Lors de l’inauguration de la Tour Eiffel lors de l’exposition universelle de 1889, le public découvrait 72 noms d’hommes scientifiques inscrits en lettres d’or sur une frise du premier étage. Les femmes étaient les grandes oubliées de l’Histoire : médecins, astronomes, mathématiciennes, etc. Cet oubli sera prochainement réparé et les noms de quarante femmes scientifiques trouveront leur place sur une frise au second étage de la Tour Eiffel…
Le premier étage de la Tour Eiffel est ceinturé par une large poutre, scandée par des consoles qui supportent le balcon qui fait tout le tour. Sur les intervalles, Gustave Eiffel a fait inscrire les noms de 72 savants, écrits en lettres capitales dorées, hautes de 60 centimètres. Dix-huit noms sont ainsi inscrits sur chaque face. Sa Tour a été ainsi placée sous les auspices de la science et du progrès dans le cadre du centenaire de la Révolution française, et dont la Tour Eiffel a été l’expression la plus grandiose. Le choix de ces savants et de ces ingénieurs répondait à plusieurs considérations : ils étaient tous français et avaient vécu et travaillé entre 1789 et 1889. Mais, tous étaient des hommes !
Le projet qui vise à faire graver en lettres d’or les noms de quarante grandes femmes a été baptisé Hypathie, du nom d’une scientifique grecque d’Alexandrie née vers l’an 360, qui fut assassinée vers 415 par des Chrétiens : elle a été la première mathématicienne connue.
L’opération de mise à l’honneur des femmes sur la Tour Eiffel est à l’origine d’un comité scientifique orchestré par Anne Hidalgo, maire de Paris, en partenariat avec Jean-François Martins, président de la Société d’Exploitation de la Tour Eiffel (SETE), avec l’association Femmes & Sciences et un collectif étudiant ; le comité se réunira prochainement au cours de ce printemps 2025, pour préparer la sélection des noms qui seront retenus. Sous l’appellation de Les 40 sœurs d’Hypatie, le projet a bénéficié du soutien d’institutions prestigieuses : l’Académie des Sciences ; l’Observatoire de Paris-PSL ; la Sorbonne Université ; et Sciences-po.
La quarantaine de noms n’est pas encore pleinement déterminée, mais on en connaît déjà quelques-uns : Émilie du Châtelet, Sophie Germain et Marie Curie…
La femme de sciences Emilie du Châtelet (1706-1749)
Née à Paris sous l’identité de Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil le 17 décembre 1706, elle est fille du baron Louis Nicolas Le Tonnelier de Breteuil, diplomate sous Louis XIV et issu d’un milieu aristocratique. Son père donne la même éducation à sa fille qu’à ses garçons. Elle reçoit alors une éducation exceptionnelle pour une femme de cette époque et apprend les langues dont le latin et le grec, les sciences, le théâtre et la musique.
Quand elle a 19 ans, elle devient Emilie du Châtelet car elle se marie avec le marquis Florent du Châtelet qui fait une carrière militaire. Ensemble, ils ont trois enfants, mais le dernier ne survit pas ! Le couple se sépare après neuf années de vie commune. En 1733, elle a 27 ans et fait la rencontre de l’écrivain Voltaire ( 1694-1778), 39 ans, dans les salons parisiens et devient sa compagne. Le couple décide de quitter la vie mondaine et de s’installer en Champagne pour y vivre en intermittence jusqu’en 1749, où Voltaire y fait installer un cabinet de physique. Emilie du Châtelet concourt pour le prix de l’Académie royale des sciences en 1738 avec le thème sur la nature du feu. Voltaire veut y participer et prépare un manuscrit. Elle rédige la nuit, à l’insu de Voltaire, un mémoire sur la nature et la propagation du feu. Pour participer aux réunions en marge de l’Académie, elle s’habille en homme ! Il faudra attendre 1739, pour que l’Académie publie le manuscrit d’Émilie du Châtelet ; pour la première fois le texte d’une femme est publié par l’Académie. Emilie du Châtelet obtient ainsi sa place au sein de la communauté scientifique française… Quant à Voltaire en disgrâce à la cour de France, il est menacé d’arrestation pour avoir écrit ses Lettres philosophiques.
Emilie du Châtelet reçoit des leçons de mathématiques de la part de plusieurs mathématiciens, dont Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) qui devient son compagnon. Il l’initie aussi aux travaux du scientifique Isaac Newton (1643-1727). En 1740, Emilie du Châtelet écrit Institutions de physique où elle expose la théorie de Leibniz sur les nomades. Six ans plus tard, elle est élue membre de l’Académie des sciences à l’institut de Bologne en Italie, la seule institution d’Europe qui est ouverte aux femmes. Emilie du Châtelet fait partie des dix savants les plus célèbres d’Europe.
Emilie du Châtelet s’éteint le 10 septembre 1749, à l’âge de 43 ans, quelques jours après l’accouchement de son quatrième enfant, né de sa relation avec le poète et philosophe Jean-François de Saint Lambert. Florent du Châtelet et Voltaire sont à son chevet !
Principes mathématiques de la philosophie naturelle est publiée à Paris en 1759 en deux tomes, à titre posthume, dix ans après la mort d’Émilie du Châtelet ; sa préface est en forme de poème de Voltaire. Elle est l’auteur de commentaires de : exposition du système du monde selon les principes de Newton, où elle explique de manière didactique les théories de Newton, qui sont l’objet du second tome. Elle envoie ses manuscrits à la Bibliothèque du Roi peu avant sa mort, certainement dans un souci de postérité.
