Un été sans Route du Rock ? « Inimaginable », vous répondra aussi bien l’inconditionnel du Fort Saint-Père que le « teenager » à peine tombé du nid, pourvu qu’il ait été biberonné aux références pop-rock « 100% indé ». Souvent fétichistes au point de conserver religieusement des piles exponentielles de NME et autres Rock’n Folk, survoltés à l’idée de voir sur scène LE groupe qui devrait durablement influencer une génération de musiciens, ces festivaliers ont généralement pris leurs « pass trois jours » dans la semaine suivant l’ouverture de la billetterie. C’est que l’événement fait figure de porte-drapeau de l’Ouest en matière de programmation novatrice, hissant à l’affiche des pionniers d’hier et d’aujourd’hui aux côtés de petites formations encore incertaines, mais bourrées de potentiel. Et puis, La Route du Rock, c’est aussi l’occasion de (re)voir tel ou tel groupe mythique, à l’image de The Cure en 2005, Nick Cave and the bad Seeds en 2013, ou bien Portishead, pour cette nouvelle « collection été » du festival… Retour détaillé sur ces 3 soirées malouines qui auront accueilli… 26 500 spectateurs !
14 août 2014 : Angel Olsen, Kurt Vile and the Violators, Thee Oh Sees, Fat White Family, Caribou…
(mais aussi The War On Drugs et Darkside)
C’est un peu le parcours du combattant qui attend le festivalier ce jeudi, à son arrivée aux abords du Fort de Saint-Père. Objectif : ne pas finir complètement enduit de boue après avoir malencontreusement dérapé sur le chemin menant à l’entrée du site. Certains – que Météo France a vraisemblablement « oublié » d’avertir – sont venus en tongs… Bon courage !
C’est sous la pluie qu’Angel Olse donne à 18h30 l’envoi des concerts de cette Route du Rock 2014 au fort de Saint-Père. Un premier set réussi, grâce à une voix charmante, bien qu’un peu tranquille et entaché d’une coupure de son regrettable.
Ensuite, le public, composé en majorité de 20-40 ans, se presse devant le check-point de vérification des bracelets, avant de s’avancer vers la scène « du Fort ». Kurt Vile s’y produit à 20h50 avec « the Violators » ; The War on Drugs, groupe dont Kurt faisait partie à ses débuts, est passé juste avant… petit pincement au cœur pour ceux qui les ont loupés ! Mais les longues ballades du Philadelphien viendront peut-être tempérer leur chagrin. D’une voix nasale rappelant celles de Bob Dylan et Lou Reed (ses modèles avec Neil Young), le songwriter et guitariste délivre des chansons lyriques, calmes au début, mais de plus en plus fougueuses. Bien que son concert soit un tantinet mou, le public est séduit par la voix singulière de ce grand gaillard à la tignasse longue un peu « outdated ». Une belle surprise !
Suit The Real Estate sur la petite scène des Remparts. Pas grand-chose à en dire : artisans d’une pop mélancolique pas désagréable, mais manquant cruellement d’originalité, ils génèrent une prestation calibrée qui fait office de transition juste vers le groupe tant attendu : Thee Oh Sees. Vu les critiques dithyrambiques à leur sujet – Jim Jarmush les a emphatiquement qualifiés de « plus grand groupe de rock au monde » -, on imagine combien les fans trépignent d’impatience devant la scène du Fort malgré la boue ! Le groupe de rock garage psychédélique originaire de San Francisco arrivent un peu avant 23h, en effectif réduit.
