Quitter Paris. Quitter la capitale, ses promesses et ses carcans. Revenir au pays. Tel est le mouvement intime et collectif que décrypte avec acuité Pauline Rochart dans Ceux qui reviennent, paru en janvier 2025 chez Payot & Rivages. Un livre qui n’est pas seulement le récit d’une génération, mais l’analyse sensible d’une recomposition silencieuse du territoire français.
Une recommandation de l’émission Faites-moi lire : une coproduction Champs libres-TVR-Unidivers.fr, présenté et rédigé par Nicolas Roberti en collaboration avec les bibliothécaires de la bibliothèque des Champs libres où vous pouvez consulter cet ouvrage.
L’exil intérieur des classes diplômées
Pendant des décennies, le récit national du mérite avait une trajectoire balisée : partir de sa province natale, réussir son ascension sociale à Paris, et y installer sa carrière, ses réseaux, sa vie de famille. Mais cette géographie méritocratique se fissure. Après douze années dans la capitale, Pauline Rochart, elle-même spécialiste des mutations du travail, a choisi de revenir s’ancrer dans le Nord, sa région d’origine. Ce choix personnel devient ici le point de départ d’une enquête collective qui traverse la France des Hauts-de-France au Grand Est, en passant par l’Occitanie.
Les « revenants » qu’elle rencontre sont souvent trentenaires ou quadragénaires. Ils ont goûté aux perspectives parisiennes mais se heurtent à un coût de la vie délirant, à l’épuisement des rythmes urbains, à la saturation d’un marché de l’emploi hyperconcurrentiel et, plus profondément, à une quête de sens que la vie métropolitaine peine à satisfaire.
Le retour comme projet de vie
Rochart ne se contente pas d’une approche descriptive. Elle éclaire ce qu’implique ce mouvement de retour : un repositionnement identitaire, une négociation permanente entre les codes acquis à Paris et ceux du territoire natal. Dans cet aller-retour géographique et mental se rejoue une hybridation féconde, où l’expérience des métropoles devient un levier pour contribuer au développement local : entrepreneuriat, innovation sociale, revitalisation des tiers-lieux, engagement associatif. Les « revenants » ne sont pas des exilés repentis, mais des bâtisseurs d’une autre réussite.
Fracture territoriale : dépasser la caricature
Sous la plume de Pauline Rochart, le débat sur la fracture territoriale évite les oppositions binaires Paris/Province, élites/population locale. Elle montre comment ces trajectoires hybrides dessinent une voie médiane, où il ne s’agit plus de « quitter » ou « rester » mais de réinventer des ancrages. Ce mouvement révèle en creux une France périphérique bien plus dynamique qu’on ne le croit, et où l’envie de « faire territoire » devient un projet de société.
On songe parfois, en filigrane, aux analyses d’un Christophe Guilluy sur la France périphérique, mais Rochart s’en distingue par un regard moins désenchanté et plus incarné dans les parcours personnels, nourris d’entretiens et d’observations fines.
Un livre juste, au bon moment
À l’heure où l’hyperconcentration urbaine produit ses propres impasses écologiques, sociales et psychologiques, Ceux qui reviennent offre une lecture salutaire. Ni pamphlet anti-Paris, ni plaidoyer nostalgique pour les terroirs, l’ouvrage donne à voir une France mobile, en recomposition, et propose une cartographie sensible de cette « mobilité de retour » encore peu explorée.
Avec un style simple, chaleureux et précis, Pauline Rochart parvient à conjuguer enquête de terrain, réflexion sociologique et récit personnel. Une réussite de fond et de forme, qui devrait trouver écho bien au-delà du cercle des seuls « revenants ».
- Titre : Ceux qui reviennent : Quitter Paris pour retourner vivre dans son territoire d’origine
- Autrice : Pauline Rochart
- Éditeur : Payot & Rivages
- Date de parution : 15 janvier 2025
- Pages : 256 pages
- Prix public : 20 €
- ISBN : 978-2228937726