité et de leur entre-soi mortifère. Installée depuis quelques années sur la côte sud du Finistère où elle a créé les éditions Monde en poésie, elle a rencontré beaucoup de poètes de Bretagne. C’est naturellement qu’elle a invité quelques-uns d’entre eux dans ce dossier, tant « cette terre de Bretagne produit d’artistes ».
« Poésie, Dire l’indicible »
Le dossier « Poésie, Dire l’indicible » se structure entre quatre thèmes qui pourraient être les points cardinaux de la poésie : « s’émerveiller », « renaître à la vie », « les enfants sont des poètes », « l’invisible devient visible ».
L’émerveillement suscité par la poésie peut prendre diverses directions. Christian Bobin, pour qui la poésie « n’est pas une décoration, une joliesse », écrit dans son dernier livre Le plâtrier siffleur (3), qu’il y trouve matière à contemplation par un contact intense avec le réel, mais aussi une manière de comprendre et d’habiter le monde autre que par une réflexion analytique. Dans un article clair et précis, Pierre Tanguy, ancien journaliste et poète, évoque le « caractère concret et sensoriel (une vraie ouverture aux cinq sens) » du haïku, genre poétique bref d’origine japonaise et art du dépouillement qu’il pratique avec bonheur.
De l’émerveillement à la renaissance, il n’y a qu’un pas, franchi par Brigitte Maillard, à l’origine de ce dossier. Elle évoque dans un entretien son chemin d’éveil et son retour à la vie. Atteinte d’un cancer, la poésie a été son « lieu de renaissance » (4). Un passage du roman Le monde commence aujourd’hui de Jacques Lusseyran évoque aussi le secours de la poésie dans les traversées difficiles. Stéphane Hessel, dans un entretien radiophonique donné à Brigitte Maillard en 2011 et reproduit partiellement, confirme que la poésie a eu dans sa vie une place déterminante, notamment lorsqu’il fut enfermé dans les camps de concentration. Précédé par des poèmes d’Apollinaire et d’Aragon pour conjurer les horreurs de la guerre, un article est consacré au poète Robert Desnos, résistant et déporté, terrassé lors de la libération par les privations et les mauvais traitements, qui sut toujours garder sa dignité et « un abri dans la poésie ». Face aux drames, à la maladie, aux guerres, le poème se révèle un précieux recours.
Jean-Luc Pouliquen (5), qui a consacré un livre à son expérience de la poésie à l’école, témoigne que « les enfants sont des poètes », spontanément enclins aux inventions verbales et mêlant leur perception du monde réel à leurs rêves. Il confirme par là que la poésie n’a pas besoin d’être analysée, disséquée, expliquée pour être appréciée et comprise. Aux adultes que nous sommes d’en retirer la leçon en gardant intacte notre capacité d’émerveillement !
Le comédien Laurent Terzieff, lecteur passionné, considère la poésie comme « l’expression même de la vie » et comme une « ouverture vers cette face invisible du monde qui nous relie à tout et à tous ». Le poète Gilles Baudry, moine à l’abbaye de Landévennec, le rejoint dans cette quête de l’invisible. Si tous deux revendiquent leur foi chrétienne, il serait erroné de réduire leur approche du poème à celle-ci. Gilles Baudry parle de la poésie comme d’« une fenêtre qui s’ouvre » sur la vie et sur le monde. Cette quête concerne tout un chacun, quelles que soient ses convictions. Le dossier se ferme sur Joe Z, poète américain, pour qui la poésie « est ce qui nous garde vivants ».
Ce riche dossier témoigne que la poésie peut être abordée avec simplicité et qu’elle n’est pas un art obsolète. Quand bien même elle ne concerne pas un large public, elle a un rôle essentiel pour reconstruire du collectif là où il n’y a plus que des individus et des ego en concurrence. L’enjeu est de taille. En osant la poésie, la revue Refletsy contribue pleinement. Puissent d’autres revues et journaux oser la poésie à leur tour.
(1) Publiée par l’association Sens et Vie,la revue Refletsest en vente dans de nombreux kiosques, relais H, magasins de presse, dont la liste est disponible sur le site www.revue-reflets.org/.
(2) Commande et abonnement possibles en écrivant à : contact@revue-reflets.org/. Renseignements au 03.80.62.89.86, à Gilly-lès-Cîteaux. Prix du n° : 7,90 €
Comment dire la douleur de la perte d’un enfant ? Comment les mots peuvent aider à supporter l’insupportable ? Que peut la littérature ? Piedad Bonnett, romancière et poétesse colombienne nous dit, dans un récit bref et bouleversant, ce que fut l’abîme où l’a plongé le suicide de son fils, brillant artiste et étudiant en arts plastiques à l’université de Columbia à New York. Un livre fort et inoubliable, salué à sa parution, en 2013 en Amérique latine et en Espagne, par Héctor Abad et Mario Vargas Llosa.
Comment mettre des mots sur des mots, et des maux, qui touchent à l’indicible ? Ce qui n’a pas de nom décourage le commentaire tant ce livre va au plus profond de la douleur. Douleur d’une mère, la romancière et poétesse colombienne Piedad Bonnett, qui écrit et décrit le malheur et la mort de son fils. Douleur d’un fils qui a dérivé vers ce qu’on appelle trop brutalement et trop simplement la folie, en l’occurrence la schizophrénie qui l’a conduit au suicide.
Daniel Segura Bonnett est décédé à 28 ans le 14 mai 2011
Daniel, étudiant en art dans une université new-yorkaise, était un jeune homme dans l’angoisse récurrente et grandissante de ne pouvoir réussir ses études, son œuvre d’artiste, de peintre et de dessinateur, sa vie d’homme enfin. À dix-sept ans à peine, alors que la maladie ne l’a pas encore touché, il écrit déjà :
Nous nous créons des idées et des mythes pour dissimuler cette idée désolante, cette question sans réponse, le fait de ne pas avoir de but dans la vie ; voilà pourquoi nous avons inventé les religions, les êtres supérieurs : pour justifier notre existence. La solitude qui nous guette, qui nous assassine, pousse les foules au désespoir, parfois jusqu’au suicide.
Ce qui n’a pas de nom, c’est la détresse d’une mère à jamais orpheline de son enfant, pour autant qu’on puisse ainsi renverser l’ordre et le sens des mots. Ce qui n’a pas de nom c’est aussi la schizophrénie qui a tué Daniel, une pathologie que personne n’ose nommer, que ce soit les proches qui la redoutent, le malade qui peine à la combattre et y replonge régulièrement, et les psychiatres, trop lointains ou trop sûrs d’eux, qui échouent à la guérir. « Je ne vais pas prononcer le nom de cette maladie, pense le médecin, parce que je ne veux pas cataloguer [le patient], le condamner ou lui faire perdre espoir et le plonger dans la dépression ». Un mot et une pathologie qui font courir le risque au malade d’être mis à l’écart, de lui-même et du monde. Le suicide, enfin, ultime échappée du patient, est le dernier mot qu’on n’ose prononcer, par hypocrisie sociale et religieuse, comme s’il s’agissait de « parler d’un délit ou d’un péché ».
Œuvre de Daniel Bonnett, sans date, famille maternelle
Après la mort de son fils, Piedad Bonnett ne s’est pas contentée d’accepter cette disparition comme l’ont fait les proches et le reste de la famille. « La faute à sa maladie, disent-ils ». Elle a voulu réfléchir, trouver un peu de lumière dans sa nuit d’incompréhension et de douleur. « J’aimerais tant savoir combien de temps a duré son hésitation, de quelle magnitude a été sa souffrance, quels choix il a évalués, à quel moment l’étau s’est définitivement resserré. […] Entrevoir l’ampleur de sa délivrance lui a peut-être donné une paix intérieure momentanée, le courage de s’abandonner et d’abandonner le monde ».
Œuvre au crayon 2001-2002
Elle fait alors appel à des textes d’écrivains et de scientifiques qui ont écrit et témoigné sur les pathologies psychiatriques, sur le suicide et sur la mort. Pour appuyer sa réflexion, elle relit Michael Greenberg, Imre Kertész, Ann Weiss, Julian Barnes, Norbert Elias, Gottfried Benn, Sylvia Plath, Javier Marías, Vladimir Nabokov, Joan Didion. L’écriture du livre se tisse alors de citations et d’émotions partagées qui tendent à lui rendre la mort de son fils moins insupportable. Piedad Bonnett rappelle les mots de Juan José Millas :
L’écriture cautérise les blessures au moment même où elle les ouvre.
Les citations se succèdent, mais elle seule, Piedad, au bord du néant, achève son court récit en prononçant les mots les plus forts qui font monter les larmes : « Dani, mon Dani adoré. Tu m’as demandé un jour si je t’aiderais à aller jusqu’au bout. Je ne te l’ai pas dit à voix haute, mais je l’ai pensé mille fois : oui, je t’aiderais sans hésiter, si cela pouvait t’épargner cette souffrance immense. Mais, tu vois, je n’ai rien pu faire. Par ce livre, j’ai tenté de donner un sens à ta vie, à ta mort et à mon chagrin. D’autres que moi érigent des statues, gravent des pierres tombales. J’ai voulu te mettre au monde une seconde fois, dans la même douleur que la première, pour te permettre de vivre encore un peu, de ne pas disparaître de nos mémoires. Et je t’ai fait renaître avec des mots, parce qu’eux seuls sont assez souples pour ne jamais parler de la même voix, ne pas figer comme la pierre, ne jamais être tombeau. Ils sont tout le sang que je peux te donner et me donner ».
Un livre inoubliable.
Ce qui n’a pas de nom un roman de Piedad BONNETT aux Éditions Métailié. Publication : 07/09/2017. Nombre de pages : 136. ISBN : 979-10-226-0699-8. Prix : 17 €
Titre original : Lo que no tiene nombre
Langue originale : Espagnol (Colombie)
Traduit par : Amandine Py
*À noter que l’éditeur hispanophone, Alfaguara, a publié le texte original de Piedad Bonnett, Lo que no tiene nombre, en illustrant la couverture du livre d’un bel autoportrait du fils disparu tiré de son blog ici.
Piedad Bonnett est née à Amalfi, en Colombie. Elle enseigne la littérature à l’université des Andes, à Bogotá. Poète reconnue, elle a obtenu de nombreux prix et a été traduite dans plusieurs langues. Elle a aussi écrit plusieurs romans et pièces de théâtre.
L’association TommEo est de nouveau réunie pour présenter la 11e édition du festival Belle Ile On Air. Et comme chaque année, la citadelle Vauban à Belle-Île-en-Mer va vibrer au rythme des musiques actuelles. Partage, vivre-ensemble et authenticité régneront sur « la bien nommée ». Le festival tentera de réunir toutes générations confondues avec un vivre ensemble humaniste et authentique autour du projet BIOA.
