Sur un marché estival de bord de mer, Eric Holder trace avec amour, tendresse et poésie de magnifiques portraits de marginaux cabossés par la vie, mais survivants. Et heureux. Une Saison des bijoux en somme…
C’est une chanson de Vincent Delerm. Elle s’appelle « Fanny Ardant et moi ». Elle dit : « Elle est posée sur l’étagère entre un bouquin d’Eric Holder, un chandelier blanc Ikea et une carte postale de Maria ». Delerm et Holder : la parenté n’est pas un hasard. Si la voix du chanteur est douce et mélancolique, l’écriture de l’écrivain est lente et précieuse. Les mots, leur agencement, les images qu’ils créent, c’est le style d’Eric Holder.

Premier mannequin de ses œuvres au-dessus de jambes caramel, brunies par les années de plage, elle rameutait le chaland comme un phare.
Il y a aussi Viviane, la vendeuse de pipeaux et d’appeaux à oiseaux. Et Nanou, la marchande de fruits et légumes, Fromage, Georges vendeur de fripes british, Château Migraine, Tipule, Casquette, Jetset et Bou. Et tant d‘autres, tant d’autres, tous attirés par la lumière du livre, par celle qui déclenche les passions, qui brise les secrets, qui révèle les règles tacites du marché édictées par le sinistre Forgeaud. Jeanne. Jeanne, la compagne de Bruno Bijoux.
Bon sang, c’était vraiment la fille la plus canon qu’on ait jamais vue. L’ombre et la lumière semblaient ménager une pause, s’adoucir avant de se consacrer à elle, d’œuvrer à plein dans le modelé des bras, des joues, de glisser une obscurité mystérieuse entre les cheveux et le front. Elles nimbaient de pastel l’arrondi de son menton, sa bouche de profil comme un cœur renversé, fendu rouge au milieu du rose. Lorsqu’on cherche en vain sur une personne un détail contrariant, on dit qu’elle a la grâce.
Cette grâce, l’écriture de Eric Holder, la détient également. C’est la poésie du quotidien qu’il décrit, une poésie qui n’ignore pas la violence, la bassesse des hommes, les coups et les viols, mais qui fait triompher les femmes, gardiennes de l’amour. Chez Holder, les bras enserrent pour étouffer, tuer, violer parfois, car la vraie vie est ainsi, et on n’est pas dans un conte de fées, mais au final ce sont les bras des femmes qui l’emportent, ces bras qui protègent les enfants, qui étreignent l’amant, qui portent les cageots de fruits et légumes avant de s’enfouir dans la fraîcheur de l’océan.
Eric Holder aime les femmes et glane leurs portraits magnifiques le long de ses étals où la vie quotidienne s’expose comme sur une scène de théâtre. Pareil à ces acteurs qui s’ignorent on se met à aimer la vie dans sa banale apparence, prêt à chercher et à trouver, le sourire, le regard, la lumière qui feront de cette journée une journée différente, une journée lumineuse.
Sans mièvrerie, on se balade, à la quête de ces petits bonheurs, bercés par la musique des mots. Comme souvent en poésie, il y a une morale, mais elle n’est rien à côté de la description de ces « plaisirs minuscules », sous-titre du premier ouvrage de Philippe Delerm, père de Vincent Delerm, celui qui chante Fanny Ardant et Eric Holder.
Même sans Fanny Ardant, on se dit qu’on irait bien du côté du marché de Carri, acheter un paréo, une belle salade verte, un vieux livre de Delerm. Et puis on rentrerait sous la fraîcheur du tilleul, un verre de Bordeaux à la main. On fermerait les yeux et on repenserait à Jeanne, entrevue, vendant des bijoux, celle qu’on appelle « gazelle ou biche ». Et la poésie nous tomberait dessus. Sans crier gare. Nous montrant que la vie est sacrément belle.
