La reine des abeilles, sentinelle d’éternité ? Sa longévité intéresse les humains…

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Paradoxe biologique fascinant, la reine des abeilles pourrait bien, selon des scientifiques britanniques, détenir certaines clés pour allonger significativement la durée et la qualité de vie humaine. À patrimoine génétique égal, elle vit trente fois plus longtemps que ses congénères. Pourquoi ? Et surtout, peut-on transposer ces secrets à l’espèce humaine ?

Une longévité sans vieillesse apparente

Dans une ruche, les ouvrières vivent entre 30 jours (en été) et six mois (en hiver), tandis que la reine peut dépasser les 5 ans. Non seulement elle vit bien plus longtemps, mais elle reste fertile pendant toute sa vie, pondant jusqu’à 2000 œufs par jour. Or, génétiquement, rien ne la distingue d’une ouvrière : c’est l’alimentation exclusive à base de gelée royale qui détermine son destin.

La gelée royale est un concentré biologique produit par les abeilles nourricières, riche en protéines, acides gras, vitamines (notamment du groupe B) et en facteurs de croissance. C’est elle qui déclenche une cascade de modifications épigénétiques : activation ou répression de gènes sans modification de l’ADN lui-même. Cette plasticité du génome sous influence alimentaire intrigue la biologie depuis des décennies.

L’étude ARIA : décrypter les mécanismes biologiques de la reine

C’est dans cette optique que s’inscrit le nouveau projet financé par ARIA, visant à comprendre les mécanismes moléculaires qui permettent aux reines des abeilles d’échapper au vieillissement classique.

L’enjeu, selon Yannick Wurm, biologiste et membre de l’équipe, est d’identifier les gènes ou voies métaboliques activés de manière stable et durable chez la reine — notamment ceux liés à la résistance au stress oxydatif, à la réparation de l’ADN, à la production hormonale et au maintien de la fertilité. Autant de leviers susceptibles d’inspirer des thérapies humaines.

Plusieurs axes sont explorés :

  • La voie TOR (Target of Rapamycin), déjà connue pour son rôle dans la régulation du vieillissement.
  • Les effets du 10-HDA (acide 10-hydroxy-2-décénoïque), un acide gras spécifique de la gelée royale, soupçonné d’avoir des propriétés anti-inflammatoires, immunostimulantes et neuroprotectrices.
  • Les protéines de longévité (notamment les sirtuines) qui pourraient être activées par des composés analogues à ceux de la gelée.

Épigénétique et médecine régénérative

L’intérêt de ces recherches dépasse le champ du vieillissement : elles touchent à la médecine régénérative, à la fertilité prolongée, et aux pathologies neurodégénératives. Si les mécanismes de la reine permettent de préserver des tissus fonctionnels sur la durée, ils pourraient inspirer de nouveaux traitements contre l’atrophie musculaire, les troubles hormonaux liés à la ménopause, ou encore la sénescence cellulaire.

Des projets similaires sont menés sur d’autres espèces longévives, comme la méduse Turritopsis dohrnii (capable de « revenir » à un état juvénile) ou la taupe nue (qui ne développe presque jamais de cancer). Mais l’abeille offre un modèle unique : une longévité extrême sans changement de patrimoine génétique, dans une espèce socialement organisée.

Vers une traduction thérapeutique ?

Certaines entreprises de biotechnologie s’intéressent déjà aux composants actifs de la gelée royale, que ce soit sous forme de compléments alimentaires ou d’agents pharmacologiques. Mais ARIA ne vise pas la commercialisation rapide. Il s’agit d’un pari fondamental à long terme, un « moonshot » à la frontière entre biologie, chimie, intelligence artificielle et médecine.

Le défi : transformer un mécanisme naturel d’une autre espèce en outil thérapeutique humain, ce qui suppose de surmonter les différences inter-espèces, de modéliser les interactions complexes, et de valider les effets chez l’humain sans effets secondaires délétères.

Une perspective transhumaniste ?

L’idée qu’une simple abeille puisse nous aider à retarder le vieillissement voire l’annuler a une saveur transhumaniste. Mais ce que cette recherche interroge en profondeur, c’est la malléabilité du vivant : jusqu’à quel point peut-on remodeler nos fonctions biologiques sans dériver vers l’artificialisation radicale de l’humain ?

À l’heure où la gérontologie moléculaire devient une discipline centrale, les abeilles redeviennent des maîtresses à penser. Comme dans l’Antiquité, où leur structure sociale fascinait les philosophes, leur biologie exceptionnelle pourrait aujourd’hui offrir les contours d’une médecine du futur — plus préventive, plus respectueuse de l’écologie du corps, mais aussi plus ambitieuse dans ses promesses.

Pour aller plus loin

  • Le site d’Aria est ici
  • Ronai, I., Vergoz, V., & Oldroyd, B. P. (2016). The mechanistic, genetic, and evolutionary basis of worker sterility in the social Hymenoptera. Advances in the Study of Behavior, 48, 251-317.
  • Kamakura, M. (2011). Royalactin induces queen differentiation in honeybees. Nature, 473(7348), 478–483.
  • Wurm, Y. et al. (2025). Queen Bee Longevity Project. ARIA Research Initiative.
  • National Institute on Aging (2022). The Biology of Aging: An Overview.