Les festivaliers profiteront d’une programmation émergente et raffinée accompagnée de diverses activités proposées dans le cadre idyllique du Bois du Génie, vestige de la citadelle Vauban à Le Palais.
Belle Ile On Air va vous surprendre et vous faire rêver au milieu des vagues par sa programmation éclectique néanmoins pointue. Quelques pépites de la scène française et internationale débarquent sur la plus belle île bretonne. Des rythmes électro-tropicaux du beatmaker et multi-instrumentiste Clément Bazin, en passant par des sonorités rap et hip-hop avec le groupe belge L’Or du Commun, sans délaisser l’ADN soul et funk avec Dampa.
16 artistes se succéderont pour cette 11e édition de Belle Ile On Air sur l’une des deux scènes : scène Vauban et scène Ramonette.
J+1, vendredi 10 août, avec le lancement d’une programmation mêlant jazz, afro-beat et électro avec The Bongo Hop, YHRGHT, Nadia Rose, Dampa, Tshegue, Nickodemus et Arnaud Rebotini.
J+2, samedi 11 août offre un doux mélange d’électro, hip-hop et rap avec dans l’ordre de passage : Pumpkin & Vin’s da Cuero, il : lo, L’Or du Commun, Macadam Crocodile, The Mouse Outfit, SAMIFATI et Clément Bazin.
En tête d’affiche, le festival a le plaisir d’accueillir Arnaud Rebotini. Fondateur du label Black Strobe Records en 2011, DJ et friand de remix, ce passionné de synthétiseurs analogiques a plus d’une corde à son arc. Il s’est notamment fait connaître pour sa reprise de I am a man de Bo Diddley. Plus récemment, le cinéma lui offre un nouvel envol en enregistrant la signature de bandes originales dont celle du long métrage 120 battements par minute, qui s’est vue distinguée au Festival de Cannes en 2017 avec le remix du titre Smalltown Boy de Bronski Beat.
Clément Bazin sera aussi de la partie pour clôturer le festival. Il présentera son premier album, Everything Matters, qui repense l’électro aux douces sonorités tropicales grâce à un instrument qui lui est inséparable, le steeldrum, un tambour d’acier originaire de l’île de Trinité-et-Tobago.
Après une 10e édition réussie avec les passages remarqués de Seun Kuti & Egypt 80, Superpoze, Meute, Oddisee & Good Compny ou encore Bambounou, Belle Ile On Air tentera d’égaler les 9000 festivaliers présents l’an passé en l’espace de deux jours.
Les rendez-vous clefs :
– Un festival off le mercredi 8 août dans le centre de Le Palais pour ouvrir le festival au plus grand nombre.
– Deux soirées de concerts les vendredi 10 et samedi 11 août 2018.
– Un après-midi d’animations dans le village associatif du festival, en accès libre et gratuit, le samedi 11 août de 12h à 18h, dans le cadre féerique du Bois du Génie. Des activités ludiques et des animations seront proposées grâce aux partenariats avec les associations locales sensibles au développement durable et à la préservation de l’environnement.
Plus d’infos :
SITE ww://belleileonair.org/
FACEBOOK https://www.facebook.com/festivalbelleileonair/
INSTAGRAM https://www.instagram.com/belleileonair/
Depuis quatre à cinq ans, l’édition française nous offre, centenaire oblige, de beaux romans inspirés par le premier conflit mondial. Au revoir là-haut fut l’un des premiers d’entre eux, auréolé du Goncourt en 2013, puis porté à l’écran en 2017 par Albert Dupontel. Jean-Christophe Rufin nous en a offert un autre, en 2014, Le Collier rouge, bref roman, sobre, tendu, émouvant. Et qui, lui aussi, a les honneurs du septième art en ce printemps 2018, dans une réalisation de Jean Becker, avec François Cluzet et Nicolas Duvauchelle.
Été 1919, dans une sous-préfecture du Bas-Berry, Hugues Lantier du Grez, officier français de noble souche, chef d’escadron et juge militaire, vient interroger et statuer sur le sort de Jacques Morlac, prisonnier pour fait de rébellion et outrage public à l’armée et à la Nation, lui « l’ancien combattant issu d’une famille de cultivateurs, fort honorablement connue dans la région », et, qui plus est, caporal exceptionnellement décoré de la Légion d’honneur pour acte de bravoure sur le front oriental, du côté des Dardanelles.
Morlac est le seul occupant de cette vétuste et pestilentielle prison sous les murs de laquelle un chien famélique, au pelage abîmé, couvert de cicatrices, aboie sans cesse. Et pour cause, c’est son maître qui est enfermé là et qu’il attend dans des aboiements quotidiens, réguliers et insupportables.
La majeure partie du récit se résume à un huis clos, tendu et prenant, entre l’officier et son prisonnier. On pourrait croire les deux hommes définitivement rivaux l’un et l’autre : un aristocrate citadin face à un homme simple de la campagne, deux hommes et deux mondes que tout devrait opposer. Mais la guerre et ses horreurs pour Molac, et « une mise en scène militaire comme un folklore pénible » pour Lantier, las de la chose militaire et proche de quitter l’armée, finiront par atténuer leurs différences et leurs rivalités.
Le crime de Morlac est d’avoir, pris de révolte autant que d’ivresse, décoré son chien « Guillaume » – c’est son nom, comme le Kaiser ! – du prestigieux ruban rouge, combattant au front comme lui. On dit qu’il y en eut beaucoup, alors, qui suivirent leurs maîtres dans les tranchées. Et Morlac et Guillaume, décorés tous les deux, défileront côte à côte devant la tribune officielle garnie d’officiers supérieurs et d’édiles municipaux réunis là pour la célébration de la victoire en ce 14 juillet 1919.
Lantier, venu pour interroger le prévenu et rédiger un rapport pour ses supérieurs, veut comprendre l’entêtement de Morlac à refuser toute excuse envers la hiérarchie militaire. Il veut comprendre pourquoi ce chien hurle à la mort et pourquoi son maître s’est livré à une offense publique qui va l’envoyer au bagne, voire au peloton d’exécution. Pourquoi, enfin, ce paysan devenu soldat, hier héros, aujourd’hui près d’être banni, n’a de cesse de revendiquer son geste et de rejeter toute demande et toute expression de pardon que lui propose Lantier comme une planche de salut.
Avec quelques cigarettes, des permissions de promenade, dans un dialogue entre hommes qui finissent par s’écouter, et même se comprendre, avec l’aide aussi de la courageuse, tendre et timide Valentine, filleule d’un ami de Jaurès, « bonne amie » du prisonnier, Lantier parviendra à reconstituer le parcours du soldat et de son inséparable compagnon à quatre pattes. La source et l’explication du comportement de Morlac ? La lecture, ses lectures. Qui l’eût cru ? Morlac, le fruste paysan, s’est mis à lire les livres de la bibliothèque de Valentine et à ouvrir les yeux. Des textes de Rousseau, d’abord, de Jules Vallès, de Victor Hugo, des textes révolutionnaires ensuite, Proudhon, Marx, Kropotkine : « Si les prétendus héros refusent les honneurs abjects de ceux qui ont organisé cette boucherie, on cessera de célébrer une prétendue victoire. La seule victoire qui vaille est celle qu’il faut gagner contre la guerre et contre les capitalistes qui l’ont voulue » lance-t-il à Lantier.
Le juge, ébranlé dans ses convictions et touché par l’histoire de cet homme, laissera libre Morlac qui pourra retrouver Valentine. Et Lantier démissionnera de la carrière des armes pour retrouver avec hâte la vie civile et familiale, sans oublier… Guillaume qu’il emmènera avec lui !
Bref et beau roman, sobrement écrit, qui nous fait retrouver, dans cet après-guerre social et politique trouble, agité et confus, deux hommes et une femme animés seulement par la fidélité, la loyauté, l’orgueil et l’honneur.
Le collier rouge un roman de Jean-Christophe Rufin, Collection Blanche, Gallimard. 160 pages. Parution : 27-02-2014. 15,90 €
Après avoir passé une partie de sa carrière dans un répertoire orienté électro, le chanteur-guitariste-compositeur australien Redon Brown (alias Rhyece O’Neill) avait décidé de renouer avec une esthétique ancrée dans la musique électrifiée. Ce qu’il fit avec son premier groupe Greta Mob, puis sa formation actuelle, les Narodniks, avec lesquels il avait sorti l’album Übermensch Blues en 2017. La sortie en juin dernier de leur dernier opus Death of a Gringo, sur le label rennais Beast records, a été l’occasion d’entamer une tournée internationale, marquée en France par leur passage au Binic Folks Blues Festival du 27 au 29 juillet. Nous avons eu le plaisir de les revoir mardi dernier au théâtre de verdure du Thabor, dans le cadre d’une soirée off du festival de Binic.
Mardi dernier, avait lieu le Binic Folks Blues Fest Strike Back, after du Binic Folks Blues Festival du week-end dernier. Pour l’occasion, la première partie a été assurée de façon brillante par le duo rockabilly normand The Slighty Old Ones. La soirée a ensuite débuté par le set électrisant des italiens de Big Mountain County et leur rock psychédélique, suivi du groupe post punk australien Bench Press. Puis dès 22h, la nuit est enfin tombée sur le théâtre de verdure. Autant dire que les conditions étaient réunies pour que Rhyece O’Neill et les Narodniks puissent commencer leur prestation et placer le décor de leur univers musical ténébreux. Dans cette tâche, le chanteur et guitariste australien était ainsi épaulé de Karli Jade au chant, Rick Studentt à la basse, Liam Wilkerson aux claviers, Mark Sibson à la batterie et Tim Deane comme second guitariste.
En premier lieu, on peut définir leur esthétique comme faisant écho aux musiques de l’Americana. Ainsi, les deux premières chansons ont mis en évidence les influences blues de Rhyece O’Neill. La première était effectivement construite sur le rythme de la mesure dite « gospel », une métrique ternaire omniprésente dans les chansons lentes de blues rural et urbain. La deuxième, The Petite Bourgeois Blues (2013), présentait quand à elle la pulsation syncopée des chansons rapides de ce même répertoire. C’est cette même pulsation qu’on peut entendre par exemple dans le Boom Boom (1962) de John Lee Hooker. Rhyece O’Neill, pendant la période Greta Mob, avait d’ailleurs évoqué les grands bluesmen comme le même John Lee Hooker, Howlin’ Wolf et Lightnin’ Hopkins parmi ses influences.
