La « fête » du vélo vous a bassiné grave cet été ? Alors vous allez aimer Maillot noir, un polar sorti à l’occasion du passage du Tour de France à Rennes le 11 juillet 2015. Il remet les pendules (ou les braquets) à l’heure sur le vélo-business, aussi sain-pathétique que celui du foot. Enterrement de première classe…
Maillot noir, pourquoi ? Jeu de mots entre le ton des huit nouvelles (signées de huit auteurs du collectif Calibre 35) et la Maglia Nera, attribuée au Giro (Tour d’Italie) de 1946 à 1951 pour « récompenser » le dernier du classement. Une lanterne rouge au temps où l’on pratiquait le vélo-dérision. La préface confiée à Jean-Bernard Pouy rappelle que « le roman noir est militant ». Ce qui n’empêche pas la finesse. Le père du Poulpe assure que « la lecture et le vélo sont irrémédiablement liés. Au grand soulagement de nos entraîneurs (les parents) qui nous apprennent à lire et à tenir en équilibre sur une bicyclette à peu près en même temps ».
Le peloton entraîné par l’éditeur rennais Jean-Marie Goater avait déjà participé à « Rennes, ici Rennes » (publié en 2013). Hervé Commère, Frédéric Paulin, Stéphane Grangier, Léonard Taokao, Valérie Lys, Claude Bathany sont ici rattrapés par Nathalie Burel et Isabelle Amonou. Et ils déploient une sacrée énergie ! Entre le « Go slow » (clin d’œil au Go fast), quelques meurtres, des enquêtes, du dopage et des personnages de substitution, Rennes, Mûr de Bretagne et le « non-lac » de Guerlédan, ces huit nouvelles font découvrir les coulisses « imaginaires » de ce tour de France si populaire.
« Go slow ». Convaincu de son incapacité à « gagner des fortunes et s’offrir une île privée » et ayant donc opté pour « un truc limpide et plus simple : être dernier », le « héros » d’Hervé Commère fait Paris-Rennes en vélo qu’il a préalablement garni d’un kilo de cocaïne. Sur ces routes interminables, l’adepte de la maglia Nera accède à « un truc dont il n’avait jusqu’alors jamais soupçonné
la présence et dont il ne connaissait pas l’origine : une espère d’optimisme sorti de nulle part ». Au camping des Gayeulles, les choses vont prendre une tournure inattendue.
« Tandem particulier ». L’un bave, l’autre pédale. L’histoire des deux jumeaux d’Isabelle Amonou creuse en même temps la complexité de la gémellité et les méandres d’un parcours de cyclistes.Perte de pédales. Formidable mise en place du héros qui a prévu de prendre la place d’un grand coureur belge. Si l’histoire est un tantinet abracadabrantesque, elle remet en question la motivation et permet d’en savoir un peu plus sur l’histoire du Tour. Qui se souvient qu’à celui de 1913 (époque où « les coureurs doivent réparer eux-mêmes, pas d’assistance technique, pas d’aide des spectateurs »), Eugène Christophe, dit le Vieux Gaulois, était classé premier quand sa fourche a cassé dans la descente du Tourmalet : « il doit marcher quatorze kilomètres pour atteindre Sainte-Marie de Campan. Il trouve une forge et répare sa monture. Il perd le tour ». Respect !
« Le baiser au vainqueur ». Où Nathalie Burel nous fait entrer dans la tête d’une toquée du vélo (nommée Jeannie, on devine la prédisposition familiale !) qui a tué la fille du maire, injustement choisie pour faire la bise au vainqueur — « pure coïncidence », évidemment !
« T’as voulu voir Vesoul ? » Jean-René y est né lors du passage du Tour en 1952. Enfin, c’est ce qu’il dit et répète — sous la plume de Claude Bathany — à tous les poivrots au comptoir de son bar. Jusqu’au jour où un client « sapé comme un milord de sous-préfecture » brise le mythe. Ce sera d’ailleurs le dernier jour de la vie de celui qui s’avèrera être un « chimiste ».
« Le mystère de la petite reine ». Celui qui va être résolu par le commissaire créé par Valérie Lys nous entraîne dans la ville qu’elle décrit avec son humour ravageur. Ainsi son héros voit l’Hôtel de police comme « un curieux bâtiment évoquant davantage la Kommandantur de la Gestapo que le Secours Populaire. À ses côtés trône la cité judiciaire, tout droit sortie d’un champignon atomique ou du Faucon Millenium de Star wars ».
« Livarot libre ». Où Stéphane Grangier aborde les compromissions des élus, des responsables économiques et des commentateurs, dans un désopilant thriller cyclo-économique. Ce n’est pas du Livarot qui coule dans les veines du champion !
« Et vous me direz treize fois amen ! » C’est le moins qu’on puisse faire quand on dénonce ce « sport de beaufs anisés ». Léonard Taokao n’y va pas par quatre chemins dans son histoire aussi gore que rock and roll où l’on suit une écurie dirigée par « un assureur ouzbéko-chypriote, spécialisé dans les incendies d’entreprises dans le sud de l’Italie ». Quand tu penses que « les trois quarts des spectateurs mettraient une branlée à leur gamin s’ils le trouvaient avec un joint. Par contre, applaudir des souris de laboratoire sur pédales, pas de problèmes ! »
Ainsi vont les roues. Le philosophe philosophera. Le cycliste pédalera. Et le Goater Noir… noircira l’image du Tour. Amen !