En 2025, Black Mirror revient pour une septième saison, confirmant que la série d’anthologie créée par Charlie Brooker n’a rien perdu de sa puissance corrosive ni de sa capacité à interroger les dérives de nos sociétés technologisées. Pourtant, avec cette nouvelle salve de cinq épisodes, le ton et les partis pris formels surprennent, voire divisent. Loin d’une simple redite des angoisses postmodernes qui ont fait sa renommée, Black Mirror saison 7 entame un virage plus introspectif, presque méta, tout en renouant à certains égards avec l’efficacité glaçante de ses débuts. Par-delà le miroir : quand Charlie Brooker revisite ses hantises et déstabilise nos attentes…
Le vertige du miroir brisé
La saison s’ouvre avec « Memoria Lane », un épisode dans lequel une entreprise propose de revivre ses souvenirs les plus marquants, grâce à une technologie de cartographie neuronale. Le récit suit une femme endeuillée (interprétée avec une justesse déchirante par Ruth Wilson) qui utilise le service pour retrouver les derniers instants partagés avec sa sœur. Rapidement, les souvenirs se fissurent, les détails divergent, et le spectateur comprend que la mémoire elle-même devient un terrain de manipulation. En mêlant thriller psychologique et réflexion sur le deuil, l’épisode pose une question vertigineuse : que reste-t-il de nous, lorsque la mémoire devient éditable ?
Cette ouverture donne le ton : chaque épisode, s’il évoque une technologie hypothétique, explore surtout une faille intime. La série semble moins préoccupée par les gadgets du futur que par les zones d’ombre de l’âme humaine.
Une saison plus noire que futuriste
Le second épisode, « Eminence », marque une rupture de ton. Tourné en noir et blanc, il s’apparente à une dystopie politique minimaliste. Un candidat populiste, dopé à une IA de persuasion oratoire, grimpe les échelons du pouvoir dans une Europe désillusionnée. On pense à The Thick of It et 1984, fusionnés en un pamphlet désespéré sur la rhétorique politique algorithmique. Si le propos peut sembler attendu, la mise en scène brillante et le crescendo paranoïaque en font un épisode haletant et redoutablement actuel.
Mais c’est le troisième volet, « Ashley Too Redux », qui risque d’alimenter les débats. Véritable suite au controversé épisode de la saison 5 avec Miley Cyrus, ce retour inattendu prend le parti de l’humour noir et du kitsch pop. On y retrouve l’androïde Ashley Too, cette fois reconvertie en objet culte underground, trafiquée par des ados pour devenir un assistant thérapeutique. Brooker y joue à fond la carte de l’auto-parodie, dans un épisode délirant, absurde et étrangement touchant. Ce choix assumé d’une satire ouverte, presque burlesque, divisera sans doute les puristes, mais révèle un Brooker libre, maître du contre-pied.
L’obsession de la boucle
Le quatrième épisode, « Replica », constitue sans doute le cœur noir de cette saison. Dans un monde où les artistes peuvent vendre des répliques numériques d’eux-mêmes pour des performances à la demande, une jeune comédienne (formidable Jessica Barden) découvre que sa réplique connaît un plus grand succès qu’elle-même. Le récit, métaphore acerbe de la dépossession créative à l’ère de l’IA générative, flirte avec le body horror psychologique à la Perfect Blue. Le regard que jette Black Mirror sur la marchandisation de l’identité numérique y atteint une acuité rare.
Enfin, « Tom is Watching », épisode final, est le plus méta de tous. Tom, scénariste vieillissant, découvre que ses épisodes de Black Mirror sont prédictifs, influencent la réalité, et qu’il est désormais traqué par une entité qui veut contrôler ses récits. Brooker y livre une réflexion vertigineuse sur la responsabilité de la fiction et le cynisme de la satire. Le ton, plus crépusculaire qu’apocalyptique, rappelle que Black Mirror ne s’adresse pas à des adolescents effrayés par les écrans, mais à une génération épuisée de voir ses cauchemars devenir normaux.
Une série encore indispensable ?
Après les expérimentations de la saison 6 — parfois jugées inégales —, cette septième saison recentre le propos de Black Mirror autour d’un noyau dur : non pas la technologie en elle-même, mais la manière dont nos obsessions, nos peurs et nos contradictions s’y inscrivent, s’y gravent, s’y répètent. En cela, elle prolonge une tradition dystopique héritée de Bradbury, Orwell ou Ballard, tout en assumant une dimension plus réflexive, moins spectaculaire, mais toujours acérée.
Certes, tout n’est pas égal — le fan de la première heure pourra regretter la sécheresse brutale d’un White Bear ou la densité émotionnelle d’un San Junipero. Mais Black Mirror, en vieillissant, ne cherche plus à provoquer par le choc : elle cherche à désorienter, à fissurer le réel avec des récits qui semblent nous parler à voix basse, depuis un futur qui a déjà commencé.