Dans les autres chansons sont présents d’autres éléments incontournables du blues : outre la rythmique ternaire syncopée, elles présentent de courts motifs récurrents, énoncés par Rhyece O’Neill sur sa Fender Jaguar. De même, le songwriter australien exploite des procédés lyriques communs avec celle des bluesmen et des rockeurs. Parmi eux, son recours fréquent au vibrato Floyd Rose qui renforçait d’autant plus l’ambiance de « western noir » qu’il a voulu restituer dans sa musique. Par ailleurs, sa vocalité alterne entre un timbre caverneux, parfois comparé à celui de Nick Cave ou Leonard Cohen et une voix plus nasillarde ainsi qu’un lyrisme communs avec la vocalité de Bob Dylan. Cependant, il serait réducteur de se conformer à de telles comparaisons, d’autant plus que l’aspect plus traînant de sa vocalité, à travers ses inflexions et son phrasé, lui confère une identité vocale à part entière.
D’autres éléments semblent quant à eux puisés dans la musique savante occidentale. Ainsi, le rythme de valse viennoise constitue la trame des chansons Sea Shanty for the Coming Inferno et How They Roared. L’association de ce rythme dansant à cette esthétique musicale sombre et électrifiée renforce, par effet de contraste l’aspect maléfique et inquiétant de la musique des Narodniks. De même, la majorité des chansons est construite autour de tonalités mineures (hormis la première chanson, articulée autour de la gamme blues pentatonique). Alliées à la réverbération sonore et le rythme pesant de batterie dans la plupart des titres, elles participent de cette même ambiance, comme par exemple dans la chanson The Fire In You (2017). Cet élément omniprésent et accentué par la lourde ligne de basse semble tiré des esthétiques désenchantées du post punk et du grunge. On les retrouve ainsi dans certains morceaux associés à ces genres emblématiques, comme dans la chanson titre de l’album The Winding Sheet (1990) de Mark Lanegan et certains titres de Nick Cave avec les Bad Seeds.
La chanson Death of a Gringo, single et chanson titre de l’album, illustre parfaitement l’atmosphère à la fois fantômatique et très Americana des Narodniks. Précédée d’une introduction et suivi d’une outro magistrales, elle raconte le trépas puis l’ensevelissement d’un homme assassiné par un hors la loi mexicain. En accord avec le contenu des paroles, le discours musical semblait ici presque sorti d’outre tombe, comme une évocation évanescente. Davantage que dans les arrangements des versions studio, l’instrumentation était ici centrée sur le jeu guitaristique de Rhyece O’Neill et son guitariste, rendant l’ambiance plus tendue et expressive. Le geste musical qui traverse cette chanson peut rappeler celui du guitariste de rock américain Link Wray. Death of a Gringo est en effet basée sur des éléments similaires à ceux du fameux Rumble (1958) : un rythme de batterie quasi tribal, des accords de guitare saturée tranchants comme une lame de rasoir et un parcours harmonique épuré, ici fondé sur la gamme mélodique andalouse. Tous ces éléments réunis permettent de se figurer aisément le décor de la chanson, situé à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.
L’univers musical crépusculaire de Rhyece O’Neill et des Narodniks, loin d’être rhédibitoire, s’avère redoutable d’efficacité, tant il est envoûtant. Une dimension ensorcelante à laquelle contribuent la belle voix caractéristique et les lentes chorégraphies épurées mais non moins sensuelles de Karli Jade. De fait, la performance de Rhyece O’Neill et de son équipe semble avoir captivé la plupart des spectateurs du Thabor et on peut estimer qu’elle a bien retenu leur attention. Un concert qu’on n’oubliera pas de sitôt.
L’auteur a six ans lorsque sa mère, Tina Jolas, jeune épouse du poète André du Bouchet, rencontre l’homme qui va bouleverser sa vie, René Char. À travers le tracé sinueux et complexe de deux existences qui n’ont cessé de se chercher et se déchirer, la sienne et celle de sa mère, Paule du Bouchet dresse le portrait d’une femme secrète, entière et « emportée ».
« Je ne peux parler de ma mère sans évoquer les contours d’un paysage étrange qui me constitue. Celui que, parfois en toute conscience, parfois sans le savoir, je cultive comme un jardin secret. Celui de la disparition. »
Ce court texte est le récit d’une déchirure entre une mère et sa fille. Et ces pages ne sont pas une fiction, elles sont un témoignage vécu à la première personne, sans fioritures, sans ornements. « Je ne veux pas faire de l’art », dit son auteur.
Paule avait un père, le poète André du Bouchet (que la fille et sa mère ne désignent que sous l’initiale « A »), marié en 1949 avec la (très) jeune Tina Jolas, rapidement en désamour, puis en conflit avec André. Tina, quelques années plus tard rencontre un autre poète, grand ami d’André, René Char, ébloui lui-même par cette jeune femme, de vingt ans sa cadette.
Au printemps 1957, tout éclate, raconte Paule, la passion les a attaqués, elle et lui.
Coup de foudre, donc, pour parler banalement d’un amour qui n’aura pourtant rien de banal, passion ardente, ravageuse, destructrice, absolue. « Quand je vois Char, écrit Tina dans l’une de ses nombreuses lettres, incandescentes, qui jalonnent le texte de Paule, je sens à la fois une pesanteur et un souffle, je sais que je tremble, que sa main sur moi, la barre noire de son regard, oppriment ma poitrine […] me donnent le besoin de me jeter dans ses bras. […] Je sens gronder en moi, pour lui, pour A. de tels abîmes de déchirements ».
René Char (1907-1988)
Déchirement de Tina, et solitude, tristesse infinie de Paule, en qui, durablement et fortement, « s’est ancré le germe de l’abandon ». Cet attachement à Char, « cette force, dit-elle, la tirait hors de l’amour avec nous. […] René investissait le capital amoureux, se substituait à l’impératif catégorique d’amour entre elle et moi. […] Elle était emportée, d’un coup, brutalement, sans explications. Toute sa vie, où qu’elle se trouve, il y avait lui qui l’appelait ». Lui, dont Paule vint rapidement à souhaiter la fin (« Mon Dieu, faites qu’il meure ! » avoue-t-elle au début du livre) pour que le couple de ses parents, et elle entre eux deux, revive à jamais.
Paule du Bouchet
Voilà donc le récit d’une communion manquée entre une mère adorée (mais « terra incognita » confesse l’auteur) et sa fille, dont la blessure ne se refermera qu’à l’approche de la mort de Tina. Deux moments mèneront au terme de la vie de sa mère : le mariage inattendu de Char, cœur polygame, avec une collaboratrice de son éditeur (« Ma mère l’apprend par sa femme de ménage »), et la mort du poète, un an plus tard, le 1er février 1988. « Ce jour-là, ma mère a commencé à mourir ». « Durant toutes ces pages, conclut Paule du Bouchet, la sensation du malheur aura prévalu. Elle aura suivi le tracé sinueux d’une vie de manquement et d’errance. Et pourtant, brusquement au sortir de ces notes, le socle qui me constitue, celui que j’ai voulu obstinément oublier s’impose avec force : il est d’une joie sans mélange. Des sensations follement heureuses me reviennent, par je ne sais quelle grâce, peut-être celle d’avoir couché sur le papier ce long parcours d’absence. […] Ma mère qui m’a tout pris, mais aussi tout donné. Tout pris de l’amour, tout donné de l’amour. Tout donné de la joie. La joie profonde dont elle avait le secret, qu’elle portait en elle. Brusquement, elle reprend la première place. Comment le dire, cela, à l’instant de finir ? »
Livre de la douleur, magnifiquement écrit.
Emportée, un roman de Paule du Bouchet aux Éditions Actes Sud. Mars 2011. 112 pages. 15,30 €
Paule du Bouchet dirige le département Gallimard Jeunesse Musique depuis 1997 et, depuis 2004 la collection écoutez lire Gallimard. Elle est également l’auteur de nombreux ouvrages documentaires et romans pour la jeunesse.
« Au soir de sa vie, un homme riche et comblé se demande s’il n’est pas passé à côté de l’essentiel ». Publié aux éditions Picquier en 2017, Au soleil couchant du romancier coréen Hwang Sok-Yong – traduit par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet – a reçu le Prix Émile Guimet de Littérature Asiatique 2018, remis par le Musée national des arts asiatiques du même nom (Paris).
« Les écrivains sont et doivent rester la conscience, vivante et critique, de nos sociétés » (Hwang Sok-Yong)
Véritable portail de la culture d’Asie, le Prix Émile Guimet a été créé l’année dernière par le Musée national des arts asiatiques-Guimet dans le but de faire connaître la littérature contemporaine asiatique en France. D’octobre 2017 à mars 2018, un comité interne au musée – agents d’accueil et de surveillance, administratifs, conservateurs et personnel de la librairie – s’est évertué à lire un large éventail d’ouvrages en provenance d’Asie (publiés dans leur pays d’origine il y a moins de 10 ans et traduits en français au cours de l’année passée) avant de transmettre une sélection de six œuvres littéraires à un jury.
Après l’Indo-Britannique Rana Dasgupta et son roman Delhi Capitale, la deuxième édition du Prix Guimet a mis à l’honneur la littérature coréenne. En lice avec cinq autres œuvres littéraires venues des quatre coins d’Asie – Chine, Inde, Japon, Pakistan et Taïwan – c’est l’écriture délicate de l’auteur sud-coréen Hwang Sok-Yong et son roman Au soleil couchant qui a fait l’unanimité auprès du jury présidé par Brigitte Lefèvre – directrice artistique du Festival de Danse de Cannes, présidente de l’Orchestre de chambre de Paris et ancienne directrice du ballet de la danse de l’Opéra de Paris.
« En accordant ce prix à mon dernier roman, la France illustre sa politique de défense et de promotion de la diversité culturelle comme devant être le fil rouge de la mondialisation – politique que mon pays, culturellement et linguistiquement isolé, ne peut que partager »
Au Soleil couchant parle « d’un architecte qui, au soir de sa vie, tente un bilan. Il a beaucoup travaillé, il est célèbre, riche et comblé ». Cependant, Park Minwoo reçoit un jour le message d’une amie d’enfance qui l’a aimé. Les souvenirs resurgissent peu à peu et le pousse à s’interroger sur son métier : la corruption dans le milieu de la construction immobilière, sa responsabilité dans l’enlaidissement du paysage urbain, la violence faite aux expropriés. « L’idée de ce roman m’est venue quand j’ai vu, à la télévision, un documentaire sur Jeon Tae-il, cet ouvrier du textile qui s’est immolé par le feu dans le quartier de Dongdaemun pour protester contre les conditions inhumaines de son travail dans les années 1980 ».
Dès les premières pages, la plume délicate de Hwang Sok-young plonge Park Minwoo dans un monde oublié – pour ne pas dire renié. Dissimulés dans un recoin de sa tête, ses souvenirs le rattrapent au fil de la lecture. « Mon village tout en entier avait disparu ». Derrière la splendeur architecturale de la capitale sud-coréenne (Séoul) se cachent des vérités cachées. Qu’est devenu le ruisseau qui longeait la rue du village où il a grandi ? Les échoppes de la grande rue ? Et ces enfants souriants des quartiers détruits au profit de la modernité ? Park Minwoo semble définitivement être passé à côté de l’essentiel.
