Climat. 130 000 bretons sont déjà menacés de submersion et les huitres de disparaître

crise climatique bretagne

Longtemps associé à un concept lointain dans l’espace et le temps, le changement climatique montre désormais ses effets concrets dans le monde entier et en France. En Bretagne, derrière les termes “recul du trait de côte” se cachent des centaines de milliers de foyers à risque, 130 000 dans la région sont menacés de submersion. Plusieurs secteurs économiques risquent également le déclin dans les prochaines décennies (tourisme, agriculture, conchyliculture).

Les dernières années en ont fourni de nombreux exemples : des températures dépassant les 45 °C aux épisodes de sécheresse records, en passant par les mégafeux de forêt dans le Sud-Ouest. Tous ces événements climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents et plus intenses, mais ils sont aussi différents en fonction des territoires. C’est pourquoi le Réseau Action Climat, en partenariat avec l’Agence de la Transition écologique (ADEME), publie un rapport aujourd’hui 19 septembre qui répertorie ces impacts par régions. La partie qui concerne la Bretagne est alarmante.

Un littoral en transformation

Omniprésent en Bretagne, qui représente un tiers des côtes de l’hexagone, le littoral apporte une douceur qui permet à la région de subir une hausse des températures relativement moins marquée que la plupart des régions de France. Néanmoins, d’autres conséquences du changement climatique apportent des risques importants pour les zones côtières, à commencer par la hausse du niveau de la mer. Celle-ci est causée par deux facteurs : la fonte des glaciers d’une part, et la dilatation thermique d’autre part (plus l’eau est chaude, plus elle prend de la place). À Brest, le niveau de la mer a connu une hausse de 20 cm depuis 1850-1900 (dont 13 cm environ depuis 1970). Cette hausse s’accélère et se poursuivra quel que soit le scénario d’émissions de gaz à effet de serre.

La question qui découle de ces scénarios n’est donc pas de savoir si on atteindra une hausse de 2 mètres, mais quand : si le réchauffement est limité à +2 °C, cela pourrait ne pas arriver avant 2300. En revanche, dans un scénario où les émissions continueraient à augmenter, cette hausse pourrait atteindre 1 mètre dès la fin du siècle et 2 mètres peu après 2150. Une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre permettrait donc de gagner du temps pour s’adapter au futur niveau de la mer.

En attendant, si la hausse déjà atteinte de 20 centimètres peut paraître anodine, elle peut en réalité être source de répercussions importantes : érosion, recul du trait de côte, submersion de zones côtières, salinisation de nappes phréatiques ou des eaux utilisées pour l’agriculture, destruction d’écosystèmes côtiers, d’habitations et d’infrastructures… Le littoral est un espace avec une forte densité de population, qui continue d’augmenter. 130 000 Bretons sont déjà menacés de submersion, notamment à Saint-Malo où 25 000 habitants vivent sous le niveau de la mer. Conséquence (entre autres) de la montée des eaux, l’érosion concerne 400 des 2000 km de côtes bretonnes, avec un recul supérieur à 50 cm par an.

Selon un décret publié le 31 juillet 202346, parmi les 242 communes françaises qui doivent prendre des mesures d’urbanisme et d’aménagement contre l’érosion du littoral, 93 sont situées en Bretagne, dont 52 dans le Finistère : c’est plus dans ce seul département que dans n’importe quelle autre région. Cela concerne de multiples destinations emblématiques, célèbres pour leur patrimoine et attirant de très nombreux touristes (Saint-Malo, Quiberon, Kerlouan, l’île de Bréhat…). De plus, les tempêtes, comme Ciaran et Domingos qui ont frappé la région en novembre 2023, peuvent provoquer des pics d’érosion de plusieurs mètres à quelques dizaines de mètres ainsi que des épisodes de submersion. Si le lien entre changement climatique et intensification de ces tempêtes est difficile à établir, il est en revanche certain que “la forte exposition et la forte vulnérabilité de nos littoraux au changement climatique sont bien établies et ces effets ne pourront donc que s’aggraver avec la remontée du niveau des mers” comme le rapporte le Haut Conseil Breton pour le Climat dans son rapport annuel de 2024.