Dès le premier morceau, le trio fait monter l’ambiance à vitesse grand V ! D’une voix furibarde dont le timbre explore fréquemment les aigus, John Dwyer, leader hyperactif du groupe à la mèche rebelle, tatoué jusque derrière les mollets, hypnotise littéralement le public. Il crache les paroles comme un damné, grattant frénétiquement sa guitare, poussant de petits hurlements hystériques. Susurrant de temps à autre dans le micro avant de se laisser aller à une nouvelle explosion de rage suivie de moult déflagrations sonores. Un gamin piquant une méchante crise de nerfs. Jouissif ! Le public apprécie largement cette prestation franchement garage. Mais, tant qu’à faire, certains aimeraient les revoir dans une petite salle de concert, plus proche d’un public qu’ils n’auraient aucun mal à retourner. Pourquoi pas à la Route du Rock Hiver ?
Le public croyait avoir eu son compte de rock furieusement déchaîné ? Ne partez pas ! Il y a encore The Fat White Family, qui ne tarde pas à apparaître sur la petite scène des Remparts. Pour le coup, certains appréhendent un peu ces types réputés former le groupe anglais le plus dépravé depuis The Libertines, voire encore plus provoc ! Sachant que le chanteur finit régulièrement dans le plus simple appareil, et que les gentils membres de Franz Ferdinand leur ont interdit de jouer en première partie de leur concert à la Summerset House de Londres, on se demande comment les organisateurs de la RDR ont pu oser les inviter ! Le T-shirt entaché de vin et le bras droit scarifié à plusieurs endroits, le chanteur Lias Saoudi occupe aussitôt la scène avec aisance, s’époumonant dans son micro d’une voix à la fois crâneuse et crasseuse. Au bout de deux chansons, il est déjà torse nu… suivi bientôt par deux de ses petits camarades. Ce soir-là, les Fat White Family livrent un show sulfureux, mais pas complètement dérangé ; le public accroche à leurs jouissives compositions garage-punk !
C’est un tout autre registre qui attend ensuite le public : Daniel V. Snaith, le Canadien ancien étudiant en mathématiques, vient présenter avec son groupe Caribou leur nouvel album « Our Love » sur la scène du Fort. Électron libre inclassable, le groupe navigue entre électro et pop aux tendances psyché. À coups de mélodies hypnotiques et de rythmes saccadés, le tout baignant dans des jeux de lumière, la foule est bientôt en transe. Dommage que la voix du chanteur demeure en retrait par rapport aux instruments. Pas très charismatique, le chanteur s’efface derrière la musique et les effets visuels, mais c’est un moindre mal pour un concert tendance électro qui a pour objectif numéro un de faire bouger les festivaliers.
Il se fait tard, et on n’en dira pas plus sur cette première soirée du festival, si ce n’est que le binôme électro-rock Darkside a plu surtout au public jeune. Il reste encore deux soirs. Pour ceux qui dorment au camping, deux nuits bien rudes dans le froid et la boue !
15 août 2014 : Anna Calvi, Slowdive, Portishead… (mais aussi Moderat, Liars, Metz et Cheatahs)
De retour au Fort, c’est sous un soleil rayonnant qu’on vient écouter Anna Calvi sur la grande scène, peu après 19h. Et non, le plaisir ressenti n’est pas seulement dû au soleil : la chanteuse italo-britannique est sublime, à tous points de vue ! Grande, mince, vêtue de noir, les yeux saturés de Kohl et la bouche immense teintée de rouge, elle livre un show exceptionnel, usant de douceur sur des mélodies enchanteresses avant de rugir telle une lionne affamée… avec une voix toujours incroyablement juste. Belle démonstration de charisme, de la part d’une jeune femme qui sait aussi communiquer avec gentillesse ses remerciements au public, sans jamais jouer les divas. Ce dernier est conquis.
Changement radical avec Protomartyr sur la petite scène ! C’est pour ainsi dire du bruit, en continu, qu’ils envoient. Grosso modo, c’est insupportable. « On se croirait au Hellfest de Clisson » lance un festivalier. À entendre plutôt qu’à écouter ; et de loin, donc. Le temps de dévorer un plat thaï ou une excellente part de pizza cuite au feu de bois – car oui, il y a un tas de bonnes choses à déguster sur le site… même si c’est un peu cher pour les jeunes bourses.