« Je suis un écrivain, certes engagé dans des combats – comment peut-il en être autrement ? – mais des combats que j’ai menés avec ma plume. Si ma plume a parfois servi à écrire des tracts ou des libelles, je l’ai surtout mise au service de l’écriture de nouvelles et de romans » (Hwang So Yonk)
Un deuxième personnage entre en scène. Jeong Uhee est une dramaturge de 29 ans en quête de stabilité professionnelle et caissière la nuit afin de (sur)vivre. Chapitre après chapitre, l’auteur alterne les époques et les points de vue entre Park Minwoo et Jeong Uhee, offrant un large panorama de la société coréenne et son esprit – l’usage de la première personne peut d’ailleurs désemparer à la première approche. Le lecteur est alors plongé dans un abîme qui sera éclairci en fin de lecture.
Plus qu’une histoire, Hwang Sok-yong dépeint une réalité désarmante où l’humain n’est pas pris en considération. « Quelle place avez-vous réservée à l’homme dans vos projets architecturaux ? ». Il retrace le passé et le présent d’une Corée du Sud aux conditions de vie inquiétantes pour nombre de Coréens, où la pauvreté, la violence et la corruption sont de réelles problématiques sociétales. « Ce qu’ils (architectes) laissent, ce peut n’être rien d’autre qu’une figure hideuse de la cupidité ». Deux classes sociales se confrontent autour d’une même idée – la dénonciation du système économique d’une Corée modernisée.
Dans ce livre amer, mais adouci par un style épuré, Hwang Sok-yong pousse le personnage principal à s’interroger, mais également le lecteur. Au final, qu’est-ce que réussir sa vie ?
Brigitte Lefèvre, directrice artistique du Festival de Danse de Cannes, résidente de l’Orchestre de chambre de Paris Sophie Makariou, présidente du MNAAG Florence Evin, journaliste Alexandre Kazerouni, chercheur à l’École Normale Supérieure Dominique Schneidre, auteur Florine Maréchal, librairie à la librairie Le Phénix Emmanuel Lincot, locteur en Histoire et sémiologie de l’image, spécialiste de la culture
Les cinq autres romans sélectionnés pour l’édition 2018 :
– Le jeu du chat et de la souris, A Yi, Chine, Stock, traduit du mandarin par Mélie Chen
– Le magicien sur la passerelle, Wu Ming-yi, Taïwan, L’Asiathèque, traduit du mandarin par Gwennaël Gaffric
– Le Prisonnier, Omar Shahid Amid, Pakistan, Presses de la Cité, traduit de l’anglais par Laurent Barucq
– La colère de Kurathi Amman, Meena Kandasamy, Inde, Plon, traduit de l’anglais par Carine Chichereau
– Les mensonges de la mer, Nashiki Kaho, Japon, Picquier, traduit du japonais par Corinne Quentin
Au soleil couchant un roman de Hwang Sok-yong, traduit par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, Editions Picquier. 192 pages. 9782809712735 – 17,50 €. Octobre 2017.
Hwang Sok-yong
Né en 1943 en Mandchourie, où sa famille avait fui l’occupation japonaise, Hwang Sok-yong arrive en Corée en 1945, d’abord au Nord, puis au Sud. Il combat les régimes autoritaires qui se succèdent jusqu’à la fin des années 1990, est emprisonné pour ses idées et milite pour la réconciliation des deux Corées. Son œuvre, traduite dans le monde entier, témoigne de ses combats pour la liberté. « Hwang Sok-yong est aujourd’hui, sans conteste, le meilleur ambassadeur de la littérature asiatique », a écrit le prix Nobel de littérature Kenzaburô Oe.
Alexandre Lacroix, philosophe, romancier, journaliste – fondateur et directeur de Philosophie magazine – a publié en 2016 un texte très instructif, Ce qui nous relie, tout à la fois essai et récit d’un périple qui l’a emmené aux quatre coins du monde à la rencontre d’acteurs, influents ou pionniers, de la Toile. Il a ainsi dialogué avec trois hommes essentiels à la compréhension des enjeux et de la révolution du web, ce réseau mondial apparu en 1989 grâce à un certain Tim Berners-Lee, concepteur du HTTP et du HTML, qui a bouleversé depuis un quart de siècle l’ensemble des activités humaines.
Julian Assange, premier de ces acteurs du web rencontré par notre philosophe, est le fondateur de Wikileaks. Alexandre Lacroix l’a rencontré aux fins fonds de la campagne anglaise juste avant qu’il ne se réfugie à l’ambassade d’Équateur à Londres pour échapper à l’extradition réclamée par les USA et la Suède. Son crime, on le sait, fut de divulguer, via le web, des informations sur des opérations d’évasion fiscale d’envergure, d’une part, des « bavures » de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan, d’autre part, opérations qui, dans tous les cas, relevaient du secret bancaire ou militaire.
Wikileaks est le cauchemar des États et des institutions, car Assange encourage
Quiconque, employé d’une banque, militaire ou fonctionnaire, ayant eu vent de délits, voire de crimes commis par son organisation et devenant des pièces à conviction, à les envoyer à Wikileaks anonymement, le site se chargeant de les publier » (Alexandre Lacroix).
Secret des sources et sécurité des informateurs garantis. Dans sa retraite forcée à l’ambassade d’Équateur à Londres, Julian Assange, par l’entremise d’Alexandre Lacroix et de Skype, va aussi dialoguer avec Peter Singer, penseur australien, auteur d’un article remarqué, Visible man, ethics in a world without secrets (Harper’s, août 2011). Les deux hommes prônent la transparence, mais si l’homme visible de Peter Singer est sous surveillance, il reste, comme dans le 1984 d’Orwell, à la merci du regard d’une organisation ou d’un gouvernement, ce que combat Assange pour qui la transparence ne s’applique qu’aux puissants de ce monde, pas aux citoyens de base dont il faut, au contraire, protéger la vie privée.
La deuxième rencontre d’Alexandre Lacroix est celle d’un certain Philippe, anonyme citoyen français émigré au Paraguay. Il est aussi une sorte de lanceur d’alertes, mais d’un type très particulier : c’est un truther, celui qui cherche et veut dévoiler ce qu’il considère être une vérité, à tout coup occulte et inquiétante. On le nomme aussi, en France, un conspirationniste ou un complotiste. À la différence d’Assange qui diffuse des informations brutes, sans hiérarchie ni commentaires, le truther repère une information trouvée sur le web qui le séduit, généralement avérée, donc d’autant plus troublante, qu’il va « scénariser » à sa façon sur la Toile, « avec des bons et des méchants » (A.L.), sous-entendant un complot occulte et malveillant, à l’échelle d’un pays, d’un continent, voire de la planète. Les conspirationnistes auraient ainsi désigné l’organisation « HAARP » (High Atmosphere Auroral Research Program) pour lancer l’idée que les ondes électriques des grandes antennes de ce centre scientifique américain implanté en Alaska sont aptes à faire couler un sous-marin, détruire un avion en vol, dérégler le climat ou provoquer des tremblements de terre !
Peter Thiel
Le troisième personnage important rencontré par Alexandre Lacroix est Peter Thiel, milliardaire de la Silicon Valley, apôtre du transhumanisme qui « préconise d’utiliser l’ensemble des moyens biomédicaux pour faire reculer la mort » (A.L.). La prochaine innovation véritable sera le « reliement » de l’homme à la machine. Il s’agira de « créer au moyen de la technologie une entité plus puissante que l’intelligence humaine […], un mélange de biologie et d’ordinateur ». C’est Vernor Vinge, mathématicien de l’université de San Diego (mais aussi auteur reconnu de romans de science-fiction) qui parle ainsi, dès 1993, relayé en 2005 par le directeur de l’ingénierie de la firme Google, Ray Kurzweil, dans son ouvrage Singularity is near. Dans cette ère « webmoderne » (A.L.), l’humain se transformera en être mi-biologique, mi-informatique, connecté au web ! « C’est autour des interfaces entre le corps humain et le réseau qu’il faut maintenant prospecter, nous disent les médecins, biologistes et informaticiens [réunis dans] la “Singularity University” en Californie » (A.L.).
Julian Assange
Peter Thiel est aussi un libertarien, adepte d’une société libérée de toute contrainte, de toute régulation ou intervention étatique fonctionnant sur les seuls rapports contractuels entre adultes consentants. Un tel monde, sans politique ni règles ou institutions, n’est guère envisageable ailleurs que dans un cyberespace. Très logiquement, Peter Thiel s’intéresse exclusivement aux petites start-up, seules capables selon lui, par leur souplesse, leur réactivité et leur inventivité, d’aider au progrès technologique et de « produire le saut qualitatif. […] L’État-nation, l’entreprise industrielle ou les médias […] sont remis en cause. […] Alors qu’ils étaient jeunes et sans moyens financiers, Assange ou Snowden ont défié la superpuissance américaine. […] Amazon vaut désormais davantage que Wal-Mart, la première chaîne de supermarchés des USA. […] Et les truthers, eux, court-circuitent les messages émis par les grands médias ». (A.L.).
Alexandre Lacroix
Il n’est personne à présent qui ne soit connecté, immergé dans un monde en réseaux qui « s’apparente à une troublante télépathie assistée par les machines. […] Un nouveau monde est en train d’émerger, et nous en devinons tout juste les paysages. […]. Jusqu’où Internet changera nos vies ? » conclut Alexandre Lacroix dans ce livre vivant et passionnant, dessinant un futur qui en fera peut-être frémir plus d’un !
Ce qui nous relie, un essai d’Alexandre Lacroix, Éditions Allary. 300 pages.18,90€.
En librairie depuis le 7 janvier 2016
EAN : 978-2-37073-066-4
Alexandre Lacroix est directeur de la rédaction de Philosophie Magazine depuis sa création. Essayiste et romancier, il est traduit dans une douzaine de pays. Il est notamment l’auteur de L’orfelin, Voyage au centre de Paris, Comment vivre lorsqu’on ne croit en rien ? Contribution à la théorie du baiser, Ce qui nous relie et La Muette. Son dernier essai paru est Pour que la philosophie descende du ciel (Allary Éditions, 2017).
Comme on le sait, en Bretagne, l’été est rythmé par les festivals de musiques en tous genres. Mais hormis le mastodonte des Vieilles Charrues, Bobital et le festival du roi Arthur, il y en a un qu’il ne fallait pas manquer: le Binic Folk Blues Festival. Organisé par l’association La Nef des Fous et le label rennais Beast Records, il s’est déroulé du 27 au 29 juillet et a offert une programmation de qualité qui mettait notamment à l’honneur la scène rock australienne. Retour sur la journée du samedi 28 juillet, avec les prestations de Big Mountain County, Infinity Broke et Rhyece O’Neill & les Narodniks.
