Exercices de Staël de Stéphane Manel : un livre style

exercices de staël Stephane Manel

Dans cet ouvrage hybride, Stéphane Manel nous donne à voir une image personnelle de Nicolas de Staël, ce peintre à la recherche de la lumière et de l’espace. Par le texte et par de sublimes illustrations. Magnifique.

Sur la toile, trois bandes parallèles de couleur.
Une bande occupe la moitié supérieure. Elle est grise.
La seconde, au centre, est plus réduite. Elle est bleue, bleue pétrole.
Enfin la troisième est ocre. Elle couvre le reste de l’espace. Sur elle, ont été posés trois triangles blanc et bleu.
Rien n’est réaliste, tout est forme géométrique et aplats de couleurs.
Rien n’est abstrait car le sujet de la toile nous apparaît rapidement.
On reconnait une plage avec trois tentes estivales.
On peut aller ensuite au cartouche, y lire « Calais », mais c’est un détail.
Telle est la force de Nicolas de Staël et de sa peinture, lui qui refusait obstinément de faire partie du « gang de l’abstraction avant ».

Ni abstrait, ni réaliste, il s’est orienté progressivement au cours de sa courte carrière de 1942 à 1955 vers ce qui est essentiel à ses yeux : la préemption de la lumière et de l’espace rompus en figures clairement définies. À l’extérieur comme à l’intérieur.

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Concert, Nicolas de Stael, 1955

À l’intérieur, c’est justement le dernier tableau du peintre, le gigantesque « Concert » qui a conduit Stéphane Manel vers l’artiste d’origine russe: « un piano noir, un rideau rouge, une partition , une contrebasse en forme de poire comme dirait Satie …. », un choc visuel de six mètres de long. L’auteur nous dit son émotion ressentie alors et par de multiples entrées, il nous propose, dans un ouvrage multiple, de découvrir ce créateur unique dans l’histoire du XX ème siècle. Dans ce livre d’art, Stéphane Manel, dessinateur, nous livre ici non pas des reproductions de l’oeuvre de Nicolas de Staël mais plutôt des œuvres graphiques « à la manière de », un peu comme si le peintre avait lui même illustré les propos de l’auteur. Les pages et dessins à l’encre noire côtoient des pages de couleurs où se mélangent les lumières des plages du Nord et les lumières de fin de vie des plages du Sud. Manel s’offre le plaisir de peindre une « abstraction soleil levant » mais multiplie aussi les portraits de De Staël qui dans leur immobilité nous invitent à nous attarder sur cet homme si grand, si beau et si fragile. Parfois des reproductions des documents de la vie quotidienne, une lettre, un ouvrage de Modiano, un prospectus publicitaire, renvoient à des références du quotidien et à des anecdotes révélatrices d’un homme.

L’essentiel est dans la description de la recherche picturale du peintre, cette volonté d’attraper la lumière et de la transposer sur de grandes surfaces aux contours précis, aux aplats épais. Il y a du Matisse dans ce désir de lumière, ce peintre adulé, qu’étrangement De Staël ne rencontra jamais et à qui Manel rend hommage par une double page, clin d’oeil aux illustrations de l’iconique « Jazz ». Nous sommes bien dans un livre d’art mais aussi dans un roman graphique lorsque les textes de Manel évoquent le passé en mélangeant souvenirs et impressions personnelles aux épisodes de la vie du peintre. Il ne nous offre pas une nouvelle biographie ou un cours d’histoire de l’art. « Ceci n’est pas une biographie », est il écrit page 192, pour confirmer au lecteur, à la fin de l’ouvrage, qu’il ne s’est pas trompé de livre.

exercices de staël Stephane Manel
Peinture Concert (pages 216-217)

Grâce à un séduisant patchwork, nous rencontrons des amis, des connaissances. Braque à Varengeville, Picasso à Saint Paul de Vence, René Char, Aragon et les trois femmes essentielles dans la vie de De Staël: Jeannine, Françoise et Jeanne dont on ne retrouve pas, étrangement, les silhouettes sur les toiles. On baguenaude de pages en pages dans l’existence du peintre, sans liens apparents. Pourtant se dégage peu à peu une esquisse d’un homme tourmenté marqué par son enfance, sa jeunesse d’exilé mais aussi par la difficulté à aimer sans passion.

Enfin, une double page vers la fin de l’ouvrage. À droite, des V suspendus dans l’espace. Ils sont noirs. Ce sont les corbeaux de Vincent. A gauche, des V suspendus dans l’espace. Il sont blancs. Ce sont les mouettes de Nicolas. Van Gogh s’est suicidé d’une balle dans la tête le 29 juillet 1890. Il avait 37 ans. De Staël s’est défenestré le 16 mars 1955. Il avait quarante et un ans. Tous deux avaient une ambition: traduire la lumière au bout de leurs pinceaux.

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Exercices de Staël. Texte et dessin de Stéphane Manel. Éditions Seghers. 240 pages. 25,90€. Parution : 24 septembre 2025

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.