Mieux comprendre les États-Unis en deux livres

amerique etats unis

Après l’élection de Donald Trump, deux ouvrages passionnants – Une histoire critique des Etats-Unis et 50 Etats d’Amérique – donnent du pays une image différente de celle proclamée ou fantasmée par le Président. Instructif et ludique.

« Nos ancêtres les Gaulois », ainsi commence depuis des décennies dans les écoles, notre récit national. À l’instar, notamment, d’Ernest Lavisse qui publia en 1913, une histoire de France pour les écoles primaires, le passé historiquement inexact de notre nation fut glorifié, mythifié et sanctifié. Chaque nation s’est ainsi forgée dans ses livres d’histoires des stéréotypes glorieux. Les États Unis en sont l’exemple le plus flagrant. Nation jeune, elle est faite en partie d’un passé mythique dont les historiens et chercheurs commencent à dévoiler la vraie nature. Dans les prémices de cette remise en cause un ouvrage publié en 1995 émerge Lies my Teacher Told Me de James W. Loewen. Dans l’ouvrage, primé par l’American Book Award, vendu à plus de deux millions d’exemplaires l’auteur, décédé en 2021, décrivait dès les premières lignes, les principes sur lesquels l’histoire des Etats Unis s’est créée. Deux messages à transmettre de génération en génération par les livres d’Histoire : « Agis en bon citoyen » et « sois fier de ton héritage… Après tout regarde ce que l’Amérique a accompli ». Un double message optimiste transmis aux jeunes élèves de l’oncle Sam, mais qui exclut une partie importante de la population. Les éditions Steinkis ont l’excellente idée de reprendre l’adaptation graphique du livre de Loewen dans une publication dessinée dense qui facilite la lecture du texte original. De l’héroïsation de Christophe Colomb, à l’affirmation mensongère d’un gouvernement inchangé depuis près de trois siècles, les exemples décrits minutieusement dans Une histoire critique des États-Unis (1), démontrent l’écriture falsificatrice d’une fable historique d’un pays sans faille.

Décortiquant trois siècles passés, Loewen remet en cause les fondements du racisme, des inégalités sociales, du virilisme, en démontrant comment la réécriture, ou la mise sous silence, des faits objectifs permettaient de justifier les pires abominations passées. Un exemple parmi d’autres: la célébration de Thanksgiving qui chaque quatrième jeudi de novembre depuis l’époque des pères pèlerins évangéliques, est l’occasion de remercier Dieu de la qualité providentielle du nouveau Monde, de la bonne entente avec les populations indigènes et de l’apport civilisatrice des colons. La réalité: une arrivée de colons dans un environnement « débroussaillé par les Amérindiens digne d’un parc », la spoliation des biens des autochtones, le pillage des tombes, et autres méfaits. En fait un « festin » culinaire, que symbolise la dinde, fourni par les Amérindiens et non un »festin » offert pas les colons.

Toute l’Histoire étasunienne réécrite n’a pour objectif que de valoriser l’homme blanc, gommant le génocide amérindien, le racisme anti noir et démontre un interventionnisme mondial permanent qui débute avec l’envoi d’un corps expéditionnaire en Russie pour lutter contre la révolution bolchévique et se poursuit encore aujourd’hui. Le dessinateur Nate Powell illustrant un texte de 1995 ne peut s’empêcher d’introduire la silhouette de Trump, figure emblématique de ce que dénonçait Loewen il y a maintenant trente ans et qui revient en force. « Le spectacle grandiose de l’Amérique » titrent encore certains livres d’Histoire, une formulation qui démontre une fois encore que la manière de dire le passé de son pays est un enjeu politique majeur.

Un autre ouvrage à la forme plus ludique, offre lui aussi un nouvel éclairage, sur l’Amérique actuelle cette fois-ci. « 50 États d’Amérique (2) comme les 50 étoiles sur le drapeau, décrivent un pays gigantesque aussi varié que ses paysages. 50 États, comme les 50 épisodes reprenant le podcast Fifty States » de Guillaume Hennette de l’émission de télévision Quotidien de Yann Barthès. Poursuivant une politique éditoriale efficace, les Arènes, associées à Playground, à la manière du livre remarquable Israel Palestine, mettant en page les podcasts de Thomas Snégaroff (voir chronique), offrent une maquette séduisante, composée de nombreux encarts, de dessins et schémas explicatifs. Chaque chapitre très colorisé, consacré à un état, est structuré à l’identique avec des informations géographiques, historiques, politiques communes. Aux renseignements concernant le drapeau, les chiffres clés comme un Atlas traditionnel, s’ajoutent de manière amusante les épisodes historiques essentiels, les personnalités marquantes. L’aspect divertissant n’est jamais oublié et on se surprend à se délecter de recettes gastronomiques improbables ou de bizarreries géographiques. Aux anecdotes modestes succèdent des encarts de fond. Vous découvrirez que Shawnee la ville la plus insignifiante de l’Oklahoma est le lieu de naissance de l’homme le plus sexy de la planète, un certain Brad Pitt, mais aussi que Jeffersonville dans l’Indiana a accueilli la première prison de femmes. Se dessinent ainsi à la manière d’un puzzle l’image d’une Amérique profondément variée et antagoniste.

carte Etats Unis

Ces deux ouvrages complémentaires sont très utiles pour mieux saisir les racines des votes Trump. On se met alors à imaginer et à souhaiter deux livres identiques consacrés à notre pays susceptibles de mettre à mal la légende d’une France gauloise et chrétienne, irréprochable, que nous vantent les populistes de tout poil.

(1) Une histoire critique des États Unis de James W Loewen et Nate Powell. Éditions Steinkis. 272 pages. 24€. Parution : 3 janvier 2025. Lire un extrait

(2) 50 États d’Amérique de Guillaume Hennette et Playground Paris. Éditions Les Arènes et Bangui. 240 pages. 24,90€. Parution :

Ces deux ouvrages peuvent être complétés par un autre titre des Arènes : États-Unis anatomie d’une démocratie de Thomas Snégaroff et Romain Huret sorti le 3 octobre 2024.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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