Il y a exactement 80 ans, en 1939, André Malraux achevait la réalisation de son unique film, Sierra de Teruel, rebaptisé Espoir. Il fut présenté au public du cinéma Max Linder à Paris en 1945, précédé à l’écran d’un texte de présentation dit par Maurice Schumann, compagnon de la Libération.
Le film était la transposition de son livre L’Espoir, texte paru en décembre 1937 inspiré par la guerre civile espagnole, « un peu le roman officiel de la République agressée » (Edouard Waintrop, Libération, 3 novembre 1997). L’impact d’une adaptation filmée devait permettre, selon l’écrivain et son entourage, de sensibiliser davantage l’opinion au drame espagnol et de recueillir des fonds pour armer les Républicains. D’autant qu’en janvier 1937, le Congrès américain avait adopté une résolution interdisant le commerce des armes avec l’Espagne.
Malraux commencera son film en 1938 et l’axera autour de l’épisode principal de la troisième partie du roman : le bombardement d’un terrain d’aviation franquiste, suivi de la chute du bombardier en pleine montagne au retour de sa mission. Le film se terminera par la fameuse scène, impressionnante et grandiose, du rapatriement des blessés de l’avion par des villageois serpentant en longues files sur les chemins escarpés du lieu de l’accident.
Malraux sollicitera l’aide d’un ami espagnol, l’écrivain Max Aub, pour rédiger le scénario et les dialogues. « Voilà le synopsis. On termine le script à Paris. Tu le traduiras. Organise le nécessaire et mets-toi en chasse, les techniciens viendront après » lui dit-il.
Le film sera réalisé d’août 1938 à janvier 1939 en Catalogne, dans une constante improvisation et d’innombrables difficultés matérielles. L’électricité est rare, les studios de Montjuich à Barcelone sont régulièrement bombardés par les nationalistes et l’argent manque. Logé dans un hôtel de Barcelone, Malraux écrit des dialogues et des scènes, aussitôt tournées dès que Max Aub, chargé de les adapter pour les interprètes espagnols, en termine la traduction.
Dans les six mois suivants, le film, complété avec des images d’actualités, sera achevé dans les studios de Joinville et à Villefranche de Rouergue. À la fin de juillet, le film sera présenté à Paris dans des projections privées. Juan Negrin, dernier Président du Conseil espagnol, réfugié à Paris, fut un de ces spectateurs. Le public invité à ces séances accueillera le film avec ferveur. Albert Camus, alors journaliste à « Paris-Soir », dira son admiration pour l’auteur de « L’Espoir » devenu cinéaste. Même élan chez Louis Aragon, ou Cocteau qui écrira :
« C’est le triomphe de l’auteur-metteur en scène. L’idée directement écrite pour les yeux, sur l’écran ».
La musique, composée par Darius Milhaud, accompagnera magnifiquement les images du long métrage. Mais en septembre, quand débute le second conflit mondial, le film sera censuré par le gouvernement Daladier, en particulier sur la pression de Philippe Pétain, alors ambassadeur de France à Madrid. Une copie sera miraculeusement sauvée des griffes des Allemands. C’est elle qui permettra l’exploitation du film en France à la Libération. La version originale, elle, fut confiée par Malraux lui-même à Archibald Mac Leish, futur directeur de la « Library of Congress », qui l’emmena aux USA en 1942. Cette version y est toujours conservée.
Ce n’est donc qu’en juin 1945 que le pays tout entier verra le film, récompensé par le prix Louis Delluc en décembre de la même année. Le public, enthousiaste, admira « une œuvre accordée à l’époque, tant en raison de son thème que de son aspect « documentaire » : tournage dans des conditions voisines du reportage – l’opérateur Louis Page, documentariste de formation, utilisant au maximum le cadre vécu –paysages, villages, rues…-, faisant appel pour une grande part à des acteurs non professionnels, volonté de donner aux personnages le maximum d’authenticité » (Jacques Chevalier, Revue du cinéma, 1970). La dramaturgie du film, dénuée de toute psychologie inutile susceptible d’entacher la force du scénario et la mise en scène tendue et sobre confèrent à l’ensemble une force exceptionnelle. « On trouve dans « Espoir » un rythme grave et pur qui rappelle le cinéma russe de la grande époque, en même temps que des séquences traitées dans un style réaliste et direct qui annoncent le Rossellini de « Rome, ville ouverte » (Jean de Baroncelli, Le Monde, mars 1970).
Ce film restera la seule œuvre filmique signée de Malraux, l’adaptation cinématographique de La Condition humaine envisagée par Malraux lui-même avec la collaboration d’Eisenstein, dans les années 30, n’ayant, hélas, jamais abouti.