Si le Binic Folks Blues Festival a pu conserver pendant dix ans son identité unique, elle le doit en partie à son public. Parmi les milliers de personnes qui s’y sont rendues, se trouvaient bien sûr une foule de locaux curieux et éventuellement des touristes de passage. Le festival de Binic peut néanmoins se targuer de réunir chaque année un noyau de fidèles de 5000 à 7000 spectateurs, tous passionnés des différents courants du rock. On pourrait alors se demander si son appellation de « folks blues festival » ne prête pas quelque peu à confusion : faute de groupes puristes perpétuant ces traditions musicales américaines, la présence du blues et du folk ne semblent perceptibles qu’à travers différents dérivés, principalement des adaptations via les esthétiques du « swamp rock » et du « blues rock ». C’est notamment ce qui est ressorti de la programmation de l’édition 2018, dont le tiers des artistes sont signés chez le label rennais Beast Records, premier partenaire du festival et promoteur de ces esthétiques. La journée de samedi a été, quant à elle, marquée par des groupes dont la musique peut être associée aux esthétiques du post punk ou des courants du rock alternatif, parallèlement au garage rock et au blues rock.
A 16 h 15, la scène Banche a ainsi accueilli Big Mountain County, groupe italien formé par le chanteur-guitariste Alessandro Montemagno, le claviériste-guitariste Francesco Conte, le batteur Bruno Mirabella et le bassiste Wolfman Bob. Ce quatuor romain qualifie sa musique de rock psychédélique. En effet, on remarque que leurs chansons comportent quasiment toutes des passages à l’instrumentation directement influencée par ce courant musical. C’est notamment le cas lors des ponts, pendant lesquels on perçoit une rapide atténuation de la nuance, puis son retour à une nuance forte, comme par exemple dans la chanson Brain Machine. Mais à l’oreille, on pourrait croire que leur esthétique semble puiser avant tout ses influences du côté de la musique surf et du garage rock. Brain Machine est effectivement similaire à la chanson Surfin’ Bird (1963) des Trashmen, morceau de surf rock qui fut considéré comme précurseur de la musique garage : elle est effectivement polarisée autour de l’accord de tonique en mi majeur et d’un rythme « straight » effréné. De même, l’accès de délire mis en scène par Alessandro Montemagno s’apparente à celui placé au centre du titre des Trashmen par leur chanteur Dal Winslow.
Nous pouvons également évoquer l’énergique Fun Fun Boogie, titre dans lequel les musiciens adoptent une esthétique quasi inspirée du rock’n’roll et de ses dérivés des années 1960 : un rythme straight, une instrumentation construite autour d’un jeu presque « honky tonk » de guitare électrique en son clair. Mais par ailleurs, la ligne mélodique de la guitare solo sur ce morceau exploite également la modalité, ce qui semble refléter une certaine influence des musiques orientales.
Un set mélangeant donc psychédélisme et tempos endiablés, auquel le public de Binic semble avoir été réceptif.
Jamie Hutchings. Photo Clément Guyon
La performance du set suivant fut assurée par le groupe australien Infinity Broke, sur la même scène Banche. Il s’agit d’un projet du chanteur et guitariste Jamie Hutchings, mené en parallèle de son autre groupe Tall Grass, également présent dans la programmation du festival. Il était ainsi accompagné de Reuben Wills à la basse et de Jared Harrison, ancien compère de son premier groupe Bluebottle, à la batterie. D’une manière générale, les chansons d’Infinity Broke sont décrites comme relevant d’une esthétique apparentée au krautrock. Elle est marquée, en effet, par un fort aspect expérimental au niveau du timbre et parfois de l’harmonie (Sinless), donnant très souvent lieu à des improvisations dissonantes (Moonsoon). Mais certains éléments, comme l’association de la guitare saturée à un rythme straight quasi martelé, la rapproche également du rock alternatif. D’autant plus que, sous certains aspects, le timbre de voix de Jamie Hutchings s’apparente fortement à celle de Brian Molko, le chanteur solo du groupe Placebo.
Dans d’autres chansons comme Famine of Words, certains éléments de l’instrumentation semblent puisés dans les esthétiques du rock des années 1960. On y retrouve ainsi dans Only The Desert Grows des éléments semblables à ceux d’Apache, morceau instrumental enregistré et popularisé à cette période par les Shadows : cette chanson se caractérise par une tonalité en la mineur et une instrumentation articulée de motifs lancinants à la guitare électrique, ainsi qu’un rythme de cavalcade à la batterie. Mais le timbre ici saturé de la guitare évoque davantage celui utilisé par Neil Young avec le Crazy Horse. De plus, certains des morceaux d’Infinity présentent un rythme de type « shuffle twist » semblable à celui du célèbre morceau instrumental de Dick Dale et les Del Tones, Misirlou (1963). Ils ont su véhiculer une énergie qui avait elle aussi son efficacité et s’inscrivait pleinement dans la philosophie du Binic Folks Blues Festival.
Une demi-heure après, c’était au tour de Rhyece O’Neill et de ses Narodniks, eux aussi venus d’Australie comme quelques groupes programmés au festival. Le guitariste australien s’était alors entouré de la chanteuse Karli Jade, et Tim Deane comme second guitariste, Rick Studentt à la basse, Liam Wilkerson aux claviers et Mark Sibson à la batterie. On a pu remarquer d’emblée que leur esthétique contraste avec les prestations plus dynamiques de Big Mountain County et d’Infinity Broke. Même si elle est également inspirée des musiques populaires américaines, elle établit dans le même temps une atmosphère fantomatique qui la rend réellement singulière. Un aspect sur lequel nous nous attarderons plus longuement dans un prochain article, à la suite de leur passage au jardin du Thabor mercredi 1er août.
Étrange destinée que celle de ce texte autobiographique : dans un premier temps, Yann Queffélec en envoya le manuscrit à son éditeur puis, pris de remords, lui demanda d’en suspendre la publication. L’éditeur attendit de recevoir une éventuelle nouvelle version. Qui ne vint jamais. Il se décida alors à publier ce texte sans l’aval de l’écrivain. Cas probablement sans précédent qui fâcha définitivement auteur et éditeur. Il n’empêche, cette autobiographie, non autorisée si l’on peut dire, est à lire absolument : Yann Queffélec y fait un portrait sensible, attachant et poignant de sa mère qu’il aima plus que tout, dont la disparition, rapide et prématurée, le laissera inconsolable.
Elle a disparu si furtivement que je me demande encore aujourd’hui quand elle va rentrer. Avec le recul, je me pose une question. Ma mère n’a-t-elle jamais été heureuse avec nous, si exigeants ? Avec ce livre, je vais à sa rencontre, je la rejoins…
Le titre peut surprendre. Yann Queffélec s’en est voulu d’ailleurs de l’avoir choisi avec cette connotation proche, trop proche, de Pagnol. Queffélec jugeait aussi la composition du texte maladroite. Il est vrai que la première moitié du livre ne parle, ou presque, que de sa relation complexe et complexée avec Henri, son romancier de père, brillant normalien de la rue d’Ulm, camarade de Gracq et de Pompidou, ami d’Audiberti. La figure de la mère n’y apparaît alors qu’en second plan. Et en figure victimaire, car Henri est un homme difficile à vivre, que ce soit avec son épouse ou ses enfants. Yann, Jean dans ce texte, en sait quelque chose, qui hérisse son père pour la moindre vétille, la moindre maladresse verbale. Il est un homme autoritaire dans ses choix de vie également : impossible de le faire déménager de son immeuble parisien où la famille s’est mis à dos, pour tapage diurne et nocturne, l’ensemble des copropriétaires. Henri les prend tous de haut et ne veut parler à aucun d’entre eux !
Yann Queffelec
Rien ne compte que son labeur d’écrivain, seule et aléatoire ressource du foyer qui fait de lui un anxieux permanent. Son épouse, Yvonne, subit les exigences d’un mari impérieux qui étouffe tous ses rêves d’un ailleurs, au soleil, au Sud, baigné de mer et d’exotique nature, une mère malheureuse sous la férule d’un mari dont elle a peur et qui « répugne aux éclats dont il abuse » à l’égard de son fils Yann, une femme perdue dans une famille d’oncles et de tantes aux dents longues, riche famille prête à se déchirer pour des actes notariés, à tout perdre si l’orgueil s’en mêlait, l’orgueil calamiteux du fric et du sang », une femme éprise d’un autre homme, avant Henri, que sa famille n’a jamais accepté. Nous sommes dans la rigueur morale et sociale des années 40 et 50 où l’épouse et mère n’a guère que le droit d’obéir et de subir : « Elle répétait souvent que le plus difficile en amour est de bien connaître la personne avec laquelle on vit et que dix ans, vingt ans ne sont pas de trop pour se faire une idée ». Elle aimera ce mari, malgré tout, « aussi généreux qu’égoïste, prodigue de son ardeur au travail et de son intelligence, avare de son amour ». Yann, toujours infiniment tendre et indulgent avec sa mère, le répète : « À l’honneur de maman, le fait qu’elle ne mette jamais en difficulté l’adage universel depuis les primates armés de pierres taillées : l’autorité vient du père. Je ne l’ai jamais vu refuser publiquement à son mari ce rôle de juge ou de justicier domestique, gardien solennel de la chose morale, dont il aime les drapés et les fulminations ».
Ce livre retrace la relation houleuse que j’ai toujours eue avec mon père, l’homme que j’ai le plus aimé, admiré, craint, et qui voulait me faire plier sous sa loi. Il raconte aussi le déclin familial des Queffélec, des gens contradictoires, aussi modestes que prétentieux, aussi discrets qu’arrogants.
Yvonne fut pianiste, au grand dam des voisins lassés d’entendre jour et nuit les exercices mélodiques et les arias schubertiens ou mozartiens. Un instrument qu’elle enseigna à Anne, devenue la fierté de toute la famille après son premier prix du prestigieux concours du Conservatoire de Paris qui donnera à sa mère « son plus grand bonheur de maman ». Yann pavoisera aussi pour « Tita, ma petite sœur, qui est ma grande sœur, ma très grande sœur ». Une sœur qui s’envolera vers une carrière de concertiste laissant le frère un peu plus seul et triste, consolé par l’amour sans égal et le regard infiniment tendre de sa mère, ce regard qui « pouvait offrir bien plus que l’horizon marin paré de toutes ses étoiles, un soir de pleine lune au mois d’août ». Une mère qui finira aussi par l’inquiéter, avec « ses larges cernes autour des orbites, le teint cireux, mais ça ne m’a pas effleuré qu’elle pouvait avoir mal ou qu’elle espérait de moi une parole comme ça : ça ne va pas, maman ? ». À l’été 1967, ce sera le bonheur ultime et absolu d’un mois passé à Belle-Île avec Yann qu’elle chérira et gâtera comme jamais, et comme pour mieux jouir une dernière fois de la vie avant les sombres prémices de la maladie. Yann ne connaîtra la réalité du mal de sa mère qu’imparfaitement, sourdement, par les courriers qu’il reçoit dans sa nouvelle pension de Dreux. « Les lettres filtrent la gravité des choses ». Henri, avec une pudeur qui cache le désespoir, s’enfermera de plus en plus dans son cabinet de travail. Un coup de téléphone en pleine nuit, auquel le jeune Yann fortuitement répondra avant son père, annoncera la terrible nouvelle.
