La Marelle est le premier roman de la Rennaise Maelan Paranthoen. Auto-édité, le récit épistolaire raconte la connexion singulière entre une travailleuse du sexe et une jeune mère en plein post-partum qui échangent sur leur vie quotidienne. L’écriture accessible de l’autrice pose un regard déconstruit sur la maternité et le travail du sexe qui pousse à la réflexion.
« Je te laisse ce mot dans la boîte aux lettres parce que donner rendez-vous à quelqu’un.e, et ne pas être là, c’est quand même le comble de l’irrespect. » Alice est une jeune mère en plein post-partum, Maya une travailleuse du sexe (TDS). Elles entament une relation épistolaire et dépeignent chacune les réalités auxquelles elles font face… La Marelle est le premier livre de la Rennaise Maelan Paranthoen. Pas le premier qu’elle a écrit, mais le premier qu’elle a terminé et édité. Avant cette publication, Maelan a eu une fille et travaillé en tant que coordinatrice chez Les Pétrolettes, association par et pour les personnes travailleuses du sexe. Ces deux expériences de vie ont nourri son écriture. « En commençant à travailler avec Les Pétrolettes, beaucoup de choses ont fait écho : l’isolement des TDS, le discours majoritaire qu’on entend sur ce travail », raconte-t-elle. « Ça m’a un peu fait penser à la manière dont on m’avait dépeint la maternité avant que je ne sois moi-même mère. »
La Marelle montre l’intérêt de l’autrice pour les thématiques sociétales, en particulier la condition des femmes au quotidien et les injonctions auxquelles elles doivent faire face professionnellement et personnellement. Si les destins de femmes ordinaires l’ont toujours intéressée, elle situait généralement ses histoires au XIXe siècle. « Inutile d’avoir gravi l’Everest ou connu des histoires d’amour tumultueuses pour qu’une histoire mérite d’être racontée. » Dans La Marelle, nous sommes bien au XXIe siècle et Maelan Paranthoen utilise le quotidien de deux femmes pour aborder deux sujets qu’on s’efforce aujourd’hui de déconstruire : la maternité et le travail du sexe.
Maya et Alice ont deux personnalités (et vies) a priori antinomiques, mais elles se reconnaissent l’une dans l’autre. Les présupposés dus à leur condition se rejoignent et les rapprochent. « Je ne voulais pas qu’elles soient des féministes convaincues et irréprochables, j’avais envie qu’elles aient toutes les deux des choses à apprendre », précise Maelan. « Je ne suis pas d’accord avec tous les propos de Maya et j’ai parfois eu envie de tirer la main d’Alice pour qu’elle avance un peu plus vite. »
« On ne veut pas trop des enfants de moins de trois ans dans l’espace public et en disant qu’on n’en veut pas, on dit aussi qu’on ne veut pas des mères », Maelan Paranthoen
D’un côté, il y a Alice, jeune maman que l’on sent à fleur de peau. Elle a vu le fait d’être mère comme le but ultime et une façon de se réaliser. « C’est ce qu’on nous vend dans les livres, dans les films », mais la réalité est autre et plus difficile. « Elle n’a pas l’épanouissement promis », exprime Maelan avant de préciser : « Ma maternité n’a rien eu à voir, je me suis inspirée de ce que je lis depuis quatre ans sur Instagram et des cercles dont je fais partie ». Avec ce personnage, l’autrice aborde l’après-accouchement et le post-partum, période dont on parle peu et à laquelle les jeunes mères ne sont pas préparées : Alice se sent seule et ne sait pas où est sa place…
De l’autre se trouve Maya, plus volcanique que la première, qui en a marre de devoir éduquer le monde. « Maya ne s’embête pas avec des fioritures. » Comme le personnage d’Alice est écrit pour briser les tabous autour de la maternité, son personnage, lui, déconstruit les stigmates que l’on peut avoir autour de son métier. Sur le sujet, on pense notamment à la bande dessinée Bagarre Érotique, récits d’une travailleuse du sexe de Klou qui raconte, avec humour et engagement, son parcours en tant que TDS. « Les Pétrolettes ont été un vivier de connaissances en ce qui concerne le féminisme inclusif et intersectionnel ».
Sans se connaître, Alice et Maya trouvent l’oreille attentive qu’elles recherchaient, peut-être inconsciemment. La première semble désespérément chercher une interaction sociale et la seconde, malgré son air bourru, est touchée par cette fragilité. Le besoin de parler des deux l’emporte, mais c’est connu, il est parfois plus simple de parler à une inconnue, n’est-ce pas ? Entre anecdote d’un client qui pose un lapin à l’une et souvenir de la première nuit sans bébé pour l’autre, chacune essaime des bouts de sa vie et cristallise des problématiques réelles et actuelles. Ensemble, elles enclenchent des discussions plus philosophiques sur la vie et la condition des femmes. Une certaine pédagogie, qu’il est agréable de lire, se dégage de leurs échanges. Elles apprennent l’une de l’autre, et sur elle-même. Au milieu de cette intimité qu’induit le récit épistolaire, le lectorat apprend autant que les personnages qu’il découvre au fil des pages. « Le format de la lettre me permet de penser, de réfléchir, de soupeser, et ça ancre une réalité pour toujours », exprime Maelan qui écrit elle-même beaucoup de lettres. Depuis la naissance de sa fille, elle rédige des lettres dans un carnet pour quand elle sera grande. « Je trouve ça beau de laisser un petit bout de soi et de sa vérité de cette façon. »
Si le style d’Alice se rapproche du style d’écriture de Maelan tel qu’elle le connaît depuis longtemps, celui de Maya est plus direct, parfois cru dans la mouvance de Virginie Despentes. On pense notamment au livre devenu culte King Kong Theory (2006) qui aborde, entre autres, la prostitution. « Son personnage m’a demandé plus d’efforts, ne serait-ce que par l’utilisation de l’écriture inclusive que je n’avais pas l’habitude d’utiliser. » Pourtant, au fil de la lecture, les styles évoluent sans se rejoindre. Maya semble s’adoucir même si elle garde son franc parler et Alice semble au contraire avoir une plus grande liberté d’expression dans sa manière d’écriture. Ce constat nous pousse à continuer la lecture pour en connaître l’issue. Vont-elles se rencontrer, continuer à correspondre ad vitam æternam ou cette relation est-elle une parenthèse qui leur permet à toutes deux d’avancer ?
Édité à la rentrée 2024, La Marelle est disponible sur le site Bookelis au prix de 13 € et sera bien en vente à la librairie La Nuit des temps (10 quai Émile Zola, Rennes). L’autrice sait déjà de quoi parlera son prochain roman, toujours épistolaire : il se déroulera sur plusieurs siècles, jusqu’à aujourd’hui, et aura comme contenu une succession de lettres de grands-mères léguées à leurs petites filles. Parallèlement à l’écriture, l’autrice Alice Legendre forme Maelan à l’animation d’ateliers, et elle réfléchit déjà avec Les Pétrolettes pour en mettre en place à l’association.