Mariages sous OQTF : l’amour ne saurait faire oublier la loi

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En réponse à la défense passionnée de Sandrine Rousseau à l’Assemblée nationale en faveur des mariages avec des personnes qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), il est nécessaire de rappeler avec rigueur ce que dit le droit. Et pourquoi le respect de celui-ci est au fondement de tout État démocratique.

L’OQTF : une décision exécutoire de police des étrangers

Une obligation de quitter le territoire français (OQTF) est une mesure prononcée en vertu de l’article L.611-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elle découle le plus souvent d’un refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour, après instruction complète du dossier par l’administration. Elle est exécutoire de plein droit une fois les voies de recours épuisées.

Contrairement à ce que laisse entendre la rhétorique compassionnelle de Sandrine Rousseau, l’OQTF n’est ni une mesure théorique, ni une opinion de l’administration : c’est une décision de justice ou une décision administrative dotée d’une force exécutoire. À ce titre, elle impose le départ volontaire ou, à défaut, une reconduite forcée.

Le droit au mariage n’est pas absolu en droit français

Il est exact que le droit au mariage est protégé par l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En France, il est également protégé par l’article 143 du Code civil.

Cependant, ce droit ne saurait permettre de se soustraire aux lois nationales sur le séjour. Ainsi, le Conseil d’État a rappelé dans plusieurs décisions que le mariage d’une personne en situation irrégulière peut être célébré, mais n’ouvre pas automatiquement droit à un titre de séjour (CE, 28 juin 2013, n° 353633).

Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt O’Donoghue c. Royaume-Uni (2010), a certes reconnu que le droit au mariage ne saurait être entravé de façon disproportionnée, mais elle a également admis que des limitations peuvent être légitimes lorsqu’elles poursuivent un but légitime, notamment la prévention des mariages de complaisance ou la préservation de l’ordre public.

Mariage et séjour : des réalités distinctes

Il est donc juridiquement possible pour une personne sous OQTF de se marier, mais cela ne modifie pas sa situation au regard du droit au séjourLe Code civil n’impose pas de titre de séjour pour contracter mariage, mais la célébration peut être suspendue s’il existe des indices de fraude ou de mariage blanc (article L.623-1 du CESEDA).

De plus, le CESEDA, dans ses articles L.423-1 et suivants, prévoit qu’un étranger marié à un ressortissant français peut demander un titre de séjour. Mais si l’entrée ou le séjour est irrégulier, la demande peut être rejetée. La jurisprudence admet une certaine souplesse dans l’application de l’article L.423-23, notamment en présence d’une vie familiale stable, mais le préfet conserve un pouvoir d’appréciation.

Un détournement possible de procédure

Il serait naïf de penser que l’émotion ou la sincérité amoureuse sont toujours à l’origine de ces mariages. Le rapport parlementaire sur les mariages de complaisance (Assemblée nationale, 2010) soulignait que le mariage reste l’une des principales voies de régularisation détournée, malgré les vérifications du procureur de la République et des officiers d’état civil.

Ainsi, le Conseil d’État a validé le refus d’un titre de séjour à une personne mariée à un Français, considérant que l’administration pouvait s’appuyer sur la nature irrégulière de son séjour antérieur et l’absence de preuve d’une vie commune réelle et durable (CE, 4 juin 2014, n° 365031).

Une vision désincarnée de la souveraineté

En défendant sans nuance les mariages avec des personnes sous OQTF, Sandrine Rousseau adopte une posture militante qui nie la réalité de la souveraineté juridique. Une obligation de quitter le territoire ne saurait être contournée par un simple acte civil. Autoriser ces mariages, c’est indirectement affaiblir la capacité de l’État à faire respecter ses décisions administratives.

La France n’est pas un territoire flottant où l’émotion individuelle supplante la loi. Elle est un État de droit, dans lequel le respect des procédures est la condition d’un accueil digne, équitable et organisé.

Entre compassion et cohérence

Aimer, oui. Mais aimer ne peut pas signifier annuler le droit. C’est justement au nom de l’intérêt général — et aussi de la dignité de l’étranger — que le droit doit être clair, prévisible et non manipulable. Vouloir permettre à une personne en situation irrégulière de rester sur le territoire en se mariant revient à inciter à la désobéissance à une décision de justice, et affaiblit encore un peu plus la cohérence d’une politique migratoire déjà mise à rude épreuve. La générosité n’est pas incompatible avec la rigueur. C’est à cette tension que devrait s’efforcer de répondre Sandrine Rousseau comme tout législateur responsable plutôt que de céder aux effets émotionnels et sensationnalistes de tribune.

Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !