Un certain goût de la Bretagne : le festin sensible de Nicolas Carro

nicolas carro carantec

À Carantec, le ciel descend dans l’assiette. Et sous la plume du chef étoilé Nicolas Carro, la Bretagne devient un territoire d’émotions, d’engagement et de goût. Dans son premier livre, Un certain goût de la Bretagne, paru en juin 2025 chez Glénat, il ne se contente pas de proposer des recettes : il compose une ode gastronomique à un pays, à une lumière, à des visages. Un beau livre généreux, vibrant, charnel. Un manifeste de cuisine vivante.

“J’ai voulu dire ce qui me lie à cette région. Ce qui m’ancre. Et ce que je peux lui rendre en retour.” — Nicolas Carro

Imaginez un matin sur la baie de Morlaix. L’air sent l’algue fraîche, le goémon et la terre encore tiède. À l’Hôtel de Carantec, Nicolas Carro veille. Sa cuisine est celle d’un sculpteur du vivant : elle respire la saison, les roches, la mémoire des gestes paysans et la patience des pêcheurs. Avec Un certain goût de la Bretagne, son tout premier livre, le chef partage bien plus qu’un savoir-faire. Il raconte une fidélité : celle à une terre nourricière et à une communauté de producteurs qui donnent, au jour le jour, corps à une Bretagne savoureuse et durable.

Une Bretagne à croquer, à humer, à contempler

Le livre s’ouvre comme un voyage sensoriel : 224 pages richement illustrées de photos d’Alban Couturier, au grain texturé et à la lumière juste. Rien de trop, tout est vrai. Les gestes sont là : lever un filet de maquereau pêché le matin, cueillir une feuille de géranium dans un jardin suspendu, verser à la louche un fumet d’arêtes torréfiées sur des racines du Léon. Chaque recette est une scène, un moment suspendu entre mer et terre, entre rigueur technique et poésie brute.

Et quelles recettes ! Ici, le Saint-Pierre de la baie côtoie un jus brun infusé au marc de café. Là, le pintadeau des Monts d’Arrée se niche dans une croûte de sel au goût de bruyère, escorté de champignons et d’éclats de cascara. Plus loin, la pavlova à la rhubarbe et au géranium rosat joue les funambules entre fraîcheur florale et acidité fruitée. Chaque plat réinvente la géographie bretonne, et l’on croit presque entendre le vent d’ouest siffler entre les lignes.

Un manifeste locavore et sensible

Mais Un certain goût de la Bretagne n’est pas qu’un livre de chef. C’est un manifeste. Nicolas Carro y fait apparaître les visages qui nourrissent sa cuisine : Alain Morvan, ostréiculteur à Callotles maraîchers du Léonles cueilleurs de plantes sauvages du Trégorles pêcheurs d’ormeaux ou d’oursins des Glénan. Il ne parle pas de “produits”, mais de rencontres, de transmissions. Sa Bretagne n’est pas folklorique, elle est solidaire, attentive, pleinement actuelle.

La structure même du livre reflète cette volonté de décloisonner : pas d’ordre strict entrée-plat-dessert, mais des sections à thème : “Breton pur beurre”, “Secrets de cueilleurs”, “Face à la mer”, “La loi des saisons”, comme autant de tableaux où s’épanouit une cuisine en harmonie avec le monde.

Le goût comme art de vivre

Lire ce livre, c’est aussi entendre une autre musique bretonne. Moins tonitruante que celle des binious de cartes postales, mais infiniment plus fine : celle d’une cuisine à hauteur d’homme et de paysage, une cuisine qui nous rappelle que manger, c’est choisir, honorer, aimer.

En refermant Un certain goût de la Bretagne, on n’a qu’une envie : réserver une table à Carantec, bien sûr — mais aussi retrouver le plaisir simple de l’aneth sauvage, d’un œuf au plat parfait, d’un beurre qui claque en bouche. Car Nicolas Carro ne nous vend pas une Bretagne rêvée. Il nous montre comment elle se goûte, ici et maintenant.

Un certain goût de la Bretagne, Nicolas Carro, éd. Glénat, coll. Le verre et l’assiette, juin 2025, 224 pages, 39 €. Photos : Alban Couturier – Textes : Nicolas Carro et Philippe Schroeven.

Site de l’hôtel restaurant de Carantec.