Dutch Harbor de Braden King et Laura Moya (2005)
Documentaire un peu fruste au premier abord (noir et blanc 16mm, paysages à l’image et témoignages au son), mais qui prend peu à peu une envergure inattendue – la rigueur quasiment dogmatique laisse poindre une émotion folle, une fois qu’un certain état de rêverie s’est instauré dans la salle qui le projette.
On s’intéresse ici à une île aléoutienne où on pratique la pèche au crabe, et aux diverses invasions qu’elle a connues : les natifs dont la langue s’oublie, les Russes dont les temples sont délabrés, les Américains qui ne font pas encore de route ni de fast-food, l’essor fulgurant de la pèche à Dutch Harbor dûe à la raréfaction du crabe dans d’autres eaux et puis la récession : fin d’un monde, en somme, qui aura connu tous les mondes tout en gardant visibles les traces du désert à partir duquel il est né. On a la sensation, qu’ici, tout est transitoire. Rien n’attache. Il y a un peu d’orthodoxie, un peu de capitalisme, un bunker, un chamane : tout, c’est-à-dire rien. Le paysage a une telle démesure qu’il gomme toute ambition civilisationnelle ou culturelle. C’est toujours le gros volcan blanc ou l’eau noire qui gagnent à la fin.
Et puis il y a la musique, qui vient renforcer cette fragilité que le film donne à voir (une fragilité qui est aussi une fébrilité, parce qu’elle est pleine de désirs – les interviews sont très belles, les gens n’y racontent pas leur vie, mais plutôt leur existence et leur manière de la concevoir) : Tortoise, Will Oldham, Jim O Rourke, invités à improviser sur les images du film, et dont les morceaux ont été recueillis de la même manière que les témoignages des habitants d’Unalaska.
Dutch Harbor : Where the sea breaks its back (Dutch Harbor, là où la mer vient s’éteindre) de Braden King, Laura Moya – 1998, 73 mn