Le livre s’achève ainsi. Yann venait de perdre le grand amour de sa vie.
Le piano de ma mère, Yann Queffélec. Éditions l’Archipel. 18.80 €, EAN : 9782809802177, mai 2010
Parmi les 381 romans pour la littérature française, vous trouverez facilement les ténors de la littérature, les habitués des plateaux télé. Pas de rentrée sans Amélie Nothomb. « La personne qui aime est toujours la plus forte. » Que cache la sempiternelle phrase de quatrième de couverture énigmatique ? Pour le savoir, il faudra lire Les prénoms épicènes (Albin Michel, 22 août 2018).
Mais je vous conseille surtout les nouveaux romans de Maylis de Kerangal (Un monde à portée de main, Verticales, 16 août 2018), de Jérôme Ferrari (à son image, Actes Sud, 22 août 2018), de Gwenaëlle Aubry (La folie Elisa, Mercure de France, 23 août 2018) et de la Franco-Canadienne Nancy Huston (Lèvres de pierre, Actes Sud, 22 août 2018).
Parmi les 186 romans en littérature étrangère, vous aurez plaisir à retrouver la plume poétique de Lyonel Trouillot (Ne m’appelle pas Capitaine, Actes Sud, 22 août 2018), le lyrisme de l’Islandais Jon Kalman Stefansson (Asta, Grasset, 29 août 2018), la langue épurée du Sud-Africain JM Coetzee (L’abattoir de verre, Seuil, 16 août 2018).
Mais je voudrais surtout m’attarder sur quelques-uns des 94 premiers romans, car le nombre et la qualité sont remarquables.
En littérature francophone, vous tomberez sous le charme de la jeune héroïne du roman d’une jeune Belge, Adeline Dieudonné, La vraie vie (Édition de l’iconoclaste, 29 août 2018). Ce roman coup de cœur est le parcours initiatique, drôle et violent d’une jeune fille surdouée. Sa vie de famille entre un père chasseur misogyne et une mère craintive et effacée explose le jour où elle est indirectement responsable de la mort du marchand de glace. Son jeune frère, témoin du drame, se replie dans le silence puis la violence. La jeune narratrice voudrait tant lui redonner le sourire. L’ensemble est particulièrement bien construit. L’auteur enrobe son récit principal de tant de petites choses que le résultat est à la fois percutant, sensible et charmant.
Si vous aimez vous cogner à la fraîcheur ressourçante de paysages sublimes, partez à L’écart (Éditions du Globe, 29 août 2018) avec Amy Liptrot. L’auteur raconte son combat contre l’alcool et la joie que procure la communion avec la nature écossaise des îles des Orcades. Plonger dans le savoir, dans la découverte de son pays pour résister à l’envie de boire. Sa curiosité, aidée des pouvoirs de l’ère numérique nous entraîne à déchiffrer le ciel, à s’émouvoir de l’observation d’espèces animales, à arpenter les terres rugueuses, à plonger dans les mers froides. Un grand et beau voyage.
Encore plus dépaysant, partons en Malaisie avec Mary-Anne, l’orpheline, héroïne du premier roman de Shih-Li Kow, La somme de nos folies (Zulma, 23 août 2018). Des personnages étonnants, une histoire de famille, la magie d’un pays pour ce roman qui alterne évènements cocasses et détresse humaine. Racisme, homophobie, deuil, abandon, mais aussi de très belles démonstrations d’amitié et de respect.
Souhaitons à ces primo-romanciers de connaître le bonheur de revenir avec d’autres succès comme Jérémy Fel qui publie son second roman (Helena, Rivages, 22 août 2018) ou Guy Boley (Quand Dieu boxait en amateur, Grasset, 29 août 2018). Deux auteurs qui, une fois de plus, ne manqueront pas d’attirer l’attention.
Une seconde de trop… Et vous perdez tout ! Et tout est foutu ! Et tout bascule ! Et le réel n’a plus de sens ! Et la folie comme le désespoir s’emparent de vous. Que faire sinon attendre, espérer, croire que demain sera moins catastrophique qu’aujourd’hui ? Que cette nuit ?
J’observe un oiseau qui apporte à manger à ses oisillons. La façon dont il veille sur eux, la façon dont il les protège. Et puis je me dis : « Tu es meilleure mère que moi. »
Hatidza Mehmedovic, mère de deux fils assassinés à Sebrenica.
On entend souvent – à juste titre probablement – que le pire est de survivre à ses enfants. Que ce n’est pas dans l’ordre des choses, que Dieu – quand on n’y croit -, ne peut laisser faire une chose aussi abjecte. D’autres croyants pleurent et pensent que c’est une mise à l’épreuve. Mouais… Le pire réside peut-être dans la disparition d’un enfant que l’on ne retrouve pas. Absence omniprésente. Le pire du pire sans doute. Ne pas savoir, ne pas mettre d’images sur la mort, ne pas pouvoir « faire son deuil ». Mais peut-on réellement « faire son deuil » d’un être cher innocent de tout, coupable de rien.
Un, deux, trois… Lisa Dale ferme les yeux et compte jusqu’à cent lors d’une partie de cache-cache avec sa fille. Quand elle rouvre, Ella, quatre ans, a disparu. Sans laisser la moindre trace. La police, les médias et la famille de Lisa s’unissent pour retrouver la fillette. Et si leur instinct les éloignait d’Ella ? Si le ravisseur était connu d’eux tous ?
Dans ce thriller psychologique haletant où le suspense est entretenu de manière constante, Linda Green nous entraîne dans une ambiance suffocante où chacun finit par suspecter tout le monde, où les questions à propos de la petite Ella, disparue, se posent sans cesse. On retrouve bien sûr tous les codes usités dans ce genre d’histoire, qu’ils soient appliqués aux romans comme aux meilleures des fictions. Il n’empêche, même si l’on pense se laisser guider par la plume de l’auteure tout au long de ces longues recherches, on enquête aussi, car Linda Green nous invite à prendre place à chaque page. Tour à tour, nous devenons donc enquêteur(trice), parents, frères et sœurs, mais nous épousons aussi le point de vue du ravisseur, ce qui nous réserve moult surprises.
Et si le pire était encore à venir ? C’est le sentiment qui croit en nous à chaque chapitre dévoré. Un roman totalement envoûtant, un régal à déguster pendant cette période de pause.
Une seconde de trop, un roman de Linda Green aux Éditions Préludes, 445 pages, mai 2018, 16,90 €.
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Freddy Michalski.
Linda Green est journaliste et a collaboré à The Guardian et The Independent. Elle vit aujourd’hui dans les West Yorkshire avec son mari et son fils de onze ans.
Libérer la parole, trouver des solutions en groupe, le tout en s’amusant beaucoup : ce sont les ingrédients convaincants de la formule proposée par Florence Larue et Arnaud Vincent de Psycomédie depuis 2014. « Metteurs en scène de solutions » comme ils se définissent, les deux comédiens animent des ateliers sur des problématiques sociétales auprès de publics très différents. Les réseaux sociaux, la vie affective et sexuelle, le harcèlement, la violence sont passés au crible avec Arnaud et Florence au sein des collèges, lycées, prisons, ESAT (Établissement et service d’aide par le travail), entreprises, sur un ton loin d’être moralisateur, bien au contraire. Et les thèmes sont infinis, car l’association Psycomédie est ouverte à toutes les propositions. Humour, réflexion et solutions sont au programme.
Un nez rouge et des lunettes comme accessoires à l’image de leurs deux spécialités : la comédie et la psychologie sociale. Florence est psychologue sociale, elle a étudié les influences du psychisme sur les relations que chacun entretient avec autrui (source : Psychologies.com). Après quelques années dans le marketing, elle a travaillé dans l’insertion et l’orientation scolaire, recherchant davantage de sens dans son activité. Arnaud est, lui, comédien et intervenant théâtre pour des personnes avec ou sans handicap, des personnes présentant une addictologie, des jeunes avec un trouble du comportement.
Ces deux personnalités se sont bien trouvées et l’envie de s’associer a émergé lors d’un cours de théâtre commun. L’idée était de créer « Farz Book » (comme « farce » en breton), projet phare et novateur de l’association pour parler des réseaux sociaux. À cette occasion, Arnaud lança à Florence : « tu es psycomédienne » (psychologue et comédienne). Et quelque temps plus tard, Psycomédie prenait forme. Le duo multiplie les interventions depuis 2013 dans des milieux aux problématiques différentes, mais complémentaires. « Chaque expérience nous enrichit et nous apporte pour les expériences suivantes », indique Arnaud.
Cachés sous leurs perruques, Florence et Arnaud abordent des thèmes sensibles et délicats. Auprès des collégiens et lycées, la moitié des ateliers sont réalisés sur les réseaux sociaux et le harcèlement. Derrière ces grands thèmes dont on ne cesse de parler se cache le manque de respect et d’empathie. L’association a mis en place un programme « Bien vivre ensemble » à ce sujet. Les relations filles-garçons, le sexisme, le consentement, la pornographie sont également des sujets abordés, de façon différente selon les âges et les milieux sociaux. L’équipe médico-sociale de chaque collège ou lycée définit au préalable les objectifs des séances avec Florence et Arnaud.
Avec beaucoup de bienveillance, le duo se confronte parfois à des situations compliquées pour mieux les appréhender et les résoudre. C’est le but. Arnaud raconte avoir été plaqué contre le mur par un détenu lors d’un atelier pour lequel dix détenus violents avaient été choisis. Il s’agissait de mettre les participants dans des situations où ils seraient susceptibles de provoquer de la violence, pour mieux la contrôler ensuite. « Ce type d’exercice ne se réalise pas en début de séance. Nous parlons d’abord ensemble, d’autres scènes sont réalisées en amont » explique Florence.
