Il arrive que la fiction accomplisse ce que les grands discours échouent à faire : faire ressentir. Querer, mini-série espagnole en quatre épisodes, disponible sur Arte.tv, créée par Alauda Ruiz de Azúa, réussit avec une justesse bouleversante à donner corps à une parole trop longtemps confinée au silence : celle des femmes victimes de viol conjugal.
La série retrace l’histoire de Miren, femme mariée depuis trente ans, mère de deux enfants, qui finit par porter plainte contre son mari pour des violences sexuelles répétées. Ce basculement intime déclenche une onde de choc familiale et sociale dont la série explore avec acuité les résonances psychologiques et collectives.
Ce qui frappe immédiatement dans Querer, c’est son refus du pathos. La caméra épouse les non-dits, les silences, les gestes entravés. Le scénario, remarquablement sobre, laisse toute la place à l’interprétation émotionnelle et corporelle de l’actrice Nagore Aranburu, dont la prestation est d’une intensité saisissante. Miren n’a pas besoin de mots pour qu’on comprenne l’abîme de solitude et d’humiliation dans lequel elle a vécu. Elle incarne, avec pudeur et dignité, ces femmes qui ont trop longtemps tu leurs blessures pour protéger l’image de la « bonne épouse ».
La série n’accuse pas, elle questionne. Le mari, Iñigo, incarné par Pedro Casablanc, n’est pas un monstre caricatural mais un homme convaincu d’avoir « bien agi ». C’est cette banalité du mal, cette absence de conscience de la domination, qui rend Querer si terrifiant et si juste. La série n’instruit pas à charge : elle met en scène une ambivalence – affective, psychologique, sociale – au cœur même de la dynamique conjugale.
Les deux fils du couple incarnent les tensions intergénérationnelles : l’un épouse les valeurs du père, l’autre doute, vacille, cherche la vérité. Le vrai procès, dans Querer, n’a pas lieu au tribunal mais au sein du foyer. Les dialogues entre les personnages, souvent murmurés, sont autant de pièces d’un puzzle intime où chacun tente de reconstituer la vérité à partir de souvenirs fragmentaires et de croyances ébranlées.
Distinguée par le Grand Prix du festival Séries Mania, Querer s’impose comme une œuvre profondément politique, sans jamais tomber dans la démonstration ou la lourdeur. Elle illustre avec acuité la difficulté de prouver l’invisible, d’établir la vérité lorsqu’elle se heurte à des décennies de silence, à l’absence de « preuves » dans des cas de viols répétés et de violences psychologiques. À ce titre, la série devrait être diffusée largement, non seulement comme fiction remarquable, mais comme outil pédagogique.
La réalisatrice Alauda Ruiz de Azúa, déjà saluée pour Cinco lobitos, confirme ici sa capacité à filmer l’intime avec une rigueur de documentariste et une sensibilité de romancière. En refusant l’esbroufe et en embrassant la complexité humaine, elle livre un récit éthique, esthétique et bouleversant.
Querer est de ces œuvres rares qui marquent durablement. Par sa direction d’acteurs exceptionnelle, sa photographie sobre et son scénario millimétré, elle transcende le simple fait divers pour devenir une parole collective, une forme de justice poétique pour toutes celles – et ceux – dont les souffrances ont été étouffées dans l’ombre de l’intimité conjugale.
Une série à voir absolument, à méditer, à partager.
Les quatre épisodes sont à voir sur ArteTv ou ci-dessous (le premier demande une autorisation en raison d’une limite d’âge)