–> 2 mètres est l’élévation du niveau de la mer qui sera atteint. Ce sera après 2300 si l’Accord de Paris est respecté, mais dès 2100 selon les scénarios les plus pessimistes.

vague submersion bretagne

Sécheresses, chaleurs et répercussions

Si les littoraux sont menacés par la montée des eaux, ce sont les sécheresses qui inquiètent en premier lieu les zones situées dans les terres. Avant d’évoquer les liens avec le changement climatique, il est à noter que la Bretagne est structurellement vulnérable aux épisodes de sécheresse. Les sous-sols sont en grande partie composés de granit et de schiste, rendant l’accès aux eaux souterraines difficile. La région dépend donc principalement des cours d’eau et des retenues : si elles ne sont pas remplies, les déficits en eau peuvent se produire très vite. Le changement climatique favorise les épisodes de sécheresse, notamment à travers la hausse des températures qui augmente l’évapotranspiration des sols et des végétaux. Concernant les précipitations, on n’observe pas de tendance générale en termes de cumul, en revanche les pluies seront plus importantes en hiver (avec une augmentation des risques de crues) et moins im- portantes l’été, ce qui aggrave les sécheresses estivales. On observe une «méditerranéisation» du climat breton.

L’année record de 2022 symbolise ce que peut être un épisode de sécheresse extrême et les répercussions que cela provoque. Celle-ci a été causée par un fort déficit de précipitations dès l’automne 2021 et jusqu’à l’été suivant : en juillet, les stations de Brest et Rennes ont enregistré un déficit de précipitations de 94 et 98 % par rapport à une année moyenne. Les retenues d’eau, qui alimentent 70 % de l’eau potable en Bretagne, n’ont pas été remplies pendant l’hiver, conduisant à des tensions sur la ressource. Tous les départements de la région étaient ainsi en situation de crise en juillet 2022, avec des limitations sur les usages de l’eau.

On a frôlé une situation bien plus compliquée fin septembre dans les Côtes-d’Armor, où l’alimentation en eau potable aurait été coupée si des pluies n’avaient pas fait leur apparition au dernier moment. Les agriculteurs ont subi de lourdes pertes, notamment sur le maïs ou encore les cultures de légumes, avec par exemple -50 % de rendement sur les haricots verts et -70 % sur les artichauts. La filière animale a également été impactée, avec des déficits de fourrage et un stress thermique sur le bétail. À noter que les ravageurs sont également avantagés par la hausse des températures, générant un facteur supplémentaire de pertes agricoles. Considérée aujourd’hui comme une année extrême avec de nombreux records battus concernant la sécheresse et la chaleur, une année comme 2022 sera dans la moyenne en fin de siècle si les émissions suivent leur trajectoire actuelle. Et dans le scénario le plus pessimiste, elle serait même considérée comme une année froide.

–> 40,9 °C ont été enregistrés dans les Côtes-d’Armor le 18 juillet 2022, record absolu en Bretagne

Le secteur agricole est en première ligne, mais les répercussions sont nombreuses : biodiversité, risque d’incendie, économie… La santé est notamment impactée par les vagues de chaleur, qui sont déjà plus nombreuses (depuis 1950, le nombre de jours de plus de 30 °C a augmenté d’un tiers à Rennes et Brest) et seront de plus en plus fréquentes à l’avenir. D’ici la fin du siècle, la Bretagne pourrait compter 19 journées chaudes supplémentaires par rapport à la période 1976-2005 si les émissions suivent leur trajectoire selon le scénario d’émissions modérées et de 47 journées selon le scénario de fortes émissions.

