La lèpre est une maladie aujourd’hui quasi disparue. Pour autant, elle marqua les esprits à différents époques, en particulier au Moyen-Âge, par ses manifestations cliniques. Elles conduisirent à stigmatiser et ostraciser les malades, voire leur entourage et leur descendance.
Cette maladie infectieuse due au Bacille de Hansen, du nom de son découvreur, et transmise par la salive, est aujourd’hui parfaitement traitable grâce aux antibiotiques. Elle se caractérise par une atteinte des nerfs périphériques, de la peau et des muqueuses responsable de mutilations sévères prédominant au visage et aux membres.
L’exclusion des lépreux hors de leur communauté, fut longtemps la seule mesure de prévention. La lèpre est connue depuis l’Antiquité, Les Égyptiens qui accusèrent les Hébreux de sa propagation le long du Nil, la connaissaient parfaitement dès avant l’arrivée de ceux-ci sur la terre de Pharaon. Oribase de Pergame (IVe siècle avant JC) affirme que la maladie a pour cause un excès de bile noire dans le sang, Hippocrate la nomme « mal phénicien » rendant ce peuple voyageur responsable de sa propagation et Aristote en rajoutera la dénommant “satyriasis” en raison du faciès des malheureux qui en étaient atteints. Dans l’Ancien Testament, le terme de “tsara’ath” est souvent associé à la lèpre, mais il désigne une affection de l’esprit impur et plus précisément de celui qui a abusé de la calomnie ou de la diffamation et qui porte les stigmates corporels de la malédiction divine. Cette maladie devait être une préoccupation majeure du corps religieux puisque deux chapitres du Lévitique lui sont dédiés :
« L’Éternel parla à Moïse et à Aaron, et dit : lorsqu’un homme aura sur la peau de son corps une tumeur, une dartre, ou une tache blanche, qui ressemblera à une plaie de lèpre sur la peau de son corps, on l’amènera au sacrificateur Aaron, ou à l’un de ses fils qui sont sacrificateurs. Le sacrificateur examinera la plaie qui est sur la peau du corps. Si le poil de la plaie est devenu blanc, et que la plaie paraisse plus profonde que la peau du corps, c’est une plaie de lèpre : le sacrificateur qui aura fait l’examen déclarera cet homme impur. S’il y a sur la peau du corps une tache blanche qui ne paraisse pas plus profonde que la peau, et que le poil ne soit pas devenu blanc, le sacrificateur enfermera pendant sept jours celui qui a la plaie ».
La lèpre n’aboutissait pas forcément à la mort, car dans le chapitre 22 du Lévitique, il est dit que la lèpre peut être guérie et que le malade a la possibilité de redevenir pur. Considérée comme une affection d’origine divine, sa prise en charge relevait non des médecins, mais des rabbins, intercesseurs entre le Très Haut et le peuple. Le lépreux était mis en rapport avec la mort : cela concernait son aspect physique qui le rendait comme un être en état de décomposition. Sa mort sociale et son exclusion n’étaient que l’expression de son apparence qui évoquait la mort physique. Les Évangiles relatent la guérison d’un lépreux par le Christ, interprétée comme un pardon de ses fautes ou une preuve de foi :
« Lorsque Jésus fut descendu de la montagne, une grande foule le suivit. Et voici, qu’un lépreux se prosterna devant lui, et dit : “Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre pur.” Jésus étendit la main, le toucha, et dit : “Je le veux, sois pur.” Aussitôt il fut purifié de sa lèpre. Puis Jésus lui dit : “Garde-toi d’en parler à personne ; mais va te montrer au sacrificateur, et présente l’offrande que Moïse a prescrite, afin que cela leur serve de témoignage” ».
L’importante circulation des légions romaines dans l’Empire, disséminèrent le fléau à travers l’Europe : des crécelles appartenant à des lépreux ont été retrouvées dans des sarcophages. Au IVe siècle, les Byzantins fondèrent l’Ordre de Saint-Lazare, chargé de s’occuper et de soigner les lépreux. Les malheureux, contraints à l’isolement dans des maladreries situées hors des villes, étaient souvent l’objet de rapines qui obligeaient ceux qui s’en occupaient à porter les armes. Les termes de « ladre » déformation du nom de Lazare et de lazaret désignant un établissement dédié apparaissent. Les premières lois concernant la lèpre remontent au Ve Synode d’Orléans (549) qui définit la conduite à tenir envers les malades et en particulier les lépreux.
Les Ve et VIe siècles virent une recrudescence de la lèpre dans toute l’Europe, d’où le renforcement strict des mesures d’isolement. Un certain humanisme présidait à ces mesures qui avaient le mérite de limiter la diffusion de la maladie, les évêques reçurent la charge d’assurer l’encadrement des malades . À partir de l’an Mille, les Croisades et l’ampleur du pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle favorisèrent la diffusion de la maladie. S’il est difficile de préciser l’arrivée de la lèpre en Bretagne (Époque romaine ou Croisades ?), celle-ci semble avoir prospéré jusqu’au XVe siècle, pour disparaître avec la diminution progressive du nombre de maladreries et des lieux d’éviction témoignant peut être de l’extinction progressive de la maladie.
L’isolement des lépreux pouvait se faire sous deux formes, soit des établissements ad hoc, auxquels subvenaient les autorités ecclésiastiques ou communales mais aussi des dons caritatifs : cet isolement était quasi carcéral ; soit il s’agissait de petits hameaux dénommés caquineries d’où le nom de caqueux, caquins ou cacous ou kakouz en breton, répondant au cagot d’autres régions, lui-même faisant référence au mot Goth. Ces hameaux, comme dans d’autres régions, se composaient d’une placette et d’un puits entouré de quelques maisons et d’une chapelle attenante à un cimetière distinct du cimetière communal. Quimper, Dol et Fougères disposaient des deux types d’établissements. Les lépreux y exerçaient certains métiers : cordier, tonnelier voire bourreau en Bretagne, charpentier ou matrones pour les femmes en Béarn, tandis que le travail de la terre ou à tout ce qui touchait à la nourriture leur étaient interdits en dehors de leur propre autosuffisance.
L’exclusion de la société donnait lieu au Moyen-Âge à une véritable cérémonie mortuaire ou le lépreux revêtu d’un suaire assistait à son propre enterrement avant de quitter sa communauté. Naître dans une famille de cagot ou de kacous condamnait presque irrémédiablement l’individu à une mise à l’écart de la société et l’on héritait du métier de son père. La dispense de corvée et d’impôt qui les concernait pouvait susciter ire et jalousie du voisinage. Après la disparition de la lèpre en Bretagne, les cacous furent autorisés à assister aux offices religieux communs, mais avec une entrée différente des autres fidèles.
Plus intéressant encore est la toponymie qui renseigne à plusieurs siècles de distance sur la localisation de ces divers établissements, même si ceux-ci ont disparu ou ont été affectés à d’autres emplois. Certains noms de lieux sont relativement faciles à identifier : La Ladrerie, La Maladrie devenu souvent Malabri, la Maladrerie ou la Maladière. Les lieux dits Madeleine ou chapelles dédiées à Sainte Madeleine font référence à Marie-Magdeleine, la sœur de Lazare et donc à un usage spécifique : des cimetières ont pu jouxter ces sites. Dire à Pont-L’Abbé à quelqu’un qu’il était de la Madeleine était assimilé à une injure. D’autres sites sont dénommés Paradis (autre cimetière) ou Maison Rouge ou la Corderie. Dans la partie bretonnante on relève des Ty ar C’hlan (la maison du malade), Pont ar C’hlan (le pont du malade), Roz ar C’hlan (la colline du malade). Il faut citer aussi les Minihy ou Minihic qui font référence à des établissements de moines (manach) qui ont la réputation de lieux de refuge ou de relégation et qui apparaissent différents des Moustoir, Moustoirac, Mousteru et autres Mousterlin qui eux furent des sièges de monastères. Mésel qui est une dénomination de lépreux en breton se retrouve sans doute aussi dans Lambézellec ou Ploudalmézeau. La Croix des Ladres au croisement des routes de Brest et de Saint Pol de Léon rappelle un ancien cimetière.
Pratiquement tous les cantons comptent un lieu-dit ou une chapelle témoignant de la présence de lépreux dans le duché de Bretagne. On invitera le lecteur qui voudrait aller plus loin à consulter l’excellent article de Sournia et Trévien.
Autre témoignage de cette présence et de la difficulté pour les kacous ou leurs descendants à se mélanger par mariage ou le flirt aux autres habitants se retrouve dans le chant traditionnel breton, tel qu’il fut recueilli et publié au XIXe siècle dans le Barzaz Breiz par Théodore de La Villemarqué : l’une de ces chansons s’intitule d’ailleurs le kakou :
Vous en avez menti jeune homme
Jamais je ne vous promis rien
Je ne veux plus de vous … en somme
Lépreux vous êtes, je sais bien !
Le dernier cas de Lèpre signalé à Vitré le fut en 1497, la léproserie de Nantes ferma en 1537 et celle de Rennes en 1570. La lèpre fut sans doute, comme dans d’autres régions de France, une préoccupation sanitaire : aussi cruelle que fut la mise à distance des lépreux, elle témoigne aussi d’un souci de prise en charge en particulier par les ordres religieux qui assumèrent les soins aux malades et au démunis. Ces précautions ont pu participer à l’extinction de la maladie dont il nous reste le mystère des noms de lieux.
JC Sournia, M Trévien. Essai d’inventaire des léproseries en Bretagne. Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest. Année 1968 75-2 pp. 317-343.
Epidémiologie (Source : Institut Pasteur)
La première mention écrite connue de cette maladie remonte à 600 avant J-C. Déjà présente dans les civilisations antiques en Chine, en Egypte et en Inde, elle a toujours été un fléau marqué par la stigmatisation et l’exclusion.
Ces 20 dernières années, plus de 12 millions de lépreux ont été guéris, et la lèpre a été éliminée dans 108 des 122 pays où elle était considérée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme un problème de santé publique. Mais la lèpre reste un problème majeur dans 14 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine. Six pays regroupent 83% de la prévalence mondiale et 88% des nouveaux cas annuels mondiaux : Inde, Brésil, Indonésie, Népal, République Démocratique du Congo, Mozambique. La lèpre reste endémique dans de nombreux autres pays (Angola, Madagascar, République Centrafricaine, Tanzanie, etc.). L’OMS estime qu’il existe aujourd’hui 2,8 millions de lépreux dans le monde.
En raison du temps d’incubation de l’infection, qui dure plusieurs années, les porteurs asymptomatiques de Mycobacterium leprae peuvent transmettre la maladie, ce qui rend son élimination difficile à l’échelle mondiale.