Vieilles Charrues, deuxième round. La 25e édition se déroule du 14 au 17 juillet, comme à son habitude, telle une excroissance de la ville de Carhaix. Au programme de ce vendredi, Michel Polnareff, Pharrell Williams, Disclosure, Parov Stelar, Dominic Sonic, Lou Douillon, Vald, Pixies… et un deuil imprévu joué entre bruit et silence
Vieilles, les Charrues ?
Une amie me racontait une anecdote sur les Vieilles Charrues. Elle n’avait alors pas 18 ans et, pour convaincre sa mère de la laisser se rendre à Carhaix, elle lui avait expliqué que les Vieilles Charrues n’étaient pas un festival, mais bien un comice agricole ! Derrière la petite histoire reste l’idée que chaque festivalier conserve des souvenirs précis de son passage dans le Finistère. Les Vieilles Charrues, le plus grand festival de France, les a parfois vus grandir. Sans doute est-ce la raison de son succès : son histoire, désormais riche, sa capacité à brasser toutes sortes de population, de génération, et à creuser toujours plus loin dans l’éclectisme. Au moins pour les Bretons, c’est une sorte de rituel quasiment inévitable.
C’est toujours un peu la même chose. On trouve dans la foule, et ce depuis des années, plusieurs archétypes du festivalier. Le père et le fils qui viennent pour la soirée, parce que d’une génération l’autre, ils se retrouvent sur un artiste légendaire, par exemple Lou Reed en 2011, Bob Dylan en 2012. Les bonnes copines qui s’échappent le temps d’un week-end prolongé. Les amis qui s’y rendent, chaque année, pour honorer une ancienne coutume. Les lycéens dans leur transition, Bac en poche, pour qui le festival est une première. Les passionnés dont la présence se justifie uniquement par la musique. Et à côté… ceux qui ne quitteront presque jamais le camping, ceux qui ne se souviendront plus du dimanche, ceux qui finiront aux urgences, ceux qui passeront leur soirée à vouloir rentrer en backstage.
C’est toujours un peu la même chose. La fureur due au Gwen ha Du : les drapeaux bretons virevoltent au-dessus de la foule au milieu des Bob l’Éponge et autres Hello Kitty. Le début comme la fin de la soirée entraînent un exode impressionnant autour du site. Les groupes se perdent, se forment, se déforment, les gens ne répondent plus au téléphone. L’attente est trop longue aux toilettes, mais les conversations de pissotière se veulent philosophiques. Souvent, un homme dort à même le sol, parfois plusieurs. Mais que pourrait donc nous réserver cette 25e édition ?
Vendredi 15 juillet 2016
Niveau musique, les Vieilles Charrues fonctionnent à l’éclectisme. Voilà plusieurs années que la recette fonctionne à merveille : ramener à Carhaix une ou plusieurs légendes de la musique, reformer un ancien groupe, mixer l’air du temps avec une programmation à mi-chemin entre l’underground et le mainstream. La Kronenbourg et les multiples animations feront le reste. Chaque soirée sera marquée par l’attente de quelques tubes. Vendredi, nous avions donc le superbe Where is my mind ? des Pixies, morceau de choix pour les festivaliers perdus et avinés. Plusieurs chansons de Michel Polnareff, sur la scène Glenmor : On ira tous au paradis, Le bal des Laze, Lettre à France, Goodbye Marylou. Le morceau du rappeur Valdo : Bonjour (« Il a pas dit bonjour, du coup il s’est fait niquer sa mère »). Sans oublier le tube planétaire, pour ne pas dire mondialisé, de Pharrell Williams : Happy. L’américain a envahi jusqu’à la plus petite commune française avec cette chanson et ses lipdubs. On n’avait pas vu un tel engouement depuis la Java Bleue. Il n’empêche qu’il a enflammé la scène Kerouac (baptisée ainsi en l’honneur du père des Beatniks) avec des chorégraphies spectaculaires et un show, comme on dit, à l’américaine.
Vald a rendu dingues les jeunes hommes et femmes des Vieilles Charrues avec un flow délirant, un crew survolté et des paroles ultra-crues. Il en a rien à Carhaix, et ça fait le plus grand bien. Parov Stelar, sur la scène Kerouac, a fait jazzer les enjaillés avec son électro swing. On retiendra aussi Ropoporose, un duo fraternel pop et enjoué. Sous le chapiteau de Gwernig, Feiz Noz Moc’h a su montrer, vielle à roue et percussions à l’appui, que la trad aussi pouvait innover.
See you on the dark side of the foule
Mais nous étions le 15 janvier 2016. Et cette date ne rappellera qu’une chose, celle du 14 juillet 2016, celle du terrible attentat de Nice qui a coûté la vie à 84 personnes, dont plusieurs enfants. Le monde a changé, les Vieilles Charrues aussi. Jamais le festival n’avait connu un dispositif sécuritaire aussi énorme. En même temps, plus l’organisation demeure carrée, plus les festivaliers pourront, à loisir, demeurer ronds comme des queues de pelles. Voilà peut-être ce qui ne plaît pas à tout le monde. L’Agence Bretagne Presse a déclaré, lapidaire :
Pour moi continuer à faire la fête à Carhaix aujourd’hui, après ce qui s’est passé à Nice et alors que le reste de la France pleure les victimes dont de nombreux enfants, et malgré l’état de deuil national décrété ce matin, est indécent
Ce à quoi la plupart des artistes et festivaliers auraient tendance à rétorquer que la culture permet précisément de combattre la barbarie. En outre, était-il possible, économiquement, d’annuler un festival pareil ?
Bien entendu, les images montrent une foule compacte. Elles diffusent l’hommage a capella de Polnareff pour les victimes, ou celui de Pharrell Williams sur les pas de Rouget de Lisle. Le président des Vieilles Charrues s’est exprimé après le concert de Polnareff : « Plus que jamais, soyons solidaires ». On exige une minute de silence. L’idée est assurément excellente. Le silence permet une suspension du jugement, un moment de recueillement où songer, seul et ensemble à la fois, dans un mutuel respect des convictions de chacun, aux victimes malheureuses. Elle n’a pas duré vingt secondes : rapidement, une partie non négligeable de la foule a entonné avec ferveur la Marseillaise. Ce sera certainement ces quelques secondes qui resteront dans la mémoire des Vieilles Charrues. Ce que l’on ne peut dire, hélas, il faut le taire…