La bande dessinée Révolution de Florent Grouazel et Younn Locard sera présentée aux Champs Libres de Rennes lors du festival littéraire Jardins d’Hiver. Une rencontre avec les auteurs de cette série multi-primée qui raconte la Révolution française depuis la rue était prévue dimanche 2 février 2025. Retrouvez dans quelques jours leur entretien dans l’émission spéciale Faites-moi lire aux Champs libres.
C’est au lycée, à Lorient, que Grouazel et Locard se rencontrent. Les deux jeunes hommes, passionnés de dessin tous les deux, se lient d’amitié et s’envolent pour le pays du neuvième art, la Belgique. Ensemble, ils intègrent l’école de la bande dessinée de Saint-Luc de Bruxelles avant de publier leur premier récit en 2013, Eloi. C’est l’histoire d’un jeune pêcheur kanak dans le colonialisme du XIXe siècle. Dans la foulée, les deux dessinateurs ne bullent pas et attaquent l’écriture de leur deuxième bande dessinée, plus qu’ambitieuse, Révolution.
Paru en 2019 aux éditions Actes Sud, le premier tome de Révolution intitulé Liberté dépeint les différents paysages de l’année 1789. La même année, l’œuvre reçoit le Prix Bulles d’Humanité, le Prix Château de Cheverny de la bande dessinée historique, le Prix Millepages, et sa reconnaissance lui vaut en 2020 un Fauve d’or à Angoulême dans la catégorie du meilleur album. En 2023, Florent Grouazel et Yann Locard reviennent avec le deuxième volume, Égalité, qui se concentre sur l’année 1791. « Il nous a fallu plus de cinq ans pour écrire Liberté, nous nous fixons quatre ans de travail pour le prochain épisode Ou la mort », soulignent les deux auteurs.
« Nous nous sommes attaqué à une période historique souvent bourrée de clichés, d’une révolution où les personnages restent souvent mal ou pas du tout représentés. » C’est dans une volonté de raconter autrement l’histoire, et en s’appuyant sur les travaux de l’historien Pierre Serna, que les deux dessinateurs ont préféré donner de l’importance à différents personnages fictifs ou inspirés de personnes réelles plutôt qu’à de grandes figures de l’époque.
Dans le premier tome, le lecteur suit Marie, une petite fille débrouillarde aux allures de Cosette qui survit dans les bas-fonds de Paris. Il y a aussi sa sœur Louise, domestique qui s’émancipe tant bien que mal. Le personnage d’Abel de Kervélégan, un noble quimpérois qui préfère la bouteille plutôt que d’assister aux débats de la nouvelle Assemblée Nationale, a vraiment existé. Tout comme Reine Audu (ou Louise-Renée Leduc), dame poissarde aux Halles. Il y a aussi Jérôme Laigret, animateur réactionnaire de la gazette royaliste Le Lys Ardent et dont les traits se rapprochent fortement d’Eric Zemmour. Autant de personnages que de micro-histoires pour sentir l’effondrement du Vieux Monde.
« Plusieurs de nos protagonistes sont des femmes », précisent-ils. « Si elles ne sont pas oubliées, les femmes sont toujours dépeintes dans l’Histoire à travers leur inventions ou par le biais d’hommes importants. On oublie trop souvent qu’elles ont fait et font partie de la dynamique collective de la société. » Ainsi, Révolution représente des femmes de différents âges et différents statuts, en premier ou arrière-plan, dans de beaux appartements comme dans les rues, mais toujours révoltées. Elles entraînent les hommes, elles combattent et se politisent en assistant aux réunions et dans les tribunes de l’Assemblée.
Pas de grands noms ni de faux héroïsme, la dizaine de personnages que l’on suit dans les différents quartiers de Paris reste des personnes de la vie du XVIIIe, issus de plusieurs milieux. Tous livrent à chaque page leur sentiment au milieu d’une époque en plein bouleversement. « Nous nous sommes, bien sûr, attachés fidèlement à toute l’esthétique historique, des costumes à l’architecture, mais ce qui nous importe c’est plutôt ce qu’il se passe dans la tête de chaque personnage à tel moment, et selon leur statut. » Avec des recherches approfondies et accompagnés par plusieurs historiens, scientifiques et anthropologues, Grouazel et Locard ont réussi le pari de ressusciter en bande dessinée la capitale française en pleine révolution.
À l’aide d’un passionné de cette époque qui reconstitue la ville de Paris en 3D, les auteurs ont également pu reproduire certains quartiers et bâtiments tels qu’ils étaient en ces années-là, comme le Palais des Tuileries.
« Raconter des récits différents des écrits académiques est un bon moyen de faire résonner le passé avec l’actualité. L’écho est d’autant plus puissant quand on pense aux combats contre les privilèges, de plus en plus important aujourd’hui ». On pense notamment au mouvement des Gilets Jaunes à Paris, très souvent relié au mouvement révolutionnaire de 1789. Dans Révolution, pas de gilets fluorescents, mais la même volonté de renverser les gouvernants au nom de la justice et de la liberté.
Au fil de la bande dessinée, la lecture nous perd dans les rues et dans les chemins de campagne, ne sachant plus où se passent la situation. Pas de géographie précise ni d’histoires figées, nous nous laissons porter par le parcours de chaque personnage, au loin comme de très près. Rythmé par les débats à l’Assemblée Nationale, par la foule aux Halles ou la fumée des canons dans les rues, Révolution met en scène l’atmosphère bruyante et violente infligée à la population affamée. Dans tout ce bouillonnement, l’image se fige parfois et fait apparaître de grand tableaux, presque silencieux, marquant ainsi de courtes pauses dans le récit.
Ces deux tomes, long de près de 1000 pages, s’est bâti à quatre mains : « C’est un long travail de recherche dans un premier temps, expliquent Grouazel et Locard. Nous nous partageons nos recherches via nos lectures puis, dans un second temps, nous nous inventons des situations et des personnages. Nous attaquons ensuite l’écriture, les dialogues, les décors et les personnages. Ce n’est qu’après que vient le travail d’illustration, et une fois les storyboards terminés, nous nous répartissons les scènes. C’est un long travail d’harmonisation, même si nos styles sont proches et que nous utilisons les mêmes outils, à savoir la plume et de l’encre de Chine ».
La fin de la trilogie annoncée, si tout va bien, dans deux ans, se focalisera sur l’année 1792. « Nous avions commencé un gros travail pour le deuxième tome, nous avons dû le scindé en deux. Il faudra donc attendre encore un peu pour le deuxième livre du tome II intitulé Ou la mort ».
Grouazel et Locard clôtureront le Festival Jardin d’Hiver dimanche 02 février. La rencontre à 16h à l’Auditorium des Champs Libres avec les auteurs qui pourront répondre aux questions du public, sera suivi d’une séance de dédicaces.
INFOS PRATIQUES :
Rencontre avec Grouazel et Locard le 02 février à 16h. 1h. Gratuit.
Festival littéraire Jardin d’Hiver, du 31 janvier au 02 février aux Champs Libres, 10 cour des Alliés, 35000 Rennes.
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