Un livre blockbuster dont on tire un film qui cartonne est-il forcément mauvais ? Elle s’appelait Sarah explose tous les clichés : c’est un livre pour ne pas oublier. Et c’est un très beau livre.
Mémoire et conscience
Julia Jarmond est une journaliste américaine installée à Paris. A l’occasion de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, elle découvre un pan complètement passé sous silence de l’histoire de France. Et c’est avec stupeur qu’elle s’aperçoit que sa belle-famille française porte encore les stigmates de ces terribles journées : comme des milliers de français, elle a fermé les yeux et en a tiré un bénéfice indirect.
Un roman sensible et intelligent, qui fait mouche.
La France sous l’occupation allemande reste une tâche noire dans notre histoire, période d’autant plus trouble et floue que la lumière peine à se faire véritablement sur certains événements. Ainsi, la rafle du Vel d’Hiv ne se résume pas à la déportation de milliers de juifs français vers les camps de la mort sur ordre du gouvernement. C’est pire que cela, et peu de Français le savent : tout a été finement orchestré, organisé et mis en œuvre par le gouvernement de Laval. La littérature prend véritablement tout son sens lorsqu’elle s’érige en gardienne de la mémoire collective, avec finesse et subtilité pour ne pas heurter la sensibilité des lecteurs mais leur faire prendre conscience que des questions restent encore sans réponse.
Pour ce faire, l’idée était excellente de choisir la nationalité américaine pour son héroïne qui pose les questions qui dérangent, fouille un passé sombre et fait éclater des vérités qu’on imaginait bien soigneusement enfouies. Peut-on s’accommoder du passé? Faut-il continuer à s’excuser? Auprès de qui? Pourquoi les générations d’après-guerre réfutent-elles la responsabilité de leurs ancêtres? Julia ne cesse de s’interroger et de bousculer son entourage, déterminée, sinon à trouver des réponses, du moins à éveiller les consciences. Elle n’a de cesse d’interroger ses interlocuteurs, et, par là même, le lecteur : pourquoi un tel silence en France, dans les manuels scolaire et au sein de la société, sur l’implication des Français dans les abominations commises durant la seconde guerre mondiale?
Tatiana de Rosnay a écrit un roman, non un livre d’histoire. Le récit aborde la responsabilité des pouvoirs français dans ces journées des 16 et 17 juillet 1942, mais ne met peut-être pas suffisamment l’accent sur l’abomination qu’a été la rafle du Vel d’Hiv. Les Allemands ne voulaient pas que le gouvernement français déporte les enfants des juifs vers les camps de la mort. C’est le gouvernement français qui a insisté afin de ne pas avoir des milliers d’orphelins sur les bras. Le plus terrible, c’est certainement que la connaissance des événements qu’on nous enseigne est suffisamment parcellaire pour qu’on ait encore le sentiment que la seule responsabilité est portée par les Allemands. Et cela, c’est inacceptable.
A conseiller si…
… la rafle du Vel d’Hiv n’évoque, pour vous, que l’arrestation et la déportation de milliers de Juifs. Elle s’appelait Sarah explore le quotidien de ces familles arrêtées, séparées et décimées sur ordre du gouvernement français.
… vous êtes curieux de découvrir un autre point de vue sur ces événements, à travers le regard d’une narratrice américaine.
Extrait :
”Je me souviens des policiers, vous savez. Nos bons vieux policiers parisiens. Nos bons vieux et honnêtes gendarmes. Qui poussaient les enfants dans les bus. Qui hurlaient. Qui donnaient de la matraque.”
Elle posa son menton sur sa poitrine. Puis marmonna quelque chose que je ne saisis pas. Ça donnait à peu près: “Honte à nous tous d’avoir laissé faire.”
“Vous ne saviez pas,”, dis-je doucement, touchée de voir ses yeux soudain embués. “Et puis, qu’auriez-vous pu faire?
– Personne ne se souvient des enfants du Vel d’Hiv, vous savez. Ça n’intéresse plus personne.
– Ce sera peut-être différent cette année, dis-je. Cette année, les choses seront peut-être différentes.”
Elle se pinça le peu de lèvre qui lui restait.
” Non. Vous verrez. Rien n’a changé. Personne ne se souvient. Et pourquoi serait-ce le cas? Ce sont les jours les plus sombres de notre histoire.”
Hélène