« Au soir de sa vie, un homme riche et comblé se demande s’il n’est pas passé à côté de l’essentiel ». Publié aux éditions Picquier en 2017, Au soleil couchant du romancier coréen Hwang Sok-Yong – traduit par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet – a reçu le Prix Émile Guimet de Littérature Asiatique 2018, remis par le Musée national des arts asiatiques du même nom (Paris).
« Les écrivains sont et doivent rester la conscience, vivante et critique, de nos sociétés » (Hwang Sok-Yong)
Véritable portail de la culture d’Asie, le Prix Émile Guimet a été créé l’année dernière par le Musée national des arts asiatiques-Guimet dans le but de faire connaître la littérature contemporaine asiatique en France. D’octobre 2017 à mars 2018, un comité interne au musée – agents d’accueil et de surveillance, administratifs, conservateurs et personnel de la librairie – s’est évertué à lire un large éventail d’ouvrages en provenance d’Asie (publiés dans leur pays d’origine il y a moins de 10 ans et traduits en français au cours de l’année passée) avant de transmettre une sélection de six œuvres littéraires à un jury.
Après l’Indo-Britannique Rana Dasgupta et son roman Delhi Capitale, la deuxième édition du Prix Guimet a mis à l’honneur la littérature coréenne. En lice avec cinq autres œuvres littéraires venues des quatre coins d’Asie – Chine, Inde, Japon, Pakistan et Taïwan – c’est l’écriture délicate de l’auteur sud-coréen Hwang Sok-Yong et son roman Au soleil couchant qui a fait l’unanimité auprès du jury présidé par Brigitte Lefèvre – directrice artistique du Festival de Danse de Cannes, présidente de l’Orchestre de chambre de Paris et ancienne directrice du ballet de la danse de l’Opéra de Paris.
« En accordant ce prix à mon dernier roman, la France illustre sa politique de défense et de promotion de la diversité culturelle comme devant être le fil rouge de la mondialisation – politique que mon pays, culturellement et linguistiquement isolé, ne peut que partager »
Au Soleil couchant parle « d’un architecte qui, au soir de sa vie, tente un bilan. Il a beaucoup travaillé, il est célèbre, riche et comblé ». Cependant, Park Minwoo reçoit un jour le message d’une amie d’enfance qui l’a aimé. Les souvenirs resurgissent peu à peu et le pousse à s’interroger sur son métier : la corruption dans le milieu de la construction immobilière, sa responsabilité dans l’enlaidissement du paysage urbain, la violence faite aux expropriés. « L’idée de ce roman m’est venue quand j’ai vu, à la télévision, un documentaire sur Jeon Tae-il, cet ouvrier du textile qui s’est immolé par le feu dans le quartier de Dongdaemun pour protester contre les conditions inhumaines de son travail dans les années 1980 ».
Dès les premières pages, la plume délicate de Hwang Sok-young plonge Park Minwoo dans un monde oublié – pour ne pas dire renié. Dissimulés dans un recoin de sa tête, ses souvenirs le rattrapent au fil de la lecture. « Mon village tout en entier avait disparu ». Derrière la splendeur architecturale de la capitale sud-coréenne (Séoul) se cachent des vérités cachées. Qu’est devenu le ruisseau qui longeait la rue du village où il a grandi ? Les échoppes de la grande rue ? Et ces enfants souriants des quartiers détruits au profit de la modernité ? Park Minwoo semble définitivement être passé à côté de l’essentiel.
« Je suis un écrivain, certes engagé dans des combats – comment peut-il en être autrement ? – mais des combats que j’ai menés avec ma plume. Si ma plume a parfois servi à écrire des tracts ou des libelles, je l’ai surtout mise au service de l’écriture de nouvelles et de romans » (Hwang So Yonk)
Un deuxième personnage entre en scène. Jeong Uhee est une dramaturge de 29 ans en quête de stabilité professionnelle et caissière la nuit afin de (sur)vivre. Chapitre après chapitre, l’auteur alterne les époques et les points de vue entre Park Minwoo et Jeong Uhee, offrant un large panorama de la société coréenne et son esprit – l’usage de la première personne peut d’ailleurs désemparer à la première approche. Le lecteur est alors plongé dans un abîme qui sera éclairci en fin de lecture.
Plus qu’une histoire, Hwang Sok-yong dépeint une réalité désarmante où l’humain n’est pas pris en considération. « Quelle place avez-vous réservée à l’homme dans vos projets architecturaux ? ». Il retrace le passé et le présent d’une Corée du Sud aux conditions de vie inquiétantes pour nombre de Coréens, où la pauvreté, la violence et la corruption sont de réelles problématiques sociétales. « Ce qu’ils (architectes) laissent, ce peut n’être rien d’autre qu’une figure hideuse de la cupidité ». Deux classes sociales se confrontent autour d’une même idée – la dénonciation du système économique d’une Corée modernisée.
Dans ce livre amer, mais adouci par un style épuré, Hwang Sok-yong pousse le personnage principal à s’interroger, mais également le lecteur. Au final, qu’est-ce que réussir sa vie ?
Le jury de l’édition 2018 était composé de :
Brigitte Lefèvre, directrice artistique du Festival de Danse de Cannes, résidente de l’Orchestre de chambre de Paris
Sophie Makariou, présidente du MNAAG
Florence Evin, journaliste
Alexandre Kazerouni, chercheur à l’École Normale Supérieure
Dominique Schneidre, auteur
Florine Maréchal, librairie à la librairie Le Phénix
Emmanuel Lincot, locteur en Histoire et sémiologie de l’image, spécialiste de la culture
Les cinq autres romans sélectionnés pour l’édition 2018 :
– Le jeu du chat et de la souris, A Yi, Chine, Stock, traduit du mandarin par Mélie Chen
– Le magicien sur la passerelle, Wu Ming-yi, Taïwan, L’Asiathèque, traduit du mandarin par Gwennaël Gaffric
– Le Prisonnier, Omar Shahid Amid, Pakistan, Presses de la Cité, traduit de l’anglais par Laurent Barucq
– La colère de Kurathi Amman, Meena Kandasamy, Inde, Plon, traduit de l’anglais par Carine Chichereau
– Les mensonges de la mer, Nashiki Kaho, Japon, Picquier, traduit du japonais par Corinne Quentin
Au soleil couchant un roman de Hwang Sok-yong, traduit par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, Editions Picquier. 192 pages. 9782809712735 – 17,50 €. Octobre 2017.
Hwang Sok-yong
Né en 1943 en Mandchourie, où sa famille avait fui l’occupation japonaise, Hwang Sok-yong arrive en Corée en 1945, d’abord au Nord, puis au Sud. Il combat les régimes autoritaires qui se succèdent jusqu’à la fin des années 1990, est emprisonné pour ses idées et milite pour la réconciliation des deux Corées. Son œuvre, traduite dans le monde entier, témoigne de ses combats pour la liberté. « Hwang Sok-yong est aujourd’hui, sans conteste, le meilleur ambassadeur de la littérature asiatique », a écrit le prix Nobel de littérature Kenzaburô Oe.
https://www.youtube.com/watch?v=CgDcGZNeoQY