Le street art à Rennes, comme partout en France, connaît depuis quelques années un succès croissant. Alors que la 6e édition de la Biennale d’art urbain Teenage Kicks bat son plein depuis le 16 septembre 2023 et jusqu’au 21 octobre, Unidivers a rencontré Benoît Careil, élu municipal adjoint à la Culture. Depuis 2014, son action a été décisive pour la reconnaissance du street art par la Ville.
En entrant dans l’Hôtel de Ville de Rennes, on n’imagine pas, devant ces colonnes, ces arches et ces vieilles pierres, tomber sur une œuvre de street art. Pourtant, même dans cet édifice officiel bâti au XVIIIe siècle, l’art urbain s’est frayé un chemin. Une œuvre de War! décore le cabinet du premier adjoint, tandis qu’une fresque immense de Brez orne une salle de réunion, nous indique Benoît Careil que nous retrouvons dans son bureau.
La relation de la ville de Rennes avec l’art urbain n’a pas toujours été au beau fixe, loin de là. Quand tags et graffitis, les premières manifestations de ce qu’on appellera plus tard le street art, apparaissent à Rennes dans les années 80-90, ils sont vus comme des dégradations par les services de la ville. En 1998, c’est le « procès des graffeurs ». Plusieurs artistes-vandales sont inquiétés, voire condamnés. La ville réclame plusieurs milliers de francs à Mathias Orhan pour avoir peint les murs de la station d’épuration de Cleunay. En 2013, le même artiste, connu désormais sous le nom de Brez, fonde une Biennale d’art urbain avec d’autres acteurs rennais du graffiti : Teenage Kicks. Elle fête sa 6e édition du 16 septembre au 21 octobre 2023. Elle se prolongera jusqu’au 7 janvier 2024 par une exposition rétrospective de Gérard Zlotykamien, pionnier de l’art urbain, au Musée des Beaux-Arts de Rennes.
Revenant sur l’épisode du procès des graffeurs, Benoît Careil déclare : « La ville, en 98, n’avait sûrement pas saisi encore la mesure de ce qu’était le street art, l’intérêt de ces expressions et la responsabilité de la collectivité de les accompagner. Elle a pris cette responsabilité plus tard et encore beaucoup plus par la suite ». En effet, en 2002 est créé le premier réseau de murs d’expression libre à Rennes : Graff en ville. Si la question du street art est dans un premier temps confiée, au sein du mille-feuille administratif, à la direction de la Jeunesse, et non à celle de la Culture, c’est une première reconnaissance de ce mode d’expression par le monde politique rennais.
« La scène street art était alors suivie par le CRIJ [Centre Régional Information Jeunesse], où il y avait des gens tout à fait engagés et proches des artistes », raconte Benoît Careil. « Il y a d’abord eu le réseau des murs d’expression libre. Puis, la reconnaissance d’un savoir-faire, d’une compétence à la fois en termes techniques pour exercer cet art, mais aussi pour former, accompagner, guider des plus jeunes », continue l’élu. Sortant de la clandestinité des crews, des collectifs de graffeurs, comme Graffi’team (à l’origine de Teenage Kicks) ou La Crèmerie, deviennent de réels interlocuteurs de la municipalité.
Cette dynamique prend un nouveau rythme à la suite de la nomination de Benoît Careil comme adjoint à la Culture en 2014. Amateur de street art façon Keith Haring ou Jean-Michel Basquiat, ancien musicien du groupe de rock Billy Ze Kick et les Gamins en folie, l’élu écologiste a un regard avisé sur les mouvements artistiques alternatifs. « Beaucoup de mouvements artistiques sont apparus dans la marge et beaucoup de ces courants marginaux, du mouvement punk au street art, en passant par la techno, sont aujourd’hui reconnus, présents dans les musées, archivés. Ils font l’objet de nombreux ouvrages très documentés et de reconnaissance des artistes en plus haut lieu », constate-t-il. « L’histoire du street art est l’histoire normale de tout nouveau courant, avec d’abord un sens qui relève du détournement et qui évolue logiquement vers une expression de plus en plus travaillée et réfléchie d’un point de vue artistique », poursuit-il. Aussi, dès son arrivée à la mairie, l’objectif de Benoît Careil est que le street art « soit reconnu par la politique culturelle et que ce mouvement intègre ce qu’on appelle le droit commun dans tous les dispositifs d’aide aux artistes ».
La première étape sera donc de confier la question du street art à la direction de la Culture. « Pendant longtemps, les artistes de street art étaient accompagnés par la direction de la Jeunesse, alors que certains d’entre eux avaient une quarantaine d’années, exerçaient depuis longtemps et souhaitaient évoluer dans leur parcours. Ils regardaient avec beaucoup d’envie des artistes d’autres pays qui faisaient des carrières et étaient reconnus aussi bien que les artistes d’art contemporain », souligne Benoît Careil.
