Il fut un temps… de collectage ! Deux siècles durant, dans tous les pays et en Europe en particulier, on a pratiqué le recueil des contes, des chants, constitutifs d’une littérature orale qui risquait de disparaitre. Les résultats de cette quête ont été enregistrés, classifiés, et leurs recueils sont maintenant disponibles dans des biblio-média-thèques comme autant de reliquaires à vénérer. Ouvrez vos oreilles, ça phōnē !
Pour des langues de faible expansion – un euphémisme parfois pour désigner des langues en voie de disparition – la création et la diffusion de textes qui parlent du monde d’aujourd’hui sont souvent des défis difficiles à relever dans les aires linguistiques concernées.
En Bretagne, dans un article de 2015 (Al Liamm-410), Fanny Chauffin saluait ainsi l’émergence « d’écoles » de Kan ha Diskan qui permettait aux plus jeunes de parler du temps présent (« komz diwar-benn ar bed a-vremañ »). Mais ce qui vaut pour pour le chant n’est pas forcémént vrai pour le théâtre.
Qu’elles aient ou non le statut de langues officielles dans un Etat – on pense au gaélique, au gallois, au galicien – beaucoup de langues en Europe sont fragilisées par le manque de locuteurs ou/et moyens nécessaires à la création et à la diffusion.
Dans le cadre du programme européen Europe Creative, huit compagnies théatrales et deux universités se sont associées pour trois ans (2022-2025) dans un projet de « recherche-action » ( en jargon technocratique!) dénommé phōnē. Après un premier rendez-vous à Tromso au nord de la Norvège en juin 2022, des délégués des huit compagnies se sont retrouvés à Brest début novembre, afin de présenter les modalités d’action retenues.
Les contextes sont différents bien sûr. Les aires linguistiques peuvent concerner une population de deux millions de locuteurs (Galice) comme une population de trois mille locuteurs (langue Kven en Norvège). Les compagnies, toutes professionnelles, travaillent à la fois, pour la plupart d’entre elles, avec des professionnels et des amateurs.
L’action prend forme de créations partagées. Autour d’un thème suffisamment « ouvert » – l’Homme et la Nature – chaque compagnie s’engage à créer deux pièces. L’Université de Leipzig assurera, pour chaque région, la traduction de deux pièces écrites dans une autre langue…ce qui permettra à chaque partenaire d’enrichir son répertoire de quatre pièces en deux ans.
Des rencontres régulières des différents acteurs de la création sont prévues. Ainsi, après les rencontres de Tromso et de Brest, ce sont les auteurs qui se sont retrouvés en Frise, en novembre dernier. Des résidences d’écriture suivront, des rencontres entre metteurs en scène, entre acteurs…
Mais les créations partagées ont aussi valeur d’expérimentation : elle permettra de mettre en évidence les besoins spécifiques de ces expressions, de les répertorier, les mutualiser, sous le regard attentif et méthodique des Universités partenaires. A terme, ce projet devrait aboutir à la création d’une plateforme commune d’outils – Centre de Ressources – et la mise en place d’un réseau formel européen de compagnies.
On l’aura compris, il ne s’agit plus de « recueillir » des traditions. Mais, au temps des récits mondialisés, de continuer à explorer ce que porte une langue, même minoritaire, comme manière de dire et d’être au monde.
* Le Tryater à Leeuwarden aux Pays-Bas – Frison ; le Deutsch-Sorbisches Volkstheater à Bautzen en Allemagne – Sorabe ; le Teatrul Evreiesc de Stat à Bucarest en Roumanie – Yiddish ; le Stadttheater Bruneck à Bruneck en Italie – Ladin ; le Teatr Piba à Brest en France – Breton ; le Kvääniteatteri à Storslett en Norvège – Kven ; le Dramático Galego à Santiago de Compostela en Espagne – Galicien et le théâtre Fibin dans le Connemara en Irlande – Irlandais / Gaélique. Avec la Hanze University des Sciences Appliquées à Groningen aux Pays-Bas et l’Université de Leipzig en Allemagne.
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