Les papillons ne meurent pas de vieillesse : la bd politico-écologiste de Bézian et Matz

bd les papillons ne meurent pas de vieillesse

Un papillon pour lutter contre la déforestation amazonienne. Avec cette BD politico-écologique publiée aux éditions Casterman, Bézian et Matz nous invitent à réfléchir à l’avenir de notre planète. Efficace comme un bon thriller.

C’est un album en noir et blanc. Tout en noir et blanc. Sauf … Sauf quelques taches de couleurs étincelantes qui ponctuent de leur luminosité des pages de ci de là. Elles virevoltent ces taches, elles dansent sur fond blanc ou sur fond gris. Elles sont les papillons, ces insectes dont le titre de la BD nous apprend qu’ils ne meurent pas de vieillesse puisque leur existence est éphémère, de quarante huit heures à trois ou quatre semaines selon les espèces. Ce sont eux les vedettes de cet album, ou plus particulièrement l’un d’entre eux, le Parides Ascanius Nolentus, qui vivait dans les marais de Rio de Janeiro, disparu depuis, et qui vient de réapparaître dans l’état du Roraima, au nord du Brésil, à des milliers de kilomètres de son lieu d’origine. Cela suffit pour mettre en émoi le monde scientifique, plus particulièrement Camille, expert entomologiste misanthrope, qui décide de se rendre sur place en compagnie de sa cousine- assistante Géraldine et d’organiser une souscription internationale pour sanctuariser plus de 2500 hectares de forêt.

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Écrit comme cela, l’histoire ressemble à une BD scientifique et l’impression première n’est pas obligatoirement fausse. Des pages magnifiques sont dignes de catalogues de musées d’histoire naturelle. Elles évoquent les noms des papillons, leurs caractéristiques de vie mais aussi la légèreté et la poésie qui se dégagent de leurs couleurs. Quelques haïkus élèvent même le temps d’une double page, notre esprit vers de hautes sphères spirituelles inconnues!

« Tombé de la branche
Une fleur y est retournée :
C’était un papillon.
» (Arakida Mortake).

À notre tour, nous devenons entomologiste. Pourtant, un sentiment étrange nous envahit à ce stade de lecture. Quelque chose ne colle pas. D’abord sur la couverture figure le nom de Matz au scénario. Matz n’est pas connu jusqu’a maintenant pour ses histoires de sciences naturelles mais plutôt pour des récits de polar dont le célèbre « Tueur » dessiné par Luc Jacamon. Et puis la forêt amazonienne, l’achat de terres pour éviter la déforestation à l’image des actions du photographe Salgado, évoquent un sujet éminemment politique. On sait que la forêt amazonienne est un enjeu écologique majeur pour l’équilibre naturelle de la planète.

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Les pages défilant, la poésie que renvoient les vols des papillons se heurte alors rapidement au réalisme économique et à des gangsters désireux de ne pas voir leurs projets de déforestation brisés par un simple lépidoptère. Ces bandits sont bien entendu dans la forêt, menaçant et tuant les indiens, mais ils sont plus sûrement dans des bureaux de verre, dont la froideur tranche avec la beauté amazonienne magnifiée par des fonds tramés et les traits aux mille nuances de gris de Bézian. Cette quasi monochromie, rompue par les seules couleurs des papillons, efface peu à peu le caractère contemporain de l’aventure de Camille et Géraldine pour leur donner des allures d’explorateurs du XIX ème siècle. Le récit entomologiste s’est transformé en thriller politique et écologique avec ses rebondissements, son histoire d’amour et ses clins d’oeil à l’actualité.

Évitant les poncifs et les leçons d’écologie, les auteurs dressent en fait un bel hymne à la biodiversité et aux ravages causés par les multinationales uniquement motivées par l’appât du gain à court terme. Maîtrisant parfaitement les codes du genre, ils ont eu l’excellente idée de faire du papillon, un instrument de lutte. Léger, poétique, éphémère il réussira peut être à s’imposer face à la force, au poids de l’argent. Un pari de la beauté auquel nous avons bien envie de souscrire à notre tour.

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Les papillons ne meurent pas de vieillesse de Frédéric Bézian (dessin) et Matz (scénario). Editions Casterman. 88 pages. 24€. Parution : 9 avril 2025. Lire un extrait

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.