La montée silencieuse du cancer colorectal chez les jeunes : une alerte sanitaire mondiale

cancer colorectal

Longtemps considéré comme une maladie touchant principalement les personnes âgées, le cancer colorectal connaît depuis deux décennies une recrudescence inquiétante chez les jeunes adultes de moins de 50 ans. Alors qu’il demeure l’un des cancers les plus fréquents et meurtriers dans les pays occidentaux, les projections annoncent qu’il deviendra d’ici 2030 la principale cause de décès par cancer chez les adultes de 20 à 49 ans aux États-Unis. Ce phénomène soulève de nombreuses interrogations quant à ses causes, notamment environnementales, alimentaires et épigénétiques. Cet article propose une synthèse des données actuelles sur cette émergence épidémiologique et ses implications pour la santé publique.

Une évolution épidémiologique brutale

Selon le rapport 2023 de l’American Cancer Society, les cas de cancer colorectal chez les adultes de moins de 55 ans sont passés de 11 % en 1995 à 20 % en 2019 aux États-Unis, doublant en moins de 25 ans (Siegel et al., CA: A Cancer Journal for Clinicians, 2023). Des tendances similaires ont été observées en Europe, au Canada, en Australie et dans d’autres pays à haut revenu (Sung et al., The Lancet Oncology, 2025).

Les jeunes sont souvent diagnostiqués à un stade avancé (III ou IV), en partie à cause de l’absence de dépistage systématique avant 50 ans.

Selon l’Institut national du cancer, pour la France, on estime à 47 582 le nombre de nouveaux cas de cancer colorectal en 2023, répartis entre 26 212 hommes et 21 370 femmes.

Mortalité

Ce cancer est la deuxième cause de décès par cancer en France. En 2018, il a été responsable de 17 100 décès, dont 9 200 chez les hommes et 7 900 chez les femmes.

Survie

La survie nette standardisée sur l’âge à 5 ans est estimée à 63 %, avec une survie de 62 % chez les hommes et 65 % chez les femmes.

Dépistage

Un programme national de dépistage organisé est proposé tous les deux ans aux personnes âgées de 50 à 74 ans.Cependant, le taux de participation reste en dessous des standards européens, avec environ 35 % de participation en 2020-2021.

cancer colorectal

Hypothèses étiologiques : une origine multifactorielle

a. Environnement et mode de vie

Les principales hypothèses actuelles soulignent le rôle :

  • d’un mode de vie sédentaire dès l’enfance,
  • de l’obésité pédiatrique et adolescente,
  • d’une alimentation ultra-transformée, riche en viandes rouges, sucres raffinés, additifs et pauvre en fibres,
  • du microbiote intestinal perturbé,
  • de la consommation d’alcool et de tabac (dont le vapotage).

b. Facteurs précoces de la vie

Des recherches récentes suggèrent que des expositions précoces – dans les 5 premières années de vie – pourraient reprogrammer le métabolisme intestinal et le système immunitaire de manière durable, ouvrant la voie à des mutations oncogéniques à l’âge adulte (Washington Post, 2025).

L’épigénétique joue un rôle crucial : des altérations des marques de méthylation de l’ADN ont été observées chez des jeunes patients atteints de cancer colorectal.

Données moléculaires et particularités des jeunes patients

Les cancers colorectaux précoces présentent souvent :

  • une prédominance du sous-type microsatellite stable (MSS),
  • des mutations spécifiques dans les gènes TP53, KRAS et CTNNB1,
  • une localisation rectale ou distale du côlon,
  • une plus grande agressivité biologique (Kneuertz et al., Annals of Surgery, 2023).

Ces cancers touchent souvent des patients sans antécédents familiaux ni syndromes génétiques connus, rendant leur prédiction difficile.

Impacts en santé publique

La recrudescence de ces cas pose un défi majeur :

  • Les lignes directrices américaines ont abaissé l’âge de dépistage de 50 à 45 ans pour les personnes à risque moyen (USPSTF, 2021).
  • Certains chercheurs recommandent un dépistage individualisé dès 35 ans pour les populations exposées (obésité infantile, antécédents familiaux, alimentation ultra-transformée).

Une génération exposée ?

Le cancer colorectal chez les jeunes n’est plus une rareté. Si les chiffres absolus restent faibles, la dynamique de croissance est préoccupante. Les jeunes générations, exposées à un environnement transformé (diète occidentale, produits chimiques, sédentarité), pourraient incarner une nouvelle cohorte à haut risque cancérologique. La recherche doit désormais s’orienter vers des modèles explicatifs intégrant précocité, environnement, microbiote et génomique, et inciter les systèmes de santé à adapter leurs stratégies de prévention dès l’enfance.

Références

  • Siegel, R.L., Miller, K.D., Wagle, N.S., Jemal, A. (2023). Colorectal cancer statistics, 2023. CA: A Cancer Journal for Clinicians, 73(2), 145–162. https://doi.org/10.3322/caac.21774
  • Sung, H. et al. (2025). Colorectal cancer incidence trends in younger versus older adults: a comparative analysis. The Lancet Oncology, 26(3), 245-256. https://doi.org/10.1016/S1470-2045(25)00012-3
  • Kneuertz, P.J. et al. (2023). Molecular and clinical features of early-onset colorectal cancer: A multicenter analysis. Annals of Surgery, 278(2), 312-320.
  • American Cancer Society. (2023). Colorectal Cancer Facts & Figures 2023-2025.
  • U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF). (2021). Screening for Colorectal Cancer: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA, 325(19), 1965–1977.