Aux Portes de Bretagne, à Essé, trône depuis plus de 5 000 ans l’un des plus grands monuments mégalithiques d’Europe : la Roche aux Fées. Un lieu habité par le mystère, bordé d’arbres centenaires et de haies bocagères, tissé de récits populaires et de paix végétale. Mais un projet d’ »aménagement paysager », voté sans concertation ni étude d’impact environnemental, vient aujourd’hui rompre ce fragile équilibre.
Aux commandes, la communauté de communes Roche aux Fées Communauté (RAFCOM) qui ambitionne de faire passer la fréquentation annuelle du site de 25 000 à 35 000 visiteurs. L’objectif affiché : offrir un « accueil normalisé » et permettre la venue de cars de tours opérateurs. Pour cela, trois parkings sont prévus, dont un estival sur une prairie humide, l’extension de bâtiments (préau, sanitaires), et l’installation de services marchands. Le tout pour un coût dépassant le million d’euros d’argent public alors que… plusieurs des seize communes concernées sont en situation financière délicate… En face d’eux, des opposants dont la majorité ne conteste pas en soi l’idée de valoriser ce lieu, mais dénonce un projet daté, hors-sol, piloté sans étude sérieuse des conséquences patrimoniales, environnementales et démocratiques. Eclairage.
Un site fragile, un patrimoine en péril
La Roche aux Fées n’est pas un simple lieu touristique : classé aux Monuments historiques dès 1840, ce dolmen millénaire est bâti sur un sol sensible, déjà fissuré à plusieurs endroits. Plusieurs alertes ont été émises notamment par l’Architecte des bâtiments de France (ABF) qui pointent le danger de l’augmentation du piétinement, des vibrations dues à la circulation proche et de la suppression de la couverture végétale protectrice.
Dans un courrier du 11 octobre 2023, la sous-préfecture de Fougères-Vitré avertissait : « La création des parkings risque d’aggraver les fissures présentes sur le dolmen. » Pourtant, le projet a été autorisé sans étude de sol et sans plan précis des arbres à abattre, ni des réseaux à enterrer. Le fil de protection autour du monument, trop bas, n’empêche ni les piétinements ni les dégradations déjà visibles.
Des arbres abattus, une prairie menacée
Au-delà du dolmen, ce sont des arbres centenaires, des haies bocagères, et une prairie classée en zone humide et inondable qui sont menacés. Cette dernière accueillerait un parking saisonnier, sans qu’aucune analyse hydrogéologique ne soit annexée au dossier. Les riverains s’inquiètent des pollutions possibles (essence, huiles), et de l’impact sur la biodiversité locale. Le tout au nom d’un tourisme de masse que de nombreuses études considèrent aujourd’hui comme un facteur de dégradation des sites patrimoniaux.
Comprendre la logique de la collectivité
Cela étant, il convient d’écouter les raisons avancées par la collectivité. L’accueil du public, actuellement sommaire, mérite en effet d’être repensé : permettre à des personnes âgées à mobilité réduite ou en groupe scolaire d’accéder dans de bonnes conditions à un site patrimonial est un objectif légitime. La mise en place de sanitaires, de cheminements adaptés ou de zones d’attente ombragées est susceptible de répondre à des besoins réels. De même, l’organisation du stationnement est un enjeu local important, notamment en période de forte affluence. En toile de fond, RAFCOM cherche aussi à dynamiser l’économie locale par le tourisme patrimonial – c’est aussi son rôle. Bref, ce sont là des considérations sérieuses. Pour autant, ne doivent-elle pas être pondérées par l’exigence de sobriété, d’écoute des habitants et de cohérence avec la fragilité du lieu ? Or, c’est précisément cette proportionnalité qui apparait faire défaut au projet dans sa forme actuelle.
Un déficit de démocratie locale
Le 13 mai 2025, le permis d’aménager a été accordé par le maire d’Essé. Pourtant, ni consultation citoyenne, ni réunion publique n’a été organisée. Les associations locales – La Nature en Ville et le Collectif de la Roche aux Fées – ont été contraintes de déposer un recours gracieux pour obtenir l’accès aux documents complets du projet. Beaucoup de données essentielles, comme les autorisations d’abattage, les plans des réseaux ou les permis de construire des bâtiments annexes sont absents du dossier public. Cette opacité alimente le sentiment d’un passage en force technocratique où les habitants deviennent spectateurs d’un aménagement qui les concerne au premier chef. Leur exaspération est à son comble. On peut les comprendre.
Des alternatives existent
On peut les comprendre d’autant plus que les habitants et collectifs ne se contentent pas de dire non. Ils proposent une valorisation douce du site : installation d’un ponton sur pilotis afin de canaliser les flux de visiteurs, création d’un parc de stationnement PMR en bordure de route avec cheminement doux, interdiction des véhicules lourds à proximité du dolmen et retrait des équipements installés sans autorisation (coffres électriques, trombinoscope, etc.).
En sus, ils appellent à une politique de territoire tournée vers les besoins concrets des habitants, autrement dit : mobilité intercommunale, services jeunesse, accès aux marchés et équipements sportifs. Et non à une spéculation touristique qui sacrifie les lieux au nom d’un développement standardisé.
Repenser l’artificialisation et la capitalisation du vivant
À l’heure de la crise écologique du capitalisme, ce dossier de la Roche aux Fées sonne comme une alarme symbolique. Ce qui est en jeu dépasse un parking ou un préau, c’est le modèle de société que nous choisissons. Un modèle de bitume et de surfréquentation ? Ou une alternative plus douce, plus profonde, plus pérenne qui passe par le respect sensible des lieux, des vivants et des mémoires ? Respect qui peut tout à fait s’harmoniser avec une économie touristique dès lors que l’ensemble est pensé collectivement, avec une distance attentive, empathique et l’attention de tous. Préserver est aussi une manière de valoriser.
Pétition toujours en ligne, avec plus de 14 000 signatures :
https://www.mesopinions.com/petition/nature-environnement/sauvons-arbres-roche-aux-fees/188367
Contact des collectifs :
La Nature en Ville – lanatureenville@gmail.com
Collectif de la Roche aux Fées – collectiflarocheauxfees@proton.me