Laurence Galton Sommé @LGS Photos
La plupart du temps, elle n’indique pas qu’elle est psychologue, car parfois « cela crée des réticences ». Pour une séance sur le thème de la sexualité avec des personnes handicapées, elle l’a annoncé en début de séance, car c’était un « gage de sérieux ». Cela a pu permettre à certaines personnes de se sentir davantage en confiance et écoutées. « En prison ou auprès d’adultes handicapées, la frontière de la rationalité n’est pas le même. D’une certaine façon tout peut arriver, mais cela se passe bien », déclare Arnaud.
Psycomédie intervient également dans les entreprises en proposant des jeux de rôles, des mises en situation, des retours d’expériences sur des formations afin de faire émerger des questionnements sur des failles que les comédiens ont perçues. « Nous poussons le trait et repoussons les personnes dans leurs retranchements pour mieux trouver des solutions », affirme Florence. Dans toutes leurs interventions, Arnaud et Florence ne se positionnent pas comme supérieurs, mais privilégient une position d’égal à égal, car « chacun à autant à dire que nous ! » s’exclame Arnaud.
Le théâtre-forum est une des méthodes souvent utilisées par les deux intervenants. « Très à la mode aujourd’hui », le théâtre-forum est une pratique ancienne qui a émergé à l’initiative d’un certain Augusto Boal au Brésil dans les années soixante auprès de femmes dans les quartiers défavorisés. « Les femmes se réunissaient autour de questions de leur quotidien comme : “Si votre mari arrive ce soir et qu’il a un peu bu et vous demande de coucher avec vous, quelle solution pouvez-vous trouver ?” La scène était mise en situation puis rejouée afin de trouver des pistes ensemble » indique Arnaud. « Cette pratique est dans l’air du temps. Les informations descendantes comme les cours magistraux évoluent. Nous sommes davantage dans la recherche d’interactivité aujourd’hui » ajoute Florence.
Laurence Galton Sommé @LGS Photos
Le duo n’est pas spécialiste de tous les sujets, mais chacun se documente sur les différents thèmes qu’ils traitent. Et si nécessaire, ils font appel à d’autres professionnels dans la préparation de certaines séances. Peu de personnes interviennent de cette façon et peu de personnes « y sont armés » affirme Arnaud. La double compétence du duo et leurs parcours riches en expériences font de l’activité de Psycomédie, une activité pleine de sens et de potentiel pour l’avenir.
Les forçats de la route : l’expression est entrée dans la légende et la littérature sportives, sous la plume d’Albert Londres, célèbre journaliste au Petit Parisien, quotidien concurrent de L’Auto, celui-là même qui fut à l’origine de l’épreuve mythique du Tour de France. Les journalistes ont alors pris le pli et n’hésitent pas à orner leurs articles d’expressions métaphoriques et dithyrambiques. Jacques Goddet, directeur de l’épreuve jusqu’au milieu des années 80 et éditorialiste à L’Équipe, journal organisateur qui a succédé à L’Auto, ne se privait pas de ces formules d’un lyrisme débordant qu’il reprenait à Albert Londres baptisant les coureurs de « géants de la route » et les cols alpestres et pyrénéens de « juges de paix » !
À lire Albert Londres, les coureurs de ce Tour de France 1924, dont il se fait le reporter, vivaient bien le bagne et la formule qu’il consacra n’était pas vaine ! Ce Tour de France alignait 15 étapes aux allures dantesques, courues chaque jour sur des distances de 400 kilomètres et plus, dont les départs étaient donnés au milieu de la nuit et les arrivées jugées au crépuscule. « Les batailles avaient lieu en pleine nuit, ou au petit matin », nous dit Albert Londres. Tout au moins pour les coureurs qu’on n’égarait pas en route ! « Une soixantaine de “lanternes rouges” se sont perdues autour de la France. On ne sait ce que ces hommes sont devenus. Ils cassaient leur roue et de préférence la nuit ! »
Partis plus de cent cinquante au Tour de 1924, ils sont arrivés soixante, vrais bagnards ahanant sur des routes pierreuses et terreuses à souhait qui transformaient vite les coureurs en méconnaissables silhouettes de poussière ou de boue. Pas forcément sans bénéfice secondaire au demeurant : « Avec la poussière, on n’a plus de figoure » répétait, avec son fort accent transalpin, l’Italien Bottecchia, maillot jaune et futur vainqueur, échappant ainsi à l’enthousiasme des tifosi ou la colère de chauvins supporters français. Car les débordements et l’indiscipline des spectateurs pouvaient faire perdre la course à chaque instant sur « des routes qui n’étaient pas à eux. On leur barrait le chemin, à leur nez, on fermait les passages à niveau. Et les vaches, les oies, les chiens, les hommes se jetaient dans leurs jambes ».
Ottavio Bottecchia 1924
Le Tour connaît un succès immense, plébiscité par un public prêt à tous les sacrifices. À l’étape du Havre, « à la lisière d’un bois, il y avait une dame grelottant dans son manteau de petit griset un gentleman en chapeau claque. Il était trois heures trente-cinq du matin » ! Notre reporter n’en revient pas : « Si quelqu’un m’avait dit : vous allez voir sept à huit millions de Français danser la gigue sur les toits, sur les terrasses, sur les balcons, sur les chemins, sur les places, j’aurais dirigé mon informateur vers une maison d’aliénés. C’eût été une erreur. Mon homme ne se serait trompé que sur le chiffre. C’est dix millions de Français qui glapissent de contentement ».
Le Tour 1924 avait ses deux stars françaises, les frères Pélissier, Francis et Henry. « Vous n’avez pas idée de ce qu’est le Tour de France, déclare Henry à Albert Londres, c’est un calvaire. Et encore le chemin de croix n’avait que quatorze stations. Vous voulez voir comment nous marchons ? Nous marchons à la dynamite » lui lance-t-il en sortant de sa musette fioles de cocaïne, doses de chloroforme, et pilules non identifiées. Les « auxiliaires » pharmaceutiques étaient déjà de mise ! Les deux frères abandonneront la course. Pas par épuisement, mais par mauvais caractère, vexé qu’un commissaire et le directeur de course, Henri Desgranges lui-même, leur demandent de ne courir qu’avec un seul maillot : « C’est le règlement. Il ne faut pas seulement courir comme des brutes, mais geler ou étouffer » rapportent, furieux, les deux frères au journaliste qui conclut : « Les Pélissier n’ont pas que des jambes, ils ont une tête et dans cette tête du jugement ».
Les coureurs sont des tempéraments, ou des originaux. Croquant à merveille les « bouffeurs de poussière », le grand Albert Londres s’attarde sur quelques figures de la troupe « bicycliste ». « Rho, regardez-le bien, c’est d’Annunzio lui-même. […] Bottecchia, au nez avenant comme une lame de couteau ». Et puis il y a le bourreau des cœurs, « marquis de Priola, alias M. Hector Tiberghien, qui ne perd pas sa réputation s’il aperçoit une femme remarquable sur la route, il la salue d’un baiser au nom du sport cycliste et de la France vélocipédique. […] Vertemati, qui ne se nourrit pas à moins de trois poulets, douze œufs et trois gigots par jour. […] Frantz qui fait le Tour de France avec l’air de s’en aller sur sa machine tenant un livre à la main et lisant un roman d’aventures pour enfant ». Albert Londres n’en oublie pas pour autant les anonymes et les perdants, pathétiques personnages, « guignards et ténébreux », damnés de la terre cycliste qui achèvent leur Tour couchés dans le fossé, épuisés et solitaires, injuriés parfois, perdus dans ce « Tour de souffrance » d’il y a un siècle.
Les Forçats de la route par Albert Londres, Éditions Arléa, mai 2008.
Collection : Arléa-Poche
Numéro dans la collection : 128
mai 2008
72 pages – 6 €
L’affaire Edward Snowden, survenue en mai 2013, a braqué les projecteurs sur une institution par essence discrète, la NSA (National Security Agency), dont Sébastien Desreux, informaticien et ancien élève de l’ENS, décrit le fonctionnement dans un livre bref, précis, et édifiant, intitulé « Big Mother veille sur vous, vous surveille ».
Dans les révélations du printemps 2013, on a appris que Snowden, ancien membre des services de renseignements des États-Unis, avait livré 10 000 documents confidentiels au Washington Post et au Guardian, repris partiellement par Le Monde.
Ces informations, apparemment émiettées, étaient en réalité les parties d’un vaste ensemble dûment réfléchi. En 2008, en effet, le Général Keith Alexander, directeur de la NSA, avança l’idée d’un projet particulièrement ambitieux : « Pourquoi ne pourrions-nous pas collecter tous les signaux [i.e. les communications] tout le temps ? La devise de la NSA devenant alors “Collect it all” [“Recueillez tout”]. Ce projet se trouvait fondé par la loi du Patriot Act, dont George W. Bush disait, après l’attentat du 11 septembre 2001, qu’elle allait permettre de surveiller les moyens de communication utilisés par les terroristes.
Pour arriver à ses fins et construire un parfait système de récupération de données, la NSA s’est branchée sur des “autoroutes” de fibres optiques et des câbles sous-marins, ceux-là qui transportent 99 % du trafic intercontinental, et dont les USA sont le centre névralgique.
Tout, ainsi, a été mis en œuvre, pour surveiller les courriels, les requêtes sur le web, les connexions à des réseaux sociaux, les photos et vidéos postées sur la toile, jusqu’aux géolocalisations de GPS automobiles, aux billets de transport achetés en ligne, aux téléphones mobiles, même éteints, aux caméras de vidéosurveillance urbaine, aux boîtiers automobiles de télépéage, etc. Et c’est le programme PRISM de cette même NSA qui permet à nos espions américains du net de capturer les données reçues par neuf entreprises de la toile (Microsoft, Google, Yahoo, Facebook, AOL, PalTalk, Skype, YouTube, Apple) et lancées sur le web par tout internaute, terroriste… ou non.
Photo du film d’Oliver Stone
Par des accords bilatéraux, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, le Canada, l’Australie, l’Union européenne collaborent à ce système planétaire de surveillance des organisations, des entreprises et des individus, par des échanges d’informations gérés par la NSA, le plus souvent au profit des USA et de ses intérêts politiques, militaires ou économiques. Jusqu’à l’absurde et l’incongru quand on a appris qu’Angela Merkel elle-même était espionnée sur son mobile, ce qui n’avait pas manqué de mettre mal à l’aise le Président américain de l’époque, Barack Obama !
Que faire, si tout un chacun ne veut plus se retrouver dans les filets de la NSA, forts de ses mille milliards de métadonnées accumulées et de ses 60 000 communications interceptées par seconde ? Si l’on ne veut plus se faire voler sa vie personnelle ? Si la perspective d’être observé dès que vous touchez un appareil électronique ou informatique vous chiffonne, essayez TAILS (“The Amnesic Incognito Live System”) nous conseille Sébastien Desreux. Mais, au final, dans ces enjeux planétaires, quel poids peut avoir une Europe, certes riche d’un bel arsenal juridique garantissant les libertés individuelles, mais stratégiquement et économiquement inférieure à la puissante Amérique riche, elle, de la production de processeurs, de systèmes d’exploitation, et de logiciels qui dominent le monde ?
