L’écrivain grec Christos Chryssopoulos s’est doublé, depuis quelque temps, d’un photographe sensible et pertinent. Il arpente la réalité trouble de sa ville avec un œil et une plume à la fois réaliste, poétique et critique dans une perspective en continuité avec le travail de promeneur initié par Walter Benjamin. Berceau de la culture européenne, Athènes semble aujourd’hui une ville-phénomène, une cité à part au cœur d’une crise commune. Exclusivement pour les lecteurs d’Unidivers Christos Chryssopoulos proposera deux fois par mois un texte-image, miroir sensible et réflexif sur le lieu et le temps qu’il habite. L’ensemble sera un journal d’écrivain et un témoignage iconique. L’ensemble se nomme Disjonction.
Parfois, les signes ne sont pas facilement reconnaissables. C’était tôt le matin, il devait être environ 2 heures du matin, et je marchais le long de l’avenue Syngrou quand cet arbre à l’extrémité d’une rue transversale sombre a attiré mon attention. Je me suis approché avec attention, en regardant ses branches minces, nues. Quelques secondes plus tard, j’étais à genoux sur le sol, mon coup bien cadré dans le viseur. Un moment de silence rare dans la ville. Au début, je n’ai rien entendu. Je n’ai remarqué que la chaussée qui soudainement a viré au bleuâtre. Le rugissement des motos n’est arrivé qu’après puis la voix grossière a suivi de peu. Il m’a fallu quinze minutes pour comprendre. Mon dos poussé contre le mur. Mes jambes écartées. Mes mains derrière le dos. Lié par l’inefficacité de l’esthétique. Comment expliquer la beauté de ces branches nues à quatre policiers arrogants ? Comme j’étais inarticulé ! Et comme nonchalant était cet arbre ! Si imperméable à mon angoisse !
(Texte et photo : Christos Chryssopoulos, trad. Thierry Jolif)