Il y a des enfers qu’on choisit. Et d’autres qu’on impose. Quand le Hellfest 2025 programme Bård « Faust » Eithun, batteur du groupe Emperor, le festival ne rend pas hommage à l’esprit de révolte, ni à la liberté d’expression. Il banalise un meurtre homophobe. Il valide l’effacement d’une victime. Il transforme une scène en tribune, une batterie en pierre tombale.
Un meurtre, 37 coups de couteau, et pas une once de remords
Petit rappel des faits. En 1992, à Lillehammer, en Norvège, Bård « Faust » Eithun poignarde à mort un homme, Magne Andreassen, dont la singularité était de préférer partager ses sentiments et ses nuits avec une personne du même sexe. Trente-sept coups de couteau. À l’époque, le jeune homme de 18 ans est déjà une figure de la scène black metal naissante. Celui qui aurait pu aussi bien se surnommer Voldemort était proche du groupe Emperor, dont l’un des musiciens a été condamné à de l’emprisonnement pour incendie d’églises tandis que le chanteur du groupe en a toujours fait l’apologie.

Bård G. Eithun dit Faust purge neuf ans et demi de prison sur les quatorze prononcés. Depuis sa libération, il remonte régulièrement sur scène avec le groupe Emperor, sans jamais avoir exprimé publiquement de remord ni participé à un quelconque travail de mémoire ou de réparation. Et pourtant, après un première programmation en 2014, il est de nouveau programmé au Hellfest cette année. Comme la fois précédente. Tranquillement. Comme si de rien n’était. Comme si son histoire n’était qu’une parenthèse marginale, un folklore noir au service du storytelling extrême.
La transgression à géométrie variable
Dans un monde où la moindre maladresse s’échange contre des torrents de dénonciation, comment expliquer ce silence autour d’un acte aussi radicalement violent ? Faudrait-il rappeler que si Bård « Faust » Eithun avait tué un policier ou une célébrité, son retour sur scène aurait été impossible ? Mais tuer un homosexuel dans un parc la nuit… est-ce encore considéré comme un fait suffisamment grave pour empêcher de taper sur des fûts, dix puis vingt ans plus tard, dans un champ de Loire-Atlantique ?

On nous dira que le metal est provocateur. Que le Hellfest n’est pas là pour juger, mais pour programmer. On nous parlera de liberté artistique. Mais au nom de quoi faudrait-il confondre liberté de création et effacement des responsabilités ? Quand un festival accepte de programmer Bård G. Eithun sans même une mise en contexte, sans débat, sans interpellation, il ne fait pas acte d’ouverture. Il pactise. Il décrète que certains meurtres valent moins que d’autres. Et que la scène musicale, au fond, est une terre d’impunité.

L’underground est mort, vive le fric
Naguère, la contre-culture était encore capable de produire du sens, du trouble, de l’utopie. Aujourd’hui, elle sert à vendre de la bière et des vestes en cuir vegan à 200 euros. Le Hellfest s’est rêvé temple du refus ; il est devenu vitrine du cynisme. Tout en s’en drapant. En refusant d’exclure Faust, il ne prend aucun risque ; il flatte les vieux instincts, l’attrait morbide, le goût du tabou.
Mais la véritable audace aurait été ailleurs. Elle aurait consisté à faire mémoire. À donner la parole à des artistes queer du metal, à créer un espace de confrontation sur l’histoire politique de la scène. À montrer que l’on peut assumer la noirceur sans enterrer la justice.

Ce que dit cette affaire, c’est que la violence homophobe reste socialement tolérable
Ce qui gêne n’est pas tant la présence de Bård G. Eithun, c’est son traitement. Son impunité symbolique. Son retour sur scène sans condition. Son absence de parole, de réparation, de confrontation. La possibilité qu’un meurtrier sans remord d’un homme puisse être acclamé sans que personne ne sourcille — ou si peu, — dans un festival à 300 euros le pass. C’est l’idée glaçante qu’il n’y a pas de devoir de mémoire collective quand la victime n’est pas médiatiquement utile.
C’est aussi, en creux, un signal : vous pouvez buter un pd, faire votre temps, et revenir jouer. Tant que vous n’êtes pas trop médiatisé, tant que ça passe sous les radars, tant que la scène est noire et le public distrait. Bref, la violence homophobe reste une violence tolérable tant qu’elle ne gêne pas le business.

L’enfer, ce n’est pas la scène, c’est l’oubli. Il est temps d’en finir avec ce double standard moral. On ne peut pas, dans le même souffle, dénoncer les agressions contre des personnes homosexuelles et acclamer leurs auteurs réhabilités qui n’ont jamais exprimé le moindre regret, la moindre prise de conscience, la moindre compassion, sous prétexte d’underground.
Le metal n’est pas là pour caresser les bourreaux, il est là pour hurler avec les damnés !!!
Si la mémoire de Magne Andreassen n’a plus sa place sur scène, alors le Hellfest n’est plus qu’un mausolée de carton-pâte. Et le véritable enfer, ce ne sont pas les riffs saturés ou les flammes sur fond de décibels. Le véritable enfer, c’est l’indifférence habillée en liberté d’un troupeau d’excités sans conscience qui s’épuise dans un applaudissement sans mémoire.