C’est ensuite aux revenants de Slowdive que va incomber la lourde tâche d’assurer le dernier set avant le concert tant attendu de Portishead. N’ayant pas commis de nouvel album depuis… 1995, le groupe de Reading, qui se reforme pour une tournée, entend reprendre les compositions avec lesquelles ils ont bâti leur influence dans le milieu shoegaze-dream pop, mais également essuyé des critiques peu avantageuses. Un retour qui suscite quelques réserves. Pourtant, le quintet mené par Neil Halstead et Rachel Goswell offre une bien belle prestation, sage certes, mais sensiblement envoûtante. Guitares éthérées, mélodies mélancoliques et aériennes… il y a comme un brin de magie dans l’air du soir, qui s’épanouit au fur et à mesure que la nuit tombe ; le public – fan de la première heure ou non – est prompt à applaudir.
Au fur et à mesure du concert, le Fort s’est rempli comme jamais : complet de chez complet pour le retour en son sein de Portishead (la première venue remonte à 1998 !). Portishead, immense groupe à la fois novateur et inclassable porté par la fabuleuse voix de Beth Gibbons. Et autant le dire d’emblée, les retrouvailles vont être incroyablement fortes. Tandis que le public s’amasse devant la scène principale, la tension monte graduellement, atteignant son paroxysme avec l’arrivée des musiciens qui s’installent dans une semi-obscurité au son du crépitement des enceintes. Soudain résonnent les premières expérimentations instrumentales du morceau Silence (extrait de l’album Third), entre synthés lancinants et accords inquiétants à la guitare, accompagnés par une batterie à la constance implacable. Cette dernière se tait tout d’un coup, au moment où Beth Gibbons se retourne vers le public, entamant le chant de sa voix incroyable à la fois douce et écorchée, plaintive et tout en retenue. Statique, et pourtant d’une présence exceptionnelle, elle hypnotise le public.
Sur le gigantesque écran tendu en arrière-scène, tout un montage de vidéos graphiques défile, entrecoupé par les images décuplées des artistes en noir et blanc. On tremble et on se laisse emporter pour une heure et demie de tortueuses innovations sonores, dans un univers froid et apocalyptique – on ne nous épargnera pas les images d’Hiroshima et de la Syrie en arrière-plan. Magistral ! « Je viens de me prendre une claque », répète à plusieurs reprises un homme dans le public. Visiblement, c’est le cas de tout le monde. Qui plus est, à la fin de ce concert inouï, Beth Gibbons descend signer des autographes et remercier le public juste devant la scène, adressant pour finir ses remerciements à l’équipe de La Route du Rock. Nul doute que Portishead a été largement à la hauteur des espérances de cette dernière comme du public !
16 août 2014 : Temples, Baxter Dury, Jamie XX, Todd Terje et Mac Demarco
La troisième – et dernière – soirée du festival de La Route du Rock 214 aura attiré davantage de jeunes branchés électro-house-dubstep venus se déhancher sur les sets de Jamie XX et Todd Terje. Une programmation délibérément plus « sexy » (dixit François Floret, directeur du festival), concoctée afin de compenser le déficit de festivaliers enregistré il y a deux ans. Mais d’abord, place au pop-rock, avec les deux showmen Mac Demarco et Baxter Dury, suivis des jeunes britanniques de Temples !
Mac Demarco est visiblement déjà en territoire conquis lorsqu’il fait son apparition. Juste après avoir été annoncé par un batteur-aboyeur-gouailleur louant son « incroyable intelligence » et son côté « diaboliquement terrible ». Sifflements et rires accompagnent le Canadien et ses musiciens qui s’installent sur scène avec, comme il se doit, leur provision de bières à portée de main. Éternel adolescent à la casquette vissée sur le crâne et au T-shirt Simpsons, le chanteur entame un set qui rayonne de pop ensoleillée. C’est léger, drôle, et parsemé d’interactions avec le public. Sans compter que Mac laisse ses musiciens – tout aussi charismatiques – s’exprimer. Il en va ainsi d’un moment délectable où le bassiste massacre une reprise de Coldplay. Le sourire aux lèvres, on apprécie la cohésion du groupe sur scène et leur joie de vivre communicative, ainsi que le slam final du chanteur qui couronne la prestation.
