Dans la BD Salvator Mundi, l’oeuvre la plus chère du monde

bd salavator mundi

Dans Salvator Mundi, parue chez Futuropolis, qui se lit comme un roman d’espionnage, les auteurs racontent comment une oeuvre d’art devient un enjeu de politique internationale. Passionnant et édifiant.

Nombreuses sont les histoires racontant les oeuvres majeures de peinture achetées une bouchée de pain dans une quelconque brocante et devenues des œuvres majeures de l’histoire de l’art. Le fameux portrait du Docteur Rey peint par Van Gogh, retrouvé dans un poulailler ou dans un grenier, selon les versions, fait partie de ces mythes (1). Il s’agit bien de cela dans cette BD écrite et dessinée à six mains puisque l’on part d’un tableau acheté par un particulier 1175 dollars, refusé par une « experte » de chez Christie’s et qui sera adjugé douze ans plus tard au prix de 450 millions de dollars, devenant « le tableau le plus cher du monde ». Cette fois-ci cependant le vertige que raconte cette BD ne tient pas seulement à ce grand écart financier, mais surtout au fait que des transactions entre particuliers vont devenir l’objet de tractations politiques mondiales. Une démonstration, comme le précise la postface, que « jamais la réflexion sur une peinture n’a été à ce point polluée par son prix (…), les médias, les intérêts des uns et des autres et l’ego des puissants ».

L’enjeu premier est pourtant, a priori, essentiellement artistique. Le tableau en cause, restauré peut être de manière intempestive, représente le « Salvator Mundi », le Sauveur du Monde en latin, un thème fréquent de l’art chrétien, représentant le Christ donnant sa bénédiction de la main droite. Recensé d’abord comme « une copie tardive d’un Christ sauveur du monde d’après Léonard de Vinci datant du 19ème », ce tableau va rapidement être daté vers 1500. Une modification de datation qui change tout, car désormais se pose la question de l’identité de l’auteur de cette oeuvre qui peut devenir un jalon essentiel de l’histoire de l’art, Léonard de Vinci n’ayant peint, selon de nombreux experts, qu’une vingtaine de toiles recensées au cours de son existence.

Eric Liberge, dans des premières pages magnifiques, réussit le pari difficile de suggérer une oeuvre peinte, sans la photographier, la recopier à l’identique. La force du regard du Christ, l’évocation de la bénédiction par le doigt levé, donnent aux lecteurs la priorité à la beauté de l’oeuvre. Celle ci va rapidement s’effacer au fil des pages pour laisser la place à un véritable récit financier, géopolitique, quand se dévoilent les identités des propriétaires de la peinture. Un richissime oligarque russe, Dimitri Rybolovlev, le prince saoudien Mohammed Ben Salmane, normalement acquéreurs anonymes, vont apparaître contre leur volonté, au grand jour. Le récit très fluide de Sébastien Borgeaud, spécialiste des enquêtes sur les paradis fiscaux et autres escroqueries, et d’Antoine Vitkine, auteur et réalisateur d’un documentaire « Salvator Mundi », s’apparente progressivement à un jeu d’espionnage où interviennent des intermédiaires plus ou moins véreux, pour finalement après le passage d’experts, eux aussi soumis parfois à des contingences de carrière, devenir une véritable affaire d’états. Etats car l’Arabie Saoudite veut entrer dans le concert des grandes nations en préparant l’ère post pétrole. La détention, puis surtout l’authentification du Salvator Mundi deviennent alors un enjeu de pouvoirs dans laquelle la France, le Louvre, sont sollicités pour jouer un rôle d’arbitre. « Je pensais que nous étions convenus qu’au delà de la dimension artistique, cette affaire était politique et diplomatique » font dire les auteurs au prince saoudien devant Jean-Luc Martinez, directeur du Louvre. Menaces commerciales, rétorsions politiques tout est bon pour pour tenter d’obtenir l’aval français. La France tient bon et résiste au chantage. Dès lors tout se fige et le tableau rentre dans l’ombre. Aujourd’hui, personne ne sait où il réside et il semble perdu pour les amateurs d’art.

bd salavator mundi

En refermant la BD, on s’aperçoit qu’à l’exception des spectateurs anonymes bouleversés, utilement dessinés devant le tableau, ne se pose jamais pour les potentiels acheteurs la problématique de la qualité de l’oeuvre. Pourtant la seule question opportune est le degré d’émotion que provoque ou non, le regard du Christ. Peu importe que le tableau soit signé Leonard de Vinci, Giovanni Boltraffio ou encore Bernardino Luini. Cette attribution, qui ne vaut que 400 millions, est finalement sans importance.

Salvator Mundi. Récit d’Antoine Vitkine et Sebastien Borgeaud. Dessin et couleur d’Eric Liberge. Éditions Futuropolis. 96 pages. 21€. Parution : 8 janvier 2025. Feuilleter

(1) Lire à ce sujet le remarquable ouvrage de Bernadette Murphy : Le café de Van Gogh chez Actes Sud.

Article précédentPolar du terroir. Tirs croisés à Plougastel-Daoulas, le dernier roman de Martine Le Pensec cartonne
Article suivantL’Abbaye royale de l’Epau, huit siècles d’histoire dévoilés par les éditions 303
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici