Auteur d’une série romanesque consacrée à la condition féminine et – dirons-nous – l’âge féminin, la romancière Carole Martinez est née le 10 novembre 1966 à Créhange (Moselle). Enseignante de français, son premier roman, Le Cœur cousu, parait en février 2007 et reçoit plusieurs prix dans les mois qui suivent. Son deuxième roman, Du domaine des Murmures, manque de peu le prix Goncourt 2011 et obtient le Goncourt des lycéens. Son troisième roman, La terre qui penche, paru en septembre 2015, est un petit bijou qu’Unidivers vous présente ici.
Carole Martinez participera avec Sorj Chalandon le 24 octobre 2015 à une conférence sur le thème de l’enfance dans le cadre de l’Automne Littéraire aux Champs Libres. Avant ce rendez-vous rennais, elle a accepté de répondre à quelques questions pour les lecteurs d’Unidivers.

Carole Martinez : Mon projet était effectivement d’écrire, avec ma sensibilité une histoire romancée des femmes au cours des siècles sur un même territoire, ce Domaine des Murmures. Deux romans sont donc déjà écrits avec le personnage d’Esclarmonde au XIIe siècle puis de la jeune Blanche au XIVe siècle. Le troisième roman évoquera une femme du XVIe siècle inspirée de Jeanne de Balsac qui a fait construire le château de Montal (dans le Lot) . C’est d’ailleurs ce château, véritable autobiographie de pierre, qui a transformé mon projet, initialement basé sur un Barbe bleu contemporain, et m’a poussée à aller chercher mon inspiration dans l’Histoire. Le dernier roman de ce cycle mêlera l’histoire d’une femme contemporaine, la septième, et les murmures de trois autres femmes anciennes. Mais dans l’immédiat, je vais écrire un roman hors du cycle, un roman qui devrait se passer en Bretagne à l’époque contemporaine.

Carole Martinez : Moi, je ne suis pas du tout dans l’autobiographie. Mais, bien sûr, on écrit avec ce qu’on est. Nos personnages sont une part de nous ou de personnes que nous avons rencontrées. Les auteurs ont leur univers et ce monde merveilleux est quelque chose qui m’appartient, qui est lié à mon éducation, à mon enfance. Écrire sur l’enfance, c’est aussi revenir sur ma propre enfance, mais la déplacer, la tordre. Revisiter mes peurs d’enfants, mes espoirs d’enfant, analyser cette façon que j’ai pu avoir de romancer ma vie. La distance temporelle, les fictions permettent d’exprimer de l’intime.

Carole Martinez : C’est ce que dit aussi la vieille âme, les vrais fantômes sont des secrets de famille. Cette petite fille est chargée de secrets. Durant cette année qu’elle va passer au Domaine des Murmures , elle va en lever des petits coins, peut-être inventer, broder aussi sur un passé qu’elle imagine.

Carole Martinez : Blanche est au départ très fermée, puis elle s’ouvre au monde. L’enfance est à la fois un temps où l’on peut se protéger en inventant des mondes imaginaires et ce moment où l’on est prêt à toutes les initiations, une période où l’on est avide de connaissances, de savoirs. L’enfance est tendue entre cet univers intérieur propre à la rêvasserie et cette capacité d’apprentissage, d’ouverture, de curiosité. L’enfance est à la fois très ouverte sur le monde et très fermée dans cet univers individuel. Aymon, l’autre enfant, celui qui sera un éternel enfant, parvient à entrer dans cette bulle imaginaire de Blanche. Il la comprend, il la ressent. Il va ainsi lui permettre de tout apprendre, d’abord ce qu’il ne peut pas apprendre lui-même (lire, écrire, signer) et d’entrer en contact avec tout ce qui lui faisait peur.

Carole Martinez : C’est intéressant de voir comment on a tendance à se fabriquer une enfance, à utiliser des bribes afin qu’elle devienne une terre où l’on peut bâtir. On ne se débarrasse jamais de son enfance. En vieillissant, on comprend l’importance que peut avoir l’enfance. Était-ce vraiment notre enfance ou le lieu de notre rêvasserie ? Il est intéressant de voir comment un souvenir peut se construire peu de temps après que l’évènement soit arrivé. On voit souvent Blanche modifier de suite son souvenir. Quelle part d’imaginaire accompagne nos souvenirs ? Comment est-ce qu’on écrit sa vie ? Ici, cette écriture est double, l’enfant vit les événements au présent, et la vieille âme les réécrit et les analyse.
J
U : Plus généralement, que souhaitez-vous exprimer par l’écriture ? Dans votre livre, il y a cette image des vignerons qui, chaque année portent leur terre (La Terre qui penche) sur leur dos, afin de remonter les coteaux des vignes. Portez-vous de livre en livre les murmures des silencieuses pour remonter leur voix ?
Carole Martinez : Quand on s’intéresse à l’histoire des femmes, on est sidéré de voir le chemin parcouru, au moins en Occident. Il est très important d’en prendre conscience. De se dire que les choses n’ont pas toujours été faciles, non seulement pour les femmes. Ce qui s’est construit a été constamment détruit au fil de l’histoire. Les femmes ont cherché des voies pour s’exprimer, mais les portes qu’elles se sont ouvertes se sont souvent refermées. Le travail est toujours à faire. Effectivement, le féminin est en pente. Sans se battre contre les hommes, les femmes de mes romans cherchent un moyen d’exister, une façon d’être, de se libérer du poids d’une société tout en s’y intégrant. Tout n’est pas acquis pour toujours, il faut sans cesse remonter cette « terre ».
Je n’avais pas conscience de cette histoire des femmes même si je suis l’arrière-arrière-petite-fille d’une femme jouée et perdue (Frasquita Carasco). En femme du XXIe siècle, j’ai pu exister en tant que femme, mais en me plongeant dans l’histoire des femmes, j’ai pris conscience de la fragilité des acquis.