Pour la santé, cela peut se traduire par de nombreux effets néfastes : coups de chaleur, déshydrations, problèmes cardiovasculaires, respiratoires… en particulier pour les personnes les plus fragiles (personnes âgées, jeunes enfants) ou les plus vulnérables (personnes isolées, souffrant de maladies chroniques, vivant dans des logements mal isolés…). Une surmortalité de +20 % a été observée en Bretagne lors des fortes chaleurs de 2022 et de +80 % chez les plus de 75 ans. Cette exposition est d’autant plus forte dans les milieux urbanisés et les zones fortement artificialisée1, à cause de l’effet d’îlot de chaleur. La chaleur captée par les sols la journée est restituée la nuit et empêche l’air ambiant de se refroidir : en 2022 on a compté 8 nuits tropicales (c’est-à-dire dont la température n’est pas descendue sous les 20 °C) à Rennes, alors que la moyenne est inférieure à une journée par an.

Les milieux marins en déclin

On évoque souvent la hausse des températures et des vagues de chaleur sur terre, mais les fortes chaleurs marines ont également de nombreux effets néfastes sur la vie aquatique. La température moyenne des eaux devrait augmenter de 3 °C d’ici la fin du siècle (par rapport à 1986- 2005) si les émissions de gaz à effet de serre suivent leur trajectoire actuelle. Et les vagues de chaleur marines seront de plus en plus fréquentes et intenses dans les décennies à venir, avec des conséquences désastreuses.

Les fortes chaleurs entraînent en effet une mortalité massive chez les organismes se déplaçant peu et le déplacement des espèces mobiles sur de grandes distances. De plus, des températures élevées favorisent le développement de certaines maladies. Par exemple, des mortalités jusqu’à 80 % pour l’ormeau ont été constatées depuis les années 1990 entre Saint-Malo et Saint-Brieuc lorsque la température de l’eau dépassait les 18 °C.

–> 98% de déficit de précipitations ont été enregistrés à Rennes en juillet 2022 par rapport à une année “normale”. D’ici 2100, une année comme 2022 sera considérée comme moyenne.

Les mers et océans jouent un rôle important pour le captage du carbone, absorbant naturellement un quart des émissions anthropiques, mais cela a une conséquence négative : l’acidification des eaux. D’ici 2100, on pourrait observer à l’échelle mondiale une acidification de l’eau de mer de 30 à 200 % en fonction des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. Les conséquences concernent en premier lieu les espèces ayant une structure calcaire et se déplaçant peu, comme les huîtres ou les moules dont la taille pourrait diminuer de 40 %
avec un pH bas (7.2).

L’acidification entraîne des problèmes de développement au stade larvaire entraînant des déformations et une forte mortalité, mais aussi une plus grande vulnérabilité aux prédateurs et entrave la reproduction. Les écosystèmes marins sont donc fortement perturbés, avec des répercussions pour les activités économiques : la conchyliculture, la pêche, la récolte des algues… mais aussi pour le tourisme, la pêche à pied faisant partie des activités touristiques et traditionnelles de la région bretonne. La biodiversité marine et côtière est donc mise à mal par les conséquences du changement climatique, qui viennent s’additionner aux autres pressions humaines : surexploitation des espèces (notamment via la pêche), destruction des habitats, pollution, introduction d’espèces invasives… En parallèle de l’indispensable réduction des émissions de gaz à effet de serre, une limitation de ces autres pressions anthropiques est nécessaire.

Vers la fin des huîtres bretonnes ?

La culture des huîtres en Bretagne est remise en question. D’une part, l’acidification a un impact sur le développement des huîtres, limitant leur croissance et fragilisant leur coquille. Elles sont ainsi plus vulnérables aux vagues et aux prédateurs, d’autant plus que certains (daurades, poulpes…) sont de plus en plus nombreux dans les eaux bretonnes du fait du réchauffement des eaux. Ce dernier dégrade d’autre part la santé des huîtres, pouvant entraîner des mortalités durant des épisodes de fortes chaleurs marines.

La culture des huîtres en Bretagne reste incertaine à moyen et long terme et nécessitera des adaptations, comme la co-culture avec des algues visant à lutter contre l’acidification, en cours d’expérimentation.

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