Toujours dans la dérision, mais à la manière classe d’un dandy, Baxter Dury débarque à 21h d’un petit pas dansant, avant d’entamer les paroles d’Isabel, titre phare de l’album Happy Soup. Manifestement à l’aise avec le public, le chanteur livre pourtant un show ennuyeux. La faute à des chansons pas très inspirées et à une voix qui pèche par sa banalité, le tout accompagné de chœurs scolaires sonnant parfois faux. C’est long, et autant le dire, même pénible, lorsque le chanteur se sent obligé de pousser de petits hurlements façon loup de Tex Avery pour réveiller le public. Ça n’empêche pas une partie des spectateurs d’être survoltés, à l’image de la jeune fille qui aura la bonne idée de lancer son soutien-gorge sur scène ; au moins un peu d’animation dans ce set sans… forme.
Temples maintenant. Jeunes Britanniques, ambassadeurs de la nouvelle vague rock psychédélique, on les compare volontiers aux Australiens de Tame Impala, venus l’été dernier et dont ils devront assurer ce soir la relève. Habitués à jouer en début de soirée, ils bénéficieront cette fois-ci de l’attention d’un public plus fourni puisque c’est à 23h que démarre leur concert. Tenues 100% vintage, et coupes rétro (mention spéciale à celle du chanteur, plus chevelu encore que Marc Bolan) : le quatuor assume sans aucun complexe l’héritage du rock des 70’s. Mais c’est un grand show d’une heure difficilement digeste à force de riffs et de synthés pompeux que nous livrent les minots appréciés de Johnny Marr (The Smiths). Trop lisse qui plus est : on aurait aimé les voir se déchaîner davantage sur scène et interagir franchement entre eux, notamment pendant leur quart d’heure instrumental.
Les musiciens de Cheveu arrivent juste après minuit. Coqueluche de la scène garage-punk parisienne, le groupe se laisse seulement entrevoir dans les jeux de lumières bleues et rouges qui noient la scène des Remparts. Les beats martelés plein pot par la boîte à rythmes feraient sans doute dresser les cheveux à un pro du marteau-piqueur, tandis que les riffs crasseux des guitares se mêlent dans un foutoir monumental avec la voix du chanteur.
Mieux vaut se rapprocher de la scène pour être tout à l’heure au plus près de Jamie XX, tête d’affiche de la soirée avec Todd Terje. Le londonien de The XX, qui sort son premier album solo, entend bien transformer le Fort en dance-floor géant… au vu de la boule à facettes gigantesque qui scintille au-dessus de lui. D’ailleurs, ça tombe bien : le sol est moins boueux que les jours précédents. Le festivalier se laisse transporter sans hésiter. Sur les écrans géants projetant les images du public, le cameraman fait la part belle aux filles, hissées sur les épaules de leur copain, et levant les bras d’un air extatique. On notera que l’impassible DJ se permet de toucher à des sonorités proches du zouk. Sans être du meilleur goût, ça réchauffe encore un peu l’ambiance, portant le public à bonne température pour bouillir avec Todd Terje.
Le producteur norvégien a su remanier ses tubes, notamment Inspector Noze et Svensk Sâs, pour les intégrer parfaitement dans son show électro groovy, extrêmement dansant. Une démonstration magistrale, que le public du Fort Saint-Père n’a pas manqué de saluer par ses pas de danse effrénés.
Voilà, la 24e édition, c’est terminé. Trois soirs à la programmation pointue, un peu en deçà le samedi, mais très bonne les deux premiers soirs. Le public gardera un souvenir impérissable de Portishead. Merci la Route du Rock… Et à cet hiver !