Le principal blocage venait alors des services et responsables d’équipement arts plastiques, « focalisés sur l’art contemporain et qui ne reconnaissaient pas le street art au même niveau », explique Benoît Careil. « J’ai dû imposer, en 2017, la première acquisition d’une œuvre de street art par le fond communal d’art contemporain. » L’artiste rennais War! sera le premier street artiste à rejoindre le fond. « À partir de là, on a communiqué auprès de tous les artistes de street art qu’ils pouvaient postuler, présenter des œuvres pour le fond communal, qui font l’objet d’acquisition avec des montants assez élevés (plusieurs milliers d’euros). » Dans la continuité, les artistes identifiés ont été intégrés aux différents dispositifs de la ville en faveur des artistes plasticiens : non seulement le fond communal d’art contemporain, mais aussi la mise à disposition d’ateliers d’artistes et de bourses d’aide à la création.
Mais la difficulté venait justement du fait que bon nombre de ces artistes n’étaient pas identifiés, voire ne souhaitaient pas l’être. De plus, « personne n’était formé à cette esthétique dans les professionnels de la culture », confie Benoît Careil. « Il fallait quelqu’un de très mobilisé sur la question pour définir avec les acteurs du street art comment la ville pouvait accompagner leur développement de la façon la plus adaptée à leur pratique ». Aussi est-il créé en 2016 le poste de chargé de mission street art, assuré jusqu’en 2023 par Fatima Salhi. « Elle a abordé le sujet avec un côté très pragmatique, sans se soucier d’Histoire de l’art. Pour elle, c’était juste des jeunes qui s’expriment par des techniques artistiques demandant beaucoup de savoir-faire et qui réalisent des œuvres belles et intéressantes. »
Sa mission était de nouer une relation entre la municipalité et l’écosystème street art. Une première étape a été la refonte du réseau de murs d’expression libre Graff en ville. Rebaptisé Réseau urbain d’expression (RUE) en 2016, il est désormais cogéré par l’Association de soutien au réseau urbain d’expression (Asarue). Créée notamment par des membres du collectif La Crèmerie, l’association est logée dans un local route de Sainte-Foix, qui sert aussi d’atelier partagé. Un de ses objectifs est de trouver de nouveaux murs pour le RUE. « Ils repèrent les murs et, nous, on s’adresse aux interlocuteurs concernés : services de la ville, Territoires, bailleurs sociaux ou propriétaires privés », explique Benoît Careil.
Au-delà des murs d’expression libre, Fatima Salhi a développé les appels à projets à destination des street artistes. « Les appels à projets de collectivités sont des marchés publics, c’est très strict, il y a des jurys, des cahiers des charges. On a beaucoup travaillé, notamment avec l’Asarue, sur la façon d’adapter les appels à projets aux artistes de street art », explique Benoît Careil. Ainsi, Fatima Salhi gérait chaque année sept ou huit appels à projets, qu’ils viennent de la ville ou de ses différents services, mais aussi de bailleurs sociaux ou d’aménageurs qui souhaitaient une œuvre sur un bâtiment. Le fameux séquoia géant de War ! rue de Saint-Malo en est un exemple.
Une autre action symbolique forte de la chargée de mission street art a été d’aider à la création du MUR de Rennes, rue Vasselot, qui voit le jour en 2019. « On a cherché des personnes pour créer l’association, des budgets pour la soutenir et on a négocié avec la direction des Bâtiments de la ville pour la création d’un support », témoigne Benoît Careil. Depuis, chaque année, 10 000 € sont attribués à l’association pour rémunérer les dix artistes invités. « Ce dispositif a vocation à montrer la diversité des techniques, des approches, des cultures, des artistes qui viennent du monde entier. »
À la suite du départ en retraite de Fatima Sahli, le poste de chargé de mission de street art ne sera pas renouvelé. « Aujourd’hui, on a mis en place des dispositifs qui fonctionnent très bien. On a des partenaires bien installés qui peuvent se projeter avec des conventions pluriannuelles. On peut passer à une autre étape : le street art et ses artistes sont désormais dans le droit commun, ils peuvent bénéficier de toutes les aides et ils n’ont pas de raison d’être un cas à part dans les arts plastiques. Ils sont donc gérés par le chargé d’arts plastiques », résume Benoît Careil.
En fait, le rôle qu’a rempli Fatima Salhi a été de faire se familiariser street artistes et administration. « À la direction de la Culture, tout le monde est maintenant bien au fait de la façon dont se réalisent les œuvres de street art et sait accompagner précisément les projets en s’appuyant sur les ressources qui existent et les services techniques. Il y a un protocole connu et partagé par l’ensemble des services de la ville sur la façon de considérer le street art », affirme Benoît Careil. Signe de cette intégration, nombre de street artistes mènent désormais des actions d’éducation artistique et culturelle dans des écoles et reçoivent des subventions pour le faire.
Une autre preuve de la belle relation entre le street art et la ville de Rennes sera visible à l’été 2024. Dans le cadre d’Exporama, grand rendez-vous de l’art contemporain, le Musée des Beaux-Arts dédiera son exposition estivale, du 14 juin au 22 septembre, à l’histoire du graffiti en France des années 60 à ses manifestations actuelles. Des dégradations de bâtiment aux beaux-arts, ils en ont fait du chemin ces petits dessins sur les murs.