Le 25 avril 2025, le tribunal de commerce de Rennes a validé la reprise de la Fonderie de Bretagne (FDB) par le groupe landais Europlasma. Placée en redressement judiciaire en janvier, après l’échec d’une tentative de cession par Renault au fonds Private Assets, l’usine de Caudan (Morbihan) amorce une reconversion radicale : d’équipementier automobile, elle devient producteur d’obus. Cette décision illustre les profondes mutations en cours dans l’industrie française, à la croisée des tensions géopolitiques, de la désindustrialisation, et des stratégies de reconquête industrielle.
La Fonderie de Bretagne, ex-filiale de Renault, avait vu son activité décliner progressivement. Alors que l’usine était calibrée pour 60 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, son volume était tombé à 15 millions avant la mise en redressement. La filière automobile, en pleine transition vers l’électrification et une réduction des volumes, n’assurait plus de débouchés suffisants. Renault, recentré sur ses actifs stratégiques, n’avait plus l’intention de maintenir cette unité spécialisée dans la fonderie de pièces métalliques lourdes.
Le sauvetage par Europlasma, principalement connu pour ses activités dans le traitement des déchets dangereux et l’économie circulaire, surprend de prime abord. Mais cette diversification est cohérente dans un contexte où l’industrie européenne de l’armement est en plein redéploiement, stimulée par la guerre en Ukraine, l’augmentation massive des budgets militaires, et la reconstitution des stocks d’armements conventionnels.
266 emplois maintenus et une nouvelle perspective industrielle
Europlasma prévoit de maintenir 266 emplois sur le site, un élément crucial pour une région meurtrie par des vagues de désindustrialisation. L’usine devrait produire jusqu’à 250 000 obus par an dès 2025, avec un débouché assuré par la demande européenne croissante en munitions. À court terme, cet objectif permettra de restaurer rapidement l’activité économique du site, avec des investissements annoncés pour adapter les lignes de production.
Le projet bénéficie également d’un soutien implicite de l’État, désireux de renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) française. Si aucun financement public direct n’a pour l’heure été annoncé, plusieurs dispositifs de soutien à l’investissement pourraient être sollicités dans un second temps.
Le choix stratégique d’Europlasma : diversification ou repositionnement ?
Pour Europlasma, cette opération marque une évolution stratégique. Le groupe élargit son périmètre industriel, s’installant sur un segment porteur mais politiquement et socialement sensible : l’armement. Cette diversification pourrait renforcer sa résilience économique, dans un contexte où les marchés environnementaux sont exposés à des incertitudes réglementaires et concurrentielles.
Cependant, ce changement de cap soulève des défis : adapter une culture d’entreprise orientée vers l’environnement aux exigences normatives et éthiques de l’industrie de défense, recruter ou former des compétences spécifiques, et affronter un regard public potentiellement critique vis-à-vis de la production d’armes.
Enjeux économiques et industriels plus larges
La reprise de la FDB intervient dans un contexte plus large de réindustrialisation partielle de la France, qui cherche à regagner des capacités souveraines dans des secteurs critiques, allant de l’énergie à l’armement. Ce mouvement est encouragé par des tensions géopolitiques (Ukraine, Indopacifique) et une volonté stratégique de réduire la dépendance aux fournisseurs extérieurs.
D’un point de vue économique, il faut aussi noter que l’industrie de l’armement offre des marges et des volumes en forte croissance, contrastant avec la contraction attendue de la production automobile traditionnelle. La reconversion de la Fonderie de Bretagne pourrait ainsi servir de modèle, mais aussi de cas test, pour évaluer la capacité d’autres unités industrielles en difficulté à se repositionner sur des marchés stratégiques.
La reprise de la Fonderie de Bretagne par Europlasma est emblématique d’une nouvelle dynamique industrielle française : celle d’une adaptation accélérée aux nouveaux besoins géopolitiques et économiques. Si l’opération permet de sauvegarder l’emploi local et de donner une seconde vie à un outil industriel menacé, elle illustre aussi les mutations profondes de l’économie européenne où la frontière entre civil et militaire devient de plus en plus perméable.