Les rues vides d’un Rennes confiné s’offrent aux livreurs de commandes de plats préparés par les restaurateurs qui reprennent peu à peu le chemin de leurs fourneaux. William a 22 ans. Et pour gagner un peu d’argent, il est coursier auto-entrepreneur. Uber eats, Deliveroo ou même Stuart, cet étudiant jongle entre les différentes sociétés, tantôt à vélo, tantôt en scooter. Unidivers l’a rencontré.
Il est bientôt 11h30. William sort son vélo, enfile son sac à dos isotherme, fixe son téléphone portable sur son socle et lance l’application Uber Eats à l’affût de la moindre alerte de commande. Ce soir, le manège sera le même, mais à scooter cette fois : le casque, les gants et la cagoule contre le froid en plus. Après plusieurs semaines de confinement dans son appartement, William a décidé de reprendre son activité de coursier auto-entrepreneur pour se faire un peu d’argent et occuper son temps libre.
En 2016 à Rennes, les coursiers n’étaient qu’en petit nombre, facilement repérables à vélo par leurs cubes Deliveroo réfléchissants. La société californienne Uber Eats arrive dans la capitale bretonne un an plus tard, en 2017. Depuis, les livreurs sont plus d’une centaine, à vélo, ou à scooter le plus souvent, bien moins repérables, sauf quand ils circulent trop vite, voire passent sur les trottoirs. Depuis, les désagréables cubes ont majoritairement laissé place à un sac, toujours isotherme, mais largement plus confortable.
« L’utilisation du scooter est exponentielle : plus rapide, moins fatigant, en bref, c’est rentable financièrement. Techniquement, la livraison à véhicule motorisée n’est possible qu’à la suite d’une formation. Seulement, celle-ci coûte 350 €, pour que l’on nous dise qu’il ne faut pas mélanger le chaud et le froid et que les précautions entre le moteur et la nourriture sont à appliquer avec rigueur » précise William. Selon le coursier, à Rennes, très peu de livreurs ont suivi cette formation, pourtant obligatoire.
Le Danois Just eat (anciennement Allo Resto), l’Anglais Deliveroo, l’Américain Uber Eats ou Stuart, la filiale du groupe de livraison internationale DPD : quatre ans plus tard, les entreprises implantées à Rennes sont de plus en plus nombreuses. Certains coursiers n’hésitent pas à cumuler les comptes, toujours à l’affût de la moindre notification, afin rentabiliser au maximum temps et argent. William en compte trois : Uber Eats, Deliveroo et Stuart. Depuis le début du confinement, le jeune livreur monte au front à vélo trois à quatre midis par semaine puis tous les soirs en scooter de 18h30 à 22h30. Il totalise ainsi un équivalent de 35h de travail par semaine, chaque course oscillant entre 3€ à 10 € gagnés selon la distance parcourue, loin du SMIC.
Mars 2020, début du confinement, les commandes ne se bousculent pas, et pour cause : nombres de restaurants se voient fermés suite aux mesures gouvernementales. Petit à petit, ils réouvrent en adaptant les services de livraison. Le crédo ? Il faut éviter tout contact possible : « Les restaurants ont placé des tables à l’entrée des boutiques afin de déposer les commandes des clients, pour ne prendre qu’un exemple, mais tous les restaurants ne le font pas systématiquement », explique William.
« LES MESURES CONTRE LE CORONAVIRUS SONT APPLIQUÉES SELON LA BONNE CONSCIENCE DE CHACUN… »
Unique lien entre restaurateurs et consommateurs, les livreurs sont en position délicate face au Covid19. Les coursiers, de plus en plus nombreux, reprennent leurs activités de livraisons quotidiennes. Soumis au statut d’autoentrepreneur, aucune activité de livraison rime avec absence de revenus. Parmi ces coursiers, différents profils se dessinent, quasiment tous masculins : « Il y a des pères de famille, des étudiants comme moi, des jeunes déscolarisés et qui font ce qu’ils peuvent pour gagner un peu d’argent, etc. Certains ont saisi l’opportunité de ces courses, car ils aiment le vélo et en profitent pour gagner un peu, simplement. » Les plus motivés totalisent un record de 50 à 60 heures par semaine : ils se lèvent à 11h, enfourchent leur scooter à 11h30, ne s’arrêtent que pour manger à 16h puis enchaînent jusqu’à tard le soir ; et ce, quotidiennement. « Évidemment, ce sont ceux qui gagnent le plus », ajoute William.
Si les commandes de restauration à domicile tournent toutefois au ralenti depuis l’annonce du confinement, Stuart, plateforme de livraison de petites courses à domicile, tourne activement. L’entreprise précise que le gouvernement est conscient de « l’importance des livraisons à domicile (qui) permet à des millions de Français de se nourrir. »
Comme des centaines d’autres, William a reçu une “formation”, c’est-à-dire une vidéo ou une liste de recommandations à appliquer en cette période de Covid19. « On peut difficilement appeler ça une formation … » soupire le jeune garçon. Seul Uber Eats annonce rembourser les frais de produits sanitaires à hauteur de 25 euros et Deliveroo instaure un système de téléconsultation médicale accessible à ses coursiers via le site Qare. Entres deux commandes, les livreurs attendent place de la Mairie, sur les marches de l’Opéra. Tous ne portent pas de masques. Certains se serrent la main aisément sans respecter la distance minimum préconisée. « Les mesures barrières, c’est selon la bonne conscience de chacun, au petit bonheur la chance ! » ajoute William, qui ne porte pas de masque non plus. Le soir, sa cagoule fait office de protection. Pendant la journée, il prend ses distances, consciencieusement.
Les journées s’enchaînent tout comme les commandes. Et quand le temps se fait long, les livreurs jouent entre eux à Plato (une application mobile qui réunit plusieurs jeux en ligne, ndlr) attentifs à un nouveau signal qui les appellera à enfourcher vélo ou scooter. « Ce n’est pas un job stimulant intellectuellement, c’est sûr, mais ça permet de mettre de l’argent de côté. Si on est là, c’est qu’il y a de la demande ». De fait, les frais de livraison ne coûtant que 2€50 au client qui commande, de plus en plus de consommateurs sont tentés de faire appel à ce service.
Si la rémunération de ces courses peut se révéler correcte (si l’activité est régulière), elle est souvent inférieure au SMIC horaire. Quant aux acquis sociaux, ils sont minimes. Certes, Uber offre une prime de pluie… mais au détriment d’une assurance de travail solide. Pas de progression de carrière, ni de perspective professionnelle. Les livreurs connectés sont tous au même niveau, sous pression, payés au lance-pierre, gardant comme objectif d’aller toujours plus vite, pour gagner le plus d’argent possible. La date du déconfinement approchant, les restaurants qui ouvrent à la livraison sont un peu plus nombreux chaque semaine. Confiné ou pas, William continuera de livrer jusqu’à la fin de l’été.
La liste des restaurants rennais ouverts à la livraison : ici.