Comme tous les 4 ans, le monde a les yeux braqués sur les États-Unis qi s’apprête à élire son président. Élections les plus chères du monde, elles s’emploient à suggérer que c’est le leadership du monde qui est en jeu. Mais est-ce encore le cas à l’heure où le centre de gravité du monde s’est quasiment déplacé ?
En 2008, l’élection de Barrack Obama en pleine crise économique représentait un espoir pour beaucoup. Plus qu’une élection, c’était un symbole : celui de l’accession d’une minorité au plus haut poste, une réponse au rêve de Martin Luther King et de millions de gens dans le monde qui se sentaient comme solidaires. Avec le Yes We Can, tout semblait possible au regard d’une crise dont l’ampleur n’était pas encore assumée.
Mais voilà que la réalité a mis les rêves de côté. Obama, tout président qu’il est, n’a pas les mains libres, comme tous les présidents avant lui. Le poids de l’appareil politique est tel qu’il convient de faire de concessions, des compromis et des négociations parfois contre nature. Obama a été surtout le symbole que recherchaient les démocrates afin de reprendre la main et le pouvoir après les pâles prestations d’Al Gore et de John Kerry, deux candidats trop ancrés dans l’Amérique WASP de la côte Est. Il devait servir à renouveler l’administration des États-Unis, mais dans le fond et au final, peu de choses ont changé. Le moment n’était vraiment pas opportun : le pays se trouvait pieds et poings liés par des créances et dettes insolvables alors que les banques et le Trésor ne pouvaient chuter sans entraîner avec eux une bonne partie du monde politique américain.
Ce sont donc les « mêmes » qui ont largement été à l’origine de la crise financière qui se retrouvent à tenter d’éteindre le feu avec la bénédiction de Barrack Obama. Les pompiers pyromanes courent toujours et seront encore là dans 4 ans. Et, à la fois logiquement et paradoxalement, ce sont les mêmes qui ont passé au broyeur la réforme de santé que proposait Obama, seule réforme d’envergure de son mandat. Il n’en ressort qu’une mesurette sans consistance. Compte tenu de ce bilan largement en demi-teinte, son adversaire républicain, Mit Romney, a toute latitude pour se présenter comme un nouveau Reagan (il vaut mieux éviter la référence à Bush…). Reagan, symbole de l’Amérique florissante des années 80, Amérique qui déconnecte le politique du social, au détriment non pas du politique…
L’influence des États-Unis reste pourtant capitale dans bien des problématiques géopolitiques, notamment le conflit israélo-palestinien, l’Iran, la Syrie comme le conflit larvé sunnite-chiite (cf notre article). Obama et son adversaire Romney, chacun avec leur administration respective, ne veulent pas accepter la donne d’un nouveau monde et le forcent à fonctionner selon des schémas éculés. En face d’eux, les puissances et vétos russes et chinois se manifestent sans que leurs discours ne soient ni entendus ni diffusés dans notre hexagone (mais pour combien de temps encore ?). Qualifiés de dictatures (oui, mais dans quel sens et de quelle manière ?), une large majorité des médias, notamment français, préfèrent caricaturer leurs prises de position en les travestissant en soutien des dictatures. Qui peut encore croire de nos jours que le monde est divisé en deux camps : les gentils démocrates et les méchants dictateurs ? Ainsi, en dehors de quelques revues spécialisées, la géopolitique asiatique n’est que peu abordée ; qu’en est-il des conflits aux périphéries de la Chine actuelle, Philippines, Vietnam, Taiwan, Japon ? Quant aux îles Senkaku, elles sont à l’origine de tensions autres qu’uniquement géostratégiques. Dans cette donne, chacun de ces pays recherche un soutien contre un voisin qui gonfle les muscles et le seul appui possible, voire autorisé, reste américain.
Au demeurant, Romney et Obama ont-ils des positions géopolitiques divergentes ? Non. Le second est simplement apparemment plus belliqueux avec des accents nostalgiques destinés à réconforter la droite conservatrice américaine, laquelle semble plus droitière que la majorité du peuple américain finalement assez centriste. Bref, cette élection ne devrait changer que peu de choses à la stratégie américaine. Il n’y a pas plus de chances qu’elle ralentisse le déclin annoncé de la première puissance mondiale. À moins d’inverser une réalité économique grevée et dominée par des créances américaines détenues par la Chine et les royaumes sunnites. Quant à relocaliser la production et la consommation des ménages sur le sol national, cela relève de la gageure.
Pour l’heure, le département américain compte ses alliés. Quelle place l’Europe occupe-t-elle ? Au sommet de Copenhague relatif à l’environnement en 2009, Obama a passé un accord avec ses homologues chinois, indien, brésilien et sud-africain sur le dos des dirigeants européens. Il a boudé les commémorations des vingt ans de la chute du mur de Berlin en 2009. Il a refusé d’assister au sommet UE-États-Unis de 2010. Autrement dit, la vielle Europe ne pèse pas grand chose. Mais, depuis quelques mois, Obama s’emploie a contrario à raffermir ses relations avec les pays européens (notamment par le biais de produits sponsorisés par la diplomatie culturelle américaine). Mais l’Amérique fait-elle encore rêver ? L’american way of life est-il toujours the modèle ? Quelle que soit la réponse, si Obama souhaite constituer un front occidental, il s’agirait de traiter les Européens comme un pôle partenaire à part entière. Certes, la méconstruction de l’Union européenne ne l’y encourage pas.
En ce temps d’élection, beaucoup de Français jugent qu’Obama est préférable à Romney. En réalité, ces élections – avant tout américaines – divisent comme tous les quatre ans le centre du pays et ses périphéries. Cette Amérique duelle est-elle bien représentée par ces deux candidats ? Une question à laquelle nous ne nous permettrons pas de répondre.
Didier A. et Nicolas Roberti