Il y a des polémiques qui sentent le soufre. D’autres qui sentent le lait cru. Depuis que Pierre Rigaux, militant animaliste et écologiste de choc, a lâché sur France Inter qu’il fallait « arrêter de manger du comté », la France des terroirs est en émoi, les plateaux de fromages en état d’alerte, et les politiques en campagne permanente pour défendre « notre patrimoine ». On a connu guerre du camembert, on a désormais l’affaire du comté. Et tout ça pour une meule.
Un fromage dans le viseur vert
Au micro, Pierre Rigaux n’a pas mâché ses mots (ni son fromage) : le comté serait devenu un « mauvais produit écologique ». Trop d’azote, trop de phosphore, trop de vaches, pas assez de truites. En clair : une production qui pollue les sols, asphyxie les rivières et participe au grand carnaval de la souffrance animale. On pensait déguster un joyau des fruitières jurassiennes, on découvre — horreur ! — qu’il serait complice d’une eutrophisation sournoise. Rigaux va plus loin : il accuse le système, pas juste le fromage. Une surproduction déguisée sous une AOP bucolique, des veaux arrachés à leur mère, et des bovins épuisés pour satisfaire les appétits franchouillards. On n’est pas loin de la dénonciation en règle d’un fromagewashing.
Riposte laitière et avalanche de com’
En réponse à ce camouflet, la contre-offensive s’est organisée à vitesse grand V. La préfecture du Jura a sorti son visuel « Le comté c’est bon pour vous », avec arguments nutritionnels à l’appui (calcium, protéines, tradition et amour des vaches, bien sûr). La filière, elle, sort les griffes : AOP exemplaire, cahier des charges serré, pâturages à perte de vue… En somme, le comté serait un parangon de vertu rurale, pas une production intensive déguisée en pastorale. La vidéo de TF1 Info donne la parole à des producteurs outrés : « On salit notre travail, nos montagnes, notre terroir ! ». On sent que la cordée vacille, mais qu’elle tient bon. Pas touche à la meule sacrée.
Quand la politique rame dans le lait cru
À peine le mot « comté » prononcé que les politiques montent au front. Marine Tondelier tente de recadrer : Pierre Rigaux ne parle pas au nom des Écologistes. Le ministre de l’Agriculture, lui, dégaine le glaive républicain : « halte à l’idéologie verte ! » On se croirait dans un pastiche de Kaamelott, mais avec des meules de 40 kg.
Le Figaro flaire la bataille culturelle et dégaine un titre sentencieux sur « les écolos qui veulent interdire le fromage ». Libération, de son côté, évoque une croisade verte contre le fromage-roi. Même 20 Minutes s’y met : « C’est quoi cette polémique autour du comté ? », demandent-ils comme un enfant demande pourquoi on veut tuer le Père Noël.
Quand l’écologie tape là où ça fait mal : dans le ventre
Au fond, la charge de Rigaux touche un point sensible : l’écologie ne sera pas populaire tant qu’elle attaquera les symboles rassurants, les doudous de l’assiette, les douceurs fromagères de notre enfance. C’est une chose de critiquer les SUV ; c’en est une autre de toucher à la raclette du dimanche soir. Mais il y a du vrai dans cette affaire : produire du fromage à cette échelle, même sous AOP, ça a un coût écologique. Et social. Et animal. Même si les fruitières font mieux que Lactalis, elles ne sont pas magiques. Les vaches n’urinent pas du sérum physiologique, et les pâturages du Haut-Doubs ne sont pas des sanctuaires immaculés.
Lave ta croûte !
Faut-il arrêter de manger du comté ? Non. Mais peut-être faut-il arrêter de croire qu’un produit local est forcément vertueux. Cette polémique est révélatrice d’un aveuglement bien français. On sanctuarise les traditions au lieu de les interroger. Un bon comté, c’est formidable. Une meule de 42 000 tonnes par an, c’est un système. Le comté survivra, oui. Mais il n’est peut-être pas inutile de le regarder autrement que comme une simple icône fromagère. Car derrière la croûte dorée, il y a un monde agricole en tension, une planète sous stress, et des truites mortes.