Big mother veille sur vous, vous surveille : pourquoi et comment la NSA s’intéresse à vous. Les révélations d’Edward Snowden. Sébastien Desreux. Éditeur : H&K (02/12/2013). 96 pages
Date de parution : 09/12/2013. EAN13 : 9782351413043. 7.95 €
Docteur en informatique, ancien élève de Normale sup, Sébastien Desreux est consultant en informatique, notamment dans le cadre des projets d’entraide de l’Union Européenne.
Formé en 2016 à Bruc-Sur-Aff (35), le groupe Good Bad & Young réunit la jeune Sadbh Tapie, son père Cyril et Joé Chollet. Ayant débuté par des reprises de blues, ils ont sorti leur EP Inside The Tinder Box le 30 avril dernier. Ils ont donné un concert tonique lors de la 2e journée du festival Quartiers d’été aux Gayeulles, le 19 juillet.
Au festival Quartiers d’été, la première journée du 18 juillet avait été entièrement consacrée aux esthétiques actuelles du rap avec Chilla, YL, Dinos, S.A.M. et VLJ Zone. C’est une tout autre ambiance qui a plané aux Gayeulles lors de la 2e journée, ouverte à 19 h par le groupe Good Bad & Young.
Photo de Vintage web radio
Leur combo chant/guitare (Sadbh Tapie), basse (Cyril Tapie) et batterie (Joé Chollet) l’inscrit inévitablement dans le champ du rock, mais leurs morceaux renvoient en réalité à des influences mêlées. Leur répertoire actuel, qualifié de rock celte, intègre les 4 chansons présentes sur leur EP Inside The Tinder Box, toutes écrites par Brid Ni Chonghaile. Cette dernière, chanteuse du groupe celte Avel Fal pendant les années 2000, n’est autre que la mère de la chanteuse Sadbh Tapie, âgée de 16 ans. La jeune femme, également guitariste du groupe, a reçu une éducation musicale assez hétéroclite, dans laquelle se côtoient les musiques traditionnelles irlandaises, Johnny Cash, les Clash, ainsi que Sinead O’Connor. Outre la présence de son père Cyril, bassiste du groupe, on retrouve également Samhna Tapie (alias SAMH), la sœur de la chanteuse dont les œuvres ornent les visuels de l’EP.
https://www.youtube.com/watch?v=Dt4mfOE5Ncs
En premier lieu, la musique de Good Bad & Young intègre la répétition en ostinato de motifs musicaux minimalistes (Piglet), un élément que l’on retrouve de façon significative dans le blues. Cela ne semble pas un hasard, puisque Sadbh Tapie a pris ses premiers cours de guitare auprès d’un bluesman dès l’âge de 7 ans. Dans le même temps, son timbre de voix renferme des inflexions qu’on peut percevoir chez des chanteurs comme Asaf Avidan (notamment dans le phrasé et son tremblement dans la voix). Son timbre nasillard caractéristique peut également évoquer Selah Sue et les sauts vocaux dans l’aigu des chanteuses telles que Cyndi Lauper. Elle dispose ainsi d’un potentiel vocal prometteur qui devrait lui permettre d’asseoir sa sensibilité et sa personnalité.
Dans la chanson Lemming, on peut également entendre un rythme presque galopant, présent habituellement dans les chansons rapides de country et les jigs irlandaises rapides. De plus, certaines structures harmoniques et des constructions mélodiques évoquent dans une certaine mesure les musiques traditionnelles irlandaises (et plus largement celtes). C’est notamment le cas dans la chanson No Devil Kind.
Certaines rythmiques et structures harmoniques sonnent un peu plus bluesy et rock et présentent un aspect presque hypnotique, de par la répétition des motifs en ostinato commune à la musique celte et au blues. Cela apparaît notamment dans la chanson Piglet, construite sur les « powerchords » joués à la guitare par Sadbh Tapie.
Les textes des chansons de Good Bad & Young abordent dans l’ensemble des thèmes sombres et tragiques. Ils sont néanmoins traités par un accompagnement instrumental qui, s’il adopte à cet effet des tonalités mineures, s’avère presque toujours vitaminé. On retient également la mine radieuse qu’affichait Sadbh Tapie entre chaque chanson et l’énergie communiquée par tout le groupe, qui tranchent avec cette noirceur apparente. C’est cette énergie brute qui leur a permis d’installer une atmosphère dynamique qui a donné le ton pour le reste de la soirée, préparant ainsi le terrain pour les prestations tout aussi réussies de Kokobasaï et Vanupié. On a pu également y entendre des chansons encore inédites, qui figureront probablement sur un éventuel premier album. À suivre…
Durant l’été 1828, Franz Schubert fut le maître de musique des filles de l’aristocratique famille Esterhazy à Vienne. Et il tomba amoureux de l’une d’elle, Caroline. C’est ce qu’imagine et raconte merveilleusement Gaëlle Josse dans ce roman au titre délicat où l’on retrouve avec des mots pudiques, vibrants et poétiques toute la douceur et la grâce de la musique schubertienne. Un magnifique roman.
Franz aime l’entendre jouer. Elle comprend sa musique. La musique des paradis perdus. Il n’a rien d’autre à dire. C’est pour elle qu’il écrit désormais.
Château de Zseliz
Été 1824, château de Zseliz, dans la banlieue de Vienne. Franz Schubert est invité par le comte et la comtesse Esterhazy dans leur résidence d’été, le magnifique château de Zseliz, pour donner des leçons de piano à leurs deux filles, Marie l’aînée, Caroline la cadette. L’endroit n’est pas inconnu pour Schubert. Il y est venu six ans auparavant, pour des leçons de piano, déjà. Les filles ont bien grandi, et bien changé. Caroline, surtout, la cadette, que le musicien est bien en peine de reconnaître.
Franz Schubert (1797-1828)
Schubert abandonne toujours à regret sa Vienne natale où il a l’habitude de vivre au milieu de ses amis et dans la chaleur de ses cafés. « Quitter Vienne est une déchirure, la ville est un ventre maternel et une terre nourricière, l’amitié y est douce ». Schubert, petit de taille et replet, « ses amis le surnomment affectueusement Schwammerl, le petit champignon », est aussi un jeune homme timide et gauche qui ne s’épanche guère. La société aristocratique n’est pas de celles qu’il fréquente habituellement mais il est un musicien sans le sou qui a besoin des florins des Esterhazy.
L’accueil au château est parfait. Pendant son séjour, ses désirs sont des ordres. Et l’impeccable Bösendorfer en bois blond du salon de musique est prêt. Schubert retrouve les deux jeunes filles avec bonheur. En particulier Caroline qui a fait de grands progrès et l’impressionne. « Phrasé, assurance, nuances, respirations, tout y est ». Il attend la jeune fille avec un peu plus de fébrilité à chaque leçon. « Ses yeux immenses qui lui font face, qui semblent dévorer tout son visage, ce sourire grave, retenu et tendre à la fois. […] Franz aime l’entendre jouer, elle comprend sa musique. La musique des paradis perdus. […] C’est pour elle qu’il écrit désormais. Lorsqu’il compose un quatre-mains, c’est pour elle qu’il écrit tel trait, qu’il invente tel croisement de main, sans nécessité le plus souvent, mais qui permettent à leurs mains et leurs bras de se frôler. De danser ensemble. Qu’espérer d’autre ? ». Quel plus bel accord en effet entre deux musiciens dans ces compositions qui les placent l’un au contact de l’autre devant le clavier et mêlent, à l’unisson, leur jeu et leurs gestes ?
Schubert écrira et dédiera à sa chère élève, parmi nombre de ses plus belles œuvres pour piano, la divine « Fantaisie en fa mineur », sublime création de l’art pianistique à quatre mains qui s’ouvre avec le lyrisme, la douceur et la grâce de notes légères et aériennes comme des caresses sur le clavier.
Pour marquer la fin de l’été, les Estherhazy donnent une soirée pour laquelle Schubert a spécialement composé quelques pièces vocales et pianistiques. Le musicien est un peu las de ces semaines qui le détournent de ses grands projets musicaux et de la gloire qu’il en attend. Mais entendre jouer Caroline, et la retrouver chaque jour, aura été un pur bonheur.
Après que les deux sœurs ont, ensemble, chanté et enchanté leurs parents et amis réunis dans cette intime et ultime soirée de la saison, le maître de musique et sa chère élève jouent une partition à quatre mains travaillée ensemble tout l’été : « Ils jouent, et pour Franz le temps s’arrête. Les croisements de mains multipliés sont propices aux frôlements. Il ne peut renoncer à s’enivrer de ce tendre trouble lorsqu’il effleure le bras ou la main de sa partenaire. Caroline joue, concentrée, heureuse, les joues rosies par la chaleur, l’attention, l’émotion ».
Après la dernière note fusent les applaudissements du cercle des intimes, enthousiastes. Le musicien et son élève vivent ces instants comme un rêve :
Caroline irradie de joie. Elle a laissé sa main tiède et légère sur celle de Franz, posée, comme abandonnée.
Mais ce signe, comme un aveu ou une confidence amoureuse, n’a pas échappé à « Madame », la suspicieuse, autoritaire et altière mère de Caroline à qui elle fera payer cher son ténu et délicat geste de tendresse. Caroline achèvera ses cours avec Franz sous surveillance assidue et redoublée. Et Franz prendra congé de ses hôtes, le désespoir au cœur, sans pouvoir saluer Caroline qui le regardera partir dans la nuit finissante, dissimulée derrière le rideau de sa fenêtre, monter dans la calèche du retour et s’échapper définitivement vers Vienne où sont les amis de toujours de son tendre professeur.
Cet épisode de l’été 1828, dans la vie amoureuse de Schubert, merveilleusement raconté par Gaëlle Josse dans ce roman au titre délicieux, Un été à quatre mains, fut-il avéré ? « Schubert s’est montré fidèle à lui-même, pudique sur cette idylle dont on ne sait si elle fut partagée » et ce texte est « avant tout un geste d’amour envers l’ami, le frère dont chaque note, depuis si longtemps, me berce et m’étreint le cœur » écrit la romancière en son préambule. Qui sait la retenue, la poésie et la beauté des mots de Gaëlle Josse, les émotions qu’ils font naître et vous chavirent, entendra aisément cette affinité et ce sentiment d’intimité de l’écrivain avec le grand musicien de Vienne.
Ce roman, pudique et vibrant, est magnifique.
Un été à quatre mains, Gaëlle Josse, Éditeur : Éditions Ateliers Henry Dougier. ISBN : 9791031202587. Parution 23 mars 2017. 8,90€