La mathématicienne Sophie Germain (1776-1831)
Sophie Germain est née le 1er avril 1776 à Paris dans une famille bourgeoise issue de plusieurs générations de commerçants. Son père Ambroise-François Germain est député du Tiers-État à l’Assemblée Constituante de 1789. Sophie Germain reste toute sa vie à la charge de sa famille, puisqu’elle reste célibataire toute sa vie sans position sociale. A l’âge de 13 ans, Sophie Germain découvre le monde des mathématiciens par la lecture du récit de la vie d’Archimède et se passionne dès lors pour les mathématiques ; on raconte même qu’elle se levait la nuit pendant le sommeil de ses parents pour étudier à la lueur d’une bougie. Elle a 19 ans, quand elle obtient les notes des cours de l’Ecole Polytechnique, récemment créée !
La théorie des nombres est le premier domaine où Sophie Germain apporte une contribution importante. On lui doit les plus importantes avancées sur le théorème de Fermat depuis Leonhard Euler en 1738 et avant Ernst Kummer en 1840. Après la visite du physicien allemand Chladni à Paris en 1809, Sophie Germain change radicalement d’orientation mathématique et pendant plus d’une décennie, elle se passionne pour la théorie des surfaces et pour le problème de vibration des surfaces élastiques. En 1816, elle est la première femme à remporter un prix de l’Académie, puis à assister à ses séances sur son seul mérite.
Sophie Germain continue à travailler jusqu’à la fin de sa vie sur les mathématiques et la philosophie : En 1831, elle poursuit la rédaction de son livre et enrichit ses notes, rassemblées ultérieurement dans Pensées diverses, malgré de terribles douleurs dues à la maladie.
Sophie germain meurt le 27 juin 1831, atteinte d’un cancer du sein. Un moulage post-mortem de son crâne est conservé dans les réserves du Musée de l’Homme et son corps repose au cimetière du Père Lachaise de Paris.
La physicienne Marie Curie (1867-1934)
Née Maria Sklodowska, Marie Curie a vu le jour le 7 novembre 1867 à Varsovie en Pologne, au sein d’une famille d’enseignants très cultivée. Elle réussit brillamment ses études secondaires, et rêve d’étudier les sciences. Mais à cette époque à Varsovie, les universités ne sont pas ouvertes aux femmes. Le seul moyen pour poursuivre des études supérieures, quand on est une femme, est donc de partir à l’étranger. Comme Bronia, sa sœur, veut étudier la médecine, elles choisissent de venir étudier en France toutes les deux.
A Paris, Maria Sklodowska s’inscrit à la Sorbonne en octobre 1891. Elle obtient deux ans plus tard une licence en sciences physiques avec la mention très bien ; en 1894, elle décroche une licence en sciences mathématiques avec la mention assez bien et obtient la même année un petit contrat financé par la Société pour l’Encouragement de l’Industrie Nationale (SEIN), pour mesurer les propriétés magnétiques de différents aciers ; elle rencontre un physicien déjà reconnu et qui va changer sa vie : Pierre Curie (1859-1906) ! Il est professeur à l’Ecole municipale de physique et de chimie industrielles de Paris. Leur mariage a lieu le 26 juillet 1895 : Maria Sklodowska devient Marie Curie, et aura avec Pierre, deux filles : Irène et Eve…
Marie Curie entreprend une thèse de doctorat en physique sur les rayons uraniques, et ensemble le couple découvre en juillet et décembre 1898 deux éléments nouveaux : le polonium et le radium. Les Curie partagent le prix Nobel de physique de 1903 ; la même année, Marie Curie soutient sa thèse de doctorat en sciences physiques. Elle y présente la découverte du polonium et du radium
Quand Pierre Curie meurt dans un accident de circulation en 1906 à l’âge de 47 ans, la Faculté des Sciences confie sa succession à Marie Curie, qui est nommée directrice du laboratoire et chargée des cours de Pierre. Elle devient la première femme professeur des universités en France.
Marie Curie consacre les quatre années de la Première Guerre mondiale au développement de la radiologie fixe et mobile et à la formation d’infirmières spécialisées dans l’utilisation des appareillages à rayons X. Elle est aidée par Irène, sa fille aînée. Au sein de la Croix Rouge, Marie Curie réussit à équiper dix-huit voitures radiologiques. Ces véhicules, surnommés les petites Curie s’ajoutent aux véhicules de l’armée. Plus d’un million de blessés bénéficient de la radiologie, une nouvelle technique qui permet aux chirurgiens de localiser les projectiles avec précisions et donc de sauver des vies !
En 1921, la création de la Fondation Curie ouvre une période de développement dans l’utilisation des rayonnements pour le traitement du cancer. Marie Curie est élue à l’Académie de Médecine comme membre libre en 1922…
Marie Curie souffre d’une trop grande exposition aux éléments radioactifs qu’elle étudie depuis 1898 et aux fortes doses de rayons X pendant les radiographies effectuées sur les poilus pendant la guerre. Elle s’éteint à l’âge de 66 ans le 4 juillet 1934, des suites d’une leucémie radio-induite.
D’abord inhumée à Sceaux dans le caveau de la famille, les cendres de Marie Curie et celles de son mari Pierre Curie sont transférées au Panthéon, le 20 avril 1995.
