Le mouvement féministe 4B a fait son apparition en Corée du Sud dans les années 2010. En réponse aux normes d’une société patriarcale et à une misogynie particulièrement développée, des femmes ont décidé de renoncer aux relations avec les hommes… Aujourd’hui, le 4B s’étend à travers le monde, notamment aux États-Unis depuis la réélection de Donald Trump fin 2024.
Il crée des émules sur la toile ces dernières semaines, mais le mouvement 4B a été fondé il y a une dizaine d’années déjà. Son nom renvoie aux quatre mots qui constituent les principes de ce courant féministe. Tous commencent par « bi », « non » en coréen : « bihon » désigne le rejet du mariage hétérosexuel, « bisekseu » le renoncement aux relations sexuelles hétérosexuelles, « biyeonae » celui de partenaire romantique et « bichulsan » désigne la volonté de ne pas avoir d’enfants. Le mouvement réunit les idées de plusieurs autres courants féministes tels que « Escape the corset » (« Échappez au corset »), qui invite les femmes à rejeter les codes physiques de la féminité traditionnelle, comme porter les cheveux longs ou se maquiller, et “No Marriage” (“Pas de mariage”), dont le nom parle de lui-même.
Le mouvement 4B est une réaction collective des Coréennes du Sud pour lutter contre les pressions patriarcales et esthétiques du pays et la misogynie, principale forme de discrimination là-bas. Si elle est connue pour sa modernité dans le modèle économique et ses technologies avancées, la Corée du Sud reste en effet ancrée dans un conservatisme culturel et est attachée à des normes de genre ultra-traditionnelles en ce qui concerne les relations hommes-femmes. Professionnellement, les femmes doivent choisir entre vie familiale et professionnelle, ont toujours des rôles subalternes malgré les diplômes et compétences, et peinent à monter les échelons dans leur carrière. Selon l’OCDE, les femmes sud-coréennes gagnent en moyenne 29 % de moins que les hommes et effectuent 3,5 fois plus de travail non rémunéré, comme les tâches ménagères. Dans les relations de couple, la répartition des rôles est on ne peut plus hétéro-normée : la femme reste à la maison, comme toute bonne mère au foyer obéissante. Au-delà du côté misogyne qu’induit ce type de comportement, la normalisation de la violence dans la pornographie développe aussi chez les hommes des désirs irréalistes et une objectivation de la femme. Cette dernière est accentuée par l’omniprésence de la chirurgie esthétique, véritable pression chez les femmes pour répondre à des attentes de beauté plébiscitées, notamment, par la K-Pop et ses stars à l’apparence parfaite…
![mouvement 4b corée du sud](https://www.unidivers.fr/wp-content/uploads/2025/02/mouvement-4b-coree-du-sud.jpg.webp)
Pour les membres, le meilleur moyen de lutter contre ce système patriarcal est de s’affranchir de toute relation avec les hommes, jusqu’à rejeter, pour certaines, les relations mêmes amicales. Si le mouvement peut être qualifié d’ “anti-hommes”, il apparaît aussi comme une réponse pour se protéger de la toxicité de certains comportements masculins.
Depuis la réélection de Donald Trump aux États-Unis, les recherches sur le sujet ont explosé, et de plus en plus d’Américaines le rejoignent. Si en Corée du Sud, le mouvement repose sur le mariage, une institution quasi obligatoire pour être reconnu socialement, c’est la contraception qui est au cœur du mouvement outre-Atlantique. De vidéos sur des réseaux sociaux comme TikTok montrent notamment des femmes se rasant la tête pour ne plus plaire aux hommes.
Malgré un soutien de la part de certaines féministes, le mouvement ne fait pas l’unanimité au sein des groupes féministes et suscite des controverses pour ses prises de position et sa radicalité. Son rejet de la vie en couple et de la parentalité est critiqué, mais des femmes à l’échelle mondiale, du moins européenne, font déjà ce choix de vie sans s’inscrire pour autant dans ce mouvement. La question n’est pas de remettre ces choix de vie personnels en question mais, sans délégitimer la cause, de s’interroger sur ce qu’un rejet de la gent masculine pourrait engendrer dans une société collective. Le mouvement 4B se rapproche des principes de la misandrie en Occident et traduit un agacement généralisé. Il peut être vu comme une réaction au sexisme systémique que subissent les Sud-Coréennes. Nous sommes loin du Scum Manifesto de Valeria Solanas (1967), qui appelle avec un ton incisif, mais pas dénué d’humour, à l’éradication des hommes, mais qu’en serait-il s’il était universalisé ? En créant de nouveaux espaces qui leur sont dédiés, les membres se réapproprient des logiques de domination des hommes, mais cette réappropriation permettrait-elle d’atteindre, à terme, l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, ou développerait-elle plutôt un entre-soi des genres qui ne communiqueraient plus ensemble ?