Le street artiste Soul Jah Dom décore Rennes de ses portraits de femmes réalisés au pochoir. Des femmes au large sourire et au regard expressif qui égaient nos promenades. Hautes en couleur, riches en ornementations et en détails, ses œuvres ont la particularité de prendre leur quartier principalement sur les conteneurs de tri, comme un contre-pied à leur laideur. Elles illustrent ainsi une des plus belles vertus du street art, mettre de la couleur et de la vie dans la grisaille urbaine.
En vous baladant dans les rues de Rennes, vous avez déjà dû tomber nez à nez avec les muses de Soul Jah Dom. Souriantes, complices, elles vous observent dans vos allées et venues, approbatrices quand vous venez jeter votre verre dans le conteneur dont elles arborent les flancs.
Soul Jah Dom est un street artiste qui commence son activité en 2017, assez tardivement pour ce désormais quarantenaire. Son nom aux consonances reggae et hip hop vient de son parcours musical, qu’il débute vers ses 15 ans, en Haute-Savoie, d’où il est originaire. Mais les arts plastiques ont toujours été là en arrière-plan, avec des parents éducateurs spécialisés qui l’y poussaient, un frère pochoiriste et un autre qui lance sa marque de skate. « Quand j’étais gosse, on faisait des stickers dans le garage. On avait fait notre propre machine et on sérigraphiait sur des stickers, des vêtements, des planches de skate », raconte Dom.
En arrivant dans la région de Rennes, il se rend compte de la vivacité de la scène street art locale. Lui qui a toujours fait un peu de pochoir décide de se lancer. « Jusque-là c’était des pochoirs surtout ornementaux, des mandalas, des fleurs, des pochoirs à une couche. J’ai eu le temps et l’envie de me lancer dans le portrait », se rappelle-t-il. Si Dom est forcément inspiré par un pionnier du pochoir comme Blek le rat, ou son cadet Raf Urban, il trouve peu de pochoiristes sur la scène rennaise, à part Ozana, avec qui il va parfois « pocher ».
Amoureux des femmes, hypnotisé par leur regard et cherchant à leur donner une place dans son œuvre et dans la ville, ce sont principalement des portraits féminins que Soul Jah Dom réalise. « Il y a tellement de femmes qui sont reconnues trop tard, après leur mort, des écrivaines, des peintres », déplore l’artiste. Il cite à cet égard Frida Kahlo, dont il « pochait » récemment le portrait. Dans ses œuvres, il apporte un soin tout particulier aux chevelures, coiffes, bijoux et parures qui se confondent avec un arrière-plan luxuriant d’ornementations florales ou de mandalas. Certains de ces portraits sont finalisés avec la technique du dripping (fait de faire couler ou de projeter de la peinture sur la toile ou la surface peinte), alimentant ainsi l’effet de profusion.
Ce que Soul Jah Dom apprécie dans le pochoir, ce sont les détails, parfois imperceptibles. Ses modèles sont des photos glanées sur la Toile qu’il modifie sur les logiciels Photoshop ou Gimp. Il passe la photo en noir et blanc puis la postérise, un procédé qui consiste à séparer les nuances d’ombrage en différentes couches qui correspondront ensuite aux différentes couleurs du portrait, généralement trois ou quatre. Une fois l’image finalisée sur ordinateur, il l’affiche sur un écran plat et décalque à la main les contours des aplats de couleur sur des feuilles de PVC transparents. Il faut ensuite s’armer de patience et de précision pour faire la découpe au scalpel, un processus, semblable à une longue méditation, qui peut prendre de 30 à 50 h de travail, selon le niveau de détails.
Une fois les pochoirs prêts, il n’y a plus qu’à les fixer sur un support et peindre à la bombe couche après couche. Soul Jah Dom privilégie les surfaces métalliques, sans aspérités, et a donc trouvé dans le mobilier urbain des supports de choix. Peindre sur les conteneurs de tri présente deux intérêts : rendre beau le prosaïque et le laid — à l’image de Charles Baudelaire qui prétendait poétiquement faire de l’or avec de la boue — et s’assurer d’être vu par les usagers de ces poubelles. D’abord effacés par les services de propreté municipaux, les portraits de Soul Jah Dom sont désormais tolérés et fleurissent peu à peu dans toute la ville.
Souhaitant à terme pouvoir vivre de son art, Soul Jah Dom ne s’en tient pas seulement aux œuvres de rue. Il a pu peindre quelques murs, dont le pignon du Village d’Alfonse, où il a dorénavant son atelier. Ses peintures murales sont des chantiers bien différents de ses pochoirs habituels. Dans ce cas-là, il imprime son image finalisée sur du papier rhodoïd et la projette de nuit sur la surface à peindre pour tracer les contours à la bombe ou au crayon. Puis, de jour, il ajoute les couleurs au pinceau et au rouleau. Il réalise aussi des toiles, customise des objets, des meubles, des vêtements. « Cette année j’aimerais faire fusionner ces différentes pratiques », annonce Dom.
Soul Jah Dom exposera ses travaux au Barexpo à Rennes du 2 juin au 14 juillet 2023.