Le 7 mai 2025, la préfecture du Gard a adressé une mise en demeure à Nestlé Waters, exigeant le retrait sous deux mois de son système de microfiltration mis en place sur le site de production de l’eau minérale Perrier, à Vergèze. Cette décision marque un tournant majeur dans l’histoire de l’eau embouteillée en France, mêlant enjeux de santé publique, confiance des consommateurs, législation sur les eaux minérales naturelles, et avenir commercial pour le groupe Nestlé. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette mesure, et quelles sont les conséquences à attendre ?
Une intervention préfectorale inédite
Le cœur du problème : le recours par Nestlé à un dispositif de microfiltration (des filtres à membrane) pour purifier l’eau avant sa mise en bouteille. Selon la réglementation française et européenne, une eau minérale naturelle ne peut subir aucun traitement de désinfection ou de modification chimique. Seuls sont autorisés des traitements physiques limités, à condition qu’ils ne modifient pas la composition de l’eau ni ne remettent en cause son origine naturelle.
Or, comme l’a révélé une série d’enquêtes débutées en 2023, Nestlé a eu recours à des traitements non déclarés sur plusieurs sites d’embouteillage en France, notamment pour les marques Perrier, Hépar et Contrex. Si le groupe invoquait une volonté de « garantir la sécurité microbiologique », les autorités ont considéré que cela violait la législation sur les eaux minérales naturelles. Dans le cas de Perrier, le préfet du Gard a estimé que les conditions n’étaient plus réunies pour garantir cette appellation.
Un enjeu sanitaire ou un enjeu d’image ?
Le paradoxe est frappant : Nestlé affirmait mettre en place ces filtrations au nom de la sécurité sanitaire, notamment en réponse à une présence accrue de bactéries dans les nappes phréatiques liée à la dégradation de la qualité des sols. Mais en le faisant, l’entreprise perd le droit de commercialiser son eau sous l’appellation « eau minérale naturelle », pourtant garante d’un certain prestige.
La question de fond est donc : l’eau Perrier telle qu’elle est aujourd’hui filtrée est-elle plus sûre, ou moins « naturelle »que ce que garantit le cadre réglementaire ? Les experts sont divisés. D’un côté, des microbiologistes soulignent que dans un contexte de changement climatique et de pression agricole, il est de plus en plus difficile de garantir la pureté d’une source sans assistance technique. De l’autre, les défenseurs d’une stricte conformité à la réglementation arguent que ces pratiques trahissent le consommateur et fragilisent la confiance dans le label.
Des conséquences économiques lourdes pour Nestlé Waters
Nestlé Waters France est un pilier de l’économie locale et nationale : l’entreprise emploie plus de 2 000 personnes sur ses différents sites en France et génère un chiffre d’affaires annuel de plusieurs centaines de millions d’euros. La marque Perrier, mondialement connue, est exportée dans plus de 140 pays, et représente un symbole du savoir-faire français.
Le retrait du système de microfiltration sans solution alternative immédiate pourrait contraindre Nestlé à réduire ou suspendre temporairement la production, voire à changer le statut de l’eau Perrier (passant d’eau minérale naturelle à eau de source ou eau purifiée), ce qui serait un désastre marketing. À court terme, le groupe pourrait être obligé de revoir sa stratégie produit et sa communication, avec des conséquences sur les volumes de vente, en particulier à l’international.
D’autant que ce n’est pas un cas isolé : l’affaire s’inscrit dans un conflit plus large entre l’agro-industrie et les normes environnementales. Des ONG comme Foodwatch ou Générations Futures réclament depuis des années un encadrement plus strict de l’exploitation des sources, pointant les conflits d’usage de l’eau et la pollution croissante des nappes phréatiques.
Le risque d’un effet domino sur le marché de l’eau embouteillée
Au-delà de Perrier, cette affaire pourrait créer un précédent juridique. Elle pose une question embarrassante pour les autres producteurs d’eaux minérales : combien d’entre eux ont recours à des systèmes similaires sans déclaration explicite ? Et jusqu’où pourra-t-on continuer à vendre de l’eau « pure par nature » dans un environnement de plus en plus dégradé ?
Selon une étude de 2024 de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), 25 % des sources utilisées pour les eaux minérales montrent des signes de vulnérabilité microbiologique. Si la préfecture du Gard va au bout de son injonction et que des contentieux suivent, l’ensemble du secteur pourrait être contraint de revoir ses standardsLe dilemme du XXIe siècle : pureté originelle ou sécurité maîtrisée ?
L’affaire Perrier illustre une tension croissante entre l’idéologie du naturel et la réalité de la gestion industrielle de l’eau. Peut-on encore garantir l’intangibilité d’une ressource dans un monde transformé par l’activité humaine ? Faut-il repenser la définition légale de l’eau minérale ? Nestlé plaide pour une adaptation des textes face à des réalités sanitaires mouvantes. Les autorités, elles, veulent au contraire faire valoir le principe de précaution et de transparence.
Dans un monde où la rareté de l’eau devient un enjeu géopolitique, sanitaire et environnemental, l’épisode Perrier-Nestlé dépasse de loin le cadre d’un simple conflit préfectoral : il interroge notre rapport à la nature, à la confiance dans les marques, et aux limites de l’industrialisation de la pureté.
Références et bibliographie
- ANSES. (2024). Évaluation de la vulnérabilité des ressources en eau minérale naturelle. Paris : ANSES.
- Foodwatch. (2023). Eaux minérales : ce que les industriels vous cachent.
- Code de la santé publique, articles R1322-1 et suivants.
- Le Monde (8 mai 2025). « Nestlé Waters sommé de retirer son système de microfiltration pour l’eau Perrier ».
- Ministère de la Santé. (2022). Les eaux destinées à la consommation humaine : réglementation et enjeux.
- Reuters. (2023). “Nestlé’s water filtration practices under scrutiny in France”.