BD Enfermé d’Hillion et Coquin : Mathurin Réto, pupille à Belle-Île

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Il y a plus d’un siècle des enfants souffraient de sévices dans des « maisons de redressement ». Hillion et Coquin rendent hommage à l’un d’entre eux, enfermé à la colonie pénitentiaire de Belle Île. Il s’appelait Mathurin Réto.

Belle-Île en mer, chanté par Laurent Voulzy, évoque le grand large, les vagues se fracassant sur les aiguilles de Port Coton peintes par Monet, le port de Sauzon, la maison de Sarah Bernhardt. Belle-Île se chante comme un lieu de liberté, de beauté. Et pourtant cette terre va abriter de la fin du dix-neuvième siècle jusqu’en 1977, une colonie pénitentiaire d’enfants délinquants. Pendant presqu’un siècle des mineurs, parfois jusqu’à 320 enfants, « de la mauvaise graine à faire trimer et à mâter », vont fréquenter ce bagne qui se partageait entre un établissement maritime et une colonie agricole.

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Dans son roman L’Enragé, Sorj Chalandon (voir chronique), s’appuyant sur l’évasion célèbre en 1934 de 56 « vauriens », avait fait resurgir de l’ombre ce haut lieu de maltraitance et de violence, véritable bagne pour adolescents. Il racontait la fuite de Julien Bonneau dit la Teigne, qui avait comme défaut majeur, l’envie de sauver sa peau. Simplement sauver sa peau. Julien Hillion et Renan Coquin, deux ans plus tard, s’emparent à leur tour de ce lieu d’enfermement de gosses souvent orphelins et petits délinquants. Quand Chalandon invente un personnage fait de multiples témoignages, les auteurs de Enfermé, racontent l’histoire réelle d’un gamin décédé en janvier 1911 à l’âge de 17 ans dans l’établissement de « rééducation ».

Cet adolescent s’appelle Mathurin Réto et il a comme copain Ernest. Deux amis pour la vie, deux amis qui n’ont qu’un objectif : vivre de leurs rêves lorsqu’ils seront libérés de cette prison qui ne dit pas son nom. Ils se sont connus sur un navire en partance pour Terre-Neuve. Ernest est mousse, maltraité par l’équipage. Mathurin, orphelin de mère, abandonné par son père, s’est embarqué comme passager clandestin. De retour à terre, à Saint-Malo, ils décident de partager leurs existences, un partage de courte durée. Après avoir volé des lignes de pêche et maltraité un matelot tortionnaire, ils sont arrêtés et incarcérés à Belle Île.

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Les poings serrés d’indignation tout au long de la lecture des 120 pages de l’album, on suit le parcours de deux gamins qui ont pour défaut majeur d’être privés de cellules familiales stables et de ne pas répondre aux critères sociaux de la bourgeoisie de l’époque. Julien Hillion connait parfaitement ce quotidien puisqu’il publiait en 2022 Le bataillon des nuisibles (Jadis Editions) qui narrait l’histoire des trente premières années d’existence de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer. Son scénario de BD implacable et terrifiant révèle combien la société de l’époque était d’une violence totale à l’égard de la jeunesse « mal née ».

Mathurin et Ernest subissent avec une maltraitance extrême des principes d’éducation censés les remettre dans le droit chemin. Sous alimentés, ils travaillent aux champs ou à la mer jusqu’à l’épuisement total pour affaiblir leurs corps et leur capacité de résistance. Leur obéissance doit être totale à l’égard des matons, anciens militaires passés par les maisons centrales pour adultes, plus tortionnaires que gardiens : un mot de travers, un geste de rébellion et c’est le cachot où va mourir Mathurin. Les cages grillagées font office de chambres. L’obéissance doit être totale sans aucun droit à la parole. Tête baissée et bouche cousue pourraient être les simples mots d’ordre imposés à ces enfants. Le dessinateur rennais Renan Coquin, dont la BD Pillages est exposée jusqu’au 31 juillet à Perros-Guirrec (voir article Unidivers) utilise les traits justes pour faire de ces garnements des personnages aux visages à la Gipi. Un peu en marge, mais tellement attachants, ils ont souvent un sourire de défi malgré les sévices subis et gardent toujours dans leurs regards, l’espoir secret d’accomplir leurs rêves de bateaux et de pêches. C’est un bel hommage qui est rendu à ces gamins qui n’ont simplement pas eu la chance de naitre au bon endroit. Pleine d’empathie, sans jamais employer un ton larmoyant, les auteurs dressent un violent réquisitoire contre l’hypocrisie d’un système qui détruit, avilit au lieu d’aider ces « délinquants » dont certains ont à peine douze ans.

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La mort de Mathurin Réto va provoquer en cet hiver 1911, des articles de presse, dénonçant les conditions de vie dans le centre de redressement. Mais l’indignation va vite retomber et il faudra attendre les évasions de 1934 pour que resurgisse le scandale de l’existence même de cet établissement.

Prévert écrit alors en hommage aux fuyards et en particulier à un détenu noyé pendant sa tentative d’évasion le poème « La Chasse à l’enfant »:

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Qu’est-ce que c’est que ces hurlements Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan ! C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit « J’en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
 »

Etendu sur le ciment comme 23 ans plus tôt Mathurin Réto à qui, en lui donnant un visage et une silhouette, les auteurs rendent toute la dignité d’un adolescent qui aurait fait probablement un bon marin. Et un homme bon.

ENFERME, Mathurin Réto, pupille à Belle Île. Scénario : Julien Hillion. Dessin : Renan Coquin. Editions Dargaud. 128 pages. 23,50€. Parution : 18 avril 2025. Lire un extrait

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.