Le 1er juillet 2025, à Paris, s’est éteinte Florence Delay, académicienne, écrivaine, traductrice, scénariste et femme de théâtre. Elle avait 84 ans. Avec elle, une certaine manière d’habiter la littérature, discrète et ardente, s’efface. Élue à l’Académie française le 14 décembre 2000 au fauteuil de Jean Guitton, elle incarnait une figure singulière et précieuse du monde des lettres françaises — un art de l’érudition sans pesanteur, une passion pour les voix lointaines, et une fidélité rare à la beauté des formes.
Fille du professeur et historien Jean Delay, Florence Delay naît à Paris en 1941. Après des études brillantes à l’École normale supérieure de jeunes filles, elle entre très tôt dans l’univers littéraire et artistique par des voies multiples. Le public la découvre d’abord comme actrice dans Le Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson en 1962, rôle habité avec une intensité sèche, presque mystique, qui dit déjà quelque chose de sa relation au texte : une parole qui brûle sous le silence.
Mais c’est la langue écrite qui l’attire irrésistiblement. Sa voix d’auteure se déploie dès les années 1970 dans une œuvre à la croisée des chemins : romans, essais, fictions documentaires, théâtre. Elle traduit les mystiques espagnols, notamment sainte Thérèse d’Avila, explore le mythe de Don Quichotte (Dit Nerval, Mon Espagne or et ciel), et coécrit avec Jacques Roubaud l’étonnante série des Graal Théâtre, réinvention moderne et poétique du cycle arthurien.
Lorsque Florence Delay entre à l’Académie française, elle y apporte une voix rare : féminine, bien sûr — elle fut la sixième femme élue à l’Institut —, mais surtout portée par un goût profond de la transmission et de la recherche formelle. Elle n’y cultive ni le verbe cinglant, ni la posture, mais un ton juste, attentif, élégant. Ses discours, notamment ceux d’hommage aux figures passées, se lisent comme des partitions sensibles où l’histoire, la littérature et la mémoire se répondent.
Dans son habit vert, elle n’était ni mondaine ni conservatrice. Elle y défendait la langue avec l’intelligence de celles et ceux qui savent qu’elle est un fleuve, non un fossile. Sa présence à l’Académie aura été celle d’une femme de lettres au sens le plus noble : une présence vigilante, artisanale, amoureuse.
Son œuvre est tout sauf tapageuse. Elle est dense, ramifiée, en retrait du tumulte. Florence Delay avait le goût des figures effacées, des saints et des poètes, des traversées spirituelles et des détours historiques. Elle ne cherchait pas à séduire le lecteur mais à l’entraîner vers d’autres voix, d’autres visions. Traduire, pour elle, c’était écrire dans le souffle d’un autre. Écrire, c’était inscrire dans le silence une musique fidèle à l’origine.
La littérature française perd avec elle une conscience exigeante, une complice des grands textes, une passeuse d’échos. Ceux qui l’ont lue savent que ses livres se tiennent comme des guetteurs aux portes de l’imaginaire, entre la lumière d’un vitrail castillan et le feu secret de la voix intérieure.
Florence Delay s’est éteinte sans bruit, comme elle a vécu. Mais dans les bibliothèques et dans les cœurs, son nom demeure : il dit quelque chose d’une littérature qui ne cède pas, qui se tient debout, qui marche dans les pas de celles et ceux qui l’ont précédée, tout en ouvrant le chemin.
Elle laisse une œuvre fertile, un sillage rare. Et cette phrase, peut-être, qui pourrait la résumer : « Écouter parler les morts pour mieux habiter la langue des vivants. »