BD Dans Les Oies Cendrées, Cyril Legrais et Alice VDM brisent les tabous de la vieillesse

les oies cendrées bd

Et si la vieillesse n’était pas synonyme de perte d’amour et de désir ? Dans cette BD pudique et tendre, Cyril Legrais et Alice VDM brisent les tabous. Avec tendresse et tact.

Être vieux ! Vaste question. La vieillesse est elle « un lent naufrage » comme il est dit souvent ? Une lente soustraction des plaisirs et des désirs ? C’est en tout cas ce que semble penser Arthur, le vieil homme un peu désemparé sur la couverture. Il ressemble aux vieux des Petits Ruisseaux de Rabaté. Son âge se devine à son corps et à son visage, striés de traits, de rides qui montrent la peau fanée et flétrie. Une peau distendue quand la fin de vie approche. Il ne semble pas particulièrement sympathique le septuagénaire. Il faut dire qu’il est surpris, tout nu, au milieu d’un lac. Situation pas très agréable pour un vieil homme solitaire. Il s’appelle Arthur. Le lac est un lac suédois. C’est là que le vieillard un peu, beaucoup, misanthrope, s’est réfugié pour peindre à longueur de journées, seul dans son atelier. Ancien professeur des Beaux-Arts, il se baigne et peint des oies cendrées. Sa manière à lui d’attendre sereinement la mort. Et puis un jour, pareil au théâtre de boulevard, un homme surgit de nulle part dans l’eau de baignade. Il est barbu et, comme Arthur, il est nu ! La cinquantaine, il est un peu enveloppé. Pas particulièrement sexy, mais nu quand même.

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Baignades, corps masculins nus, après Rabaté, on pense dès lors à Alain Guiraudie et son film L’Inconnu du lac, un polar gay, qui provoqua au début des années 2010 de nombreuses polémiques. On se rend compte en effet rapidement, que Gabriel, l’intrus, n’est pas là par hasard. Il est venu à la rencontre d’Arthur sciemment, en souvenir d’années passées et probablement de désirs anciens inavoués. Il n’a pas envie de repartir de suite, Gabriel. Comme un mollusque sur la rive, il s’incruste, s’installe. Par petites touches, par petites cases, on découvre les raisons de ce désir de rester et le bouleversement du rituel quotidien du vieil homme dont les yeux écarquillés montrent l’envie mais aussi l’inquiétude de se laisser aller. Il s’agit bien de cela : se laisser aller enfin à ses désirs les plus forts, les plus profonds, ceux que l’on croyait enfouis sous les années et les conventions sociales. Rabaté, encore lui, avait su magistralement décrire dans sa BD, l’amour d’un couple de vieilles personnes, la nuit sous les couvertures. Alice V.D.M, à son tour, avec la même pudeur et tendresse dans le trait, montre, évoque cette relation plus passionnée que réchauffée. Sentir l’odeur de l’autre dans le drap matinal, serrer de sa main ridée et tavelée une main lisse et blanche, ou encore s’éclabousser comme des enfants dans l’eau glacée, autant de moments furtifs auxquels Alice V.D.M donne une image pudique et aimante, valorisée par des fonds neutres qui laissent les personnages seuls face à l’autre. Elle suggère et évoque avec le ton juste, celui de la sincérité des sentiments et de leurs forces.

Difficile de reconnaître dans les dernières années de sa vie que l’existence que l’on a vécue, obéissante aux conventions sociales, n’est pas celle à laquelle on aspirait vraiment, celle pour laquelle on était née. L’oie cendrée que peint à longueur de journées Arthur est un oiseau monogame nous apprend on. C’est bien cette convention qu’Arthur a suivie jusqu’au décès de son épouse. Pour son plus grand bonheur et son plus grand malheur.

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Bouleversant de justesse, le quotidien va pourtant rappeler à l’ordre les deux amants. Gabriel, de 20 ans le cadet des deux, doit rentrer pour des raisons professionnelles. Arthur doit choisir: continuer à peindre des oies ou sortir de ses placards les toiles d’hommes nus peints des années plus tôt? La vieillesse faussement paisible ou la vieillesse dangereuse mais vivante?

Désirs inassouvis mais aussi sexualité de la vieillesse, bilan d’une vie, homosexualité, regard des autres, relations familiales, sont des thèmes qui traversent tout l’ouvrage. Les mots sont rares, beaucoup de l’histoire se raconte dans les gestes, les expressions, les regards, ceux de l’étonnement, de la colère mais aussi de la tendresse et de l’amour. Au fil des pages, le vieil Arthur, tendu et grincheux, se détend, s’assouplit. Cela se voit dans son corps, sa gestuelle. C’est beau aussi un septuagénaire qui, enfin, sourit.

Cyril Legrais et Alice V.D.M qui « se sont rencontrés pour ce récit intimiste », livrent ici une BD qui évite tous les clichés du pathos et du voyeurisme. La double (triple désormais) évocation de Rabaté est le meilleur des compliments qui devrait les inciter à poursuivre longtemps leur route commune.

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Les oies cendrées. Récit de Cyril Legrais. dessin et couleur par Alice VDM. Éditions Futuropolis. 160 pages. 23€. Parution : 7 mai 2025. Feuilleter

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.