Ils trônent, impassibles, dans les bassins fumants d’onsen japonais, partagent leur bain avec des canards, des tortues, des singes — et toujours ce même regard lointain, presque stoïque. Depuis quelques mois, les capybaras envahissent nos écrans, nos fils TikTok, nos mugs, nos t-shirts et jusqu’aux imaginaires d’un monde en quête de douceur. Pourquoi le plus gros rongeur du monde est-il devenu le nouveau roi du cool ?
Le capybara, animal totem d’un monde saturé
Originaire d’Amérique du Sud, ce mammifère semi-aquatique n’a rien de spectaculaire : un museau mou, des pattes palmées, un pelage rêche couleur de boue. Et pourtant, il fascine. Mieux : il apaise. Dans une époque saturée de tensions, de notifications et de productivité toxique, le capybara s’érige en figure de résistance douce. Il ne fait rien, ou presque, et tout le monde l’admire pour cela.

Sa popularité n’est pas nouvelle au Japon, où les zoos de Nagasaki ou Izu ont fait de lui une star en le montrant chaque hiver en train de se détendre dans des bains thermaux. Les vidéos de ces scènes quasi-zen sont devenues virales bien avant TikTok, contribuant à créer une image de sagesse tranquille. Dans l’archipel, il a même son avatar kawaï : Kapibara-san, décliné en peluches, carnets, papeterie et gifs animés.
Mais c’est bien sur TikTok que le phénomène a pris une toute autre ampleur.


Une ascension algorithmique
La capybaramania a explosé en 2023-2024 avec une série de vidéos mêlant ces créatures placides à des musiques entêtantes — notamment la chanson russe « Capybara » ou le mème « OK I pull up » de FamousSally. L’animal y devient l’incarnation du chill ultime, se baladant lentement, regardant fixement la caméra, ou partageant sa sieste avec un canard.Le contraste est saisissant : pendant que le monde s’agite, le capybara reste impassible, presque sage. Cette posture quasi-philosophique a fait de lui un emblème culturel — au même titre que le chat Grumpy Cat ou les grenouilles mélancoliques des années Tumblr, mais avec une aura beaucoup plus sereine. Le capybara est désormais un mème au ralenti, une icône du low tempo, un manifeste vivant contre l’hyperactivité.

Mignon, mais politique
Si son apparence contribue évidemment à son succès — ronde, douce, vaguement pataude — le capybara séduit aussi parce qu’il renverse les codes de la domination animale. Là où d’autres imposent leur présence (le lion rugit, l’aigle plane, le chat miaule), lui cohabite. Il partage sans hiérarchie, s’intègre aux autres espèces sans conflit.
En Argentine, il est même devenu une figure de résistance écologique, après avoir réinvesti les quartiers huppés de Nordelta, construits sur ses zones naturelles humides. Son retour a déclenché une vague de soutien populaire : une revanche non-violente de la nature sur l’urbanisation sauvage.

Un idéal projectif
Le succès du capybara reflète, en creux, une profonde transformation de notre imaginaire collectif. Plus qu’un simple engouement kawaï, il exprime un désir de simplicité, de lenteur, de coexistence pacifique. Là où les tendances animales précédentes (chiens policiers, chats dominateurs, hiboux savants) véhiculaient pouvoir ou mystère, le capybara, lui, incarne la démocratie animale tranquille. C’est un compagnon de sieste, un camarade de bain, un colocataire placide dans l’Arche de Noé des réseaux.

Et maintenant ?
Peluches, autocollants, vidéos ASMR, tatouages, jeux vidéo (il existe même un simulateur de spa à capybaras), le rongeur zen est partout — et sa présence est étrangement rassurante. Peut-être parce qu’il nous dit ceci, sans jamais le formuler : vous avez le droit de ralentir. Peut-être aussi parce qu’il incarne un utopique vivre-ensemble interespèces qui, sans naïveté, fait du bien. Le capybara, en somme, est moins une tendance qu’un manifeste silencieux. Un maître du calme. Une leçon de lâcher-prise à quatre pattes.
