La Fête de la musique à Rennes a été marquée par une vague de signalements : une vingtaine de jeunes femmes ont affirmé avoir été victimes de piqûres sauvages. La plupart se sont présentées aux postes de secours ou aux urgences, parfois en état de panique. Certaines présentaient de petites rougeurs cutanées, mais aucune substance n’a été détectée lors des analyses toxicologiques pratiquées, et aucun matériel (seringue, flacon) n’a été retrouvé sur place. Aucune plainte n’a été enregistrée à Rennes, même si cinq jeunes filles de 15 à 17 ans ont déposé plainte à Fougères dans des circonstances similaires.
Ce cas local illustre un phénomène plus large : plus de 145 signalements ont été enregistrés à l’échelle nationale durant cette même nuit du 21 juin. Il s’agit d’un nouveau pic d’une tendance apparue depuis 2021, qui suscite interrogations, peur et médiatisation. Ce phénomène inquiétant refait surface à chaque grande fête populaire ou soirée festive en France : celui des piqûres sauvages. Jeunes femmes en boîte, fêtards en festival, lycéennes en soirée : toutes et tous rapportent avoir été la cible d’une piqûre soudaine et inexpliquée. L’émotion suscitée est forte, les réseaux sociaux s’emballent, les urgences sont prises d’assaut. Mais les enquêtes, elles, peinent à livrer la moindre preuve tangible. Pourtant, sur ces signalements, moins de 5 % ont donné lieu à des résultats toxicologiques suspects, et aucun n’a mené à la mise en cause formelle d’un agresseur armé d’une seringue.Faut-il dès lors y voir un réel fléau criminel ou les contours insaisissables d’un mythe urbain amplifié par les peurs contemporaines ?
Épidémiologie d’un phénomène insaisissable
Le scénario est souvent le même : une sensation de piqûre dans la foule, une marque rouge, une angoisse grandissante, parfois un malaise. En 2022, le ministère de l’Intérieur recensait près de 1 500 signalements de piqûres en contexte festif. Rennes, Nantes, Lille, Paris, Lyon… le pays tout entier semblait touché. Pourtant, sur ces signalements, aucun n’a mené à la mise en cause formelle d’un agresseur armé d’une seringue.
La piste d’une attaque chimique délibérée ?
Le fantasme initial est puissant : des prédateurs invisibles, mûnis de seringues préremplies de GHB ou d’autres drogues, à l’affût dans les foules pour endormir leurs cibles. Mais les faits ne corroborent pas cette vision. Aucune seringue n’a jamais été retrouvée, aucun flacon ni matériel permettant une telle logistique n’a été saisi. Or injecter un produit à travers des vêtements, dans la pénombre d’une foule compacte, nécessite une technique, une force et une précision extrêmes. Il faudrait que ces agresseurs soient à la fois des toxicologues mobiles, des pickpockets expérimentés et des athlètes du sous-sol.
Une contagion sociale amplifiée par les réseaux
La diffusion massive de vidéos TikTok ou de stories Instagram racontant ces piqûres constitue un terreau fertile pour un effet de panique collective. Le scénario de la piqûre est simple, narratif, mobilisateur : il permet de raconter une angoisse, de cristalliser des peurs plus diffuses (insécurité, sexisme, anonymat des foules). Dans plusieurs cas, des jeunes femmes ont consulté les urgences à la suite de récits visionnés la veille. De nombreux sociologues, comme Gérald Bronner ou David Le Breton, dans les pas de René Girard, y voient une « propagation mimétique de la peur », un phénomène très ancien adapté aux vecteurs modernes.
« Il n’y a jamais eu un seul cas solidement prouvé de piqûre avec substance », selon un rapport confidentiel relayé par Le Monde en 2023.
Une dimension psychosomatique ?
Les services de santé, eux, relèvent que dans une grande majorité des cas, aucune trace physiologique n’est détectée au-delà d’une simple rougeur ou d’une démangeaison (souvent due à un moustique ou un frottement). Chez certains patients, un stress intense peut provoquer des symptômes comme des palpitations, des nausées ou une sensation de malaise. Il s’agirait alors d’épisodes de somatisation aiguë, fréquents en milieu festif ou sous l’influence de psychotropes légaux.
L’inquiétude réelle des femmes
Il serait érroné de balayer ce phénomène comme une simple hystérie collective. La peur exprimée est réelle, et s’inscrit dans un climat d’insécurité féminine accrue dans les espaces publics nocturnes. Ces piqûres apparaissent comme une métaphore tranchante de l’invisibilisation des violences sexistes : des blessures muettes, sans trace, sans auteur, mais profondément ressenties.
Précaution, oui. Panique, non.
Les autorités sanitaires et judiciaires appellent à la vigilance sans dramatisation. En cas de suspicion, il faut consulter, faire un test toxicologique rapidement (dans les 6 heures), et signaler les faits. Mais il importe aussi de construire une culture critique de l’information et de ne pas céder aux emballements sans preuve. Le traitement médiatique joue ici un rôle central : éviter la psychose, tout en accueillant avec sérieux la parole des victimes.
Les piqûres sauvages sont peut-être moins un crime organisé qu’un symptôme social : celui d’une jeunesse féminine inquiète, d’une société ultra-connectée où la peur circule à grande vitesse, et d’une médecine luttant pour distinguer le traumatisme du toxique. Un mythe urbain moderne ? Peut-être. Mais porteur de vérités sociales bien réelles.